La Bible en ses Traditions

Actes des Apôtres

« Faire son chemin de Damas », nous connaissons bien l’expression qui signifie que l'on a trouvé sa voie, mais savons-nous qu’elle nous vient tout droit de la Bible, et plus exactement du Livre des Actes des Apôtres, ce livre du Nouveau Testament qui relate les débuts de l'Église primitive ? Les Actes commencent avec l'Ascension de Jésus, là où s’achève l'Évangile selon Luc qui a délibérément composé un dyptique, Évangile et Actes.

Les Actes se divisent en deux grandes parties : la geste de Pierre (Ac 1-12), et la geste de Paul (Ac 13-28).

(1) Les douze premiers chapitres s'ouvrent sur l’Ascension (Ac 1) suivie de la Pentecôte (Ac 2). S'ensuit le ministère de Pierre avec la guérison d’un infirme (Ac 3) et les controverses avec le Sanhédrin (Ac 4-5). Trois chapitres sont consacrés au ministère des diacres : le choix de sept diacres (Ac 6), suivi du martyre d’Étienne (Ac 7). Dans la même dynamique, le lecteur accompagne Philippe en Samarie dans les baptêmes des Samaritains et de l’eunuque (Ac 8). L’apostolat de Pierre se poursuit alors avec la conversion des païens (Ac 10-11), jusqu’à l’épisode où Pierre est délivré de sa prison (Ac 12). On peut souligner l'interruption du rythme de la geste de Pierre, par le récit de la conversion de Paul au chapitre 9 et par des sommaires de transition, comme par exemple la mise en commun des biens (Ac 9).

(2) La geste de Paul est alors déployée à travers ses trois voyages missionnaires :

Premier voyage missionnaire (Ac 13-14) : répondant à l’appel de Dieu de proclamer le Christ, Paul et Barnabé quittent l’Église d’Antioche en Syrie. C’est alors que se tient l’assemblée de Jérusalem qui va dispenser les chrétiens non-juifs de certaines pratiques juives de la Loi, comme la circoncision par exemple (Ac 15,1-29).

Deuxième voyage missionnaire (Ac 15,36-18,22): après un séjour à Antioche, Paul reprend son chemin. Se forment alors deux groupes de missionnaires: Barnabé se rend à Chypre avec Jean Marc, et Paul emmène Silas avec lui et en direction de l’Asie Mineure.

Troisième voyage missionnaire (Ac 18,23-21,14) : Paul prêche en Asie Mineure. Arrive alors Apollos, un Juif d'Alexandrie, « bouillant d'esprit » (Ac 18,24-28)) qui annonce lui aussi le Messie.

Les chapitres suivants (Ac 21,15-28,30) traitent de l’emprisonnement de Paul et de son voyage vers Rome. Ils relient à la perfection les deux volets du dyptique Pierre et Paul, en accordant une place capitale à l'Esprit Saint, agissant à travers les apôtres dans l'évangélisation. C'est à ce titre que les Actes ont pu être surnommés « l'évangile du Saint-Esprit ».

Composés avec soin par un écrivain soucieux de compiler et d'organiser ses sources, les Actes constituent une véritable œuvre littéraire. Ils comprennent vingt-quatre discours: huit reviennent à Pierre et neuf à Paul, tandis que les sept autres sont attribués à autant de personnages différents, dont Gamaliel et Étienne. Ils constituent également une source historique d'une grande richesse, qu'il faut apprendre à exploiter : sous une apparente unité ecclésiale, une étude minutieuse révèle une Église en gestation animée de profonds conflits. Les voyages de Paul peuvent être reliés au corpus paulinien, soutenant ainsi une approche historique de l’Église primitive.

Reflétant avec justesse les origines juives du mouvement de Jésus, la christologie des Actes se fonde sur les figures de l'Ancien Testament. Jésus est ainsi : le Serviteur (Ac 3,13.26 ; 4,27.30 ; 8,32s) ; le nouveau Moïse (Ac 3,22s ; 7,20s) ; le nouvel Élie (Ac 1,9ss ; 3,20s) ; le ressuscité des morts, en parallèle avec Ps 16,8-11 (Ac 2,24-32 ; 13,34-37). 

TEXTE

Critique textuelle

On dispose de deux textes principaux pour les Actes, sans compter les nombreuses variantes minimes :

Les problèmes inhérents à la transmission des manuscrits (coquilles, syntaxe différente) ne rendent cependant pas suffisamment compte des divergences. En fait, ces deux traditions textuelles semblent représenter des rédactions successives du livre des Actes. Dans la traduction qui suit, faite, le plus souvent, à partir du texte alexandrin, de nombreuses variantes du texte occidental ont été signalées en note, ou même adoptées dans le texte traduit.

Proposition d’une structure du livre

Le plan se déroule selon la parole de Jésus : « Vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu'aux confins de la terre » (Ac 1,8), autour de deux figures principales.

Pierre (Ac 1-12)

Les Actes s'ouvrent avec la description de la communauté de Jérusalem qui se réunit autour de Pierre après la montée de Jésus au ciel (Ac 1-5) avant que Philippe (Ac 8,1-40), Pierre (Ac 9,32-11,18 ; 12) ou d'autres ne partent évangéliser (Ac 6-12).

Paul (Ac 13-28)

Dans la suite du récit, c’est Paul qui occupe le premier plan de la scène.

Ce séjour à Rome symbolise l'annonce jusqu'aux « confins de le terre » et achève ainsi le récit.

Genres littéraires
Un récit

Dans la préface de son évangile (Lc 1,1-4), Luc déclare son projet de mettre par écrit un « récit » (en grec diégèsis). Certains considèrent parfois que les Actes sont proches de la biographie hellénistique, de certains romans hellénistiques ou encore de l’apologie.

Un écrit de compromis ?

A la suite de F. Ch. Baur, certains comprennent le livre des Actes comme une tentative de réunion des deux écoles, celle de Pierre et celle de Paul. Cette théorie s'appuie sur l'histoire des prémices de l'Église, mais est aujourd'hui obsolète, notamment pour des raisons chronologiques.

Apologie de Paul ?

Un reproche demeure toutefois: celui d'un écrit composé pour légitimer Paul face au tribunal romain et démontrer ainsi son innocence sur le plan politique. Si Luc insiste sur le fait que les polémiques avec les juifs sont strictement religieuses, il s'agit de garder en tête qu'il s'agit là du récit de l'expansion de la première communauté et de la fondation d'autres foyers chrétiens.

CONTEXTE

Sources et composition

Concernant les sources de son récit, l'auteur affirme qu'il « s'est informé soigneusement de tout depuis les origines », auprès des gens qui ont « entrepris de composer un récit des événements qui se sont accomplis parmi nous » (Lc 1,1-4).De ce fait, on peut supposer un travail de collecte des éléments et de remaniement d'histoires existantes. Si le livre possède bien une unité littéraire, on peut en effet distinguer plusieurs directions différentes.

L'auteur a ensuite pu retravailler ces différents récits dans un soucis d'unité et de cohérence, en employant notamment des phrases ou des formules récapitulatives comme dans Ac 6,7 ; 9,31 ; 12,24.

Historicité
Valeur historique

On remarque une certaine inégalité de la valeur historique des Actes, en raison de la diversité de ses sources et de la composition littéraire et théologique de l'ouvrage. Cela renvoie à la conception de l'historiographie ancienne, qui offrait à l'auteur une grande liberté pour adapter les récits en fonction de ses objectifs. Il n'en reste pas moins que la description des voyages de Paul fournit des éléments plus ou moins exacts et assez nombreux sur l'Orient romain du premier siècle, l'autorité romaine, la vie grecque, les religions, les voyages... La partie concernant Pierre est beaucoup plus concise et avare de détails.

Composition littéraire

Luc n'a probablement pas utilisé des discours déjà mis en forme mais les a lui-même constitués selon les canons de l'époque, en se basant sur les formes traditionnelles de la première prédication : corpus de citations de l'Écriture, de principes philosophiques connus, et le kérygme (profession de foi dans la mort et la résurrection de Jésus) invitant à la conversion.

Auteur
Hypothèse traditionnelle : Luc

La tradition a toujours attribué le livre des Actes à saint Luc, comme en témoignent le Canon de Muratori (vers 175), le Prologue « antimarcionite » d’Irénée, les Alexandrins et Tertullien. Cette identification des Pères se fonde essentiellement sur les passages en « nous » des Actes (Ac 16,10-17 ; 20,5-15 ; 21,8-18 ; 27,1-28-16), dans lesquels le narrateur parle à la première personne du pluriel comme s'il avait participé aux événements, ainsi que sur la mention faite par Paul, à la fin de trois de ses lettres, d'un de ses compagnons, un médecin nommé Luc (Phm 24 ; Col 4,14 ; 2Tm 4,11). Les Pères de l'Église considèrent que cette information de première main sur un compagnonnage, vécu jusqu'au martyre de Paul (Adv Haer III, 14, 1), garantit la valeur historique de l'œuvre de Luc, une œuvre constituée de deux volumes, un évangile et une histoire des débuts de l'Église.

Une remise en cause de cette hypothèse

Cependant, l'exégèse critique du début du siècle a remis en cause cette attribution traditionnelle, découvrant que la perspective de Luc dans les Actes correspondait plutôt à la situation de la fin du 1er s. et reflétait davantage le point de vue de la génération suivante par rapport aux sources des évangiles. Le soupçon était dès lors jeté sur la valeur à accorder au témoignage de la tradition patristique. Tout d'abord, Luc était-il bien l'auteur de l'évangile ? Confrontée aux premières hérésies, et à celle de Marcion en particulier, l'Église n'avait-elle pas eu besoin d'affirmer l'authenticité de ses écrits en rappelant leur appartenance à la tradition des apôtres ? Les écrits anonymes qu'étaient les évangiles n'avaient-ils pas été mis dans ce but sous le patronage des apôtres, soit directement « selon Matthieu », « selon Jean », soit indirectement (Marc étant considéré comme le secrétaire de Pierre et Luc comme le compagnon de Paul) ? Par ailleurs, que savait-on de ce Luc ? Était-il vraiment le compagnon de Paul ? Le fait que Paul parle d'un certain Luc comme son collaborateur ne prouvait en rien que celui-ci fût l'auteur du troisième évangile, le nom de Luc étant fort répandu. Enfin, fallait-il vraiment considérer les passages en « nous » des Actes comme la preuve que Luc avait pris part aux voyages missionnaires de Paul ? Ces passages n'étaient-ils pas à mettre au compte d'un procédé d'écriture connu dans l'Antiquité ? Quelle valeur historique, par conséquent, pouvait-on accorder aux Actes ? L'exégèse critique a fait valoir en outre que si l'évangéliste Luc, auteur de ces deux ouvrages, était bien le compagnon de Paul, il ne pouvait y avoir de contradiction entre son témoignage et celui que donne lui-même l'apôtre Paul dans ses Lettres. Or, les écarts, voire les contradictions entre les deux sont indéniables.

Hypothèse littéraire actuelle

La discussion, comme on peut le voir, portait exclusivement sur des questions d'ordre historique. Par conséquent, elle laissait de côté l'aspect littéraire de la question de la relation entre les deux livres. La nécessité de prendre sérieusement en compte l'écriture lucanienne elle-même s'est peu à peu imposée et a considérablement enrichi ce difficile dossier. Comme les autres auteurs de récits évangéliques, celui du troisième évangile est resté anonyme et s'efface derrière son récit. Les tentatives pour découvrir dans son style des signes de son statut de médecin ont été vigoureusement réfutées dès 1920. Le texte révèle d'autres caractéristiques plus importantes de l'auteur, en particulier son talent d'écrivain qui lui permet de jongler avec différents styles de grec : du grec classique néo-attique le plus pur (cf. Ac 17, le discours de Paul devant l'Aréopage d'Athènes), au grec teinté d'hébraïsmes imité de la LXX (cf. Lc 1). Il révèle également un homme éduqué, imprégné de culture hellénistique, mais aussi un grand connaisseur des Écritures, auxquelles il fait de nombreuses allusions, en se référant au texte grec de la LXX. Enfin, nul ne peut douter, au terme de la lecture de son œuvre, de son art éprouvé de conteur. Luc est cependant le seul auteur du N.T. à avoir ajouté un deuxième volume à son évangile pour retracer la naissance et les débuts de l'Église, nous livrant par là un précieux témoignage sur l'importance de la tradition apostolique à la fin du 1er s. et sur sa propre position à l'intérieur d'une tradition paulinienne en pleine expansion.

Datation

La tradition, en revanche, ne nous est d'aucun secours pour dater l'écrit. Le livre des Actes se termine au moment de l'arrivée de Paul à Rome, aux alentours de 61-63. On s'accorde également à dire que les Actes ont été rédigés après l'évangile. La recherche s’accorde actuellement sur une date autour de 80-90. Quant au lieu de rédaction, on pense en général à Antioche ou à Rome.

RECEPTION

Canonicité

L'évangile de Luc et les Actes sont comme les deux volets de l'histoire des débuts de l'Église. Mais très vite, le second ouvrage a été connu de façon indépendante, et a été intitulé « Actes des Apôtres » ou « Actes d'Apôtres », s'inscrivant dans la lignée hellénistique des « Actes » d'Annibal, d'Alexandre, ou d'autres. Cette séparation se retrouve dans l'ordre canonique du Nouveau Testament qui place les Actes après l'évangile de Jean, en répondre à la demande de Codex des quatre évangiles, dès 150. Toutefois, les deux livres restent liés par leur prologue et leurs traits littéraires communs.

Importance traditionnelle
Postérité littéraire

Le livre des Actes est très lu aux premiers siècles. Dès le 2e s., il est imité par bon nombre d'Actes apocryphes : lesActes de Pierre, de Paul, de Jean, d'André, de Thomas, ainsi que la première rédaction du roman pseudo-clémentin. Ces ouvrages fourmillent d'épisodes merveilleux ainsi que d'indices de courants ascétiques démesurés ou gnostiques.

Exégèse

La rareté des commentaires anciens a pour cause la lecture facile de cet ouvrage.

La période de la Réforme et celle qui suit fournissent ceux, entre autres, de :

Liturgie
Piété populaire et monastique

Pour la piété chrétienne et surtout dans l'état religieux, la première communauté de Jérusalem est présentée comme un modèle de zèle et d'amour fraternel. Les premiers ordres monastiques puis les ordres mendiants y puisent leur idéal de vie commune. Bernard de Clairvaux écrit que l'Église a commencé par l'ordre religieux, dont les Apôtres sont les maîtres. La vie religieuse et la vita apostolica sont ainsi mises en parallèle voire identifiées, comme la communauté des apôtres autour de Jésus (François d'Assise) ou comme celle de Jérusalem. Outre les citations évangéliques à propos de l'idéal de perfection, les descriptions évoquant le mode de vie des chrétiens des premiers temps à Jérusalem sont souvent évoquées (en particulier Ac 2,42-47 et Ac 4,32-37).

Réception culturelle