La Bible en ses Traditions

Apocalypse

« Que celui qui a des oreilles entende ce que l’Esprit dit aux Églises ! Au vainqueur, je donnerai à manger de l’arbre de vie qui est dans le paradis de mon Dieu » (Ap 2,7). Le titre Apocalypse est paradoxal pour un lecteur moderne. En grec, en effet, le mot apokalupsis laisse entendre, un « dévoilement », une entreprise de mise en évidence, mais force est de constater que le lecteur est déconcerté par l'accumulation des visions, des symboles, d'allusions aux Écritures qui semblent plus obscurcir les choses que les clarifier.

Certains lecteurs la considèrent comme le plus beau livre de la Bible, d'autres la trouvent terrifiante. Il s'agit plutôt d'un ouvrage en langage chiffré, mais dont le but est de faciliter le déchiffrement de l'histoire. Il se désigne d'ailleurs lui-même, finalement, comme « prophétie » (Ap 22,18-19). 

Le dévoilement apocalyptique de secrets célestes

De visions en prophéties, le voile se lève sur le monde céleste. Mais celui-ci est bien éloigné des délices paradisiaques : c'est plutôt une sur-réalité, celle de l'antagonisme entre l'action divine (angélique) et les menées des démons, qui sous-tend, derrière le voile, tous les développements de l'histoire. 

Une révélation prophétique pour une communauté

Dans le contexte culturel de la →littérature apocalyptique antique, le livre ouvre à ses lecteurs avisés des pistes pour comprendre une crise qu'ils traversent.

Ecclésiologique, christologique et sotériologique, ce livre invite à pratiquer la vertu d'espérance. L'Église reste confiante en la fidélité de Dieu qui vient « bientôt ». Les souffrances au nom de Jésus sont passagères, et les fidèles triompheront de Satan (Ap 20,20). 

Le dévoilement de la divinité d'une personne

Tout est dit dès Ap 1,1 : « Révélation de Jésus-Christ », le dernier livre du canon chrétien cherche à comprendre le mystère d'une personne, Jésus-Christ. Dans les épreuves que traversent ses disciples devenus son corps (Ap 12,10-12 ; 20,4-10), Jean dévoile la signification ultime de la destinée personnelle de Jésus, révélé

Ainsi donc, non seulement Jésus accomplit sa promesse (« Ne craignez pas, j'ai vaincu le monde » Jn 16,33), mais aussi il accède à la gloire de Dieu décrite par les apocalypticiens depuis Ez 1, Dn 7 jusqu'à 1 Hén. 40-71. 

TEXTE

Critique textuelle

Deux faits contraires marquent l’histoire du texte :

Dans les détails, le texte reste donc difficile à établir.

On trouve une variante théologiquement interessante dans Ap 1,5 : si la Vulgate coïncide avec le texte byzantin grec en portant : « qui ... nous a lavés (lat. lavit, gr. lousanti) de nos péchés », d’autres témoins lisent « qui ... nous a libérés (gr. lusanti) de nos péchés » (Voir aussi Ap 5,6 ; 6,12 ; 14,5 ; 14,8 ; 15,3 ; 15,6 ; 18,8 ; 21,3).

Procédés littéraires caractéristiques
Scénario des visions
Chiffres, rythmes et nombres
Proposition d’une structure descriptive du livre
Prologue (Ap 1,1ss)
Adresse de Jean et lettres aux sept Églises (Ap 1,4-3,22),
Première vision
Deuxième vision
Troisième vision : beauté de la nouvelle Jérusalem (Ap 21,9s).
Exhortation (Ap 22,11-15)
Épilogue (Ap 22,16-21).
Genres littéraires

L’en-tête du livre (Ap 1,1) donne d’emblée le genre littéraire prédominant de l’ouvrage, mais ses dernières lignes le décrivent comme une prophétie (Ap 22,18-19). La distinction entre apocalypse et prophétie n'est pas évidente. Un élément de différence pourrait être le type de transmission du message divin : le prophète donne oralement ce qu'il entend de Dieu tandis que l'auteur d'une apocalypse a des visions qu'il met par écrit.

Apocalypse
Prophétie

L’auteur réactive de nombreux thèmes prophétiques anciens, en les relisant à la lumière de ce qui est pour lui la clé de lecture de toute révélation : la mort et la résurrection du Christ, cf. infra, § Intertextualité biblique.

Genre épistolaire

L’Apocalypse emprunte des caractéristiques au genre épistolaire dans la section des « lettres aux Églises » (Ap 2,1-3,22).

Liturgie

L’auteur est également familier des formulations liturgiques de l’Église primitive :

CONTEXTE

Textes anciens : rapport au paganisme

L'auteur pourrait avoir été influencé par des sources païennes (Oracles d’Hystaspe, Oracle de Trophonius). Cependant, il se réfère essentiellement à un univers qu’il considère comme normatif, la littérature vétéro-testamentaire, plutôt qu’à des productions d’un monde païen, considéré comme hostile et rongé par les forces du mal.

Intertextualité biblique

Les références scripturaires innombrables reflètent le contexte culturel juif de la diaspora orientale du 1er s. Jean exploite abondamment les Écritures : Ap contient plus de 500 citations ou allusions à des textes vétérotestamentaires, tirés surtout de leur →version hébraïque, mais non sans connaissance de versions grecques. Ses sources préférées sont les prophètes (Isaïe, Jérémie et Ézéchiel), Daniel et les Psaumes.

Tora

Exode

Prophètes

L'Apocalypse décrit explicitement son auteur comme un prophète (Ap 1,3 ; 10,11 ; 22,9) effectuant une interprétation prophétique des prophètes. Jean s'appuie en particulier sur des thèmes repris aux prophètes de l'exil : le Jour de YHWH (cf. Am 5,18 ), où Dieu viendra sauver son peuple et condamner ses oppresseurs. Les allusions sont très nombreuses, à toutes les échelles du texte, depuis les simples motifs jusqu'aux scenari d'épisodes complets :

Ce sont les prophètes apocalypticiens qui inspirent le plus l'auteur de ce livre : 

Nouveau Testament

Les contacts avec le corpus johannique ne manquent pas, si bien qu'on a mis Ap en série avec le quatrième évangile, les épîtres de Jean mais aussi lesActes de Jean apocryphes.

Littérature péritestamentaire

Le genre →apocalyptique est très prisé par certains juifs des deux derniers siècles av. J.-C., en particulier à Qumrân. On en trouve déjà des traces dans les visions prophétiques (Ézéchiel, Zacharie) et le livre de Daniel en est très proche.  On trouve enfin de nombreux apocryphes apocalyptiques à la même époque que l'Apocalypse de Jean : 

Histoire et géographie
Datation
Un contexte de persécution

Le contexte historique projeté par le texte est celui d'une ère de persécutions contre les croyants en Jésus, sur fond de troubles politiques.  Jean écrit dans un contexte de persécution violente (Ap 6,10s ; 13 ; 16,6 ; 17,6), opérée par Rome (la Bête) selon les inspirations de Satan (Ap 12 ; 13,2ss).

À la suite d’Irénée (Haer. V, 30, 3) et de nombreux Pères de l’Eglise, il est assez communément admis que l'Apocalypse a été écrite sous le règne de Domitien, vers 95. D'autres critiques estiment, avec des arguments intéressants, que des passages datent déjà du règne de Néron, un peu avant 70. L’allusion au temple de Jérusalem (Ap 11,1s) et la liste des empereurs (Ap 17,10s) appuient cette deuxième datation. 

Qui sont les empereurs ?

Les références historiques explicites sont peu nombreuses dans l’Apocalypse, que l'on peut dater de plusieurs moments de la seconde moitié du 1er s. 

La référence majeure se trouve dans la liste des souverains romains (Ap 17,9ss). L’auteur mentionne une liste de sept dirigeants de l’empire romain : cinq relèvent du passé, le sixième est dit contemporain de l’auteur, le septième est encore à venir mais son règne sera bref avant la venue d’un huitième qui n’est autre qu’un des rois du passé qui va revenir au pouvoir.

Néron ou Domitien ?
Des allusions à la grande Révolte de 70 ?

Les batailles eschatologiques (Ap 19,11-21 ; 20,7-9), la cité sans temple (Ap 21,22) pourraient évoquer la Révolte juive de 66-70 et la destruction du Temple de Jérusalem en 70. 

Auteur/s
Plusieurs ?

Pour rendre raison de cette variété d'hypothèses historiques, on évoque parfois la possibilité de plusieurs étapes de composition et de rédaction : une apocalypse composée sous Néron, supplémentée par une introduction épistolaire (Ap 1-3) ensuite. Mais les contours de l'apocalypse originaire ne sont objet d'aucun consensus.On constate dans l’Apocalypse bon nombre de répétitions, de redites et de césures étonnantes entre les visions. Les exégètes expliquent cela par les accidents de la transmission manuscrite ou la compilation de diverses sources, des révisions postérieures...

Si la juxtaposition de genres hétéroclites et le tour « glosateur » de certaines phrases (cf. Ap 11,14 ; 13,6.18 ; 14,12) suggèrent un processus de compilation et d'édition, aucun manuscrit ancien ne témoigne de versions antérieures.

Un seul ?

En sens contraire, l’homogénéité du langage et des allusions à l’Ancien Testament ne prêche pas en faveur d’une multiplicité d’auteurs. À l’heure actuelle, la recherche s’oriente plutôt vers l’hypothèse d’une édition, c’est-à-dire d’une rédaction en plusieurs étapes réalisée par le même auteur. Quant aux lettres aux sept Églises, elles purent être rédigées ultérieurement, une fois le reste d'Ap composé. Il est donc vraisemblable de supposer un seul auteur, peut-être repris par un éditeur-rédacteur. 

Identification traditionnelle : Jean, apôtre et évangéliste

L'auteur de la seule apocalypse considérée comme canonique se présente lui-même au début du livre : un certain « Jean » (Ap 1,9), en exil à Patmos. Alors que les œuvres apocalyptiques sont généralement attribuées à des héros du passé (Enoch, Esdras), l'attribution de ce  livre à un voyant contemporain, membre du mouvement de Jésus est remarquable. Ce Jean rejoint les Hermas, Dositée et autres Mani, eux aussi peu connus alors,  auteurs d'apocalypses. 

Discussions antiques

Mais cette canonicité est contestée dans les Églises de Syrie, de Cappadoce et même de Palestine qui en l'ont pas dans leur canon jusqu'au 5e s.

Renaissance et Réforme

À la Renaissance, Jacques Lefèvre d’Étaples (†1536) considère l’Apocalypse comme « la revelation monstrée à Jehan par l’esperit de Jesuchrist ».

Mais les réserves émises jadis par Denys d’Alexandrie retrouvent un regain de pertinence aux yeux de Martin Luther (†1546) – qui changera cependant d’avis par la suite, – de Karlstadt (†1541), et d’une manière moins déclarée, chez Martin Bucer (†1551), Philippe Mélanchthon (†1560) et Jean Calvin (†1564). Lorenzo Valla (†1457) exprime également des doutes, et, dans son sillage, Érasme (†1536) multiplie les notules en défaveur de l’attribution johannique dans les quatre éditions de ses Annotations (1516, 1519, 1522 et 1527).

Néanmoins, les partisans de l’attribution apostolique s’avèrent plus nombreux, qu’il s’agisse de commentateurs protestants, tels François Lambert (†1530), Sebastian Meyer (†1545), Heinrich Bullinger (†1575) et Théodore de Bèze (†1605), ou catholiques, comme François Titelmans (†1537), Jean de Gaigny (†1549), Francisco de Ribera (†1591), Brás Viegas (†1599) et, au Grand Siècle, Luis del Alcázar (†1613) et Cornelius a Lapide (†1637).

Une tradition johannique

La proximité entre l'Apocalypse et les autres écrits johanniques est réelle.  Les objections de Denys ne sont pas rédhibitoires : que l'auteur se manifeste plus directement sous sa propre identité dans un livre qui s'appelle « révélation » que dans sa mise par écrit des faits, gestes et discours du Logos incarné derrière Lequel les témoins n'avaient qu'à s'effacer, se comprendrait bien. Les différences langagières pourraient se rapporter à des différences d'interprètes/traducteurs en charge de la transmission des documents d'une langue sémitique originaire vers le grec koinè.

Mais il ne faut pas écarter les différences indéniables. L'auteur tel qu'il se présente ne se dit ni « apôtre » ni « presbytre » — à la différence de celui qui signe les épîtres (2Jn 1 ; 3Jn 1), mais s'inscrit cependant dans le milieu et la pensée johanniques.

RECEPTION

Canonicité

Les polémiques sur la paternité apostolique du livre jouent un rôle important dans la reconnaissance de la canonicité de l’ouvrage.

Pères de l'Église
Église latine

C’est lors des trois conciles pléniers des provinces d'Afrique, qui se tinrent à Hippone (en 393) et à Carthage (en 397 et 419), qu’est fixé un canon du Nouveau Testament comprenant l’Apocalypse. Le pape Innocent 1er (†417) mentionne l’Apocalypse dans une liste des écrits constituant le corpus du Nouveau Testament. Au 6e s., le décret du Pseudo-Gélase dresse un inventaire des apocryphes à condamner dans lequel n'apparaît pas l'Apocalypse, ce qui marque son acceptation définitive.

Les Grecs

Sa réception chez les écrivains grecs pose davantage de problèmes. Les réticences exprimées par Denys d’Alexandrie (†264), le rejet suscité par la réaction contre l'hérésie montaniste qui convoque abondamment les apocalypses, et les réserves formulées par Eusèbe, retardent la reconnaissance de l'Apocalypse.

Importance traditionnelle
Liturgie

L’Apocalypse est la source d’une partie des offices de Requiem, comme le Dies Irae.

Exégèse

Les premiers commentaires connus sont ceux de 

Deux modes de lecture principaux de l'Apocalypse émergent :

Interprétation historique

Le premier type de lecture a donné lieu aux dérives du système historico-chronologique en concevant l’Apocalypse comme un ensemble de prédictions correspondant à la succession chronologique de l’histoire de l’Église, depuis sa fondation jusqu’à la fin du monde. Rendue célèbre par les Postilles de Nicolas de Lyre (†1349), mais critiquée dès le 15e s. par Paul de Burgos (†1435), cette interprétation est combattue, au tournant du 16e et du 17e s., par des commentateurs identifiant dans l’Apocalypse des événements précis concernant seulement les premiers temps de l’Église. Deux écoles se distinguent alors :

Interprétation spirituelle

L’adoption du principe récapitulatif énoncé par Tyconius (†ca. 390, Reg. VI), repris par Augustin, mais formulé pour la première fois déjà par Victorin de Poetovio (†303) s’avère également fécond dans la mesure où il permet de mieux comprendre certaines difficultés du texte de Patmos.

À l'un ou l'autre de ces grands types de commentaires peuvent se rattacher, entre autres, ceux de  :

Réception culturelle

L’Apocalypse est une source capitale pour tous les arts. Elle inspire en particulier les représentations du jugement dernier, mais pas uniquement. Il serait difficile de tout citer, seuls quelques exemples représentatifs sont donnés.

Arts visuels
Musique
Cinéma