Le premier livre des Rois continue le récit des débuts de la monarchie présenté dans les deux livres de Samuel.
« — J'ai bâti une maison pour ta demeure, ton trône très stable pour toujours » (1R 8,13). C'est Salomon, fils de David, qui fait cette déclaration lors de la dédicace du premier Temple de Jérusalem.
Salomon dont le nom dérive de shalom (« accomplissement », « perfection ») est par excellence la figure du →roi dans l'Ancien Testament. S'il reçoit la grâce de bâtir le Temple, c'est en récompense de sa sagesse. Il est aussi connu pour son célèbre « jugement de Salomon » (1R 3,16-28), son faste proverbial, son harem, la visite de la reine de Saba (1R 10,1-13), l'Âge d'or et la paix qu'apporta son règne. Salomon préfigure aussi la fin tragique de la monarchie. En vieillissant, il se laisse séduire par l'idolâtrie de ses femmes. Pour le punir, le Seigneur divise son empire : la séparation entre les royaumes d'Israël (autour de Samarie au nord), et de Juda (autour de Jérusalem, au sud) crée la division entre les tribus d'Israël.
La théologie dominante de ce livre (dite « théologie deutéronomiste ») attribue l'échec de la monarchie (ainsi que la perspective de l'Exil à venir) à l'infidélité des rois envers l'alliance : ils n'ont pas tenu leurs engagements et la monarchie a fini par disparaître. Cette perspective théologique a donné son unité à la collection des →prophètes antérieurs (Josué, Juges, Samuel & Rois). Cette histoire est celle d'un déclin : la terre conquise de haute lutte sous Josué, conservée par les Juges et unifiée sous David (→Bible et Archéologie VIIII : David et Salomon), sera perdue à la fin du →deuxième livre des Rois, sous les coups des Assyriens (Samarie) et des Babyloniens (Jérusalem).
Dans ce contexte plutôt sombre apparaît une figure de feu : Élie. Prophète du royaume du Nord, champion du yahwisme, boucher des prophètes de Baal (1R 18,25-41), ermite doté de l'oreille absolue à l'écoute de la subtilité du silence (1R 19,9-13), thaumaturge, il est à la fois « fléau » pour son peuple et son roi impie Achab, et bienfaiteur qui donne le pain à une veuve étrangère et ressuscite son fils. Le Nouveau Testament →mobilise tous les récits sur Élie pour raconter l'histoire de Jean-Baptiste et celle de Jésus.
TEXTE
Critique textuelle
Hébreu
Le texte hébreu des Rois n'est abîmé qu'en quelques passages techniques (comme 1R 7). Il reflète souvent des assimilations aux parallèles des Chroniques, d'Isaïe et de Jérémie.
Grec
- La plus ancienne des versions grecques de la Septante (200-150 av. J.-C.) présente souvent une édition différente, probablement antérieure à celle en hébreu, en particulier les manuscrits moins influencés par la révision effectuée par →RECENSIONS (histoire du texte biblique) au 3e siècle.
- La recension lucianique, faite par le prêtre à la fin du 3e s., propose souvent un texte plus long, d’une forme grecque plus classique. Certains chercheurs pensent qu’elle remonte à un original hébreu différent.
Latin
- Les fragments de la Vetus Latina représentent un texte proche de la recension lucianique.
- L’élégante Vulgate de suit le texte massorétique.
Araméen
Le Targum avec peu de paraphrases suit de près le texte massorétique.
Syriaque
La Peshitta suit un texte conforme à l'hébreu massorétique et rejoint souvent le Targum.
Autres versions
Les versions en copte, éthiopien, arménien et arabe dépendent de la Septante.
Procédés littéraires caractéristiques
Compilation
L’ouvrage conserve des sources anciennes. Du point de vue littéraire, il présente donc des caractéristiques inhérentes à toute compilation : inégalité du style et disproportion des parties.
L’influence deutéronomiste
Elle se remarque stylistiquement, dans les développements, les ajouts ou les commentaires du rédacteur, lorsqu'il s'éloigne de ses sources.
Récit formulaire
Quand les sources le permettent, chaque règne est traité dans son intégralité à travers une structure constante : les formules se répètent, et la fin du règne est toujours marquée d'une notation morale, d’habitude négative sur le roi.
Proposition de structure
Les livres des Rois continuent la narration des livres de Samuel :
- 1R 1-11 rapporte le règne de Salomon ;
- 1R 12-13 raconte le schisme politique et religieux ;
- 1R 14 - 2R 17 développe l'histoire parallèle des deux royaumes d'Israël et de Juda jusqu’à la prise de Samarie ; 1R 17-2R 2 cycle d’Elie et 2R 2-13 cycle d’Élisée ;
- 2R 18-25,21 continue l'histoire de Juda seul jusqu'à la ruine de Jérusalem en se consacrant particulièrement à deux règnes, celui d'Ézéchias (2R 18-20) et celui de Josias (2R 22-23) qui comportent tous deux un réveil national et une réforme religieuse ;
- Deux courts appendices terminent l’ensemble (2R 25,22-30).
Genre littéraire : une histoire royale sous le sceau de la condamnation prophétique
La question de la royauté était posée dès le livre des →Juges et les livres de →1 Samuel et →Second livre de Samuel qui racontaient les origines de la monarchie. Les deux livres des Rois en narrent l'apogée, le déclin et l'extinction. La condamnation est la même pour tous les rois d'Israël, due à la faute originelle que constitue l'établissement des sanctuaires de Béthel et de Dan. Ainsi, seuls huit rois de Juda sont célébrés pour leur loyauté et leur piété. Sur les huit, seuls Josias et Ezéchias trouvent grâce aux yeux de l'auteur, qui note pour les six autres que « les hauts-lieux n'ont pas disparu ». Fortement marqués par →l'école deutéronomiste, les livres des Rois sont l'illustration en actes de la loi du Deutéronome, redécouverte sous Josias : respecter l’éthique et le culte décrétés sauve, les renier entraîne une rupture de l’alliance et la perte de la terre promise.
CONTEXTE
Auteur
Tout en les classant au nombre des « prophètes antérieurs », la tradition rabbinique attribue les livres des Rois à un très grand « prophète postérieur », Jérémie. Le nom prestigieux couvre bien sûr une élaboration beaucoup plus complexe.
Formation et datation
Compilations et rédactions
Les livres des Rois présentent les traces d'au moins trois rédactions, que l'on peut qualifier schématiquement d'historique, de prophétique et de nomiste.
- Il y eut probablement un premier état du texte, issu des milieux deutéronomistes, avant l'Exil, et même avant 609 (mort de Josias) si l'on voit 2R 23,25 comme la conclusion de ce premier ouvrage. Ses rédacteurs provenaient probablement du milieu des prêtres en Juda même.
- Au cours de l'exil, une seconde édition, également deutéronomiste, vit le jour, aux alentours de 562 selon 2R 25,22-30, ou avant, (2R 25,21). La place des prophètes et de la Loi de Moïse dans cette œuvre conduit à attribuer cette rédaction à un milieu de prophètes (des disciples de Jérémie, par exemple).
- Il faut enfin mentionner les textes datables au cours de l'Exil et après, attribuables à des scribes issus d'un milieu lévitique.
L'existence probable de sources bien plus anciennes
Cependant, les rédacteurs mettent en ordre une matière qu’ils ne créent pas de toute pièce. Ils renvoient fréquemment aux sources, écrites ou orales, qu’ils affirment consulter, comme pour inviter les lecteurs à vérifier. Tout en opérant un choix dans le matériau dont ils héritent, ils conservent plusieurs épisodes qui ne sont pas en faveur de leurs interprétations historico-théologiques. L'ouvrage cite expressément trois de ses sources :
- une histoire de Salomon,
- les Annales des rois d'Israël,
- et les Annales des rois de Juda (1R 11,41 ; 14,19.29, etc.).
Il en eut sans doute d'autres : on peut énumérer la fin du grand document davidique (1R 1-2), des archives décrivant le Temple, d'origine sacerdotale (1R 6-7), la tradition de la venue de la reine de Saba vers 550 av. J.-C. (1R 10,1-13). D'autres passages reflètent aussi les souvenirs des prophètes, conservés probablement par leurs disciples, comme les récits à propos d'Élie (fin du 9e s.) ou d'Élisée un peu plus tard ; ces deux histoires forment le socle des cycles d'Élie (1R 17- 2R 1) et d'Élisée (2R 2-13). La même constatation peut être effectuée à propos d'Isaïe (2R 18,17-20,19). Ces récits sur les prophètes ont été réunis aux récits concernant les rois. Bref, tout en soulignant la mobilisation littéraire de ces sources au service de convictions religieuses, il ne serait pas juste de réduire les livres des Rois à une fiction théologique.
Histoire et géographie
Depuis deux ou trois siècles, on compare ces récits des livres des Rois avec nombres de découvertes en Orient : convergences et divergences permettent d'apprécier avec finesse la véracité de l'intention historienne des narrateurs, autant que leur liberté dans l'inventivité littéraire et religieuse.
Salomon
Le règne de Salomon occupe une grande partie du livre des Rois, qui insiste sur sa sagesse, ses richesses, et surtout la construction du Temple.
Juda et Israël
À sa mort, en 931, le royaume se divise entre les dix tribus du Nord et les deux du Sud, à partir d'une séparation religieuse. Le récit suit alors en parallèle et en opposition ces deux royaumes, qui luttent à la fois entre eux et contre des puissances voisines, Égyptiens ou Araméens. Le royaume du Nord tombe en 721, avec la prise de Samarie, sous les coups de l'Assyrie.
Juda seul
Après 721 le royaume de Juda demeure seul. Les interventions militaires des Assyriens (en particulier l'assaut de Sennachérib en 701 →Annales de Sennachérib) confirment le statut vassal de Juda. La chute de l’Assyrie (614) et la formation de l'empire chaldéen donne naissance à de nouvelles luttes. Jérusalem est prise par Nabuchodonosor en 597, ce qui entraîne une première déportation à Babylon, puis à nouveau en 587 après la prise de Jérusalem, avec la seconde déportation.
RÉCEPTION
Canonicité
Les livres des Rois ont toujours appartenu au canon des Écritures.
Intertextualité
Ils trouvent des strictes parallèles :
- dans nombre de passages des Chroniques →1 Chroniques, →2 Chroniques,
- en →Isaïe (Is 36-39),
- ou →Jérémie (2R 24,18-25,30 = Jr 39,1-10 ; 40,7-10 ; 41,1.3.5 ; 52,1-27).
Et lorsque →Ecclésiastique ou Siracide synthétise l’histoire du Peuple de Salomon à la chute du royaume de Juda (Si 47,1-49,5), il se fonde pour cela sur les narrations des Rois.
Le Nouveau Testament y puise également :
- outre la gloire et la sagesse de Salomon (Mt 6,29 ; 12,42),
- il évoque la construction du Temple (Ac 7,46),
- les miracles d’Élie et d’Élisée →Typologie élianique (Lc 4,25ss ; Jc 5,17) ,
- ou encore des résurrections (He 11,35).
Division
Tout comme les livres de Samuel, les livres des Rois ne forment qu'un seul livre dans la Bible hébraïque. Il est possible qu’ils n’aient pas originellement constitué une unité distincte ; ils pourraient avoir appartenu à un grand ensemble historique unique comportant les livres de Josué (peut-être même aussi le Deutéronome), des Juges, de Samuel et des Rois →Prophètes antérieurs (Josué, Juges, Samuel & Rois).
La distinction en deux livres fut réalisée par les traducteurs grecs du 3e s. av. J.-C. : l’ouvrage correspond à 3 et 4 Règnes (selon la traduction grecque) ou 1 et 2 Rois (selon la Vulgate). La division du livre scinde en deux le règne d’Ochozias (début en 1R 22,52ss ; fin en 2R 1) et le cycle d'Élie (il s’étend de 1R 17 à 2R 1).
Importance traditionnelle
Les livres des Rois ont très peu retenu l'attention des anciens Pères. En dehors de remarques occasionnelles, on ne trouve que :
- ; (†373) : fragments
- ; Sur l’interpellation de Job et sur l’infirmité de l’homme, sur celle de David ; Richesse et pauvreté ou Nabot le pauvre ; Sur Élie et le jeûne ; (†397) : Apologie de David
- ; (†ca. 457) : Questions sur les Règnes III-IV
- (†528) : Commentaire sur les Règnes III-IV.
Ensuite, l'intérêt se réveille et les livres sont plus commentés, dans un sens plutôt moralisateur :
- ; (†636) : Quaestiones in Vetus Testamentum
- ; (†735) : De templo Salomonis et In regum librum quaestiones XXX
- ; (†ca. 855) : Enarrationes in libros Regum III-IV
- ; (†856) : Commentaria de libros Regum III-IV
- (†1141) : Adnotationes in libros Regum III-IV.
Parmi les commentaires plus récents :
- (†1349),
- (†1471),
- (†1534),
- (†1609), (†1628), (†1637), (†1637), (†1696),
- (†1731), (†1733), (†1736), (†1757).