La Bible en ses Traditions

Judith

« Elle frappa deux fois sur la nuque, et lui trancha la tête » (Jdt 13,10)... La scène, très visuelle, où Judith décapite le général assyrien dans sa tente, a inspiré de nombreux peintres (en particulier une toile célèbre de Gentileschi).

Elle est relatée dans le livre qui a pris le nom de son héroïne, Judith. C'est un livre deutérocanonique, c'est-à-dire qu'il figure dans la Bible grecque (→Septante) mais non dans la Bible hébraïque, ce qui peut surprendre car il raconte l'histoire de la délivrance du peuple juif par Dieu : Judith (= « la Juive » en hébreu) montre que Dieu sauve toujours son peuple de la main des oppresseurs. 

L'histoire se déroule en Judée, au temps du roi Nabuchodonosor II de Babylone. Nabuchodonosor, en guerre contre les Mèdes, envoie son général Holopherne pour soumettre les peuples de l'ouest. Holopherne défait les Ammonites, les Moabites et les Édomites, et se dirige vers la Judée (Jdt 1,1-3,10). Il fait le siège de Béthulie (Jdt 4,1-7,32). Judith, une femme pieuse et courageuse, décide alors de sauver son peuple (Jdt 8,1-10,10). Elle se rend au camp assyrien, se fait passer pour une transfuge, et séduit Holopherne. Profitant de son ivresse, elle lui coupe la tête (Jdt 10,11-13,20). La mort d'Holopherne provoque la panique dans l'armée assyrienne. Les Assyriens se retirent de Judée, et la ville de Béthulie est sauvée (Jdt 14,1-16,25).

Le livre met en évidence la victoire du peuple de Dieu grâce à la prière et la détermination de Judith. L'héroïsme de Judith, en tant que femme forte et déterminée, défie les attentes culturelles de son époque : ce n'est pas la stratégie militaire ni la force qui l'emportent mais la main de Dieu et le courage de Judith. Dans la mémoire chrétienne, elle rejoint la cohorte des « femmes de valeur »  comme Rahab, Esther et autre Noémie, dont l'héroïsme sauveur préfigure la foi totale de la Vierge Marie en son Fils... 

TEXTE

Critique textuelle

 Le livre nous est actuellement connu par plusieurs versions :

Hébreu

Plusieurs textes hébreux ayant circulé au Moyen Âge sont étroitement parallèles entre eux, ainsi qu'avec la Vulgate. La recherche actuelle postule qu'il n'y avait pas d'original sémitique au livre de Judith et que le texte a été élaboré directement en grec, dans le contexte de la crise maccabéenne. Les principaux arguments qui soutiennent cette position sont de types linguistique, narratologique, géographique (cf. infra) et culturel (cf. infra).

Grec

Il existe trois formes divergentes du texte grec.

Latin

Les versions latines (Vetus latina), dérivées du texte grec, sont plus longues que la Vulgate et divergent les unes des autres. La Vulgate donne un texte bien différent : pour ce livre, Jérôme a probablement repris une traduction latine en l'arrangeant à l'aide d'une paraphrase araméenne. On y trouve un ajout faisant allusion à une fête commémorative de la victoire de Judith (Vulg Jdt 16,31).

Autres

Existent enfin des traductions en éthiopien, arménien et copte.

Proposition d’une structure du livre

Deux parties sensiblement égales peuvent être distinguées :

La préparation du drame (Jdt 1-7) :

Outre la conquête militaire, Holopherne est chargé d'établir le culte de Nabuchodonosor et de remplacer toute religion existante. C'est donc la destruction programmée du temple d'Israël (Jdt 3,8 ; 6,1-4). Un conflit religieux se noue alors, dans lequel Dieu se tient au côté du peuple Juif, ce qu'explique bien le discours d'Achior (Jdt 5,5-21). A cette assurance de l'invincibilité de la fidèle Israël, Holopherne répond par sa confiance dans le roi et dans la faiblesse d'Israël. Le siège de Béthulie se révèle comme l'épreuve de la foi en Dieu (Jdt 7).

Le drame et la victoire des juifs (Jdt 8-16)
Genres littéraires

Les incohérences historiques sont au service de la mise en relief du conflit religieux.

Un récit apparenté aux apocalypses.

Holopherne, général de Nabuchodonosor, symbolise les puissances du mal, et Judith (en traduction "la juive") le parti de Dieu et du peuple juif. Malgré les menaces d'anéantissement, c'est ce dernier camp qui remporte la victoire. Ce livre est proche de ceux de Daniel, Ézéchiel et Joël, par la situation dans la plaine d'Esdrelon, près de la plaine d'Harmagedôn, lieu de la bataille eschatologique (Ap 16,16).

Sens religieux universel

La victoire de Judith est celle de la fidélité et de la piété, du respect des règles de pureté. Le texte polémique aussi avec les rumeurs qui font des juifs un peuple à l'origine servile, et les dément. Ce texte est l'un des rares à mettre en scène un processus de conversion au judaïsme.

Le livre ouvre une perspective universaliste, puisque Jérusalem est sauvée par la victoire de Béthulie, en Samarie, que le judaïsme strict considère comme impie, c'est un Ammonite qui donne son sens au conflit, et finit par se convertir.

CONTEXTE

Histoire et géographie

Le livre de Judith contient de nombreuses approximations historiques et géographiques.

Le récit daté du règne de « Nabuchodonosor, roi des Assyriens, qui régnait à Ninive » (Jdt 1,5) ; or Nabuchodonosor règne à Babylone et Ninive a été ruinée par son père Nabopolassar. Le livre sous-entend que les exilés sont déjà rentrés (Jdt 4,3 ; 5,19). Si Holopherne et Bagoas sont des noms perses, des coutumes grecques sont aussi mentionnées (Jdt 3,7s ; 15,13).

Le chemin emprunté par l'armée d'Holopherne (Jdt 2,21-28) est très étonnant. La plupart des noms de Samarie sont inconnus ou étranges, et Béthulie elle-même est introuvable. 

Auteur/s et datation

Il est très difficile de dater précisément le livre et de lui attribuer un auteur. Les allusions aux coutumes grecques (par exemple, la manière de célébrer la victoire à Béthulie, qui suit un modèle hellénistique et non pas biblique) et les points de contact avec la théologie du Siracide (vers 200 av. J.-C.) nous invitent à dater le livre du milieu du 2e s. av. J.-C. Ces éléments nous conduisent d'autre part à le situer en Palestine, dans le contexte de la révolte des Maccabées qui engendre un regain d'ardeur nationale et religieuse contre Antiochus Epiphane. A partir d’un récit plus ancien, la visée illocutoire du texte serait de galvaniser le courage du peuple menacé et sa foi en l’aide indéfectible de Dieu.

RECEPTION

Canonicité
Canon juif

Les Juifs ne parlent pas beaucoup du livre de Judith.

Canon chrétien

Le livre est cité par :

Les grands manuscrits grecs du 4e s. ap. J.-C. l'incluent tous. A travers eux s'affirme la tradition de l'Église orientale de langue grecque.

Cependant des doutes prennent naissance dans les Églises de Palestine et d'Asie Mineure, ce qu'atteste le silence du Canon de Méliton de Sardes (†ca. 180). Origène s'en fait l'écho puis Cyrille de Jérusalem (†386), Grégoire de Nazianze (†390), Amphiloque d’Iconium (4ème s. ap. J.-C.) et Épiphane de Salamine (†403). En Occident Hilaire de Poitiers (†367), Rufin d’Aquilée (†410) et Jérôme ne croient pas à la canonicité du livre de Judith (mais il le traduit et le cite alors qu'il n'est pas canonique pour les juifs). Encore faut-il préciser que Jérôme, comme Origène, se montre indécis.

Ces doutes cessent en Occident avec les conciles d'Hippone (393) et de Carthage (397), le décret de Gélase (qui reprend une décision du concile romain de 382), la lettre d'Innocent Ier à Exupère (405), et en Orient avec le Concile « In trullo » de 692. Cette foi est réitérée dans les décrets des conciles catholiques généraux avec la liste adressée aux Jacobites par le Concile de Florence (1441) et enfin la définition du Concile de Trente (1546).

Importance traditionnelle
Postérité juive

Le livre de Judith est d'une grande importance pour la reconstitution de l'élaboration des lois alimentaires dans le judaïsme antique : les aliments que Judith emporte sont ceux que, selon la Mishna, les juifs ne peuvent consommer s'ils ont été produits ou préparés par des non-juifs.

Exégèse chrétienne

De nombreux Pères ont fait l’éloge de Judith :

Néanmoins ils n’ont pas commenté le livre de Judith. Les premiers commentateurs sont :

Plus tard, entre autres, se trouvent les commentaires particuliers de .

Commentaires généraux de la Bible de Guillaume Estius (†1613), Cornelius a Lapide (†1637), Giovanni Stefano Menochio (†1655) Augustin Calmet (†1757).

Réception culturelle

Judith, par sa beauté et sa force de caractère, a été au long des siècles une source d’inspiration pour tous les arts.