Le titre scripturaire de « fils de Dieu »* ne désigne pas d'abord ni nécessairement une filiation de nature, mais métaphoriquement une filiation adoptive résultant d'un choix de Dieu, qui établit avec une créature des relations de protection ou d'intimité particulières. La révélation de Jésus de Nazareth vient finalement le garnir d'un nouveau sens propre, absolument inédit.
Dans la culture du Proche-Orient ancien : un titre royal et sacerdotal
« Fils de Dieu » est un titre donné aux hommes exerçant le pouvoir suprême (p. ex. Pharaon, souverain politique et religieux ; cf. →Royauté dans l'AT : idéal et applications). Ce n'est pas un signe de divinité, mais un titre de souveraineté. Que le monarque soit « fils de Dieu », garant terrestre de l’ordre de la création comprise selon la tradition cosmogonique locale, prêtre par excellence dont les actions dans le Temple à côté du palais garantissaient la prospérité du pays, constitue un cœur de croyances présent dans beaucoup de cités-États proche-orientales antiques. On retrouve cela jusque dans l’idéologie impériale romaine.
En Israël, après l’exil, la souveraineté est exercée par un monarque étranger, perse d’abord, puis égyptien, puis syrien, enfin romain ; et à Jérusalem, le pouvoir est partagé entre un grand prêtre héréditaire et un gouverneur nommé. Le titre « fils de Dieu » semble alors réservé à la fonction sacerdotale.
Dans l’AT
Des anges
- Des anges portent le titre « fils de Dieu » en Jb 1,6 ; Ps 29,1 ; 89,7.
- Les mêmes anges sont peut-être aussi les « saints » de Jb 5,1 ; 15,15 ; Ps 89,6.8 ; Si 42,17 ; Dn 4,14 ; Za 14,5.
Et des hommes
« Fils de Dieu » peut désigner :
au pluriel
- le peuple d’Israël fidèle à sa vocation d’humble obéissance à Dieu (Dt 14,1 ; 32,5.19 ; Is 1,2 ; 43,6 ; 45,11 ; Jr 3,19 ; Os 2,1). Dans presque tout le livre de Sg, le titre est attribué aux Israélites du passé, membres d'un peuple saint (Sg 9,7 ; 12,19.21 ; 16,10.26 ; 18,4.13) ;
- les chefs du peuple (Ps 82,6) ;
- les saints : plusieurs textes identifient les « fils de Dieu » avec les élus qui partagent l'intimité de Dieu et sont susceptibles également d'être appelés « saints » (Ps 16,3 ; 34,10 ; Is 4,3 ; Dn 7,18.21-22 ; 8,24).
au singulier
- une collectivité : Israël (Ex 4,22-23 ; Dt 31,9.20 ; Os 11,1) ;
- le juste : en Si 4,10, l’expression « fils du Très-Haut » désigne le juste, comme peut-être déjà en Ps 73,15 ; en Sg 2,18, elle s’applique au juste souffrant (Sg 2,12-20) et constitue un titre messianique ;
- le messie : le messie royal davidique oint, intronisé, glorieux et victorieux de ses ennemis (2S 7,14 ; 1Ch 17,13 ; Ps 2,7 ; 89,27 ; →Messianisme à l’époque du NT ; →Jésus messie) ;
- mais, s'il arrive à un Israélite d'invoquer Dieu comme père (Si 23,1.4 ; 51,10 ; cf. Ps 89,27), aucun ne se désigne de lui-même comme « son fils ».
Dans le NT, spécialement dans Mt
Le diable au désert (Mt 4,3.6) et les railleurs au pied de la croix (Mt 27,40.43) opposent la gloire royale et l’humble service dans la souffrance, mais Jésus accomplit les deux.
Avant la résurrection, accomplissement de la titulature ancienne : « fils de Dieu » en tant que messie davidique prophétisé
Dans Mt, le titre de « fils de Dieu » est souvent lié aux pouvoirs surnaturels de Jésus. Cependant :
- Ni Satan (Mt 4,3.6), ni les démons (Mt 8,29), ni les démoniaques (Mc 3,11 ; 5,7 ; Lc 4,41), ni les disciples pendant la tempête (Mt 14,33), ni les moqueurs au pied de la croix (Mt 27,40.43), ni le centurion et ses hommes (Mt 27,54 ; Mc 15,39) ne pensent nécessairement que Jésus soit de nature divine lorsqu’ils l’appellent ainsi.
- Les paroles célestes du baptême (Mt 3,17) et de la transfiguration (Mt 17,5) n’impliquent pas forcément plus que la faveur spéciale accordée par Dieu au messie-serviteur.
- En Mt 26,63, la question du grand prêtre ne dépasse pas forcément la signification politique (messianique) du titre ; peut-être revêt-elle aussi une connotation sacerdotale.
Mais l’expression « fils de Dieu » restait ouverte à la signification plus haute d’une filiation proprement divine. Jésus peut l’avoir suggérée à propos de sa prière ou de sa parole,
- entretenant avec lui des relations de connaissance et d’amour (cf. l’usage de l’expression absolue « le Fils » en Mt 11,27 ; Mc 13,32 ; Jn 3,35 ; 5,19-27 ; 1Co 15,28).
Ces déclarations, relayées par des suggestions sur le rang divin du messie (Mt 22,42-45) et l’origine céleste du →fils de l’homme, orientent l’expression « fils de Dieu » vers un sens eschatologique (cf. →Autorité de Jésus durant son ministère).
Après la résurrection, un contenu radicalement nouveau : Fils de Dieu par nature ?
La paradoxale expérience de Pâque, où le titre de gloire est conféré au cœur de la souffrance (Rm 5,10 ; 8,32 ; Ga 2,20), apporte au titre de « fils de Dieu » des connotations inouïes. La confession de la résurrection a des répercussions immédiates sur la compréhension de la « filiation » de celui qui est ressuscité. Paul lie le titre à la résurrection par Dieu de « son Fils, issu de la lignée de David selon la chair, manifesté Fils de Dieu avec puissance selon l’Esprit de sainteté, par une résurrection d'entre les morts, Jésus Christ notre Seigneur » (Rm 1,3-4 ; cf. 1Th 1,10 ; 2Tm 2,8). Jésus n’est plus seulement « fils » sous l’angle de l’accomplissement messianique ; le voilà « Fils » en tant que Seigneur, porteur du nom même de Seigneur :
- son retour à la vie est narré symboliquement comme une nouvelle naissance (Procédés littéraires Mt 27,51c) ;
- en amont, sa résurrection manifeste une nouvelle conception : on découvre dans les Écritures des prophéties de cette mystérieuse naissance, en particulier Ac 13,32-33 « La promesse faite aux pères, Dieu l’a accomplie pour nous, leurs enfants, en ressuscitant Jésus, comme c'est écrit dans le deuxième psaume : "Tu es mon fils, moi, aujourd’hui je t’ai engendré" (Ps 2,7). »
Rétrospectivement, les évangélistes font remonter cette filiation : à la transfiguration de Jésus (Mt 17,5 ; Mc 9,7 ; Lc 9,35) ; à son baptême (Mt 3,17 ; Mc 1,11 ; Lc 3,22) ; à sa conception (Lc 1,32.35) et même à sa préexistence (qui n'était certes pas absente de l'esprit de certains interlocuteurs de Jésus, dès le temps de son ministère, pour peu qu'ils aient été conscients des spéculations sur les →protoctistes, entités originaires de la création ?) :
- He 1 lie cette préexistence au thème de la filiation divine : le fils de Dieu n’est plus seulement un roi, un prophète et un juste, mais l’expression de la réalité même de la divinité.
- Jn affirme la préexistence personnelle comme Verbe, non plus comme une spéculation mais comme une affirmation centrale dans tout l’Évangile ; le Fils unique engendré du Père (Jn 1,14.18 ; 3,18) a été envoyé par Lui (Jn 3,16 ; 1Jn 4,9 ; cf. Rm 8,3 ; Ga 4,4). Jn 3,13 inverse le mouvement de figures comme celles de Moïse, Élie et Énoch : « Nul n’est monté au ciel sinon celui qui est descendu du ciel. »
→Jésus Fils de Dieu : du symbolisme juif au dogme chrétien
Conclusions
Du Fils de Dieu aux fils de Dieu
La résurrection renforce aussi le sens eschatologique de la filiation divine :
- Elle inaugure le règne glorieux du Christ en orientant le désir de ses disciples vers son retour ou parousie : « Vous vous êtes tournés des idoles vers Dieu […] pour attendre des cieux son Fils, qu’il a ressuscité d'entre les morts, Jésus, qui nous arrache à la colère qui vient » (1Th 1,9-10).
- Tous les hommes sont (Lc 3,38 ; Ac 17,28) ou peuvent devenir (Mt 5,9.45 ; Lc 6,35 ; 20,36 ; Jn 1,12 ; Ap 21,7 ; Ga 3,26) « fils de Dieu » (chez Jn, cette généalogie remplace même la généalogie « naturelle » des hommes : Philosophie Jn 1,12ss).
- Cela se fait par la proximité avec Jésus Christ (Rm 8,3-4 ; Ga 4,4-6), par adoption filiale commencée discrètement (Rm 8,15.19 ; Ep 1,5) en vue d’un futur glorieux (Rm 8,23).
De la résurrection à l’incarnation
Ainsi, c'est la résurrection qui révèle le contenu le plus profond de l’expression « fils de Dieu » : elle désigne le Fils éternel du Père. Elle permet l’éclosion d’une théologie de l’incarnation (→Christologie orthodoxe) : de l’envoi du Fils-Verbe (venu d’auprès du Père en notre chair) à sa mort et sa résurrection, par laquelle il restaure radicalement son œuvre et confère aux hommes l’adoption filiale.
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* On écrira
- « Fils de Dieu » (avec une majuscule) lorsque la locution désigne la filiation divine par nature ;
- « fils de Dieu» (avec une minuscule) dans tous les autres cas.