La Bible en ses Traditions

Isaïe 

Tous les mélomanes du monde connaissent Isaïe, ne serait-ce qu'à travers les «  Sanctus » des messes des compositeurs qu'ils admirent le plus. « Saint, saint, saint le Seigneur » répètent les chrétiens au cœur de la Messe : ils le font à la suite des Séraphins du chapitre 6 de ce livre (Is 6,3). Le livre d'Isaïe accompagne toute l'année liturgique. Durant l'Avent, avec le « Consolez ! consolez mon peuple » de « la voix qui crie dans le désert » d'Is 40,1.3, avec le chant du Rorate cœli d'Is 45,8 ils attendent l'« Emmanuel » né de la vierge (Is 7,14). À Noël, ils reconnaissent le Seigneur dans « un enfant qui nous est né » d'Is 9,5 « entre le bœuf et l'âne »(Is 1,3). Quant au Carême, il culmine avec la contemplation de « l'agneau qui n'ouvre pas la bouche » d'Is 53,7

Le Livre d’Isaïe est le plus complexe des livres dits des « grands prophètes » (→Prophétisme biblique). Ses textes furent composés pendant environ 400 ans. Il n'y a donc rien d’étrange à trouver ici presque toutes les idées fondamentales de l’AT. L'Isaïe des chapitres 1 à 39 est d'abord le prophète de cour de la Jérusalem du 8e s. av. J.-C. qui annonça à la dynastie royale davidique une destinée éternelle. C'est lui aussi qui révéla YHWH comme un Dieu préoccupé de justice, à l'œuvre dans les événements qui touchaient son peuple. Dans les chapitres 40 à 55, c'est ensuite un prophète anonyme, deux siècles plus tard, à l'apogée du règne de Cyrus, le roi Perse, qui annonce la fin de l'exil à Babylone. Les chapitres 56 à 66, consacrés au jugement dernier et au salut final sont encore plus récents.  

La scène spectaculaire de l'envoi en mission d'Isaïe en Is 6 laisse une empreinte profonde sur l'ensemble de l'œuvre. Il y voit le Dieu trois fois saint en fort contraste avec le peuple contaminé par le péché. Ce Dieu veut la justice pour les pauvres ; sans elle, le culte qu'on lui rend à Jérusalem est tout simplement répugnant (Is 1,14). Isaïe insiste sur la foi : la confiance en Dieu est le seul espoir qui demeure à l'époque des invasions des Assyriens. Dieu seul pourra épargner un « reste » dirigé par un roi-oint idéal, le messie-« Emmanuel ». C'est chez Isaïe que se trouvent les plus belles pages messianiques. Le Messie, de la semence de David, apportera paix, justice et connaissance de Dieu (Is 2,1-5 ; 7,10-17 ; 9,1-6 ; 11,1-9 ; 28,16s).  Cette espérance est d'autant plus marquante qu'elle s'exprime dans le contexte d'oracles menaçants, y compris contre les nations voisines, durant les règnes d'Achaz et d'Ézéchias (Is 1-39).

En fort contraste avec ces périodes troublées, les chapitres Is 40-55 annoncent la consolation d’Israël. Ce sera le temps du retour de Dieu à son peuple, et du peuple à son Dieu, celui de la restauration de Sion. En tant que créateur, Dieu est Seigneur de l'histoire pour tous les peuples. Il va renouveler la terre entière, avec une nouvelle Jérusalem, la Jérusalem eschatologique, en son centre (Is 60-62). L'auteur insiste sur le néant des faux dieux par opposition à l'unique Dieu véritable, celui d'Israël (Is 41,29) ; la lumière de son enseignement s'adresse à tous : c'est sans doute l'un des premiers véritables « monothéistes ».

Dans les chapitres Is 40-55 apparaît aussi la célèbre figure du « Serviteur » du Seigneur. C'est d'abord une figure collective d'Israël (Is 41,8-9). Dans d'autres textes il est fortement individualisé : c'est peut-être le prophète lui-même (Is 52,13-53,12). Le Serviteur est ainsi une personne dont la destinée symbolise celle de toute sa communauté.

Des siècles plus tard, Jésus lit Isaïe (Lc 4,18-19) : il s'identifie avec l'oint ou messie d'Is 61,1-2 et sa mission aux pauvres. Les évangélistes lui appliquent les prophéties du Serviteur souffrant, victime expiatoire (Lc 22,19s.37 ; Mc 10,45; Mt 12,17-21 ; Jn 1,29 ;  →Un messie souffrant dans la tradition juive ?. Conclusion : avec saint Jérôme, « il faut encore ajouter qu'on devrait appeler Isaïe moins "un prophète" qu' "un évangéliste" » Cf. Jérôme de Stridon, Prologue à Isaïe 2 (SC 592, p.435,l.5-6).

TEXTE

Critique textuelle
Hébreu

A Qumrân, ont été découverts plusieurs manuscrits d’Isaïe, dont un manuscrit complet (1QIsaa) datant probablement du 2e s. avant notre ère. Une orthographe propre et certaines variantes l'éloignent du texte massorétique (M). C'est un témoin précieux pour l'établissement du texte. Un autre manuscrit d'Isaïe (1QIsab), incomplet, est quant à lui conforme au M. La grotte 4 a révélé 18 manuscrits d’Isaïe, la grotte 5 un seul (5QIsa).

Grec

La Septante (G) donne la traduction d'un texte d'Isaïe qui, pour bon nombre de passages importants, diffère du texte massorétique. Le style de traduction n'est pas littéral et ne permet pas d'établir facilement le texte Hébreu qui fut à son origine.

Latin

La Vulgate donne une excellente interprétation de l'hébreu d'un texte en tout point semblable au M.

Quelques procédés littéraires caractéristiques

Isaïe est un grand poète, devenu le grand classique de la Bible. Une grande part de son argumentation procède par images ou paraboles développées (comme la vigne Is 5,1-7 ; 27,2-5, ou le laboureur Is 28,23-29). Le Deutéro-Isaïe (Is 40-55) combine des annonces du salut avec des diatribes, dans un rythme bref.

Proposition d’une structure du livre

Le livre d’Isaïe est le premier et le plus volumineux (66 chapitres) des livres du corpus prophétique. Sa structure est très complexe, mais un élément ressort nettement : l’unité au centre du livre, Is 40-55 (le "Deutéro-Isaïe"): elle débute par l'épisode de l'envoi en mission (Is 40,1-11) et se conclut par un épilogue (Is 55,6-13). Ces chapitres se distinguent également par leur style et leur sujet. Les autres sections du livre se divisent en deux volets : Is 1-39 (appelé Proto-Isaïe) et Is 56-66 (parfois nommé Trito-Isaïe).

A. Is 1-39

B. « Livre de la Consolation d'Israël » (Deutéro-Isaïe) Is 40-55

C. Le « Trito-Isaïe » Is 56-66.

Le livre manque de continuité logique ou temporelle évidente. Les nouveaux thèmes peuvent apparaître comme une réponse, contraste, réinterprétation ou un développement du sujet précédant.

Genres littéraires

Le livre d’Isaïe comporte plusieurs genres littéraires :

CONTEXTE

Histoire et géographie

Le ministère d'Isaïe s'étend sur quarante années, une période marquée par la menace croissante de l'Assyrie. On peut répartir les prophéties en quatre moments (toutes de la première partie du livre: Is 1-39).

Auteur/s et datation

Au minimum, trois rédacteurs peuvent être identifiés dans ce livre.

Le prophète Isaïe

Son nom signifie « YHWH sauve ». Il reçoit sa mission du Seigneur à la mort du roi Ozias, en 740, dans le Temple de Jérusalem. Son accès au Temple suggère qu’il pouvait être un prêtre. Il est mandaté pour prophétiser le châtiment de son peuple (Is 6,1-13). Il participait intensément à la vie publique et avait un accès relativement facile et direct au roi. Son style littéraire et son érudition indiquent qu’Isaïe était membre des élites du royaume. Sa critique violente des élites du Judée doit être vue comme une critique interne. Après 700 av. J.-C., on ne dispose que de très peu d'éléments pour tracer son histoire. Une tradition juive en fait un martyr sous le règne de Manassé. Isaïe apparemment associe ses fils à sa vocation prophétique, et leur donne à cet effet de nouveaux noms (Is 7,3 ; 8,3). La femme qualifiée de « prophétesse » (Is 8,3) est peut-être la sienne. Au-delà de ce cercle familial, plusieurs disciples développent les oracles d’Isaïe, peut-être même en « école ».

Le Deutéro-Isaïe

Il est peu probable que les chapitres Is 40-55 aient été écrits par le même prophète du 8e s. Effectivement, les événements se situent bien plus tard, pendant l'exil à Babylone sous le règne du roi perse Cyrus. Il semble donc que ce soit l'œuvre d'un continuateur anonyme, exerçant son ministère entre les premiers triomphes de Cyrus en 550 et 538 av. J.-C., date à laquelle l'édit permet à certains exilés de retourner dans leur terre d'origine. On appelle également ce recueil le  « livre de la Consolation d'Israël » en raison de son ouverture avec les mots : « Consolez, consolez mon peuple » (Is 40,1).

le Trito-Isaïe?

On attribue parfois la dernière partie du livre (Is 56-66) à un troisième prophète, que certains biblistes nomment le Trito-Isaïe. Cependant, il est également possible qu'il s'agisse d'une anthologie de plusieurs auteurs. Ces textes se situent après le retour à Jérusalem. Ils constituent essentiellement la continuation des thèmes abordés par les continuateurs précédents : des oracles messianiques et des annonces de jugement reviennent, mais cette fois avec une perspective universaliste plus claire.

Cette pluralité des auteurs ne nuit pas à l’unité de l’ensemble, à condition de prendre en considération une continuité sur plusieurs siècles et la constance des thèmes principaux.

Formation du livre

Le prophète Isaïe a profondément marqué ses contemporains. Ses paroles sont conservées, avec des additions. Son activité comme écrivain est bien attestée (Is 8,1.16 ; 30,8), mais il est probable que la plupart de ses oracles ait été mis par écrit par ses disciples. Le livre actuel d'Isaïe résulte d'une composition en plusieurs étapes, et ses chapitres ne suivent pas véritablement la chronologie de la vie d'Isaïe.

La première partie du livre (1-39) est formée à partir de plusieurs collections d'oracles.

Elles ont beaucoup en commun avec d’autres prophètes du 8e s. av. J.-C. : les individus poursuivent seulement leurs propres intérêts sans se préoccuper de la justice. Le culte du temple est devenu une façade, une religion fausse, détestable au Seigneur. Dans son argumentation, Isaïe privilégie les arguments sapientiaux aux arguments légalistes (il ne fait référence ni à Moïse ni à un livre de la Torah).

Le recueil de 40-55

On y trouve quatre pièces poétiques, appelées par les biblistes les « chants du Serviteur » (Is 42,1-4(5-9) ; Is 49,1-6 ; 50,4-9(10s) ; Is 52,13-53,12). Ces chants mettent en scène la figure du Serviteur de Yhwh, qui réunit le peuple, l'enseigne et rachète en mourant pour les fautes de tout le peuple, avant d'être glorifié par Dieu. S'il est vraisemblable de considérer que les trois premiers chants sont du Second Isaïe, le dernier peut être composé par un de ses disciples.

Les chap. 56-66

Les chap. 56-66 sont généralement aujourd’hui compris comme un recueil composite. Is 56-59 seraient à dater à dater du 5e s. Les chap. Is 60-62 sont fortement apparentés, par l'esprit et la langue, à la partie précédente. Le Psaume (Is 63,7-64,11) précède date d'avant la fin de l'Exil. Les chap. Is 65-66, plus apocalyptiques, sont généralement datés de l'époque grecque, ou parfois du retour de l'exil (sauf Is 66,1-4 datant de la reconstruction du Temple vers 520 av. J.-C.).

RECEPTION

Canonicité

La canonicité d’Isaïe est indiquée par son influence à l’intérieur de la Bible même, par exemple :

Jérémie
Siracide

Si 48,20-25 évoque le prophète Isaïe et son action sous Ézéchias ;

NT

Le prophète Isaïe est évoqué plusieurs fois dans le Nouveau Testament (Mt 3,3 ; Mc 1,2 ; Lc 3,4 ; Jn 1,23). Entre autres :

Importance traditionnelle
Exégèse chrétienne

Considéré par les premiers chrétiens comme l'œuvre la plus emblématique du genre prophétique, le livre d'Isaïe est qualifié par certains Pères de « cinquième évangile ». Cependant il n'est pas très commenté. Sont conservés en Orient les commentaires de :

Pour l'église latine, on peut citer le commentaire de

Suivent les commentaires, entre autres, de

Le chant liturgique

Il doit beaucoup à Isaïe.

Réception culturelle
Littérature

La thèse sur la poésie hébraïque, Lectures on the Sacred Poetry of the Hebrews, de Robert Lowth (†1787), qui fait amplement référence à Isaïe, exercé une grande influence sur les écrivains anglais de l’époque parce qu’elle reconnaît en lui non seulement un prophète mais aussi un poète. D’innombrables œuvres font allusion à Isaïe dont l’exemple le plus célèbre est The destruction of Sennacherib de Byron (†1824).

Arts plastiques

Outre les vitraux comme celui de la Sainte Chapelle à Paris ou les enluminures de bibles médiévales ; une représentation très célèbre est celle de Michel-Ange (†1564) à la chapelle Sixtine.

Un thème iconographique fréquent, qui permet aussi de représenter le trône divin et les séraphins, est celui de la vision et de la vocation d’Isaïe (Is 6), thème qui se retrouve dans de nombreuses gravures sur bois des milieux de la Réforme et jusqu’à l’époque contemporaine chez Chagall (†1985) par exemple.

Parmi les autres thèmes iconographiques en lien avec Isaïe, nous pouvons également citer « les épées brisées pour en faire des socs » (Is 2,4), la paix paradisiaque qu’apportera le rejeton de la souche de Jessé (Is 11,6-9) et le martyre du prophète.

Mais les textes du prophète ont aussi enrichi l’iconographie de scènes évangéliques comme l’Annonciation (Lc 1, inspiré d’Is 7,14) ou la Crucifixion (en référence à Is 52,13-53,12).

Musique
Cinéma

Le film de Hugh Hudson, Les chariots de feu (1981), place un texte d’Isaïe au cœur de l’intrigue. Refusant de participer à la course du 100 mètres des Jeux Olympiques de 1924 parce qu’elle a lieu un dimanche, le champion et pasteur Eric Liddel se rend à l’église écossaise de Paris où il proclame en chaire le texte d’Is 40,15s. dont le dernier verset (Is 40,31) éclaire sa propre destinée.