La Bible en ses Traditions

Daniel

La persécution religieuse, la destruction des valeurs de sa propre culture menacées par une culture étrangère, le malheur d'avoir perdu parents, enfants ou frères et sœurs morts pour avoir défendu leur foi et les droits des pauvres, la condition de réfugié en pays étranger... sur tous ces maux qu'on croyait lointains et que l'actualité géopolitique a rendus présents jusque dans les pays « développés », le livre de Daniel peut projeter une certaine lumière. 

Il a été écrit, en effet, en un temps de persécution et d'oppression religieuse qui menaçait le peuple d'Israël. Pouvant être daté des années 167-164 av. J.-C., ce texte centré sur un héros à la fois sage et visionnaire, et qui emprunte bien des traits aux récits de cour, veut soutenir les Juifs persécutés par Antiochus Epiphane. Pour ce faire, il développe un sens prophétique de l'histoire : l'espérance des derniers temps est au cœur du livre de Daniel (Dn 2,44 ; 3,33 ; 4,31 ; 7,14). La prophétie s'exerce sur des événements passés, présents et futurs car Dieu « alterne périodes et temps » (Dn 2,21) et embrasse tout dans son dessein unique (voir la note de synthèse BEST→ sur →Éons, âges, mondes, univers ou siècles dans l’eschatologie juive). C'est là que réside le véritable sens de l'histoire : des épreuves analogues à celles des Juifs sous la persécution d'Antiochus sont infligées à Daniel et à ses compagnons, que ce soit à propos de la Loi (Dn 1) ou du culte au Dieu unique (Dn 3 et Dn 6). Leur triomphe pousse leurs ennemis à glorifier Dieu. Après le temps de la colère divine (Dn 8,19 ; 11,36), le temps de la Fin (Dn 8,17 ; 11,40) anéantira le persécuteur (Dn 8,25 ; 11,45), ce qui manifestera le début du Règne du « →Fils d’homme» et des saints, qui n'aura pas de fin (Dn 7).

Rangé parmi les Écrits, non les Prophètes, par la tradition rabbinique, classé comme le dernier des Prophètes dans la Septante cependant, le livre est composite, un centre en araméen au cœur de compositions en hébreu. La version grecque y ajoute plusieurs passages que l'Église catholique a intégrés au canon, non sans les hésitations de saint Jérôme (dans la Vulgate, ces parties propres au grec sont signalées par les obèles en début de versets). 

Son importance théologique est capitale. D'une part c'est, avec les livres de Tobie et d'Ezéchiel, un fondement de la doctrine sur les anges (voir la note de synthèse BEST→ sur →Les anges dans les Écritures et la Tradition). Le secret de Dieu (Dn 2,18, etc. ; Dn 4,6) se révèle grâce aux messagers, aux anges, serviteurs de Dieu, comme le Royaume éternel. D'autre part, on y trouve aussi quelques versets essentiels à propos de la résurrection des morts, suivie du jugement pour l'éternité (Dn 12,2 ; voir la note de synthèse BEST→ sur les →Croyances juives sur la vie dans l’au-delà au tournant de l’ère chrétienne). Le royaume à venir englobe tous les individus et toutes les nations (Dn 7,14), royaume des Saints (Dn 7,18), de Dieu (Dn 3,33 ; Dn 4,31), du Fils d'homme (Dn 7,13s). Enfin, si cette dernière figure semble perçue comme celle d'un chef, mais non comme le Messie de la race de David dans le livre de Daniel lui-même, cela n'empêche pas les évangélistes d'y faire allusion en rappelant la manière énigmatique dont Jésus se désigna comme →Fils de l’homme.

TEXTE

Critique textuelle
Texte massorétique

Le texte massorétique est écrit en deux langues, l’hébreu (Dn 1,1-2,4a ; Dn 8-12) et l’araméen (Dn 2,4b–7). L’araméen est la langue de communication au Proche Orient, spécialement en Mésopotamie, à la fin de l’époque babylonienne, à l’époque perse et au début de la période hellénistique avant d’être remplacée par le grec.

Grec

La traduction grecque de la Septante comporte nombre de divergences avec celle de Théodotion, qui reste très fidèle au texte massorétique (voir la note de synthèse BEST→ sur les →RECENSIONS (histoire du texte biblique). La tradition chrétienne préfère de loin la version de Théodotion à celle des Septante devenue plus rare. Ces versions grecques offrent certaines variantes courtes du texte massorétique, ainsi qu’un considérable matériau additionnel (cantiques de Dn 3 et la totalité de Dn 13-14).

Proposition d’une structure du livre

Concernant le fond, on peut noter deux grandes parties dans le livre de Daniel.

Des récits (1-6) :

A chaque fois, le récit met en évidence le triomphe de Daniel et de ses compagnons dans une épreuve touchant leur vie ou leur réputation, triomphe qui entraîne la glorification de Dieu par les païens eux-mêmes. Le récit se déroule à Babylone, sous Nabuchodonosor, Balthazar et Darius.

Des visions de Daniel (7-12):

La narration est placée aussi en Babylonie, sous Balthazar, Darius le Mède et Cyrus roi de Perse.

Additions dans G

Les versions grecque et latine donnent trois ajouts deutérocanoniques :

Genres littéraires

Dans le livre de Daniel, un changement se dévoile. Il ne s'agit plus en effet d'un prophète auprès des Juifs de son temps. Les récits de la première partie sont plus proches des histoires de Joseph dans la Genèse ou de Tobie dans le livre éponyme.

Dans la seconde partie, les visions énigmatiques sont un premier aperçu de la littérature →Apocalyptique (littérature —) (déjà présente chez Ezéchiel).

CONTEXTE

Milieux de vie

Le héros de ce livre est appelé « Daniel » ou « Dan'el ». Il est présenté comme juste et sage par Ezéchiel (Ez 14,14-20 ; 28,3) et connu des poèmes de Râs Shamra au 14e s. av. J.-C. La cour chaldéenne de Babylonie est décrite avec un vocabulaire d'origine perse, mais il y a aussi des transcriptions du grec.

Histoire et géographie

Dans les récits, on constate certaines inexactitudes : Balthazar, présenté dans le livre comme fils de Nabuchodonosor, est en réalité fils de Nabonide et n'a pas été roi. Les historiens ignorent un Darius le Mède (on s'attendrait à Darius le Perse) et la chronologie pose problème : les dates ne sont pas cohérentes entre elles ni avec les connaissances historiques.

Auteur

Le nom de Daniel est un pseudonyme.

Datation

On date généralement la composition du livre grâce au Dn 11, où sont décrites les guerres des Séleucides et des Lagides, ainsi que le règne d'Antiochus Épiphane. En dépit du style prophétique, il ne s'agit pas ici du récit d'événements passés (vaticinium ex eventu). Vers la fin de Dn 11 les événements annoncés dans la vision ne correspondent plus aux événements historiques. Ce point suggère des années 167-164 av. J.-C. pour la composition. Cette datation est confirmée par l'absence de mention de Daniel dans d'autres livres : Siracide, qui écrit entre 200 et 175 av. J.-C., ne le cite pas dans l’éloge des prophètes d’Israël de Si 48-49). Au contraire →Premier livre des Maccabées, écrit vers 100 av. J.-C., et le 3e livre des Oracles sibyllins, vers 140 av. J.-C., y font référence.

Formation

Certains estiment, étant donnée l'existence des deux ensembles récits et visions, que le livre de Daniel est une compilation de deux écrits. Mais plusieurs éléments tendent à prouver l'inverse.

Deux langues 

Le chapitre 7 par exemple poursuit les récits à la troisième personne, dans une brève introduction, avant la vision à proprement parler - à la première  personne - et la conclut à la troisième personne. Le livre alterne entre hébreu et araméen (Dn 2,4-7) sans explication valable. Ni la division stylistique ni la division linguistique ne recoupent la distinction du contenu.

Des liens nombreux entre les chapitres

Dn 7 fait un lien probant entre les deux parties. Dn 8 en effet le commente et Dn 2 lui est parallèle. Si la langue est la même entre les chapitres 2-4 et 7, c'est le style qui est commun au Dn 7 et aux Dn 8-12. On retrouve les mêmes personnages, Darius le Mède et Balthazar, dans les deux parties, mais aussi les mêmes usages littéraires, la même manière de penser, ce qui assure l'unité réelle du livre. L'auteur s'est appuyé sur plusieurs traditions des Juifs de la Diaspora orientale.

RECEPTION

Canonicité

Le caractère récent du livre explique sa place dans la Bible hébraïque, où il fut accepté après que le canon des Prophètes fut établi. Néanmoins, dès la fin du 2e s. av. J.-C. une autorité est reconnue au livre de Daniel puisque 1M cite « l’abomination de la désolation » (1M 1,54 = Dn 9,27) et donne en exemple le courage des trois jeunes gens dans la fournaise (1M 2,59s = 3 Macc. 6,6s).

Importance traditionnelle
Intertextualité

Daniel est l'accomplissement de la littérature apocalyptique dans l'Ancien Testament, et l'Apocalypse de Jean dans le Nouveau Testament lui fait pendant et l'accomplit. Les sceaux du livre en effet (Dn 12,4) ont été brisés (Ap 5-6), et les paroles sont révélées au grand jour puisque « le temps est proche » (Ap 22,10), où le Seigneur viendra (Ap 22,20 ; 1Co 16,22).

Jésus s'attribue le titre de Fils de l'homme pour souligner le caractère transcendant et spirituel de son messianisme (Mt 8,20). Le « →Fils de l’homme» est un terme auto-référentiel pour Jésus.

Exégèse juive

On a trouvé, dans les manuscrits de la mer Morte, quelques fragments d'un cycle de Daniel, proche du livre canonique, dont une prière de Nabonide (parallèle à Dn 3,31-4,34), appelé là Nabuchodonosor.

Plusieurs interprétations en ont été données, comme celles de

Exégèse chrétienne

Les commentaires sont assez nombreux :

En dehors des commentaires suivis, le livre a souvent été cité et expliqué par les Pères.

Le Moyen Âge nous fournit les grands commentaires :

A partir de la Renaissance, presque tous les exégètes catholiques et protestants commentent Daniel :

Liturgie

La liturgie catholique utilise aujourd’hui dans son lectionnaire la vision du Dn 7 pour la fête de la Transfiguration et pour celle du Christ-Roi.

Réception culturelle
L'art antique

Il exprime très bien le sens donné par les chrétiens à certaines scènes :

Arts visuels
Musique

Daniel a beaucoup moins inspiré les musiciens, bien que l’oratorio biblique Le festin de Balthasar (1931) de William Walton s'en est inspiré.