C'est le lion, roi des animaux et maître du désert, qui représente Marc dans le tétramorphe des Vivants apocalyptiques, symbole des quatre évangélistes canaux de l'unique Verbe. De fait, Marc est le seul à faire commencer explicitement son récit au désert (Mc 1,6). Depuis ce désert, on peut ensuite suivre les mouvements de Jésus en quatre parties, selon la géographie : (1) son ministère en Galilée (Mc 1,14-7,23) ; (2) ses déplacements hors de la Terre sainte (Mc 7,24-9,29) ; (3) son itinéraire de la Galilée vers Jérusalem (Mc 9,30-10,52) ; (4) la passion à Jérusalem et les témoignages de rencontres avec le Ressuscité (Mc 11,1-16,8).
Marc est le plus court des évangiles : 16 brefs chapitres, lisibles à l'oral en deux heures et demie ! Sa brièveté et son apparente simplicité en font un évangile très populaire aujourd'hui. Ce ne fut pas le cas dans les premières générations chrétiennes, où il fut beaucoup moins copié que Jean ou Matthieu : il faut même attendre le 5e s. pour trouver un premier commentaire complet qui subsiste. Ce qui séduit notre époque, plus friande de témoignages que d'enseignements, c'est le dynamisme de Marc. Dans une langue très sobre, parfois à la limite de l'âpreté, il présente peu de longs enseignements de Jésus, et se concentre sur l'action...
Et quelle action ! L'Envoyé de Dieu y est de moins en moins compris par des foules au départ enthousiastes, jusqu'à ce qu'il semble se contenter de former un petit groupe de disciples fervents malgré leurs esprits bouchés, et se résigner à finir torturé en croix, abandonné de tous, à l'exception de quelques femmes qui accompagnent son corps jusqu'au tombeau...
On aurait cependant bien tort de penser que Marc, parce qu'il est le plus court et le plus narratif, fût le plus simple... C'est un texte très maîtrisé qui se désigne d'emblée comme →« évangile » (Mc 1,1) et fait proclamer par Jésus lui-même une parole nommée l’« évangile » (Mc 1,14).
Si le lion symbolise Marc, c'est aussi parce que d'emblée, il rugit : l'évangéliste fait entendre, en ouverture de l'Évangile, sa « voix qui crie dans le désert » et qui vibre puissamment tout au long de l'œuvre.
Les premiers mots résonnent comme un véritable programme théologique pour l'ensemble de l'Évangile. En effet, Mc 1,1-3 se donne à lire comme un prologue au ciel sous forme de dialogue intradivin : la suscription « Évangile de Jésus-Christ, fils de Dieu » (Mc 1,1) suggère que la bonne nouvelle en question est celle de Jésus-Christ, car c'est d'abord à lui que s'adresse la voix mentionnée juste après (Mc 1,2). Cette voix qui combine Ml 3,1, Ex 23,20 et Is 40,1-11, semble émaner d'une origine sans origine, pour faire entendre une sorte de parole du Père à son Fils avant même que celui-ci paraisse sur la terre.
Plus simplement les premiers mots, « évangile de Jésus : messie, fils de Dieu » fonctionnent comme un titre qui donne au lecteur le programme du récit qui va suivre. Il est animé par le suspense noétique d'une intrigue de reconnaissance : le lecteur est invité à se demander comment, en quoi « Jésus » est « Christ » (c'est-à-dire : messie) et « fils de Dieu » ?
- Pour y répondre, l'évangile de Marc souligne le pouvoir de Jésus sur les démons et la nature : les miracles qu'il fait confirment son identité de →Fils de Dieu au sens transcendant et non pas seulement royal ou impérial du terme.
- L'évangile de Marc souligne aussi la réticence de Jésus à se faire connaître comme →messie. Cette réticence a des raisons historiques durant le ministère de Jésus : l'attente d'un messie politique libérateur de l'occupation romaine, et la réserve de Jésus envers l'activisme politique expliquent les appels au silence (Mc 1,25.34.44 ; 3,11s ; 5,43 ; 7,36 ; 8,26 ; 9,9). La réticence de Jésus a aussi des raisons historiques au moment de la rédaction de l'évangile par Marc : William interprète l'insistance de cet évangéliste sur le secret comme une tentative de comprendre pourquoi si peu de personnes ont embrassé la foi du vivant de Jésus.
- Ces deux lignes se croisent fréquemment en moments d'ironie intense, qui suggère qu'il y a une vérité derrière l'apparence. L'évangéliste est un maître ironiste : il présente un Jésus apparemment très humain, mais toujours avec la conscience de la victoire du Christ, qui nécessite chez le lecteur une certaine distance. Le « secret messianique » est le procédé majeur de cette ironie : paradoxalement, Jésus commande à plusieurs reprises aux témoins de ses miracles, ceux-là même qui pourraient témoigner de sa puissance et de son identité profonde, de garder le secret.
C'est que le Jésus de Marc est un →messie souffrant, qui finit crucifié. Le contraste entre la dignité éminente de Jésus et sa condition méprisée et souffrante est comme la clef du second évangile. Même la résurrection, contenu essentiel de la bonne nouvelle en quoi consiste l'évangile, est enveloppée de silence : Marc semble presque s'amuser à souligner combien le mot « ressusciter » ou l'expression « ressusciter des morts » (Mc 9,8) sont objets de l'incompréhension des disciples. Le sens de ces mots semble suspendu jusqu'à la toute fin du récit, qui se terminait peut-être, à l'origine, sur la mention de la peur des femmes venues visiter le tombeau de Jésus et sur leur... silence (Mc 16,8). C'est ce qu'on appelle « le finale court de Marc »), qui suggère un moment précoce dans la circulation du récit évangélique, quand l'évangile était moins lu que récité de mémoire, devant des assistances qui pouvaient réagir sur le champ, en l'occurrence éclater de rire devant le témoin-prédicateur qui leur assurait qu'elles n'avaient rien dit à personne... de toute l'histoire qu'il venait de raconter ! C'est par la suite, quand il fut diffusé plus largement par écrit au risque de devenir lettre morte sur papyrus inerte, que l'évangile aurait dû être supplémenté par la compilation des →témoignages de rencontres avec le Ressuscité qui termine le chapitre 16.
Quoi qu'il en soit de cette hypothèse, son constant appel aux réactions de son auditoire, avec la domination de l'écrit par l'oral et de la transmission par la célébration qu'il suppose, fait de l'évangile de Marc un texte presque liturgique, dont le titre (Mc 1,1) peut encore se lire comme une espèce de « rubrique ». Un exégète contemporain propose même que Marc ait été, au départ, la haggadah (livret rituel) de la Pâque telle que la célébraient les juifs devenus disciples de Jésus ? (cf. Benoît , Évangile selon Marc : commentaire, « Études bibliques,ns 61 », Pendé : Gabalda, 2010).
Par sa sobriété à la limite de l'énigme, l'évangile selon Marc est une véritable « machine à fabriquer de l'obscurité », comme l'a proposé le philosophe Paul Mt 13,38.51!), Marc en fait des esprits bouchés qui comprennent de moins en moins (Mc 8,14-21) jusqu'à ce que le ressuscité lui-même se manifeste au-delà de toute incompréhension ou peur. En lisant Marc, nous sommes invités à traverser l'obscurité pour déceler la lumière, à embrasser l'incompréhension pour recevoir l'intelligence.
. Là où le scribe Matthieu peint un portrait des disciples en enseignants qui savent et qui comprennent, à la limite de la prétention ridicule (cf.TEXTE
Critique textuelle
Manuscrits
La différence la plus notable entre les manuscrits est concentrée à la fin de l’évangile, où deux finale sont possibles.
- Le Sinaïticus, le Vaticanus, le manuscrit syriaque du Sinaï et la version sahidique se terminent en Mc 16,8 par les mots « car elles avaient peur ».
- Le manuscrit Bobiensis (4e ou 5e s.) et quatre manuscrits onciaux (Ψ (044), L (019), ד (0112) ,ק (099) présentent une version courte de la finale dite « canonique » (Mc 16,9-20) présente dans les autres manuscrits onciaux, les vieilles versions latines, les cursifs grecs et les manuscrits de la Vulgate.
Sources secondaires
- Cette finale canonique est peu connue des Pères de l’Église. Selon (†339), Lettre à Marinus, et, à sa suite, (†420), Lettre à Hédibia, elle ne figurait pas dans les meilleurs manuscrits.
- Mais (†165, Première apologie 45,5), (†173) Diatessaron, (†202, Contre les hérésies 3,10,6) la citent. Le (5e s.) la défend. Elle se trouve, entre autres, chez (†398), (†403), (†407), les Constitutions apostoliques (fin 4e siècle), (†397), (†430).
Proposition d’une structure du livre
Géographique
On peut suivre une partition du livre en quatre parties, selon la géographie :
- ministère en Galilée (Mc 1,14-7,23) ;
- voyages à l'étranger (Mc 7,24-9,29) ;
- itinéraire de la Galilée vers Jérusalem (Mc 9,30-10,52) ;
- catastrophe à Jérusalem (Mc 11,1-16,8).
Structure narrative
L'évangile de Marc s'ouvre sur trois versets d'une extraordinaire complexité (Mc 1,1-3), où semblent s'entendre trois voix imbriquées, celle d'un Je (divin, comme dans Ml 3,1 ici cité ?) à un tu (divin ?) évoquant un il (messager du premier) auquel il semble donner la parole, non sans la thématiser comme « voix de celui qui crie... ». Après ce qui semble une sorte de prologue au ciel, le Baptême de Jésus constitue son investiture royale. Cet épisode (Mc 1,2-20) introduit les deux thèmes qui parcourent l'ensemble de l'évangile : comme serviteur de Dieu, Jésus enseigne les foules, comme roi, il exorcise les esprits impurs.
L'évangile de Marc est structuré en deux parties :
Première partie : enseignement et exorcismes
Comme une forme de prologue, cette première partie se structure assez facilement en chiasme :
A/ Témoignage du Baptiste et Baptême du Christ (Mc 1,2-20), enseignement et exorcismes (Mc 1,21-39)
B/ Controverse avec les pharisiens (Mc 2,1-3,6)
C/ Appel des Douze (Mc 3,13-19)
D/ Incrédulité des proches de Jésus (Mc 3,20-35)
E/ Enseignement et exorcismes (Mc 4,1-5,43)
D'/ Incrédulité des proches de Jésus (Mc 6,1-6)
C'/ Envoi en mission des Douze (Mc 6,7-13.30)
B'/ Hostilité des pharisiens — Appel des païens au Salut (Mc 7-8
A'/ Profession de foi de Pierre (Mc 8,27-30) et Transfiguration (Mc 9,2-10).
Seconde partie : mort et royauté de Jésus
Cette partie développe deux thèmes connexes : le paradoxe du passage de Jésus par la mort avant de régner et les conditions nécessaires pour entrer dans le Royaume.
On peut la subdiviser comme suit :
- Enseignement des disciples (Mc 9,30-49) : commandements éthiques.
- Enseignement des foules (Mc 10,1-31) : sur le divorce, le renoncement aux richesses.
- Voyage de Jésus vers Jérusalem (Mc 10,32-11,10)
- Controverses qui nouent le drame de la Passion (Mc 11,15-12,38) : avec les grands prêtres, les pharisiens, les sadducéens.
- Annonces de la Passion et de son sens (Mc 13,1-27).
- Passion et Résurrection (Mc 13-16).
CONTEXTE
Datation
Selon Irénée de Lyon, Marc a écrit son évangile après la mort de Pierre et Paul. La date de rédaction la plus probable se situe donc entre 64 et 69. Qui plus est, alors que Matthieu et Luc ont vraisemblablement connu les événements de la guerre juive de 66-70, il n'y a chez Marc aucun indice clair d'une telle connaissance (voir Mt 22,7 ; Lc 21,20 vs Mc 13,14).
La recherche actuelle s'entend généralement pour reconnaître Marc comme l'évangile le plus ancien, Matthieu et Luc s'en étant en partie inspirés.
Auteur
Rien dans le texte n'indique de façon certaine l'identité de son auteur. Une tradition des années 100-150 (l'évêque Papias, cité par →3,39,15-16) le rattache au disciple Marc, qui était en relation avec Pierre ( Hist. eccl.Ac 12,12 ; 1P 5,13), puis aux côtés de Paul (Ac 12,25 ; 13,13 ; Col 4,10 ; 2Tm 4,11).
L'évangile de Marc n'indique pas à quels lecteurs il s'adresse. Il ne semble pas avoir été écrit pour répondre aux problèmes d'une communauté spécifique, mais plutôt à l'intention d'un large public qu'il s'agit d'ouvrir à une foi nouvelle. Marc destine vraisemblablement son livre à des pagano-chrétiens, ce qui explique notamment la manière dont il décrit en détail les coutumes juives (Mc 2,3-4 ; 14,12 ; 15,42), précise les indications géographiques (Mc 1,9 ; 11,1), traduit pour des lecteurs de langue grecque les quelques mots araméens mis dans la bouche de Jésus (Mc 3,17.22) et souligne souvent que la bonne nouvelle concerne aussi les païens (Mc 7,27-29 ; 11,17 ; 13,10). La plupart des spécialistes situent les premiers destinataires de l'évangile de Marc à Rome — des traditions primitives, telles que Papias, faisant de Marc l'assistant de Pierre à Rome — d'autres à Antioche de Syrie.
RECEPTION
Importance traditionnelle
Exégèse
Même si les commentateurs ont été intrigués par l’épisode du jeune homme qui s’enfuit tout nu au moment de l’arrestation de Jésus (Mc 14,51s), l’évangile de Marc a été relégué au second rang dans les premiers temps de l’Église. considérait que Marc avait « abrégé » Matthieu.
- (5e s.) est l'auteur du premier commentaire patristique de Marc conservé.
- en compose un au 7e s.
- (†735), Expositio in evangelium Marci.
- (†ca. 1126) en a composé un, assez considérable,Enarratio in evangelium Marci.
Mais, encore au 12e s.,
(†1120) observe que Marc ne demande guère un commentaire séparé, car il est très proche du premier évangile, qui, lui, est plus complet.Suivent, entre autres, les commentaires de
- (†1540), (†1547), (†1596),
- (†1626), (†1650), (†1660), (†1686),
- (†1718).
Le siècle des Lumières favorise un renouveau d’intérêt pour cet évangile, cherchant, en particulier, à mieux comprendre le Jésus historique. Les premières synopses critiques, plaçant son texte en vis à vis de celui des autres évangiles, ont également contribué à le remettre à l’honneur.
Liturgie
Dès le début du 2e s., à Rome et Alexandrie, les liturgies de la vigile pascale comportent le récit du tombeau vide, que reprennent souvent les spectacles du Moyen Âge sur la résurrection.
Réception culturelle
- Au 7e s. un manuscrit illustré (les évangiles Lindisfarne) représente l’évangéliste Marc sous le symbole d’un lion (Ap 4,7) tandis qu’un évangéliaire, le livre de Durrow, l’associe à un aigle (et Jean à un lion). Dans l’art médiéval et à la Renaissance, il est représenté par un lion.
- Le cinéma du 20e s. s’est davantage intéressé à la figure de Jésus chez Matthieu et Jean. Mais la récitation intégrale de l’évangile de Marc, notamment par dans les années 1990, a contribué à le faire connaître à un public contemporain.