« Que celui qui a des oreilles entende ce que l’Esprit dit aux Églises ! Au vainqueur, je donnerai à manger de l’arbre de vie qui est dans le paradis de mon Dieu » (Ap 2,7). Le titre Apocalypse est paradoxal pour un lecteur moderne. En grec, en effet, le mot apokalupsis laisse entendre, un « dévoilement », une entreprise de mise en évidence, mais force est de constater que le lecteur est déconcerté par l'accumulation des visions, des symboles, d'allusions aux Écritures qui semblent plus obscurcir les choses que les clarifier.
Certains lecteurs la considèrent comme le plus beau livre de la Bible, d'autres la trouvent terrifiante. Il s'agit plutôt d'un ouvrage en langage chiffré, mais dont le but est de faciliter le déchiffrement de l'histoire. Il se désigne d'ailleurs lui-même, finalement, comme « prophétie » (Ap 22,18-19).
Le dévoilement apocalyptique de secrets célestes
De visions en prophéties, le voile se lève sur le monde céleste. Mais celui-ci est bien éloigné des délices paradisiaques : c'est plutôt une sur-réalité, celle de l'antagonisme entre l'action divine (angélique) et les menées des démons, qui sous-tend, derrière le voile, tous les développements de l'histoire.
Une révélation prophétique pour une communauté
Dans le contexte culturel de la →littérature apocalyptique antique, le livre ouvre à ses lecteurs avisés des pistes pour comprendre une crise qu'ils traversent.
- Historiquement l'Apocalypse peut se lire comme la réflexion d'un membre de l'Église naissante sur une ou des persécutions qu'elle endure. Il s'efforce de les comprendre au miroir des Écritures saintes.
- Au-delà de ces circonstances contextuelles, elle se donne aussi comme une révélation qui vaut pour toutes les époques. En proclamant l'imminence de la venue de « Celui qui était, qui est et qui vient » (Ap 1,1.7-8 ; 22,20), elle invite à se confier en Jésus Emmanuel (« Dieu avec nous ») « jusqu'à la fin du monde » (Mt 28,20). Elle continue ainsi l'expérience de l'alliance d'Israël avec YHWH qui demeure « avec son Peuple » (Ex 25,8).
Ecclésiologique, christologique et sotériologique, ce livre invite à pratiquer la vertu d'espérance. L'Église reste confiante en la fidélité de Dieu qui vient « bientôt ». Les souffrances au nom de Jésus sont passagères, et les fidèles triompheront de Satan (Ap 20,20).
Le dévoilement de la divinité d'une personne
Tout est dit dès Ap 1,1 : « Révélation de Jésus-Christ », le dernier livre du canon chrétien cherche à comprendre le mystère d'une personne, Jésus-Christ. Dans les épreuves que traversent ses disciples devenus son corps (Ap 12,10-12 ; 20,4-10), Jean dévoile la signification ultime de la destinée personnelle de Jésus, révélé
- en premier-né d'entre les morts et le prince des rois de la terre (Ap 1,5),
- en vieillard lumineux aux yeux de flamme (Ap 1,12-16),
- en Agneau aux sept yeux, mort et ressuscité, immolé et intronisé (Ap 5,6),
- en guerrier monté l'épée acérée en bouche (Ap 19,11-16),
- en Alpha et Oméga (Ap 21,6 ; cf. Ap 1,8).
Ainsi donc, non seulement Jésus accomplit sa promesse (« Ne craignez pas, j'ai vaincu le monde » Jn 16,33), mais aussi il accède à la gloire de Dieu décrite par les apocalypticiens depuis Ez 1, Dn 7 jusqu'à →1 Hén. 40-71.
TEXTE
Critique textuelle
Deux faits contraires marquent l’histoire du texte :
- Les éditeurs parviennent à s’accorder sur une version critique du texte, avec quelques variantes, mais sans grande importance.
- La classification des témoins et l’établissement de stemmata divisent totalement les critiques.
Dans les détails, le texte reste donc difficile à établir.
- Pour les onciaux, l’Alexandrinus (A, 5e s.) présente la version ancienne la meilleure, surtout lorsqu'il s'accorde avec C. Le Sinaïticus (4e s. א) comporte déjà des altérations, et est considéré comme l'oncial le moins fiable.
- Pour les recensions, les principaux chefs de file sont le Porphyrianus (Papr 025, 9e s.), qui se rapproche un peu des grands onciaux et le Vaticanus 2066 (Q 046, 10e s.), qui ouvre une nouvelle chaîne de variantes.
- Le texte byzantin se partage en deux traditions textuelles : celle de la tradition byzantine et celle qui suit le commentaire d’ .
On trouve une variante théologiquement interessante dans Ap 1,5 : si la Vulgate coïncide avec le texte byzantin grec en portant : « qui ... nous a lavés (lat. lavit, gr. lousanti) de nos péchés », d’autres témoins lisent « qui ... nous a libérés (gr. lusanti) de nos péchés » (Voir aussi Ap 5,6 ; 6,12 ; 14,5 ; 14,8 ; 15,3 ; 15,6 ; 18,8 ; 21,3).
Procédés littéraires caractéristiques
Scénario des visions
- Emploi, en des points-clefs du livre, d’une expression telle que « je tombai en extase/il me transporta en esprit » (Ap 1,10 ; 4,2 ; 17,3) ;
- Mention d’ouvertures dans le ciel (Ap 4,1 ; 11,19 ; 15,5 ; 19,11) ;
- Appel fréquent à la synesthésie de la vision (couleurs Ap 6,4.8) et de l'ouïe (coups de trompettes en Ap 8,7-8.10.12 ; 9,1.13 ; 11,15 ; voix tonitruantes en Ap 14,7 ; 16,1 ; cantiques célestes en Ap 14,3) caractéristique de la théophanie biblique.
Chiffres, rythmes et nombres
- Chiffres et nombres symbolisent l'univers créé : 4 (points cardinaux ou vents) ; la plénitude : 7 (jours de la création plus le jour de sabbat) ; l'élection : 12 (tribus et apôtes) ; la totalité des élus (12 au carré multiplié par mille! : 144 000 : Ap 7,4-8 ; 14,4.
- Nombreuses occurrences du septénaire, soit en motifs isolés (sept esprits Ap 1,4 ; sept chandeliers Ap 1,12 ; sept étoiles Ap 1,16 ; sept cornes et sept yeux Ap 5,6 ; sept lampes ardentes et sept tonnerres Ap 10,4 ; sept têtes couronnées Ap 12,3 ; 13,1 ; 17,3.9-10 ; sept montagnes-rois Ap 17,3-10) soit en structure narrative (sept lettres : Ap 2-3 ; sept sceaux Ap 5,1-8,1 ; sept trompettes Ap 8,2-11,19 ; sept coupes Ap 15,1-16,21) ;
- Dichotomies fréquentes entre Bien et Mal : Dieu et Satan, agneau et dragon, adoration et idolatrie, Jérusalem et Babylone, sceau de Dieu et marque de la Bête, épouse et prostituée, anges et esprits mauvais ;
- des triades : dragon, monstre marin, monstre terrestre (Ap 12,1-13,18) ; triple message angélique aux égarés trompés par Satan (Ap 14,6-11) ; triple comparution au jugement dernier : bête de l'abîme, prophète de mensonge et dragon (Ap 19,20 ; 20,10).
Proposition d’une structure descriptive du livre
Prologue (Ap 1,1ss)
Adresse de Jean et lettres aux sept Églises (Ap 1,4-3,22),
Première vision
- Dieu en majesté, maître tout-puissant de l'univers (Ap 4)
- L'Agneau reçoit de Lui la condamnation des persécuteurs (Ap 5) ;
- Prédictions de l'invasion d'un peuple identifié aux Parthes, et des malheurs qui s'ensuivent (Ap 6).
- Mais salut de ceux qui resteront fidèles à Dieu (Ap 7,1-8 ; cf. Ap 14,1-5), et annonce de leur triomphe dans le ciel (Ap 7,9-17 ; cf. Ap 15,1-5).
- Annonce de toutes sortes de fléaux pour avertir les pécheurs avant leur destruction (Ap 8-9 ; cf. Ap 16).
- Devant l'insuccès de ces avertissements, destruction des persécuteurs qui veulent le règne de Satan (identification au culte impérial) (17)
- Lamentation sur Babylone (identifiée à Rome) dévastée (Ap 18)
- Hymnes de victoire dans le ciel (Ap 19,1-10).
Deuxième vision
- La Bête (les persécuteurs, Rome) est anéantie par le Christ en gloire (Ap 19,11-21).
- Cette victoire permet une ère prospère pour l'Église (Ap 20,1-6)
- Mais Satan relance ses attaques (Ap 20,7s)
- Défaite de Satan, résurrection des morts et jugement (Ap 20,11-15),
- Le Royaume de Dieu est alors fermement établi pour l'éternité (Ap 21,1-8).
Troisième vision : beauté de la nouvelle Jérusalem (Ap 21,9s).
Exhortation (Ap 22,11-15)
Épilogue (Ap 22,16-21).
Genres littéraires
L’en-tête du livre (Ap 1,1) donne d’emblée le genre littéraire prédominant de l’ouvrage, mais ses dernières lignes le décrivent comme une prophétie (Ap 22,18-19). La distinction entre apocalypse et prophétie n'est pas évidente. Un élément de différence pourrait être le type de transmission du message divin : le prophète donne oralement ce qu'il entend de Dieu tandis que l'auteur d'une apocalypse a des visions qu'il met par écrit.
Apocalypse
- Le genre apocalyptique se caractérise par la pseudonymie ou pseudépigraphie de l’auteur (cf. infra).
- L'apocalypticien procède par symboles : mises en scènes, chiffres, objets, personnages, attitudes sont autant de symboles traduisant les révélations divines sans souci de cohérence totale. Chaque détail est significatif et invite à creuser la ou les significations qu'il porte.
- L’Apocalypse présente de nombreux récits faisant alterner vision et interprétation, par la médiation d’un ange ou d’une autre figure du monde d’en haut. Ces récits à proprement parler « apocalyptiques » concernent l’organisation du cosmos (présentation de la cour céleste, de la nouvelle Jérusalem…) ainsi que le dévoilement de l’histoire encore à venir.
Prophétie
L’auteur réactive de nombreux thèmes prophétiques anciens, en les relisant à la lumière de ce qui est pour lui la clé de lecture de toute révélation : la mort et la résurrection du Christ, cf. infra, § Intertextualité biblique.
Genre épistolaire
L’Apocalypse emprunte des caractéristiques au genre épistolaire dans la section des « lettres aux Églises » (Ap 2,1-3,22).
Liturgie
L’auteur est également familier des formulations liturgiques de l’Église primitive :
- doxologies (Ap 1,5 ; 4,9 ; 5,13 ; 7,12) ;
- acclamations (Ap 4,11 ; 5,9s.12) ;
- actions de grâce ou louanges (Ap 12,10 ; 15,3s ; 16,5 ; 18,20 ; 19,1-8).
CONTEXTE
Textes anciens : rapport au paganisme
L'auteur pourrait avoir été influencé par des sources païennes (Oracles d’Hystaspe, Oracle de Trophonius). Cependant, il se réfère essentiellement à un univers qu’il considère comme normatif, la littérature vétéro-testamentaire, plutôt qu’à des productions d’un monde païen, considéré comme hostile et rongé par les forces du mal.
Intertextualité biblique
Les références scripturaires innombrables reflètent le contexte culturel juif de la diaspora orientale du 1er s. Jean exploite abondamment les Écritures : Ap contient plus de 500 citations ou allusions à des textes vétérotestamentaires, tirés surtout de leur →version hébraïque, mais non sans connaissance de versions grecques. Ses sources préférées sont les prophètes (Isaïe, Jérémie et Ézéchiel), Daniel et les Psaumes.
Tora
Exode
- révélation du nom divin Ex 3,14 // Ap 1,4 ; 4,8 ; 16,5 ;
- plaies d'Égypte Ex 7-10 // Ap 9 et Ap 16 ;
- passage à travers la mer Ex 14-15 //Ap 15,2-3 ;
- arche d'alliance Ex 25 // Ap 11,19.
Prophètes
L'Apocalypse décrit explicitement son auteur comme un prophète (Ap 1,3 ; 10,11 ; 22,9) effectuant une interprétation prophétique des prophètes. Jean s'appuie en particulier sur des thèmes repris aux prophètes de l'exil : le Jour de YHWH (cf. Am 5,18 ), où Dieu viendra sauver son peuple et condamner ses oppresseurs. Les allusions sont très nombreuses, à toutes les échelles du texte, depuis les simples motifs jusqu'aux scenari d'épisodes complets :
- le ciel roulé comme un volumen Ap 6,14 cf. Is 34,4 ;
- l'invasion de sauterelles effrayantes Ap 9 cf. Jl 2,4-11 ;
- l'ange rugissant comme un lion Ap 10,3 cf. Am 3,7-8 ;
- la meule jetée dans la mer en geste symbolique de destruction de Babylone Ap 18,21 cf. Jr 51,63-64.
Ce sont les prophètes apocalypticiens qui inspirent le plus l'auteur de ce livre :
- Daniel : les quatre bêtes Ap 13,1-8 cf. Dn 7 ; venue du fils de l'homme Ap 14,14 cf. Dn 7,13 ; description du jugement dernier Ap 20 cf. Dn 7,22.
- Ezéchiel : le rouleau mangé Ap 5,1 ; 10,8-10 cf. Ez 2,9-3,3 ; l'élégie sur la chute de Babylone Ap 18 cf. à propos de Tyr Ez 27 ; assaut de Gog et Magog Ap 20,7-10 cf. Ez 38 ; la mesure de la cité sainte Ap 21-22 cf. Ez 40-47.
- Zacharie : les chevaux Ap 6,1-8 cf. Za 1,8 ; 6,1-8 ; les deux oliviers Ap 11,4 cf. Za 4.
Nouveau Testament
Les contacts avec le corpus johannique ne manquent pas, si bien qu'on a mis Ap en série avec le quatrième évangile, les épîtres de Jean mais aussi les→Actes de Jean apocryphes.
- le nom « Jean » (Ap 1,1) ;
- la désignation du Christ comme « Agneau » (Ap 5,6-6,1, etc.).
Littérature péritestamentaire
Le genre →apocalyptique est très prisé par certains juifs des deux derniers siècles av. J.-C., en particulier à Qumrân. On en trouve déjà des traces dans les visions prophétiques (Ézéchiel, Zacharie) et le livre de Daniel en est très proche. On trouve enfin de nombreux apocryphes apocalyptiques à la même époque que l'Apocalypse de Jean :
- dans le monde juif : →Ap. Esdras ; →3 Baruch ;
- et plus spécialement dans le le mouvement de Jésus : → Vis.
Histoire et géographie
Datation
Un contexte de persécution
Le contexte historique projeté par le texte est celui d'une ère de persécutions contre les croyants en Jésus, sur fond de troubles politiques. Jean écrit dans un contexte de persécution violente (Ap 6,10s ; 13 ; 16,6 ; 17,6), opérée par Rome (la Bête) selon les inspirations de Satan (Ap 12 ; 13,2ss).
À la suite d’Ap 11,1s) et la liste des empereurs (Ap 17,10s) appuient cette deuxième datation.
(Haer. V, 30, 3) et de nombreux Pères de l’Eglise, il est assez communément admis que l'Apocalypse a été écrite sous le règne de Domitien, vers 95. D'autres critiques estiment, avec des arguments intéressants, que des passages datent déjà du règne de Néron, un peu avant 70. L’allusion au temple de Jérusalem (Qui sont les empereurs ?
Les références historiques explicites sont peu nombreuses dans l’Apocalypse, que l'on peut dater de plusieurs moments de la seconde moitié du 1er s.
La référence majeure se trouve dans la liste des souverains romains (Ap 17,9ss). L’auteur mentionne une liste de sept dirigeants de l’empire romain : cinq relèvent du passé, le sixième est dit contemporain de l’auteur, le septième est encore à venir mais son règne sera bref avant la venue d’un huitième qui n’est autre qu’un des rois du passé qui va revenir au pouvoir.
- Les commentaires hésitent sur le roi qui doit commencer la série (Julius César ou Auguste) ainsi que sur la manière de prendre en compte les règnes très brefs de Galba, Othon et Vitellius (faut-il les compter pour un seul règne ou carrément les négliger ?). Les empereurs susceptibles d’appartenir à la liste sont César (†44 av. J.-C.), Auguste (†14 ap. J.-C.), Tibère (†37), Caligula (†41), Claude (†54), Néron (†68), Galba (†69), Othon (†69), Vitellius (†69), Vespasien (†79), Titus (†81) et Domitien (†96).
- Il est possible de prendre pour point de départ Auguste plutôt que César ( distingue Auguste « empereur » de César « dictateur ») et d’obtenir : Auguste, Tibère, Caligula, Claude, Néron et Galba.
Néron ou Domitien ?
- Le livre se focalise sur Néron (Ap 13,18 ; 17,8) dont les persécutions contre les chrétiens sont bien connues. Le point le plus significatif est l’attente du retour au pouvoir d'un empereur décrit comme la « bête » persécutrice des chrétiens. Il y a ici une référence à la légende du Nero redivivus, selon laquelle Néron ne serait pas mort mais aurait trouvé refuge chez les Parthes en attendant de faire son retour à la tête d’une immense armée.
- À la suite d'→ 3,17-18, lui-même citant Hist. eccl.→ 5,30,3, certains historiens évoquent plutôt le règne de Domitien. Haer.
Des allusions à la grande Révolte de 70 ?
Les batailles eschatologiques (Ap 19,11-21 ; 20,7-9), la cité sans temple (Ap 21,22) pourraient évoquer la Révolte juive de 66-70 et la destruction du Temple de Jérusalem en 70.
Auteur/s
Plusieurs ?
Pour rendre raison de cette variété d'hypothèses historiques, on évoque parfois la possibilité de plusieurs étapes de composition et de rédaction : une apocalypse composée sous Néron, supplémentée par une introduction épistolaire (Ap 1-3) ensuite. Mais les contours de l'apocalypse originaire ne sont objet d'aucun consensus.On constate dans l’Apocalypse bon nombre de répétitions, de redites et de césures étonnantes entre les visions. Les exégètes expliquent cela par les accidents de la transmission manuscrite ou la compilation de diverses sources, des révisions postérieures...
Si la juxtaposition de genres hétéroclites et le tour « glosateur » de certaines phrases (cf. Ap 11,14 ; 13,6.18 ; 14,12) suggèrent un processus de compilation et d'édition, aucun manuscrit ancien ne témoigne de versions antérieures.
Un seul ?
En sens contraire, l’homogénéité du langage et des allusions à l’Ancien Testament ne prêche pas en faveur d’une multiplicité d’auteurs. À l’heure actuelle, la recherche s’oriente plutôt vers l’hypothèse d’une édition, c’est-à-dire d’une rédaction en plusieurs étapes réalisée par le même auteur. Quant aux lettres aux sept Églises, elles purent être rédigées ultérieurement, une fois le reste d'Ap composé. Il est donc vraisemblable de supposer un seul auteur, peut-être repris par un éditeur-rédacteur.
Identification traditionnelle : Jean, apôtre et évangéliste
L'auteur de la seule apocalypse considérée comme canonique se présente lui-même au début du livre : un certain « Jean » (Ap 1,9), en exil à Patmos. Alors que les œuvres apocalyptiques sont généralement attribuées à des héros du passé (Enoch, Esdras), l'attribution de ce livre à un voyant contemporain, membre du mouvement de Jésus est remarquable. Ce Jean rejoint les Hermas, Dositée et autres Mani, eux aussi peu connus alors, auteurs d'apocalypses.
- (Dial. 81,4) déjà, et après lui , , , , le Canon de Muratori font état de l'identification entre cet auteur et l'apôtre Jean, auteur du dernier évangile.
Discussions antiques
Mais cette canonicité est contestée dans les Églises de Syrie, de Cappadoce et même de Palestine qui en l'ont pas dans leur canon jusqu'au 5e s.
- Il y avait même, de la part du prêtre Caïus, vivant à Rome au début du 3e s., une attribution de ce livre à l'hérétique Cérinthe, peut-être dans une visée polémique.
- Ap 1,9 ; 21,2 ; 22,8 ; cf. Ap 1,1.4) s’oppose à la discrétion de l’évangéliste, disciple bien-aimé du Christ (Jn 13,23 ; 19,26 ; 20,2 ; 21,7) et fils de Zébédée (Jn 21,2) ; ensuite repère des « idiotismes barbares » et des solécismes inexistants dans le corpus johannique (cf. , Hist. Eccl., VII, 25). (†264) avance deux arguments prouvant à ses yeux la non apostolicité des récits de visions : le fréquent recours à l’expression « Moi, Jean » de l’Apocalypse (
- (Hist. Eccl., III, 39, 5-6) mentionne aussi qui distinguait deux Jean, l’évangéliste et le presbytre, tous deux inhumés à Éphèse (cf. Hist. Eccl. VII, 25, 16).
Renaissance et Réforme
À la Renaissance,
(†1536) considère l’Apocalypse comme « la revelation monstrée à Jehan par l’esperit de Jesuchrist ».Mais les réserves émises jadis par
retrouvent un regain de pertinence aux yeux de (†1546) – qui changera cependant d’avis par la suite, – de (†1541), et d’une manière moins déclarée, chez (†1551), (†1560) et (†1564). (†1457) exprime également des doutes, et, dans son sillage, (†1536) multiplie les notules en défaveur de l’attribution johannique dans les quatre éditions de ses Annotations (1516, 1519, 1522 et 1527).Néanmoins, les partisans de l’attribution apostolique s’avèrent plus nombreux, qu’il s’agisse de commentateurs protestants, tels
(†1530), (†1545), (†1575) et (†1605), ou catholiques, comme (†1537), (†1549), (†1591), (†1599) et, au Grand Siècle, (†1613) et (†1637).Une tradition johannique
La proximité entre l'Apocalypse et les autres écrits johanniques est réelle. Les objections de Denys ne sont pas rédhibitoires : que l'auteur se manifeste plus directement sous sa propre identité dans un livre qui s'appelle « révélation » que dans sa mise par écrit des faits, gestes et discours du Logos incarné derrière Lequel les témoins n'avaient qu'à s'effacer, se comprendrait bien. Les différences langagières pourraient se rapporter à des différences d'interprètes/traducteurs en charge de la transmission des documents d'une langue sémitique originaire vers le grec koinè.
Mais il ne faut pas écarter les différences indéniables. L'auteur tel qu'il se présente ne se dit ni « apôtre » ni « presbytre » — à la différence de celui qui signe les épîtres (2Jn 1 ; 3Jn 1), mais s'inscrit cependant dans le milieu et la pensée johanniques.
RECEPTION
Canonicité
Les polémiques sur la paternité apostolique du livre jouent un rôle important dans la reconnaissance de la canonicité de l’ouvrage.
Pères de l'Église
- À la fin du 1er s., le pape semble connaître non seulement les quatre évangiles mais aussi une grande partie des épîtres et l'Apocalypse. (†165) mentionne l'Apocalypse - qui est d’ailleurs le seul livre du Nouveau Testament qu’il évoque explicitement. (†ca. 180), sur le témoignage d’ (†339), écrit un commentaire du livre de Patmos, aujourd'hui perdu.
- Au 4e s., (†410) défend la canonicité du livre dans son Explication du Symbole (35).
- ; il réaffirme même « l'autorité des anciens » comme gage de la canonicité du livre, dans une lettre destinée à Dardanus (414). Quant à (†430), il compte l’Apocalypse au nombre des livres du Nouveau Testament lorsqu’il définit le « canon des Écritures » dans le De doctrina christiana (II, 8, 13). (†420) partage cette opinion
Église latine
C’est lors des trois conciles pléniers des provinces d'Afrique, qui se tinrent à Hippone (en 393) et à Carthage (en 397 et 419), qu’est fixé un canon du Nouveau Testament comprenant l’Apocalypse. Le pape Innocent 1er (†417) mentionne l’Apocalypse dans une liste des écrits constituant le corpus du Nouveau Testament. Au 6e s., le décret du
dresse un inventaire des apocryphes à condamner dans lequel n'apparaît pas l'Apocalypse, ce qui marque son acceptation définitive.Les Grecs
Sa réception chez les écrivains grecs pose davantage de problèmes. Les réticences exprimées par
(†264), le rejet suscité par la réaction contre l'hérésie montaniste qui convoque abondamment les apocalypses, et les réserves formulées par , retardent la reconnaissance de l'Apocalypse.- À la suite de nothoï (Hist. Eccl., III, 25, 4). Lors du (ca. 364), l'Apocalypse n’est pas mentionnée, pas plus qu'au 85e canon des Constitutions apostoliques (fin du 4e s.). (†386, Hom. Cat. IV, 36) exclut l’Apocalypse du Nouveau Testament. Dans ses Poèmes, (†390) ne sollicite pas davantage le livre, bien qu'il y fasse allusion dans ses Discours (XLII, 9, par exemple). , classe l'Apocalypse parmi les livres « bâtards »,
- D’autres Pères admettent en revanche son autorité : ; (†379) et (†ca. 395) la citent à plusieurs reprises. (†444) reçoit l'Apocalypse comme texte canonique
- Les Pères de l'école d'Antioche s’opposent beaucoup plus catégoriquement à sa reconnaissance.
- (†407) ne cite pas l'Apocalypse, mais vers la fin du 6e s., (†637) en rédige un commentaire qui, par sa diffusion, influencera durablement dans le monde byzantin, ainsi que, plus tard, (†ca. 944). Durant ce laps de temps, le (691-692) reconnaît l'Apocalypse comme texte inspiré.
- Le Patriarche de Constantinople (†ca. 891), lui, ne mentionne pas l'Apocalypse dans sa refonte du Nomokanon.
- Ce n’est qu’au 14e s. que (†ca. 1350) en fait définitivement admettre la canonicité au sein de l’Église grecque.
Importance traditionnelle
Liturgie
L’Apocalypse est la source d’une partie des offices de Requiem, comme le Dies Irae.
Exégèse
Les premiers commentaires connus sont ceux de
- (†585),
- (†735), (†ca. 784), († 798) a connu une importante diffusion au Moyen Âge, sous forme de manuscrits enluminés aujourd'hui célèbres.
Deux modes de lecture principaux de l'Apocalypse émergent :
- l’un, historique, qui appréhende le livre comme un ensemble de prophéties embrassant totalement ou en partie l’histoire de l’Église ;
- l’autre, spirituel, récapitulatif, qui s’efforce de comprendre « la logique de l’exposé » plutôt que le déroulement successif des faits.
Interprétation historique
Le premier type de lecture a donné lieu aux dérives du système historico-chronologique en concevant l’Apocalypse comme un ensemble de prédictions correspondant à la succession chronologique de l’histoire de l’Église, depuis sa fondation jusqu’à la fin du monde. Rendue célèbre par les Postilles de
(†1349), mais critiquée dès le 15e s. par (†1435), cette interprétation est combattue, au tournant du 16e et du 17e s., par des commentateurs identifiant dans l’Apocalypse des événements précis concernant seulement les premiers temps de l’Église. Deux écoles se distinguent alors :- Les « futuristes » — Après Ap 1-4) ; « l’état futur de l’Église, au temps de l’Antéchrist et des persécutions » (Ap 5-20) ; « la béatitude des saints après le Jugement » (Ap 21-22). (†1591), prônent plus ou moins le plan suivant : le 1er siècle de l’Église (
- Les « prétéristes » —Ap 11, il est également possible de considérer qu’il s’agit d’une prophétie concernant (1) l’histoire d’Israël (Ap 4-11), (2) l’histoire de l’Église et de la Rome païenne (Ap 12-20) ; ou bien une révélation concernant (1) le cosmos (Ap 4-11), (2) l’histoire de l’humanité (Ap 12-20). (†1585) et surtout (†1613) découvrent dans l’Apocalypse des allusions exclusivement liées aux conflits de l’Église naissante, face au judaïsme (Ap 6-11, chute de la Synagogue et ruine de Jérusalem) et au paganisme (Ap 12-20, destruction du paganisme et chute de Rome). (†1566) souligne le premier le rôle de pivot structurel d'
Interprétation spirituelle
L’adoption du principe récapitulatif énoncé par
(†ca. 390, Reg. VI), repris par , mais formulé pour la première fois déjà par (†303) s’avère également fécond dans la mesure où il permet de mieux comprendre certaines difficultés du texte de Patmos.- → La règle en est la suivante : parfois un événement peut donner lieu à plusieurs récits de visions (la victoire du Christ sur la Mort évoquée en Expl. Ap.Ap 11,12.19, par exemple), parfois un récit ponctuel renvoie à une durée de l’histoire humaine. Est ainsi privilégiée une interprétation spirituelle, qui appréhende l’Apocalypse comme une « révélation » s’appliquant aussi bien à l’Église du 1er s. qu’à toute son histoire.
- → attaché à la récapitulation et initiateur du découpage septénaire du livre, propose les séquences narratives suivantes : adresse et lettres aux sept Églises ( Exp. Ap.Ap 1,4-3,22) ; luttes et victoires futures de l’Église (Ap 4,1-8,1) ; différents événements de l’Église (Ap 8,2-11,18) ; peines et victoires de l’Église (Ap 11,19-14,20) ; derniers fléaux sur la terre (Ap 15,1-16,21) ; chute de Babylone ; triomphe du Christ et Jugement dernier (Ap 17,1-20,15) ; félicité des élus et épilogue (Ap 21,1-22,21).
À l'un ou l'autre de ces grands types de commentaires peuvent se rattacher, entre autres, ceux de :
- (†892),
- (†1123), (†1129),
- (†1202),
- (†1322), (†1349),
- (†1444),
- (†1564), (†1574), (†1585), (†1598), (†1598), (†1599), (†1599),
- (†1600), (†1603), (†1607), (†1617), (début 17e s.), (†1637), (†1639), (†1645), (†1653), (†1658), (†1659), (†1661), (†1670), (†1676), (†1687), (†1694), (†1698),
- (†1704), (†1714), (†1719), (†1721), (†1722), (†1727), (†1729), (†1731), (†1744), (†1757).
Réception culturelle
L’Apocalypse est une source capitale pour tous les arts. Elle inspire en particulier les représentations du jugement dernier, mais pas uniquement. Il serait difficile de tout citer, seuls quelques exemples représentatifs sont donnés.
Arts visuels
- Les manuscrits du Commentaire In Apocalypsin de (8ème s.) richement enluminés ont été très diffusés. Une trentaine sont conservés, majoritairement en Espagne, mais aussi à la Bibliothèque Nationale de France et au Bristish Museum.
- De nombreux tympans de cathédrales représentent le jugement dernier, comme celui de Notre Dame de Paris (13ème s.). De style gothique flamboyant (15ème s.), la rosace ouest de la Sainte-Chapelle de Paris montre au centre un Christ en gloire vers lequel convergent 6 fuseaux, soit 88 panneaux de verres illustrant des épisodes de tout le livre.
- La tapisserie d’Angers (14e s.) retrace toute l’apocalypse sur une tenture de plus de 100 mètres de long.
- a peint une fresque du Jugement dernier (1431-1435)
- a illustré sur ce thème la chapelle Sixtine (1535-1541).
- Les gravures sur bois d’ (1511) illustrent le texte de l’Apocalypse.
- Ce livre a donné lieu à une œuvre remarquable, associant différents artistes : L’Apocalypse de Jean, réalisé chez l’éditeur (1959-1961). Ce livre pèse 210 kg. Edité sur parchemin, le texte est illustré par sept peintres : , , , , , et . S’y trouvent en outre des commentaires et réflexions de , , , , , et .
Musique
- s’est inspiré de la vision de l’Ange annonçant la fin des temps dans son Quatuor pour la fin du temps.
- L’Apocalypse continue à inspirer relativement librement certaines musiques actuelles à propos de la fin du monde
Cinéma
- Le film d’ Le Septième Sceau est basé sur l’Apocalypse.
Plusieurs séries télévisées y font référence, comme Apocalypsis (mais souvent, l’Apocalypse est plus une base, librement traitée ensuite). Il faut cependant noter que la plupart des œuvres récentes, tant littéraires que musicales ou cinématographiques insistent sur la dimension terrible de l’Apocalypse, sans aller jusqu’au bout du livre qui ramène tout à l’espérance du salut.