La Bible en ses Traditions

1 Maccabées

Non, ce n'est pas parce qu'il est plein de cadavres que ce livre s'appelle le « livre des Maccabées » ! Les « maccabées » dont il est question ici ne sont pas ceux de l'humour carabin, bien qu'on donne parfois pour origine de cet usage du mot l'épisode des sept frères suppliciés dans le second livre des Maccabées (une autre origine pourrait être les personnages de la danse macabre). Le surnom de « Maccabée » donné à Judas et à ses frères signifie « marteau » : ils firent, en effet aux avant-postes de la guerre culturelle menée en leur temps par les Judéens contre la mondialisation hellénistique.

Les guerres culturelles ne sont pas une invention moderne : on trouve dans ce livre aussi des partisans qui se réfugient dans les déserts, des autochtones qui voient leurs communautés envahies. La lutte des Judéens pour maintenir « la Loi et l'alliance » fut pleinement une guerre identitaire : on lutta pour sa culture, sa langue, son droit autonome. Commencée comme une guerre civile, la résistance menée par les frères Maccabées finit par rendre son indépendance à la Judée, pour la première fois depuis la fin de dynastie de David ! Inspirations théologiques et aspirations nationales sont ici impossibles à séparer. C'est facilement le livre le plus guerrier de toute la Bible ! Dans un contexte d’instabilité politique internationale, les Judéens sous la conduite de Mattathias et de ses fils (les Maccabées) forment leur identité nationale en s'opposant à la culture hellénistique dominante. 

Relevant pleinement de l'historiographie hellénistique, le premier livre des Maccabées raconte quarante années d'histoire politique et militaire (175-135 av. J.-C.). L'abondance des noms propres, des dates, des toponymes rend la lecture difficile, mais elle est aussi la preuve qu'il s'agit d'un document historique de qualité. Le grand paradoxe de ce récit de libération nationale est que cette épopée des Judéens contre l'empire hellénistique est ... typiquement hellénistique ! Le motif d'un petit groupe de héros qui s'opposent à un tyran violent et orgueilleux a beaucoup en commun avec le mythe de Sparte (il est d'ailleurs question de l'alliance avec Sparte en 1M 12).

Un autre paradoxe est que ce livre à la gloire des « martyrs d'Israël » n'est pas retenu dans le canon rabbinique (ni, par conséquent, dans le canon protestant). Le paradoxe est d'autant plus fort que le livre contient le récit d'institution d'une des fêtes liturgiques les populaires : la fête de la Dédicace ou Hanoukka (Liturgie 1M 4,36–60). Les raisons du refus juif des Maccabées sont multiples : peut-être est-ce à cause de sa vision positive des Romains (au moment où le canon est fixé, les Romains viennent de détruire le Temple) ? Peut-être est-ce à cause du conflit entre les pharisiens (admirés des rabbins) et la dynastie des descendants des Maccabées (les Hasmonéens) ? Ce qui est certain, c'est qu'après l'échec des deux révoltes juives du début de notre ère, le judaïsme s'est traditionnellement méfié de tout messianisme politique. Inversement, les mêmes raisons peuvent expliquer l'extraordinaire popularité des Maccabées dans le sionisme, et dans l'État d'Israël : ils ont même donné leur nom à une bière et à un célèbre club sportif !

Le livre n'est pas cité dans le Nouveau Testament, mais la fête de la Dédicace Hanoukkah constitue le contexte (Jn 10,22) d'une prédication de Jésus. 

TEXTE

Critique textuelle
Grec
Latin
Proposition d'une structure

La narration suit les péripéties des personnages.

Genres littéraires

Le livre porte les caractéristiques de l’historiographie hellénistique. Formellement, chaque épisode se compose des séquences suivantes :

La vision de l’histoire est aristocratique : ces sont les individus exceptionnels et leurs virtus qui décident du déroulement des évènements. Le combat contre le tyran et la valorisation de la liberté au-dessus de sa propre vie trouvent également des parallèles significatifs dans le monde grec.

Le but de l'auteur est d'offrir une vision religieuse et morale des événements. Le peuple, châtié pour ses péchés, est persécuté, et c'est Dieu qui lui vient en aide, par les victoires de ses chefs. Le cœur de l'affrontement se joue entre la loyauté à la foi des pères et l'hellénisation païenne. L'auteur se fait donc le chantre de cette victoire de la Loi et du Temple donnant ainsi la liberté au peuple. 

CONTEXTE

Milieux de vie

Une tablette cunéiforme donnant la succession des Séleucides a permis de mieux comprendre la chronologie du livre. 1M suit le décompte macédonien, à partir d'octobre 312 av. J.-C. Mais il faut excepter tout ce qui a trait au Temple, daté selon le calendrier judéo-babylonien (1M 1,54 ; 2,70 ; 4,52 ; 9,3.54 ; 10,21 ; 13,41.51 ; 14,27 ; 16,14).

Histoire

Après un siècle généralement pacifique d’une dépendance de l’Egypte des Lagides, Juda fut annexé par un autre royaume hellénistique, la Syrie des Séleucides. S'étalant sur quarante ans, entre le début du règne d'Antiochus Épiphane en 175 av. J.-C., et la mort de Simon avec l'avènement de Jean Hyrcan en 134. La cohérence entre 1 et 2 Maccabées confère une réelle valeur historique à ces livres. Des découvertes récentes rendent possible des comparaisons, comme pour la chronologie de la mort d'Antiochus Epiphane, qui a lieu avant la purification du Temple (2M 9,1-29) en 164 — ce que confirme une tablette babylonienne — contrairement à 1M 6,1-13.

Auteur/s et datation

On n'a gardé qu'une traduction grecque de l'original hébreu d'1M. Le livre est écrit de la perspective de Jérusalem, en hébreu, par un patriote et un homme pieux, enraciné dans la culture biblique ou il trouva ses perspectives théologiques (les similitudes à la théologie deutéronomiste) et le langage de ses poèmes (lamentations, éloges des hérauts). Il est clairement un fervent partisan des Hasmonéens, car les Maccabées ne tarissent pas d'éloges dans son œuvre. Cependant, il est conscient des tensions internes, car il souligne également que les Juifs sont responsables de la persécution religieuse. L'éloge de Rome (1M 8) permet de le situer la rédaction entre 134 et 63 av. J.C. Des précisions supplémentaires peuvent être obtenues grâce aux derniers versets (1M 16,23s) qui placent la rédaction vers la mort de Jean Hyrcan (100 av. J.C.).

RECEPTION

Canonicité
Canon juif

Les deux Livres des Maccabées n'appartiennent pas au canon scripturaire juif.

Canon chrétien

1M et 2M sont aujourd’hui reconnus par les Églises orthodoxes et l'Église catholique comme inspirés (livres deutérocanoniques). Mais l’histoire a connu de nombreuses hésitations. Le fait d’être les seuls livres deutérocanoniques mentionnés par Origène (†254) après les vingt-deux livres du canon fermé des Juifs et d’être appelés par lui une Écriture (graphê), témoigne d’une estime particulière pour les Maccabées. Cependant, ces livres ne font pas partie du canon protestant ; dans les Bibles protestantes ils sont classés comme des apocryphes (recommandés pour la piété personnelle mais non considérés comme inspirés).

Ils font partie des catalogues officiels à partir de la fin du 4e s. Mais en Orient, au 4e s.,

Les Maccabées sont même exclus des Écritures au synode de Laodicée (360), mais reconnus par le synode de Carthage (397). Pour Hilaire de Poitiers (†367), ils n’appartiennent pas aux protocanoniques, mais Rufin d’Aquilée (†410) les accepte sous la rubrique « livres ecclésiastiques ». Grégoire le Grand (†604) les donne seulement à lire pour l’édification de l’Église, sans leur reconnaître de caractère canonique.  Le Décret de Gélase (ou Pseudo-Gélase) les compte dans le canon des Ecritures.

Ils figurent dans la liste des livres inspirés au Concile de Florence (1442) et au Concile de Trente (1546), dont le décret est réaffirmé par le Concile Vatican I (1870).

Importance dans la tradition juive

Il est important de noter que même si les Livres des Maccabées ne font pas partie du canon, ils rapportent l'institution de trois fêtes :

Ces trois fêtes étaient encore observées à l'époque rabbinique. Aujourd'hui, la fête de Hanoukkah commémore la réinauguration de l'autel des offrandes dans le second Temple après la persécution séleucide. Et l'une des bénédictions prononcées lors de l'allumage des bougies rappelle l'action de Mattathias.