Le secret du bonheur ! C'est tout simplement cela que cette courte lettre peut dévoiler paradoxalement à son lecteur. En effet, Paul qui est pourtant en prison au moment où il l'écrit, n'y utilise pas moins de 17 fois les mots de joie, allégresse, réjouissance, ou encouragement.
« — Ayez en vous les sentiments qui étaient en Jésus-Christ, lequel, existant en forme de Dieu, n'a pas considéré le fait d'être égal à Dieu comme une chose à exploiter, mais s'est vidé lui-même, prenant la forme d'un serviteur... C'est pourquoi Dieu l'a élevé au-dessus de tout... » (Ph 2,5-9).
Dans ce vibrant appel à l'humilité et à la foi en Jésus-Christ lancé par Paul pendant son emprisonnement à Rome, bat le cœur de la révolution religieuse apportée par la foi en Christ, la conviction que Dieu lui-même, le Tout-puissant, a fait le choix de l'humilité absolue. Une fois l'exemple suprême du Christ posé théologiquement, l’épître va en tirer les conséquences morales, et incite le lecteur à œuvrer à son salut « avec crainte et tremblement » (Ph 2,12), fondant une réflexion profonde sur la foi chrétienne.
Paul commence par souligner la nécessité d'adopter l'attitude du Christ, modèle d'humilité, en travaillant activement à son salut dans une démarche de foi et d'obéissance.
Il poursuit en exprimant sa gratitude pour le soutien des Philippiens durant son incarcération, les exhortant à l'unité et à la persévérance face aux défis ainsi qu'à la vigilance contre les enseignements erronés.
Outre ses enseignements théologiques, Paul propose des conseils pour une vie quotidienne épanouie en Christ, mettant l'accent sur la joie, la prière, et la contemplation du bien.
Finalement, pour qui connaît les Écritures hébraïques, l'amour et le sacrifice ultime du Christ tels que Paul les décrit, ne s’avèrent-ils pas prophétisés par Isaïe dans ses mystérieux poèmes sur le serviteur souffrant : « Il a été méprisé, et nous n'avons fait aucun cas de lui. Pourtant, c'est à cause de nos fautes qu'il a été transpercé, c'est à cause de nos iniquités qu'il a été broyé ; le châtiment qui nous apporte la paix est tombé sur lui, et c'est par ses blessures que nous sommes guéris » (Is 53,3-5). Une fois de plus, la profonde continuité de la révélation du Dieu unique, de l'Ancien Testament au Nouveau Testament, fonde l'universalité du salut.
N.B. : L’édition de l’épître de saint Paul aux Philippiens ici offerte a été le premier livre imprimé→ dans le cadre du programme de recherches La Bible en ses traditions. La finalité et les principes essentiels de ce programme ont été publiés il y a quelques années dans le Commencements→, disponible sur internet. Les paragraphes qui suivent décrivent non seulement l’épître de saint Paul, mais aussi les choix d’annotation que nous avons été conduits à faire, en particulier en histoire de la réception. Ceux-ci permettront au lecteur bénévole d’apprécier d’emblée la richesse et les limites de cette première réalisation, et pourquoi pas d’y suggérer émendations et améliorations.
TEXTE
Critique textuelle
Le texte de l’épître ne présente pas de difficultés majeures. Seul le papyrus P46, qui constitue pour ce texte le plus ancien manuscrit conservé (autour de 200 ap. J.-C.), propose quelques variantes dignes d’intérêt. Ce document offre aussi des omissions par rapport au texte alexandrin (attesté par les codex A, B et C), dues probablement à l’incurie du copiste (manquent Ph 1,2-4.16.29 ; 2,13.28 ; 3,9 ; 4,1.13). Les autres manuscrits ou versions ne présentent pas d’intérêt particulier.
Unité de la lettre
Certains critiques distinguent plusieurs fragments de lettres primitives dans l’épître aux Philippiens.
À partir du 19e siècle, certains exégètes ont mis en doute l’intégrité originelle de la lettre. Quelques-uns ont émis l’hypothèse qu'il aurait été composé à partir de deux ou trois épîtres primitives. Récemment cependant, la majorité des exégètes penchent pour l’unité originelle de la lettre, même si certains considèrent comme plausible l’existence d’une ou plusieurs interruptions de l’auteur au cours de la rédaction. Les textes les plus problématiques sont aux Ph 3 et Ph 4,10-20.
Dans le c.3, plusieurs éléments semblent défaire l’unité de l’épître : l’invitation à la joie de Ph 3,1a qui serait une formule d’adieu typique de la conclusion d’une lettre ; la rupture brusque de style et de ton entre Ph 3,1 et Ph 3,2 ; et les circonstances implicites du c.3 qui trancheraient par rapport au reste de Philippiens (absence d’évocation de la captivité, différence d’attitude contre les adversaires).
Toutefois, aucun de ces éléments n’est contraignant et chacun d’eux peut aussi être intégré dans une vision unitaire de l’épître. Ainsi, en 3,1a Paul propose une nouvelle exhortation à la joie qui n’est pas sans exemple dans le reste de la lettre. Le caractère brusque du passage de Ph 3,1 à Ph 3,2 permet de capter l’attention des auditeurs au début d’un nouveau développement épistolaire. Enfin, une nouvelle évocation de la captivité en c.3 semble superflue et les adversaires mentionnés peuvent être différents de ceux du c.1.
Quant aux remerciements de Ph 4,10-20, on affirme souvent qu'ils sont réservés à l’ouverture d’une lettre ; il paraît cependant impossible que Paul attende la fin de l’épître pour évoquer le don reçu de la communauté de Philippes : le remerciement semble à la fois trop bref et trop tardif ! Cette objection à l’intégrité n’est pourtant pas contraignante. Les versets Ph 4,10-20 ne constituent pas à proprement parler des remerciements (le passage ne comporte d’ailleurs aucun verbe signalant l’idée de « remercier ») et, dans les lettres de l’Antiquité, l’acte de reconnaissance n’était pas toujours placé en début d’épître. Si Paul tarde à évoquer l’aide reçue de ses destinataires et se soustrait ainsi à la logique gréco-romaine de la réciprocité, c’est pour mieux souligner son indépendance et la gratuité du don chrétien.
Plus généralement, les partitions proposées reposent sur plusieurs préjugés non fondés : que les deux sections discutées proviennent de deux lettres différentes ; que les lettres de Paul soient généralement consacrées à un seul sujet (cf. Galates, par contraste avec 1 Corinthiens) ; et que Paul traite toujours de la situation de ses interlocuteurs. Mais aucune des deux sections ne constitue à elle seule une lettre polémique contre la circoncision (c.3) ni une lettre de remerciements (Ph 4,10-20).
Contre l’hypothèse de la compilation, il convient de noter, enfin, que les reconstructions avancées jusqu’ici en faveur d’une bi- ou tripartition du texte de Philippiens ont presque toujours été fondées sur des interpolations (par exemple A. 4,1023; B. 1,1 – 3,1; 4,2-7; C. 3,2 – 4,1.8-9). Or de telles propositions contredisent la pratique de la compilation dans l’Antiquité, où chaque texte fait suite au précédent.
En faveur de l’unité de Philippiens, nous pouvons relever l’unité lexicale et thématique, ainsi que la présence d’un vocabulaire commun à toutes les parties (y compris aux c.3 et à 4,10-20) : joie/se réjouir, sentir, proclamer l’évangile et agir en sa faveur, vocabulaire de la communion, du commerce, abonder, évaluer. En outre, la possibilité de définir pour Philippiens une composition organique et cohérente plaide en faveur de l’intégrité de la lettre.
La logique interne de la lettre souligne son unité. Puisque l’épître canonique reste cohérente d’un point de vue rhétorique, les transitions abruptes en Ph 3,2 et Ph 4,10 ne requièrent aucune partition : avec ses sujets multiples, 1 Corinthiens reste aussi représentatif de l’art de Paul que la profonde unité thématique de Galates. Selon certains auteurs, le texte de Philippiens est d’ailleurs unifié par une métaphore financière osée, qui permet à Paul de décrire avec un réalisme appuyé le partenariat qui l’unit à ceux qu’il évangélise. L’Apôtre se présente d’abord en débiteur des Philippiens qui ont subvenu à ses besoins à Thessalonique. C’est pour solder cette dette qu’il a prélevé les dividendes de la justice, qui viennent de Jésus-Christ. Si les chrétiens de Philippes ont à présent recouvré leur créance, c’est en raison de la surabondance des mérites du Christ.
Proposition d’une structure de la lettre
Plusieurs hypothèses ont été émises concernant le plan de l’épître. Si les parties se distinguent assez nettement, leurs fonctions respectives restent discutées. Des divergences apparaissent selon que l'on accorde plus d’importance à la cohérence de l’argumentation rhétorique ou, au contraire, à la logique épistolaire. La structure que nous proposons intègre les deux logiques. Elle montre comment les éléments de la lettre se répètent à partir de Ph 3,1, où Paul avoue écrire « les mêmes choses » : les v. Ph 1,3–2,30 contiennent une action de grâce, des indications autobiographiques, des exhortations et un exemple. Ces éléments seront repris aux v. Ph 3,1–4,20.
Praescriptum (1,1-2)
Prologue : action de grâce initiale (1,3-11)
Nouvelles autobiographiques (1,12-26)
Exhortation générale à vivre conformément à l’Évangile (1,27-30)
L’exemple du Christ: exhortations fondées sur l’éloge du Christ (2,1-18)
Nouvelles autobiographiques, Timothée et Épaphrodite (2,19-30)
L’exemple de Paul : exhortations fondées sur l’éloge de Paul par lui-même (3,1 – 4,1)
Exhortations particulières (4,2-9)
Épilogue: action de grâce finale avec des nouvelles autobiographiques (4,10-20)
Postscriptum (4,21-23)
Genre littéraire
Quant à son genre littéraire, l’épître aux Philippiens reste proche des lettres d’exhortation et des lettres d’amitié, selon la classification générale du genre épistolaire selon le
(Formae epistolicae 23-32).CONTEXTE
Repères historiques et géographiques
Philippes
Ville moyenne de Macédoine, fondée au 4e s. av. J.-C. par Philippe II, le père d’Alexandre, sur le site de l’antique Krénidès (Les petites sources), pour contrôler les mines d’or et d’argent du mont Pangée et contenir les Thraces. Philippe lui donna des fortifications et son nom. Après avoir servi de champ de bataille en 42 lors des guerres civiles entre les héritiers de César et ses meurtriers, elle connut un grand développement à l’époque impériale romaine, sous les règnes d’Auguste et de Claude, comme colonie militaire de vétérans, chargée de surveiller les tribus thraces du Nord, et comme étape sur la Via Egnatia qui menait soldats et marchands jusqu’à Rome à travers l’isthme balkanique. Les vétérans attachèrent une grande importance à la défense de leurs droits civiques (Milieux de vie Ph 3,18ss ; Milieux de vie Ph 3,20a), et Paul joue peut-être sur la phraséologie de leurs revendications pour proposer le nouvel éthos chrétien.
Paul à Philippes
Paul y fonda sa première Église en Europe en 50 ou 51 de notre ère, sous le règne de Claude. Cette fondation est documentée dans le NT par un texte autobiographique conservé, l’épître aux Philippiens, et par un récit des Actes des Apôtres (Ac 16,12-40).
Milieux de vie
Judaïsme à Philippes ?
La narration lucanienne de la première visite de Paul à Philippes donne une image de la ville très romaine. Sans doute la ville abritait-elle peu de juifs, ce qui expliquerait que Paul cite si peu les Écritures dans cette épître. Une seule inscription mentionne l’existence d’une communauté juive organisée et d’une synagogue, qui n’est pas antérieure au 3e s. ap. J.-C., voire au début du 4e s. En d'autres termes, à Philippes, le judaïsme ne s’identifie qu’à l’époque chrétienne, alors qu’on s’efforce au contraire habituellement de retrouver ici comme ailleurs une matrice juive du christianisme.
On peut penser que Paul s’adresse à des croyants en Jésus surtout d’origine païenne. Dans les inscriptions chrétiennes des deux premiers siècles de notre ère, aucun nom n’est d’origine thrace, et on trouve très peu de noms latins. On peut donc en déduire que la communauté était essentiellement grecque.
Philippes à l’époque de Paul
Les diverses recherches archéologiques menées sur les vestiges monumentaux à partir de 1861 ne sont guère utiles pour une exégèse rigoureuse de Ph, même si les repères topographiques d’Ac ont pu être surdimensionnés par une archéologie de pèlerinage. En effet, l’horizon archéologique des années 50, les années de Paul, n’est pas repérable sur le site, puisque la ville a connu plusieurs fondations et réurbanisations successives, en particulier à l’époque des Antonins au 2e s. Il n’est donc guère possible de localiser le ministère de Paul dans l’espace (contrairement au cas de Corinthe).
En revanche, les recherches actuelles exploitant la documentation épigraphique et iconographique (en particulier les reliefs votifs d’une série de petits sanctuaires rupestres creusés dans la paroi rocheuse de l’acropole : ; 2009), elles permettent de reconstituer avec une certaine vraisemblance un « milieu philippien », social et religieux, pour mieux contextualiser l’épître aux Philippiens et la séquence des Actes des Apôtres tournés vers des gens déjà engagés dans une quête religieuse imprégnée de cultes initiatiques (voir en particulier Milieux de vie Ph 3,10s).
1975Auteur
Même ceux qui considèrent la lettre comme un ensemble de deux ou trois fragments ne contestent pas leur attribution à Paul. Seule l’école de Tübingen au 19e siècle, en particulier F. C. Baur (†1860), a remis en cause l’authenticité de l’épître aux Philippiens.
Lieu et date de rédaction
Le retour d’Épaphrodite à Philippes fournit à Paul l’occasion d'écrire cette épître. L’Apôtre confie au délégué de cette Église une lettre d’amitié assez informelle. Les Actes des Apôtres rapportent trois captivités de Paul : à Philippes, à Césarée maritime (en 57-59 ap. J.-C.) et à Rome (en 60-62). Ce ne furent probablement pas les seules, puisque Paul évoque plusieurs captivités en 2Co 6,5 ; 11,23 et que Rm 16,7 présente Andronicus et Junias comme ses compagnons de prison. 1Co 15,32 fait d’Éphèse un autre lieu d’emprisonnement possible, puisque cette ville accueillait un gouverneur prétorien. Le lieu et la date de rédaction de l’épître ne sont donc pas assurés.
L’hypothèse traditionnelle jusqu’au 18e siècle est celle de la captivité à Rome. Aux 19e et 20e s., on a proposé d’autres localisations : Césarée, Corinthe et Éphèse. Rome ou Éphèse ? Il est difficile de départager ces deux hypothèses favorites. Si l’on retient la captivité romaine, on aurait alors avec Philippiens une des dernières épîtres de Paul. Du reste, l’accès d’humeur du c.3, qui surprend dans une lettre amicale, semble viser des opposants judaïsants que Paul combat également dans l’épître aux Galates. De nombreux exégètes considèrent que les tribulations mentionnées en 2Co 1,8 correspondent à la situation décrite par l’épître aux Philippiens.
RÉCEPTION
Nous ne prétendons nullement épuiser ici l’histoire de la réception de l’épître aux Philippiens : son inventaire continuera, au fil des ans, sur le laboratoire numérique qui lui est dédié sur le site internet de notre programme de recherches (bibletraditions.org). Nous nous sommes efforcés, dans cette première version imprimée, d’en décrire plusieurs moments importants, ou de proposer quelques curiosités, en nous aidant de plusieurs études de grande qualité mises au jour ces dernières années, la plupart focalisées sur le célèbre « hymne » du chapitre 2.
Tradition juive
Il peut sembler curieux de présenter des sources rabbiniques dans la zone d’annotation « réception » de textes néotestamentaires. La tradition juive ne relève-t-elle pas davantage de leur contexte plutôt que de leur réception ? C’est certainement le cas des quelques fragments de Flavius Josèphe cités dans cette rubrique. En revanche, il est difficile d’établir un lien direct entre tradition rabbinique et textes fondateurs du christianisme, même si les travaux innovants de savants juifs comme Daniel Boyarin, Israel Yuval ou Serge Ruzer augmentent d’année en année, le corpus potentiellement concerné.
C’est une raison méthodologique qui conduit à placer l’annotation en tradition juive du côté de la réception. Les écrits rabbiniques sont plus tardifs que les écrits néotestamentaires, même s’ils intègrent souvent des traditions bien plus anciennes, parfois attestées parallèlement dans le Nouveau Testament.
Pour notre épître, une seule note correspond peut-être à un vrai phénomène intertextuel : celle qui porte sur la prière ‘Aléynû (Tradition juive Ph 2,6–11) qui pourrait être une réaction à l’hypothétique hymne chrétienne primitive citée par Paul au chapitre 2. Même dans ce cas, la discussion reste ouverte. Sans relever de l’histoire de la réception stricto sensu, les autres notes de cette rubrique sont intéressantes d’un point de vue comparatif, pour apprécier la complémentarité des conceptions de Dieu des deux religions. Ces notes doivent bien sûr se lire en parallèle avec celles de la section *Littérature péritestamentaire, qui témoignent de courants théologiques juifs plus anciens, voire contemporains de Paul, sur des notions aussi déterminantes pour la christologie ancienne que celles de Dieu ou du Nom.
Tradition chrétienne
Canonicité et importance traditionnelle
Dès les premiers témoignages de l’existence du canon, l’épître aux Philippiens fait partie intégrante du Nouveau Testament. Son authenticité et sa canonicité n’ont jamais été contestées. Cette lettre trouve des échos dans plusieurs textes chrétiens vénérables (p.ex.
Phil. 3,2; 9,2; 12,3). Cependant, c’est à partir du 3e s. que des auteurs comme Clément d’Alexandrie et Tertullien citent notre épître en l'attribuant explicitement à Paul.Les épîtres de Paul constituent une véritable matrice de la doctrine chrétienne, et ont donc été citées ou commentées très tôt. Plus particulièrement, l’épître aux Philippiens a eu des répercussions prolongées tout au long de l’histoire de l’Église, notamment en raison du passage christologique de Ph 2,6-11. Très tôt, ces versets ont été commentés et considérés comme l’un des principaux lieux scripturaires, avec le prologue de Jean, de la préexistence divine du Christ. Ils ont donc joué un rôle important dans toutes les controverses christologiques.
En outre, la lettre aux Philippiens a trouvé un écho prolongé en raison du caractère très personnel de certains passages (Ph 1 et Ph 3 en particulier) dans lesquels Paul, prisonnier en raison de l’Évangile et confronté à la possibilité de subir le martyre, découvre à ses correspondants et futurs lecteurs, le profond et mystérieux rapport qui le lie à son Seigneur.
Énumérer simplement les principaux commentaires connus permet de prendre la mesure de la riche histoire de la réception exégétique et théologique de notre épître.
Commentaires sur Philippiens (liste non exhaustive)
– Marius Victorinus (†après 362), In epistolam Pauli ad Philippenses.
– L’Ambrosiaster (4e siècle), Ambrosii episcopi Mediolanensis commentarii in omnes divi Pauli epistolas.
– Jean Chrysostome (†407), In epistolam ad Philippenses homiliae.
– Pélage (†ca. 425), Expositio in epistolas Pauli.
– Pseudo-Jérôme, Commentarii in epistolas beati Pauli.
– Théodore de Mopsueste (†428), Commentarii in epistolas beati Pauli.
– Théodoret de Cyr (†ca. 457), Interpretatio in XIV epistolas sancti Pauli.
– Cassiodore (†585), Complexiones in epistolas apostolorum.
– Bède le Vénérable (†735), Enarrationes in sacrosanctas divi Pauli apostoli epistolas.
– Raban Maur (†856), Enarrationum in epistolam beati Pauli.
– Sedulius Scotus (†858), Collectanea in omnes beati Pauli epistolas.
– Florus de Lyon (ca. †860), Expositio in epistolas beati Pauli ex operibus sancti Augustini.
– Haymon d’Auxerre (ca. †865), Expositio in divi Pauli epistolas.
– Atton de Verceil (†961), Expositio super Pauli epistolas ad Romanos, Corinthios, Galatas, Ephesios et Philippenses.
– Oecuménius (ca. 990), Commentaria in omnes Pauli epistolas.
– Lanfranc du Bec (†1089), Commentarii in omnes Pauli epistolas.
– Bruno le Chartreux (†1101), Expositio in omnes epistolas Pauli.
– Pseudo-Walafrid Strabon, Glossa ordinaria.
– Alulfe de Tournai (†1141), De expositione Novi Testamenti.
– Pseudo-Paterius, Expositio Veteris et Novi Testamenti.
– Théophylacte d'Ohrid (†ca. 1126), Commentarius in epistolam ad Philippenses.
– Hervé de Bourg-Dieu (†1150), Commentaria in epistolas divi Pauli.
– Pseudo-Hugues de Saint-Victor, Quaestiones et decisiones in epistolas divi Pauli.
– Un disciple de Pierre Abélard (†1142), Commentarius Cantabrigiensis in epistolas Pauli.
– Gilbert de la Porrée (†1154), Media glossatura.
– Pierre Lombard (†1160), Magna glossatura.
– Robert de Melun (†1167), Questiones de epistolis Pauli.
– Robert de Bridlington (†ca. 1180), Compilationes in epistolas Pauli apostoli.
– Pierre le Chantre (†ca. 1197), Commentarius in epistolas Pauli.
– Étienne Langton (†1228), In Magnam glossaturam Lombardi.
– Jean de la Rochelle (†1245), Postillae in epistolas Pauli.
– Guerric de Saint-Quentin (†1245), Postilla super epistolas sancti Pauli.
– Geoffroy de Bléneau (†1250), Postilla super epistolas Pauli.
– Hugues de Saint-Cher (†1263), Postilla in epistolas Pauli.
– Odon (Eudes) de Châteauroux (†1273), Commentarius in epistolas Pauli.
– Thomas d’Aquin (†1274), Expositio et lectura super epistolas Pauli apostoli.
– Pierre de Tarentaise (Pape Innocent V, †1276), Postilla super epistolas Pauli.
– Nicolas de Gorran (†1295), Postilla super epistolas Pauli.
– Nicolas de Lyre (†1349), Postilla litteralis super epistolas Pauli.
– Denys le Chartreux (†1471), In omnes beati Pauli epistolas commentaria.
– Ulrich Zwingli (†1531), Ad Philippenses annotatiuncula.
– Thomas de Vio Cajétan (†1534), Epistolae Pauli et aliorum apostolorum ad Graecam veritatem castigatae.
– Érasme (†1536), Annotationes in Novum Testamentum et Paraphrases in Novum Testamentum.
– Jacques Lefèvre d’Étaples (†1536), Epistolae divi Pauli apostoli cum commentariis.
– Martin Luther (†1546), Predigt am Sonnabend nach 22. p.Trin. (1526) et Predigt am 22. Sonntag nach Trinitatis (1545, sur Ph 1,3-11) ; Sermo de triplici justitia (1518), Sermo de duplici justitia (1519), Sermon auf den Palmtag (1523) et Predigt am Palmsonntag, nachmittags (1531, sur Ph 2,5-11) ; Predigt am 23. Sonntag nach Trinitatis (1545, sur Ph 3,1721) ; et Predigt am 4. Adventssonntag (1538, sur Ph 4,4-7).
– Veit Dietrich (†1549), Annotationes compendiariae in Novum Testamentum.
– Jean de Gaigny (†1549), Brevissima et facillima in omnes divi Pauli epistolas scholia.
– Claude Guilliaud (†1551), Collatio in omnes divi Pauli apostoli epistolas.
– Christoph Hoffmann (†1553), Commentarius in epistolam Pauli ad Philippenses.
– Ambrosius Catharinus Politi (†1553), Commentaria in omnes divi Pauli et alias septem canonicas epistolas.
– Adam Sasbout (†1553), In omnes fere divi Pauli et quorun dam aliorum apostolorum epistolas explicatio.
– Konrad Pellikan (†1556), In omnes apostolicas epistolas, Pauli, Petri, Jacobi, Joannis et Judae commentarii.
– Johannes Bugenhagen (†1558), Annotationes in decem epistolas Pauli.
– Joannes Arboreus (†1559), Doctissimi et lepidissimi commentarii in omnes divi Pauli epistolas.
– Erasmus Sarcerius (†1559), In epistolas divi Pauli ad Philippenses, Colossenses, et Thessalonicenses, pia et erudita scholia.
– Philippe Mélanchthon (†1560), Enarratio epistolae Pauli scriptae ad Philippenses.
– Augustin Marlorat (†1562), Novi Testamenti catholica expositio ecclesiastica.
– Wolfgang Meuslin (Musculus, †1563), In divi Pauli epistolas ad Philippenses, Colossenses, Thessalonicences ambas et primam ad Thimotheum commentarii.
– Jean Calvin (†1564), Commentarii in Pauli apostoli epistolas ad Galatas, ad Ephesios, ad Philippenses, ad Colossenses.
– Andreas Hyperius (†1564), Commentarii in epistolas divi Pauli ad Philippenses, Colossenses, ac Thessalonicenses ambas.
– Johannes Brenz (†1570), Explicatio epistolarum sancti Pauli apostoli ad Galatas, Philippenses, Philemonem.
– Heinrich Bullinger (†1575), In omnes apostolicas epistolas, divi videlicet Pauli XIIII. et VII. canonicas, commentarii.
– Alfonso Salmerón (†1585), Disputationum in epistolas divi Pauli.
– Caspar Olevianus (†1587), In epistolas divi Pauli apostoli ad Philippenses et Colossenses notae.
– Girolamo Zanchi (†1590), In divi Pauli apostoli epistolas ad Philippenses, Colossenses, Thessalonicenses et duo priora capita primae epistolae divi Johannis commentarii.
– Nicolaus Selnecker (†1592), In omnes epistolas d. Pauli apostoli commentarius plenissimus.
– György Enyedi (†1597), Explicationes locorum Veteris et Novi Testamenti, ex quibus Trinitas dogma stabiliri solet.
– Benito Arias Montano (†1598), Elucidationes in omnia sanctorum apostolorum scripta, eiusdem in sancti Joannis apostoli et evangelistae Apocalypsin significationes.
– Niels Hemmingsen (†1600), Commentaria in omnes epistolas apostolorum Pauli, Petri, Judae, Johannis, Jacobi et in eam quae ad Hebraeos inscribitur.
– Aegidius Hunnius (†1603), Thesaurus apostolicus, complectens commentarios in omnes Novi Testamenti epistolas et apocalypsin Johannis.
– Lucas Osiander (†1604), Epistolae sancti Pauli apostoli omnes.
– Angelico Buonriccio (†1605), Le christiane et divote parafrasi sopra tutte l’epistole di santo Paolo et le canonice.
– Guillaume Estius (†1613), In omnes beati Pauli et aliorum apostolorum epistolas commentaria.
– Fabrizio Paulucci (début 17e siècle), In Actus, et epistolas Pauli, ac aliorum apostolorum et Apocalypsim commentarii.
– Benedetto Justiniani (†1622), In omnes beati Pauli epistolas explanationes.
– Peter Stevart (†1624), Commentarius in epistolam divi Pauli ad Philippenses.
– Johannes Piscator (†1625), Commentarii in omnes libros Novi Testamenti.
– Joannes van Gorcum (†1628), Medulla Paulina sive Dilucida ac perbrevis epistolarum beati Pauli apostoli expositio.
– Cornelius à Lapide (†1637), Commentaria in omnes divi Pauli epistolas.
– Jean Bence (†1642), Manuale in omnes divi Pauli apostoli epistolas.
– Libert Froidmont (†1653), Commentaria in omnes beati Pauli apostoli et in septem canonicas aliorum apostolorum epistolas.
– Georg Calixt (†1656), In epistolam sancti apostoli Pauli ad Philippenses expositio litteralis.
– George d’Amiens (†1661), Trina Pauli theologia positiva, moralis, mystica, seu omnigena in universas apostoli epistolas commentaria: exegetica, tropologica et anagogica.
– Pierre de Launay (†1661), Paraphrase et exposition sur les épîtres de saint Paul.
– Jonas Schlichting (†1661), Commentaria posthuma, in plerosque Novi Testamenti libros.
– Christian Chemnitz (†1666), Brevis commentarius in epistolam ad Philippenses.
– Johannes Coccejus (†1669), Sancti Pauli apostoli epistola ad Philippenses.
– Juan Antonio Velázquez (†1669), In epistolam beati Pauli apostoli ad Philippenses commentarii et adnotationes.
– Antoine Godeau (†1672), Paraphrase sur les épîtres de saint Paul.
– Bernardin de Picquigny (†1709), Epistolarum beati Pauli apostoli triplex expositio.
– Noël Alexandre (†1724), Commentarius litteralis et moralis in omnes epistolas sancti Pauli apostoli et in septem epistolas catholicas.
– James Peirce (†1726), A Paraphrase and Notes on the Epistles of Saint Paul to the Colossians, Philippians, and Hebrews, after the Manner of Mr. Locke.
– Daniel Whitby (†1726), A Paraphrase and Commentary upon all the Epistles of the New Testament.
– Joachim Lange (†1744), Apostolisches Licht und Recht, das ist richtige und erbauliche Erklärung der sämtlichen apostolischen Briefe, Pauli, Jacobi, Petri, Joannis und Judä.
– Anton Remy (†1748), Paulus elucidatus, sive commentarius paraphrasticus in omnes epistolas divi Pauli, gentium apostoli.
– Johann Albrecht Bengel (†1752), Gnomon Novi Testamenti.
– Johann David Michaelis (†1791), Paraphrasis und Anmerkungen über die Briefe Pauli an die Galater, Epheser, Philipper, Colasser, Thessalonicher, den Timotheus, Titus und Philemon.
Pères de l’Église
Interrogé sur « Philippiens », le site de recherches bibliques et patristiques Biblindex propose des milliers d’occurrences. Outre les commentaires à proprement parler (dont nous venons de donner la liste : Marius Victorinus, l’Ambrosiaster, Pélage et la tradition autour de Cassiodore sont les premiers), l’épître aux Philippiens est citée dans des lettres, des traités ascétiques, des traités dogmatiques (les Stromates de Clément d’Alexandrie, le De doctrina christiana d’Augustin d’Hippone), voire amplifiée dans des poèmes (comme ceux de Grégoire de Nazianze). Nous nous sommes efforcés de n’oublier aucune ligne d’interprétation importante, tout en étant particulièrement à l’écoute des plus « grands ».
Les Pères du 2e siècle citent peu Philippiens : nous mentionnerons une possible réminiscence chez Ignace d’Antioche ; on en trouve d’autres chez Irénée de Lyon ou Polycarpe de Smyrne. Dans le passage christologique du chapitre 2, ils soulignent surtout l’obéissance du Christ nouvel Adam, qui inverse la désobéissance du premier et manifeste l’unicité du dessein d’un Dieu unique et identique, bon, créateur et rédempteur.
C’est Origène, auteur d’un commentaire de l’ensemble de l’épître aujourd’hui perdu, qui installa l’épître aux Philippiens au cœur des disputes doctrinales de l’Église. En divers endroits de son œuvre subsistante, en particulier dans le Traité des principes (Peri archôn), l’éloge du Christ du chapitre 2 lui sert à établir : la génération éternelle du Fils et son égalité avec Dieu en même temps que sa distinction d’avec le Père. Origène inaugure également la dispute philosophique avec son Contre Celse. Il vaut la peine de citer dès cette introduction l’admirable synthèse qu’il propose de la perle de notre épître. À l’auteur du Discours véritable qui estimait que la notion même de divinité était déshonorée par l’incarnation, répond en présentant toute la section de Ph 2,5-9 comme une synthèse de « la pensée du divin Logos exprimée en maint passage des Écritures » (Cels. 4,18) : sans rien perdre de son éclat, sans souffrir en rien des douleurs du corps ou de l’âme, par pur amour, il « fait descendre un Sauveur au genre humain » (Cels. 4,18). voit lui aussi dans ce passage le sommet de l’auto-révélation du Logos parlant en toute clarté (Protreptiques 1,8,3).
Une fois la doctrine orthodoxe articulée par le concile de Nicée en 325, l’éloge christologique de Philippiens 2 sert à la fois dans la polémique entre Antiochiens et Alexandrins – chaque école trouvant des arguments dans la grammaire sophistiquée de Paul – et de synthèse adamantine contre toutes les hérésies aussi bien chez Athanase d’Alexandrie que chez Jean Chrysostome : ils y lisent et l’égalité des personnes dans la Trinité et l’intacte dignité du Verbe dans l’incarnation.
Les commentaires latins, bien dans la tradition romaine, témoignent d’un souci avant tout moral : c’est un exemple d’altruisme et d’humilité qu’ils soulignent dans l’éloge du Christ au chapitre 2. Ils n’oublient cependant pas notre épître dans les polémiques antomarcionite (Tertullien) ou anti-arienne (Hilaire de Poitiers).
Moyen âge
À partir du haut Moyen Âge, les épîtres de Paul sont scrutées minutieusement dans les studia monastiques, au point de constituer, avec le psautier, le corpus scripturaire le plus commenté dès la fin du 11e siècle. Leurs enseignements, souvent dialectiques, suscitent de nombreuses questions, d’où naît le genre scolastique des quaestiones, qui donne lieu à des « sommes ». Si la compilation du Livre des Sentences de Pierre Lombard domine l’enseignement à la fin du 12e siècle, cela ne décourage pas les commentateurs. Lombard lui-même a rédigé un commentaire, déjà cité deux ans après sa publication en 1140. Celui de Thomas d’Aquin compte parmi les plus célèbres et les plus influents du Moyen Âge.
Dans notre annotation, nous traduisons abondamment le commentaire de Thomas d’Aquin, qui se distingue par sa clarté. Ce commentaire a récemment fait l’objet d’une édition soignée : Commentaire de l’épître aux Philippiens, suivi de Commentaire de l’épître aux Colossiens (introduction de Gilbert Dahan et Walter Senner ; traduction de Jean-Éric Stroobant de saint-Éloy ; notes de Jean Borella et J.-É. Stroobant de S.-É., Paris : Cerf, 2015). Thomas commente les épîtres de Paul sur un plan doctrinal. Il vaut la peine de rappeler ici le prologue général à son commentaire du corpus paulinien :
« Cette doctrine se rapporte tout entière à la grâce du Christ et peut faire l’objet d’une triple considération :
Selon qu’on la considère d’abord dans la Tête elle-même, c’est-à-dire le Christ, et c’est le point de vue de l’épître aux Hébreux.
Puis, dans les membres principaux du Corps mystique, et c’est le point de vue des épîtres qui s’adressent aux dignitaires.
Enfin, dans le Corps mystique lui-même, qui est l’Église, et c’est le point de vue des épîtres adressées aux Gentils. Il fait encore l’objet d’une distinction, car la grâce du Christ peut être considérée de trois manières :
- Soit en elle-même, c’est le point de vue de l’épître aux Romains.
- Soit en tant que contenue dans les sacrements de la grâce, c’est le point de vue des deux épîtres aux Corinthiens ; la première traite des sacrements eux-mêmes, tandis que la seconde traite de la dignité de leurs ministres ; c’est aussi le point de vue de l’épître aux Galates qui traite de l’abrogation des sacrements superflus, à l’encontre de ceux qui voulaient ajouter les sacrements anciens aux nouveaux.
- Soit enfin, que la grâce du Christ soit considérée selon l’effet d’unité qu’elle produit dans l’Église. L’Apôtre traite donc en premier lieu du fondement de l’unité de l’Église, dans l’épître aux Éphésiens ; en deuxième lieu de son affermissement et de son progrès, dans l’épître aux Philippiens … » (cf. Thomas d’Aquin Commentaire de l’épître aux Romains, éd. J.-É. Stroobant de saint-Éloy et J. Borella, Paris : Cerf, 1999, 62).
Voilà qui définit clairement la tonalité de notre épître clairement cernée : c’est avant tout un texte portant sur ce qu’on appelle aujourd’hui le « vivre en Église ».
Quant à la « méthode » de Thomas d’Aquin, on sera particulièrement attentif (à l’école de Gilbert Dahan) à son souci de la divisio textus (« division du texte »), qui est un art de faire droit à l’acheminement concret vers le sens produit par la disposition même du signifiant ; à sa manière de faire jaillir la quaestio à fleur de texte en l’interrogeant à partir de la tradition dogmatique ; ainsi qu’aux saisissantes récapitulations d’intertextualité biblique qu’il propose fréquemment.
Outre Thomas, de nombreux auteurs médiévaux méconnus du grand public, sont cités ici, spécialement pour la péricope dite de « l’hymne » au Christ. Ils ont été remis en lumière récemment en particulier grâce au trésor d’érudition qu’est un autre ouvrage dirigé par le professeur Gilbert Dahan, auquel nous avons régulièrement puisé (
2013). La présente édition de l’épître aux Philippiens bénéficie ainsi de l’érudition et de la sagesse accumulée par des savants remarquables. À plusieurs reprises, nous traduisons des textes qu’ils ont publiés pour la première fois à partir des manuscrits objets de leurs étudies : c’est à leurs œuvres que nous faisons référence aussi souvent que nécessaire.Le temps de l’humanisme, de la Réforme protestante et de la Réformation catholique
Les divisions du christianisme latin au moment de la Réforme ne se débouchèrent pas sur une rupture totale dans la tradition interprétative, ni sur une répartition confessionnelle des exégèses des différents points abordés par Paul dans son épître.
Dans certains cas, les catholiques semblent plus « audacieux ». Érasme, dans ses Annotations sur le Nouveau Testament, souleva plusieurs questions philologiques aux implications théologiques importantes pour l’interprétation du célèbre éloge du Christ du chapitre 2. Le dominicain Cajetan fut parfois considéré comme trop ‘libre’, manquant d’égards envers les Pères et la tradition d’exégèse ecclésiale.
Inversement, les Réformés ont parfois le désir de s’enraciner dans une certaine tradition. Ainsi, par exemple, les pasteurs des années 1560 compilèrent-ils des anthologies (telle la célèbre Bibliotheca expositionum, œuvre du pasteur Augustin Marlorat et de l’imprimeur Henri Estienne II) « mettant en série » divers Réformés du 16e s. avec des Pères de l'Église comme Ambroise ou des auteurs médiévaux comme Théophylacte, à l’intention des fidèles cultivés qui n’avaient pas accès aux sources. Le volume sur le Nouveau Testament parut à Genève en 1561 (avec des rééditions en 1564 et 1570).
Voici les principaux auteurs auxquels nous faisons écho ici :
–
a traité de plusieurs passages de l’épître en diverses postillae et en quelques sermons. Il comprenait ses commentaires bibliques comme des enarrationes, c’est-à-dire qu’il s’efforçait d’extraire du texte une théologie applicable dans la vie publique. Calvin et Mélanchthon le suivirent en cela.Outre ces allusions, nous suivrons six commentaires de la période de la Réforme :
– Celui de Thomas de Vio
, achevé en février 1529.– Celui de Johannes
, Explicatio, datant de 1548. Il est lié à son commentaire sur l’épître aux Galates, achevé l’année précédente, mais publié au moment où Brenz fuyait, chassé par l’armée de Charles V.– En 1548 paraît aussi le commentaire de Jean
sur l’épître aux Philippiens.– Nous rappellerons l’esquisse de commentaire adressée par
à son ami George Major, aux alentours de 1551,– et le commentaire de son élève Niels
(prêcheur danois, travaillant après 1542 à Roskilde) en 1564.– Enfin, le commentaire produit en 1614 par le jésuite
, louvaniste puis (après 1620) romain, témoigne d’un style d’exégèse « baroquisant », ouvrant la voie à un certain encyclopédisme.On se réfère à ces œuvres ad locum et ad sensum, ce qui n’est pas entièrement satisfaisant. Puissent nos lecteurs réformés, ou spécialistes de ces auteurs, se sentir invités à suppléer notre imprécision en rejoignant le laboratoire « Philippiens » en ligne !
On observe une confessionnalisation croissante au fil du seizième siècle. Cependant, les débats ne se limitent pas à la défense de positions typiques. Même chez Calvin, ce n'est que lorsqu'un avis de la Sorbonne semble trop éloigné de la vérité (par exemple, l’idée que Jésus-Christ ait dû gagner des mérites pour son propre salut) que s'engage le combat et que résonnent les complaintes. Le plus souvent, Calvin s’attache plutôt à la vie spirituelle et à l’application morale. Hemmingsen et Cajetan ne sont pas si éloignés les uns des autres. C’est avec Brenz et Lapide que l’épître aux Philippiens devient prétexte à théologie de controverse. Pour la plupart des auteurs de la période, c’est Paul lui-même, sa vocation, son ministère, son espérance et ses vertus qui constituent le cœur du message : l’homo renascens.
Liturgie
On y trouvera également une description systématique des usages des péricopes de Philippiens dans l’année liturgique romaine, avec une ouverture vers les liturgies orientales pour la section christologique du chapitre 2, rendue possible grâce au beau travail de Sr Éliane Poirot dans un récent Supplément aux Cahiers Évangile. Outre l’insertion des textes dans les lectionnaires, on s’intéresse aussi à leur performance, en particulier musicale (avec quelques notes sur le chant grégorien de passages célébrissimes comme le Gaudete de Ph 4,4) ; à leur usage dans les rituels, qu’il s’agisse d’eucharistie (p.ex. Liturgie 4,20 ou Liturgie 4,23), d’exorcisme (Liturgie 2,9b) ou tout simplement de postures pour la prière (Liturgie 2,10b). L’usage des versets sur la kénose et l’exaltation durant le temps pascal, ainsi que des exhortations à une joyeuse espérance durant le temps de l’Avent font l’objet d’approfondissements plus « mystagogiques », s’efforçant de pénétrer l’intention de l’Esprit quand il sème des passages de l’épître aux Philippiens dans la profuse forêt de symboles qu’est la vie liturgique chrétienne.
Théologie
De la morale à l’eschatologie, en passant par la dogmatique – spécialement la christologie, bien sûr –, les notes de théologie tantôt décrivent certains usages de l’épître dans le magistère ou dans la pensée de grands théologiens, tantôt soulignent ou développent la saveur théologique de tel ou tel passage dont l’importance pourrait échapper à une lecture distraite. Elles signalent parfois la relativité historique de telle ou telle prise de position polémique. C’est bien évidemment la question dogmatique de l’ontologie du Christ et le motif de la « kénose » au chapitre 2 qui occupe la plus grande partie de cette rubrique.
Philosophie
Dans cette rubrique est décrit le legs le plus durable de l’épître aux Philippiens à la philosophie. Il s’agit de la notion de « kénose », proposée au chapitre 2 à propos du Christ. On y rappelle le scandale qu’elle suscite dans l’imagination rationnelle du divin depuis l’Antiquité, mais aussi son extraordinaire puissance d’orchestration dans une synthèse aussi ambitieuse que celle de Hegel.
Il est également question de philosophie sous la rubrique *Textes anciens, dans la zone Contexte, qui présente plusieurs parallèles stoïciens ou aristotéliciens à la pensée de Paul, en particulier dans les domaines politique et moral.
Mystique
Cette rubrique présente des commentaires ou des amplifications de l’épître sous la plume de saints canonisés, ou d’auteurs mystiques (mais non les poètes religieux, qui figurent dans la rubrique *Littérature). L’épître aux Philippiens a laissé de nombreuses traces dans plusieurs œuvres d’auteurs monastiques ou de mystiques, qu’il s’agisse d’éléments de langage qui se greffent naturellement à la pensée, la prière ou la prédication des auteurs médiévaux si immergés dans la liturgie que les Écritures étaient devenues leur langage, ou de thèmes théologiques ou moraux développés comme autant de règles de vie. Nous avons particulièrement retenu les passages qui font résonner le texte de Paul avec d’autres textes bibliques.
Que ce soit dans les sermons de l’Avent ou de Noël, ou au fil des homélies sur la Passion et la Résurrection d’un saint Bernard de Clairvaux et d’un Guerric d’Igny, ou dans les pages ascétiques et mystiques d’un Nicolas Cabasilas, par exemple, les lecteurs désireux de lire Paul pour nourrir leur lectio divina et approfondir leur vie en communion avec Dieu et les hommes, découvriront ici des perles !
Littérature
Dans la grande tradition littéraire occidentale, nous n’avons, au moment de clore cette édition, repéré qu’un motif important dont la source est certainement Philippiens : celui de tous les « genoux » qui « fléchissent devant » le Christ à la fois humilé et exalté (Ph 2,10). Le lecteur trouvera aussi une ébauche d’exploration littéraire de la formule « dans les siècles des siècles » (Ph 4,20).
Nous avons glissé parmi les notes de synthèse, une saisissante note sur « La croix de Jésus dans la littérature », extraite du laboratoire de La Passion selon saint Matthieu dans notre programme de recherches. Elle permet de mesurer la fécondité extraordinaire du paradoxal sommet de la rencontre entre Dieu et l’humanité, si bien soulignée par Paul par la figure de correctio de Ph 2,8 :
« Il s’humilia lui-même
Étant obéissant jusqu’à la mort
Mais la mort de la croix. »
Arts visuels
Parmi les Écritures, le corpus paulinien n’est sûrement pas le plus inspirant pour les maîtres des arts visuels. La section autobiographique du chapitre 3 de cette épître nous a cependant fourni l'occasion d’une note faisant le point sur la constitution primitive du portrait de Paul dans les premiers siècles de l’Antiquité chrétienne.
Musique
C’est l’éloge du Christ au chapitre 2 qui a laissé la trace la plus durable chez les compositeurs comme le montre bien la note qui lui est consacrée dans cette rubrique. Signalons simplement ici que plusieurs des œuvres mentionnées en note sont consultables sur internet, y compris les moins faciles d'accès comme le Christus factus d’Anton Webern dans l’admirable interprétation de Halina Lukomska et Pierre Boulez, que l’on peut écouter sur YouTube !
En conclusion, soulignons qu'on peut trouver condensée en une formule l’intention profonde de l’épître en Ph 1,27
axiôs tou euaggeliou tou Christou politeuesthe
L’écart entre la traduction littérale du grec (« Vivez seulement en citoyens selon l’Évangile du Christ ») et la traduction traditionnelle en latin et en syriaque (« Conduisez vous selon l’Évangile du Christ ») permet de mesurer la distance entre le milieu originaire à qui l’épître était destinée et l’application que purent en faire les communautés de lecteurs au fil des siècles. Il permet aussi de mesurer la permanence de l’enseignement paulinien : à des personnes qu’il connaissait bien, dans une Église qu’il avait lui-même fondée, Paul adressait un appel bouleversant : savoir s’abaisser et se vider de soi-même comme il l’a fait lui-même à la lumière de la croix du Christ.
L’épître aux Philippiens ne traite guère de sujets doctrinaux ou disciplinaires de fond. Aussi l’argumentation théologique ou la référence aux Écritures y sont-elles bien moins présentes que dans les lettres aux Galates ou aux Romains, par exemple. L’intertexte vétérotestamentaire le plus remarquable est sans doute le réseau d’allusions à la figure isaïenne du serviteur souffrant dans l’éloge du Christ au chapitre 2 – lequel n’est peut-être pas une composition originale de Paul. La lettre n’est pas centrée sur une préoccupation majeure, mais développe plusieurs motifs au fil de ses parties : la joie, le partenariat ou la communion, les dispositions, le progrès… L’anecdote même n’est pas absente : vers la fin de la lettre, l’auteur lance un appel à réconcilier deux femmes éminentes de Philippes, brouillées par un différend. Dans sa première partie, l’épître est marquée par les exhortations liées à l’exemple du Christ, et dans la seconde par celles qui découlent de l’exemple de Paul.
Cette épître constitue donc une lettre d’amitié et d’exhortation cherchant à resserrer les liens entre Paul et la communauté de Philippes. L’Apôtre, tout en consolidant avec cette Église son partenariat financier et spirituel, l’appelle à persévérer dans l’obéissance. Il n'est pas nécessaire de supposer une désobéissance antérieure des Philippiens : Paul tient simplement à s’assurer de leur fidélité, lui qui a failli mourir en prison, rencontrant de l’opposition là où il se trouvait.
Pour ouvrir un peu plus l’appétit du lecteur, signalons enfin deux cruces interpretum de l’épître. D’abord, faut-il lire l’« hymne » de Ph 2,6-11 comme un morceau kérygmatique ou comme une exhortation éthique ? Fait-il suite au sentiment évoqué en Ph 2,5 ? Ensuite, quelle est la « condition » de celui qui est évoqué en Ph 2,6 ? Comment comprendre la condition divine et la préexistence de Jésus ? Et en quoi a consisté son dépouillement ? Véritablement inspirée, la poétique de Paul, offre en pareilles occurrences aux générations de lecteurs futurs, jusqu’à la nôtre, une source inépuisable de progrès moral et de transfiguration communautaire par la contemplation du Fils de Dieu incarné, crucifié, ressuscité et exalté.
Pour une bibliographie générale des ouvrages consultés, voir →Philippiens : bibliographie des ouvrages consultés.