La Bible en ses Traditions

Josué

« Lorsque le peuple poussa des cris et sonna des trompettes, après que la voix et le son de la trompette eurent retenti aux oreilles de la foule, les murailles [de Jéricho] s’écroulèrent. » (Jos 6,20) Qui ne connaît pas les célèbres trompettes de Jéricho qui font tomber les murs ?

Avec Josué s'ouvre une nouvelle ère dans l'histoire sainte. Après le temps des origines et des ancêtres racontés dans les cinq premiers livres du →Pentateuque, les →Prophètes antérieurs (Josué, Juges, Samuel & Rois) reprennent la trame narrative, en relatant l'histoire d'Israël depuis la conquête de Canaan jusqu'à la destruction de Jérusalem et l'époque de l'exil babylonien. La narration de la conquête fulgurante semble éloignée de l’image beaucoup plus complexe fournie par l’archéologie (→Bible et Archéologie VI : La conquête de Canaan et la geste de Josué). Le genre littéraire de la guerre sainte façonne l’identité d’Israël comme le peuple du Seigneur, habitant une terre donnée par Dieu. Elle n’est pas un trophée pour ses prouesses militaires, mais un signe de l’alliance. La possession de la terre est conditionnée par l'obéissance à Dieu et à sa Torah. L’histoire modèle de Rahab, une prostituée Cananéenne, et la mort ignoble d'Acan, un Israélite, relativisent les lectures nationalistes. Une Cananéenne, qui reconnaît les œuvres du Seigneur, peut vivre dans cette terre tandis qu'Acan, un Israélite, désobéisssant, subit l'anathème, c'est-à-dire la mort, un sort normalement réservé aux Cananéens.

En effet, les Cananéens sont construits comme un antitype d’Israël. Les nombreuses guerres décrites dans ce livre sont idéalisées et se présentent sous la forme de sommaires qui ressemblent plutôt à des liturgies, avec des rites de purification, des processions, des trompettes, des prêtres et des lévites. La conquête est en effet une entrée solennelle de l’Arche d’alliance au centre du pays, le Mont Garizim (Jos 8,33). Rien d’étrange que ce livre profondément idéologique et symbolique ait été interprété comme le modèle d'une guerre spirituelle. 

En hébreu, le nom de « Josué » et le nom de « Jésus » sont identiques. Josué préfigure donc Jésus: Josué traverse le Jourdain à l'endroit même où Jésus est baptisé; Josué fait entrer le peuple en Terre promise tout comme Jésus fait entrer le nouveau peuple de Dieu dans le Royaume des cieux.

TEXTE

Critique textuelle

Le texte du livre de Josué est établi dans les versions hébraïque, samaritaine, grecque, syriaque, araméenne et latine.

Textes hébreux et Septante

La Peshitta et la Vulgate sont très proches du texte massorétique (M), tandis que la version samaritaine et la Septante en diffèrent par l’ordre, la longueur et le contenu. Pour rendre compte de ces divergences, les spécialistes proposent diverses solutions.

La comparaison avec 4Q47-48 (4QJos a-b) n’est pas ici d’un grand secours : si ce fragment présente une grande affinité avec la Septante, il porte aussi des amplifications caractéristiques du texte massorétique. De tels faits reflètent l’existence, au sein des milieux de Qumrân, de leçons originales et autonomes.

La fin du texte grec de la Septante souligne la faiblesse de la génération de Josué en mentionnant l’oppression de Moab (Jg 3,12ss) : « En ce jour-là les fils d’Israël, prenant l’arche de Dieu, la firent circuler parmi eux et Pinhas devint prêtre à la place d’Éléazar, son père, jusqu’à ce qu’il mourut et fut enterré à Gibéa, sa ville. Alors les fils d’Israël s’en allèrent chacun dans leur pays. Et les fils d’Israël vouèrent un culte à Astarté et aux Astarot et aux dieux des nations qui les entouraient. Le Seigneur les livra aux mains d’ Églôn, roi de Moab, et les domina durant dix-huit ans » (Jos 24,33 selon G).

Texte samaritain

Plusieurs versions sont attestées pour le Josué samaritain. Rédigé en hébreu, il offre une forme brève et particulière, émaillée de gloses juives et musulmanes, du livre de Josué. Cette version se distingue des autres par sa brièveté et l'absence des discours deutéronomistes.

Araméen

Le Targum Jonathan (appelé aussi « le Targum des Prophètes »), rédigé en araméen ancien, offre une version de Josué qui relève de la tradition massorétique. Quand le texte s'écarte de la version massorétique, c’est pour éviter le risque d’anthropomorphisme vis-à-vis de Dieu et de ses actions.

Proposition d’une structure du livre

Le livre de Josué rapporte l'entrée d'Israël en Canaan et la répartition de la terre entre les tribus. Ce récit est amorcé dès Nb 13, avec la première exploration de la terre de Canaan, et reprend avec la traversée du Jourdain, qui permet au peuple d'accéder à la Terre promise. Le livre se divise en trois parties, après une introduction (Jos 1), qui rappelle la transition de Moïse à Josué :

La première partie

Elle débute par un discours de Dieu ordonnant à Josué de traverser le Jourdain pour occuper la terre promise à ses ancêtres (Jos 1). L’envoi d’éclaireurs à Jéricho (Jos 2) est suivi de la traversée du Jourdain (Jos 3-4) que viennent compléter trois épisodes : la circoncision du peuple, la célébration de la Pâque et l’apparition du chef de l’armée céleste (Jos 5). Jos 6 relate la victoire de Jéricho. Alors que tout semble aller pour le mieux et que Josué espère conquérir la zone montagneuse centrale du pays, survient la défaite d’Haï, motivée par le sacrilège d’Achan (Jos 7). Une fois l’ordre rétabli, il s’empare de la ville (Jos 8). Cette conquête provoque la panique des Gabaonites. Ces derniers parviennent cependant à tromper Josué pour avoir la vie sauve mais ils sont condamnés à accomplir le travail des porteurs d’eau et des bûcherons (Jos 9). Jos 2 et Jos 9, qui rapportent respectivement l'histoire d'une femme, Rahab, et celle d'un groupe d'étrangers, les Gabaonites, encadrent ce premier ensemble littéraire.

Dans Jos 10-11, on trouve deux histoires de batailles, celle de Gabaon et celle de Mérom, auxquelles est rattachée la conquête du sud puis du nord du pays. L'histoire des Gabaonites (Jos 9,1-10,6) fait le lien entre ces deux groupes de chapitres. Le traité de paix entre Gabaon et Israël fait trembler les rois de Jérusalem, d’Hébron, de Jérimoth, de Lakish et d’Eglon, qui s’allient contre Josué. C’est au cours de cette campagne qu’intervient l’épisode de l’arrêt du soleil (Jos 10). L’occupation du sud du pays provoque la panique des rois d'Asor, de Madon et d’Achsaph ainsi que celle des seigneurs d’autres villes. Ils sont tous finalement vaincus par Josué aux eaux de Mérom (Jos 11). La première partie se termine sur la présentation de la liste des rois vaincus (Jos 12).

On peut donc donner le plan suivant pour la première partie :

La deuxième partie

C'est un exposé géographique, consacré au partage du territoire. Jos 13 localise les tribus de Ruben et de Gad et la demi-tribu de Manassé, déjà installées par Moïse en Transjordanie, d'après Nb 32 (cf. Dt 3,12-17). Il commence par un discours de Dieu qui demande à Josué de procéder à la distribution de la terre au peuple (Jos 13,1-7). Les chap. Jos 14-19 concernent les tribus à l'ouest du Jourdain. Une nouvelle introduction (Jos 14,1-5) attribue la tâche du partage « au prêtre Éléazar, à Josué et aux chefs de famille ». Les récits suivants, situés à Gilgal décrivent la répartition des terres des tribus de Juda (Jos 14,6-15,63), d’Éphraïm (Jos 16) de Manassé (Jos 17) ; puis, à Silo, intervient le partage du territoire des sept tribus et demie restantes (Jos 18-19). Le livre énumère ensuite les lieux de refuge (Jos 20) et les villes lévitiques (Jos 21,1-41). La mention de la fidélité de Dieu à ses promesses (Jos 21,43ss) conclut cette partie.

La deuxième partie se structure donc ainsi :

La troisième partie

Jos 22 décrit le retour des tribus d'outre-Jourdain et l'érection d'un autel au bord du fleuve. Les tribus de Ruben, Gad, ainsi que la moitié de la tribu de Manassé sont congédiées. Ensuite, Josué adresse son discours d’adieu à Israël (Jos 23) et préside la grande assemblée de Sichem (Jos 24,1-28). Le livre se termine sur le récit de la mort de Josué et d’Éléazar, et l'enterrement des ossements de Joseph (Jos 24,29-33).

Structure de la troisième partie :

Genre littéraire : une épopée de conquête

Le livre de Josué se caractérise par une représentation embellie du passé, servant à souligner certaines valeurs morales et religieuses.

Formes utilisées

Dans le cadre général d’une épopée sacrée, le livre présente des narrations à caractère cultuel et étiologique, des listes de villes et de frontières tribales ; il offre également quelques récits qui pourraient être qualifiés de sagas, un fragment de poème ainsi que plusieurs exhortations.

Visée théologique

La visée du récit n’est pas de reconstituer pour elle-même la réalité historique des faits mais d’en dégager la signification théologique à l’intention de la communauté destinataire, en l’occurrence, celle de son peuple, Israël (cf. Jos 23,3.14 ; 24,8.12.14). Ainsi, le livre cherche également à éclairer la société juive de retour d'exil en lui présentant l’idéal d'un pays divisé entre les tribus, chacune possédant ses terres héritées, et formant ainsi le peuple de Dieu.

CONTEXTE

Histoire et géographie
Historicité de Josué ?

Le rôle historique de Josué dans l’installation est difficile à établir. On peut supposer l'existence historique d'un Josué éphraïmite qui aurait été un héros, devenu par le contact avec les traditions d'autres groupes conquérants les territoires de Palestine, la figure qui guidait Israël. Au regard de la date qui a été indiquée pour l’Exode →Bible et Archéologie V : L'Exode, en lien avec la date d’une grave crise des villes cananéennes et de leur écroulement au début de l’âge du fer, on peut dater les événements relatés dans le livre vers 1200-1100 av. J.-C. Pourtant, l’idée d’une conquête concertée ne pouvait surgir qu’après l’installation de la royauté en Israël. La figure finale de Josué qui distribue le pays est le résultat de réflexions postdeutéronomistes et sacerdotales.

Auteur/s

Selon le Talmud babylonien, la rédaction du texte est le fait de Josué lui-même, à l’exception de Jos 24,29s, qu’il estime être l’œuvre du prêtre Éléazar, fils d’Aaron, ainsi que de Jos 24,31ss, attribué à Pinhas, fils d’Éléazar (b. B.Bat. 14b-15a).

Il est néanmoins certain que le livre n'a pas été écrit par Josué lui-même mais qu'il repose sur des sources variées.

Formation et datation
Rédaction deutéronomiste

Plusieurs parties du livre étaient probablement déjà réunies avant la fin de l'époque monarchique. La rédaction deutéronomiste relit par la suite l'histoire d'Israël, avec les accents de l'épopée, à la lumière de l’expérience sombre de l’exil (6e s.). L’évocation du temps de la conquête et de l’installation en « Terre promise » rappelle au peuple, alors dans l’épreuve, la fidélité indéfectible de Dieu. Elle l'invite ainsi à garder foi en ses promesses de salut et à puiser la force d’espérer dans des traditions religieuses ancestrales. Il s'agit donc à la fois de célébrer les hauts faits du peuple, et d'en renouveler le sens pour les générations présentes et futures.

Relecture sacerdotale

Dans le livre de Josué, une relecture sacerdotale est manifeste notamment dans la mention de la Pâque (Jos 5,10) ou celle du prêtre Éléazar et de son fils Pinhas (Jos 14,1 ; 19,51 ; 21,1 ; 22,13.30.32) et le lien avec le sanctuaire de Silo.

Hypothèse sur l'histoire de la composition

La composition du livre de Josué s'étagea donc probablement de la manière suivante :

RECEPTION

Canonicité
Canon juif

La tradition juive n’a jamais douté de l’autorité du livre de Josué, le premier de la série intitulée Premiers prophètes dans la Bible hébraïque. Les listes grecques, en revanche, n’établissent aucune distinction entre la Loi et les Prophètes.

Canon chrétien

Le livre de Josué est ainsi intégré, tout comme les livres qui le précèdent et qui le suivent, à une histoire sainte qui se poursuit sans interruption jusqu’à la venue du Christ, comme en témoignent implicitement les généalogies de Mt et de Lc. Dans la lecture chrétienne de la Bible, aucun statut particulier n’est donc attribué au livre de Josué.

Importance traditionnelle
Jésus-Josué

L’Église ancienne fait une lecture typologique du livre de Josué, interprétant l’accomplissement de la promesse de Dieu dans la conquête de la Terre promise comme la figure de la promesse qui devait s’accomplir dans le Christ. Ainsi, la Lettre aux Hébreux invite la communauté des « Hébreux » à se tourner vers le Christ, le « chef de notre foi » (He 12,2), avec la même foi que celle de Rahab et de Josué (He 11,30s).

En Josué, les Pères de l'Église reconnaissent une préfiguration de Jésus. →Jésus avant Jésus : homonymes de Jésus dans l'AT

Images de la vie de l'Église

Ainsi, le passage du Jourdain est-il, à leurs yeux, le type du baptême chrétien tandis que la conquête et la répartition du territoire sont devenues l'image des victoires et de l'expansion de l'Église.

Utilisation polémique

Souligner la typologie de Josué c’est aussi tenter de marquer une rupture avec la figure de Moïse dont la Loi est désormais caduque. La typologie est ici mise au service des controverses des Pères de l’Église.