La Bible en ses Traditions

Ecclésiastique ou Siracide

Ouvrir le livre du Siracide, c'est un peu comme s'asseoir aux pieds d'un grand-père pieux et inspiré pour l'écouter parler des choses de la vie. Ce faisant l'on s'imprègne de sa sagesse, acquise au fil des ans, dans la foi, tandis qu'il aborde tous les domaines de la vie quotidienne : amitié, mariage, richesses, commerce, relations familiales, justice, etc. Ces domaines divers relèvent d'une unique sagesse, elle-même suspendue à un seul élément : la « crainte du Seigneur ». Tel est le sens de ce verset fameux :« La sagesse commence avec la crainte du Seigneur » (Si 1,16). Le livre révèle une « sagesse radicale » dont la racine et la source sont en Dieu.

Dans le prologue du Siracide, une voix nomme celui à qui l’on doit la rédaction du livre : un homme sage nommé « Sira ». L'auteur du prologue est son petit-fils, répondant au nom de ... « Jésus » ! Son grand-père a écrit le livre en hébreu, vers 180 av. J.-C. , dans un Israël déjà hellénisé par la domination des Ptolémée et les Séleucides. Quant à ce « Jésus », il est le traducteur en langue grecque de son grand-père, cinquante ans après. C'est le seul livre de l'Ancien Testament qui soit aussi précisément signé !

Le Siracide présente encore d'autres particularités, à commencer par son titre. Le titre liturgique actuel renvoie au traducteur, « Ben Sira le Sage », rappelant la filiation qui préside à l'origine du livre ; le titre grec, dit littéralement : « Sagesse de Jésus fils de Sira ». Mais l’histoire de la culture le connaît surtout par son nom latin d’« Ecclésiastique », que l'on doit au père de l'Église saint Cyprien. Il soulignait ainsi l'usage officiel qu'en faisaient les chrétiens dans l’« Église », par opposition aux juifs des « synagogues », qui ne l'intégraient pas dans leur canon scripturaire (ce qui ne les empêchait pas de le connaître et de le commenter). De fait, l’appartenance de ce livre au canon des Écritures fut également discutée du côté des chrétien : saint Augustin reconnaissait l’Ecclésiastique comme inspiré, alors que son contemporain saint Jérôme le déclarait « non canonique », se refusant à le traduire ! Ainsi, la version que l'Église catholique a reçue et transmise est celle de la Vetus Latina, traduction chrétienne archaïque de la version longue du texte grec.

Les sources du Siracide ont longtemps été uniquement deux textes grecs, l'un d'entre eux plus long de 137 versets (sans qu'il soit possible de déterminer lequel précède l'autre). Ce sont ces manuscrits grecs qui furent transmis et traduits, non les manuscrits hébreux, que l’on redécouvrit seulement à la fin du 19e s. dans la fameuse geniza (débarras sacré d’une synagogue où sont pieusement entreposés les manuscrits des Écritures abîmés et devenus hors d’usage) du Caire, puis à Qumran et Massada en 1958 et 1967. À cela s'ajoute une traduction ancienne en syriaque, la Vetus Syra, ainsi que la Vetus Latina qui a trouvé son chemin dans la Vulgate reçue en Occident. Du côté protestant, le livre est rejeté du canon ; chez les Orthodoxes, la question n’est pas tranchée.

Théologiquement, le Siracide lie entre elles : sagesse, loi et crainte du Seigneur. Il donne des clefs humaines pour bien vivre la condition humaine, mais affirme que seule la crainte de Dieu peut produire cette sagesse humaine : si la première manque, la seconde sera fausse.

L’antique traduction latine du Siracide reçue en Occident a poussé la révélation du dessein divin un cran plus loin. Le scribe inspiré qui l’a produite, certain que tout peut annoncer le Christ, trouve peut-être le moyen d’évoquer le bois qui rappelle la victoire sur la mort remportée par le Christ sur la croix :« n'est-ce pas par le bois que l'eau amère fut adoucie ? » (V—Si 38,5, cf. Ex 15,23-25). Plus explicitement, il évoque le vent de la tempête apaisée : « à sa parole, le vent se taira (en vérité, le Seigneur Jésus l'a planté !) » (V—Si 43,25 cf. Mc 4,35-41 ) et peut-être même Vierge Marie dans la prosopopée de la sagesse (V—Si 24,12). L'auteur atteste aussi, dans une vertigineuse chronologie du salut, que « le Christ purifia David de ses péchés, il releva pour toujours sa corne, lui donna l'alliance des rois et un trône de gloire dans Israël » (V—Si 47,13). Mais surtout, comment ne pas voir un écho johannique lorsqu'il prophétise, de manière très sapientielle, que « ceux qui craignent le Seigneur ne seront pas incrédules en son verbe » (Si 2,18) ? A bon entendeur, salut !

TEXTE

Critique textuelle
Hébreu

Avant le 19e s., nulle trace de l'original hébreu n'était conservée, hormis le témoignage de Jérôme disant qu'il l'avait vu en hébreu, des citations rabbiniques jusqu'au 4e s. dans le Talmud. Depuis 1896, la Genizah du Caire a livré les deux tiers du texte hébreu grâce à six manuscrits fragmentaires médiévaux. Qumrân en donne aussi des passages, ainsi qu'une copie trouvée à Massada en 1964 (Si 39,27-44,17) datée paléographiquement du début du 1er s. av. J.-C. Le nombre important des variantes entre les manuscrits et avec les autres versions atteste de l'existence de différentes recensions.

Grec

Ce livre est traduit en grec par le petit-fils de Ben Sira (cf. Prologue 27s). On trouve cette version grecque dans trois manuscrits principaux, Vaticanus, Sinaïticus et Alexandrinus.

Deux éditions successives

Dès le 1er s. av. J.-C., une révision est opérée, avec bon nombre d'ajouts, qui témoignent d’une évolution théologique, en particulier en matière d’eschatologie. Ce travail se laisse deviner dans les fragments hébreux et dans la Peshitta (traduction syriaque vers 300) et nous est essentiellement parvenue dans plusieurs manuscrits grecs, et dans la Vetus latina (2e s.) recopiée dans la Vulgate (éditée vers la fin du 5e s.). L'Église a reçu et conservé les deux éditions du livre de Ben Sira, utilisées toutes deux par les Pères grecs, tandis que les Pères latins citent la version longue. 

La traduction donnée ici est faite sur la version grecque (selon l'édition critique de J. Ziegler) avec des notes explicatives en cas d'additions.

Procédés littéraires caractéristiques

Le livre réunit tous les traits caractéristiques de la poésie sapientielle : associations, paradoxes, parallélismes d’analogie et d’opposition, caractérisations, etc. Si parfois se trouve chez lui une suite de proverbes sans réelle transition, comme dans certains chapitres du livre des Proverbes (Pr 10-11), la plupart du temps, l'auteur développe et argumente solidement, apparenté en cela à Pr 1-9, de Jb et de Qo.

Proposition d’une structure du livre

On ne peut à proprement parler discerner de plan général, mais certains passages peuvent constituer des petits traités à part entière.

La majorité du livre (Si 1,1-42,14) forme un recueil de maximes.

Mentionnons que le grec donne Si 33,16b-36,13a avant Si 30,25-33,16a, contre l'hébreu, le latin et le syriaque.

Genres littéraires

Ben Sira est le dernier auteur du canon de la Bible en ce qui concerne la littérature sapientielle.

Compilation des genres sapientiaux

Son livre compile la fleur de son enseignement (Prologue Si 0,7-14). L’œuvre se présente comme une somme où toute la réflexion des sages se trouve reprise et prolongée de façon originale. Aussi, avec sans doute pour modèle ancien le livre des Proverbes, tous les genres littéraires utilisés par les sages s’y retrouvent : machal (parabole, similitude, comparaison, paradigme, etc.), hidah (énigme, devinette, obscurité calculée), chirah et mizmor (poésie hymnique et liturgique), poésie gnomique, narration confidentielle, autobiographie, répertoire onomastique de type encyclopédique, récit didactique et historique.

Une galerie de portraits

Ben Sira est aussi le premier à relire toute l'Histoire sainte, d'Adam à Néhémie, y joignant le grand prêtre Simon (Si 44-50). Il dresse un portrait des ancêtres royaux, qui ne sont pas tous à imiter, sauf David, Ézéchias et Josias. Les descendants d'Aaron, au contraire, sont les véritables modèles puisqu'ils ont su transmettre la Sagesse.

Lien entre Sagesse et histoire

L'auteur développe avec insistance plusieurs thèmes : la sagesse et la crainte du Seigneur, la Loi comme expression parfaite de la Sagesse de Dieu, l’histoire biblique relue à travers les héros du passé et, ce qui est nouveau dans la littérature biblique de sagesse, la révélation et l’élection d’Israël : un tel lien entre sagesse et économie historique n’existe en effet ni dans les Proverbes, ni dans l’Ecclésiaste, ni dans Job. Ben Sira, le premier, montre le lien qui unit la Sagesse à la révélation biblique (Si 24). Notons une absence : s'il connaît la promesse de la continuité de la race de David (Si 45,25 ; 47,11), il n'attend pas le Messie (cf. Si 24,24 ; 36,20ss).

CONTEXTE

Histoire et géographie
L'auteur

Devant les menaces de l'hellénisme qui tente certains dirigeants, Ben Sira rappelle toute la tradition des pères. Il veut ainsi montrer que la sagesse de la Bible est aussi authentique et bonne que les philosophies grecques. Plein de respect pour la Loi et le Temple, il connaît bien toute la littérature biblique qui l'a précédé.

Le traducteur

Lors de la traduction en grec, la situation est troublée. Le sacerdoce est corrompu (2M 4), et la profanation du Temple par Antiochus IV Épiphane (175-163 av. J.-C.) entraîne la révolte des Maccabées (2M 5-6). Ce changement de contexte a une certaine influence (cf. Si 50,24).

Auteur/s et datation
L'auteur

Ben Sira en hébreu, Siracide en grec, d'après la forme grecque Sirach, l'auteur est un maître de sagesse de Jérusalem (cf. Si 50,27 et Si 51,30). Il a dû naître au milieu du 3e s. av. J.-C., et vit sous cette époque troublée, entre Lagides et Séleucides (Jérusalem est prise par les Séleucides en 198 av. J.-C.), contemporain du grand prêtre Simon le Juste (Si 50,1-20). Faute d’allusion à la déposition d’Onias III en 174 et à la persécution d’Antiochus Épiphane (175-164), il est possible de dater l’Ecclésiastique entre 200 et 175.

Le traducteur

Son petit-fils commence à le traduire en Égypte, sans doute en 132 av. J.-C. (Prologue 26 : la 38e année du roi Evergète, que l’on identifie à Ptolémée VII, 170-116).

Intertextualité biblique

Ben Sira reprend, dans une perspective de sagesse, toute la tradition biblique qui l'a précédé (cf. Si 39,1).

La Sagesse

Présentée comme un don de Dieu à ses élus, elle enrichit celui qui la reçoit et le comble de ses faveurs. Son expression biblique est la Loi (Si 24,23). Le sage possède la crainte de Dieu (Si 2,15s) qui permet à l'homme d'accueillir les dons de Dieu et d'y répondre par son obéissance à la Loi (Si 1,11-30 ; 2 ; 10,19-25 ; 25,7-11 ; 40,18-27). 

L'homme accompli.

La maîtrise de soi est déclinée sous toutes ses formes, que ce soit la maîtrise de la parole (Si 18,15-20,21 ; 21,1-22,26 ; 22,27-23,1.7-15 ; 28,13-26), l'humilité (Si 3,17-28 ; 10,7-18.26-11,6) ou la tempérance (Si 9,1-9 ; 23,2-6.16-27 ; 36,27-31 ; 42,12-14). L'importance d'un mariage harmonieux (Si 25,1-26,27) et d'une amitié solide et fondée (Si 6,5-17 ; 12,8-18 ; 22,19-26 ; 27,16-21 ; 37,1-6) est mise en lumière. L'homme de bien est charitable, envers les plus pauvres (Si 3,30-4,10 ; 7,32-36 ; 18,15-18 ; 29,1-20) et met sa confiance en Dieu (Si 2 ; 11,12-28) qui seul lui assure le salut (Si 2 ; 36,1-22). 

La rétribution

Les mêmes problèmes se posent que dans Job ou l'Ecclésiaste (cf. Si 7,17.36 ; 17,23 ; 40,3s ; 50,24) à propos de la responsabilité et de la destinée de l'homme. Il n'y a pas encore de certitude sur la manière dont Dieu rétribuera chacun selon ses actes, même si quelques avancées se dessinent dans les additions, proches de la pensée des Pharisiens et des Esséniens (cf. Si 12,6 ; 16,22 ; 19,19, les ajouts latins à Si 24,22.32 et l'ajout syriaque à Si 1,22). 

Religion et piété

La religion demande enfin une véritable conversion du cœur, tout tourné vers l'amour de Dieu (Si 1,10.18 ; 11,15 ; 17,18 ; 24,18 ; 25,12). Sacrifice cultuel et justice intérieure sont inséparables (Si 34,18-35,24). Ben Sira est le modèle de ces juifs pieux, les hassidim (cf. 1M 2,42).

RECEPTION

Canonicité

La souscription de Si 51,30 : « Sagesse de Jésus, fils de Sira » donne son titre grec au livre (d’où « le Siracide »). En latin, il est appelé Ecclesiasticus liber - d’où « l’Ecclésiastique » - déjà par Cyprien de Carthage au 3e s., probablement à cause d'un usage officiel par l'Église.

Le livre n'appartient pas au canon hébreu.

Importance traditionnelle
Intertextualité
Postérité dans la littérature juive

Malgré sa non canonicité, les auteurs juifs lisent le livre de Ben Sira. On le trouve à Qumrân, il est cité par le Talmud et les Midrashim, parfois même introduit par la formule « il est écrit » réservée à l'Écriture.

Exégèse chrétienne

Ben Sira a une grande influence dans l'Église.

Suivent les commentaires, entre autres, de :

Liturgie

Ben Sira est, après les Psaumes, le livre de l'Ancien Testament le plus fréquemment utilisé dans la liturgie chrétienne. De nombreuses leçons, les épîtres de la messe de la vigile des Apôtres, du commun des Confesseurs pontifes (I) et non pontifes (I), du commun des Vierges martyres (I et II) et des Martyres non vierges, enfin du commun de la Sainte Vierge, tels sont les emprunts les plus frappants du missel romain. Cette place importante s'explique par le genre didactique du livre et ses sentences morales. 

Réception culturelle

Le livre aussi bien que l’auteur sont absents des arts plastiques inspirés par le christianisme.