« Ainsi parle Cyrus, roi de Perse :— Le Seigneur, Dieu du ciel m’a donné tous les royaumes de la terre, lui-même, il m’a donné l'ordre de lui bâtir une maison à Jérusalem, qui est en Juda ! » Audacieusement placée dans la bouche d’un roi païen, cette déclaration signale le thème principal du livre d’Esdras : c’est le livre de la reconstruction.
En 539 av. J.-C., l’empire de Babyloniens s’était écroulé sous les coups des Perses. Achevé le temps de la punition divine de l’exil, les Judéens rentraient progressivement chez eux. Après cinquante ans de captivité, de retour dans leur patrie, ils se trouvèrent confrontés à la tâche décourageante de reconstruire Jérusalem. La succession des reconstructions monumentales suit un ordre symbolique : l’autel, le temple, et plus tard les remparts de la ville. C'est l'expression d’une reconstruction de la société, d’un peuple « saint », donc séparé, qui va se traduire dans de nouveaux préceptes : par exemple, l’exclusion des mariages mixtes construit de fait des murs entre les élites judéennes revenues de Babylone et les bouseux qui étaient restés sur place (« les peuples de la terre », dit Esd 3,3).
Le livre semble être un bric-à-brac de différentes sources : des lettres et des documents impériales (souvent en araméen), des listes des rapatriés et les généalogies, des prières, des récits, dont un récit autobiographique d’Esdras (Esd 7,28).
Esdras est présenté comme un scribe, enseignant et juriste qui agit au nom du roi Perse (Esd 7,14). Peut être pour la première fois, la vie communautaire est régie par la Loi de Moïse comprise comme un livre. Le scribe Esdras est une figure fondamentale pour la continuité entre les livres de la Loi et l’enseignement oral des scribes.
Parce que le second livre des Chroniques semble se terminer avec la même référence à Cyrus, on lit habituellement le livre d’Esdras comme sa continuation. La personne d'Esdras apparaît aussi dans le livre qui le suit dans l’ordre canonique, le livre de Néhémie. Originairement, Esdras et Néhémie ont pu être regroupés : de fait, dans la Septante (→VERSIONS) ils forment un seul livre appelé « Deuxième livre d'Esdras », le premier étant une autre composition faite, entre autres, d'extraits des Chroniques.
Enfin, et dans leur fond et dans leur forme, les livres d'Esdras et Néhémie annoncent le Nouveau Testament. La description d'Israël comme une communauté centrée sur la Loi et le Temple prépare la réalité de l'Église. Le ton des mémoires, créant une intimité entre l'auteur et le lecteur, s'apparente à la proximité qui caractérise les épîtres de Paul. Enfin, comme l'épître de →Jacques, les livres d'Esdras et de Néhémie montrent que toute réforme religieuse comporte une dimension éthique et a donc des répercussions sociales et économiques.
Figure de pénitence et d'espoir à la fois, Esdras réapparaîtra après la destruction du Temple par les Romains dans les apocalypses apocryphes : →4 Esd.et →Ap. Esd.
TEXTE
Critique textuelle
Le texte d’Esdras et Néhémie est conservé dans M et dans les traductions anciennes.
Hébreu
Le corps du texte comporte aussi deux sections en araméen (Esd 4,8-6,18 ; 7,12-26), sans doute en raison de la reproduction de documents de l'administration perse, ce qui témoigne de l'influence croissante de cette langue dans la communauté juive.
- Le meilleur témoin est le texte massorétique. Il existe toutefois des différences notables internes (notamment les listes parallèles d’Esd 2,1-70 et Ne 7,6-73), qui témoignent de difficultés de transmission.
- Certains fragments d'Esdras ont été trouvés dans la grotte 4 de Qumrân (4QEzra 4,2-6.9ss et 5,17–6,5) : ce texte donne deux variantes orthographiques et grammaticales par rapport au texte massorétique.
Grec
Esd et Ne forment ici un seul livre appelé "2 Esdras". →1 Esd. qui n'a pas été intégré dans les canons catholique ni protestant.
- Les principaux manuscrits (Vaticanus (B), Alexandrinus (A), et en partie Sinaïticus ( א) et Venetus (V)) donnent la traduction de la Septante.
- La recension de →RECENSIONS (histoire du texte biblique) s’appuie sur un texte proche de celui de B et sur un texte hébreu similaire au texte massorétique. Sa phrase est souvent plus élégante en Grec. Néanmoins, il a des doublets pour bon nombre de versets.
Latin
- La Vetus latina est proche de la Septante.
- La Vulgate est traduite à partir de l'hébreu. Esd est appelé ici "1 Esdras", Ne est appelé "2 Esdras", le →1 Esd. de la Septante porte le nom "3 Esdras", et il est suivi finalement par un apocryphe →4 Esd.
Syriaque
La version syriaque semble s'appuyer sur un texte hébreu avec quelques périphrases et additions. Le manuscrit 8h5 représente l'état le plus ancien.
Proposition d’une structure des livres
Les livres des Chroniques se terminent avec la destruction de Jérusalem et la déportation en Babylone. Suivent alors cinquante années d'Exil, dont la Bible ne parle pas dans les livres historiques.
- Le retour à Jérusalem du premier groupe sous Shesbassar et Zorobabel et l'achèvement du second Temple (Esd 1-6).
- Un deuxième retour se situe sous Artaxerxès. Parmi les rapatriés se trouve Esdras, qui impose à la communauté la Loi de Moïse (Esd 7-10).
- Néhémie, échanson d'Artaxerxès, retourne ensuite à Jérusalem pour relever les murailles (Ne 1,1-7,72a).
- Pendant le gouvernorat de Néhémie, le peuple se soumet à la Loi de Moïse (Ne 7,72b-10,40).
- Suivent des recensements et la dédicace du rempart (Ne 11,1-13,3).
- Après un retour en Perse, Néhémie revient à Jérusalem et prend des mesures contre certains désordres (Ne 13,4-31).
On peut proposer un plan d'ensemble plus général, en lien avec l'histoire perse. La restauration comporte en effet trois grands projets soutenus par le pouvoir de l'Empire perse :
- Reconstruction du temple décrétée par Cyrus et achevée sous Darius Ier (Esd 1-6).
- Réforme religieuse mise en oeuvre par Esdras, soutenu par Artaxerxès (Esd 7-10).
- Reconstruction des murailles entreprise par Néhémie avec l'aval d'Artaxerxès (à partir de Ne 1).
Chacune des deux phases de reconstruction se clôt par une cérémonie (Esd 6,15-18 ; Ne 12,27-43). Quant à la réforme religieuse, elle n'est jamais totalement achevée.
Genres littéraires
Les livres d'Esdras et Néhémie se présentent sous forme de récits qui comportent des discours. On peut distinguer plusieurs formes qui peuvent être liées au processus de rédaction :
- Les mémoires : celles de Néhémie et celles d'Esdras sont des récits à la première (autobiographie) et à la troisième personne, rapportant les faits et gestes de ces deux personnages.
- Les prières de supplication, et d'autres textes liturgiques.
- Les listes, les généalogies →Généalogie (genre littéraire), les documents officiels : lettres et décrets qui faisaient partie des archives.
Ces sous-genres sont unifiés par la troisième personne de la narration.
CONTEXTE
Histoire et géographie
Les livres d’Esdras et de Néhémie contiennent plusieurs indices chronologiques :
- En 538 av. J.-C., la première année de Cyrus, Cyrus autorise les Juifs à retourner à Jérusalem (Esd 1,1).
- Le Temple est achevé dans la 6ème année de Darius Ier, en 515 (Esd 7,5).
- Esdras arrive à Jérusalem dans la 7ème année d'Artaxerxès Ier, en 458 (Esd 7,8).
- Néhémie arrive à Jérusalem autour de l'an 445, la 20ème année d'Artaxerxès Ier (Ne 2,1).
- Il reste douze années (Ne 13,6), jusqu'en 433.
- Néhémie repart en Perse pour un temps indéterminé et revient pour un second séjour, encore sous Artaxerxès Ier (Ne 13,6), qui meurt en 424.
Certains exégètes attribuent la 7ème année à Artaxerxès II (en 398) ou lisent la 37ème année d'Artaxerxès Ier (en 428).
Auteur
La rédaction de ces livres se fonde sur les récits de Néhémie et d'Esdras. Mais il ne s'agit pas d'une œuvre unifiée à laquelle on puisse attribuer un auteur unique. Il s'agit plutôt d'une creatio continua à partir de compilations de divers documents.
Esdras, prêtre et scribe
Sa généalogie le présente comme un aaronide, une dynastie la plus importante après la famille royale de David. Il est sorti de Babylone, qui est aussi un lieu important de sciences. La protection divine (« la main du Seigneur était sur lui ») s’exprime par les faveurs de la cour royale perse. Même s’il est prêtre, il ne se concentre pas sur le culte sacrificiel mais sur l’étude, l’interprétation et l’enseignement de la Torah (Esd 7,11-12).
Formation et datation
Outre une similitude au niveau du style, des procédés de composition, et des idées fondamentales, les versets qui closent l'ensemble des Chroniques (2Ch 36,22-23) se trouvent repris presque littéralement par ceux qui introduisent Esdras (Esd 1,1-3). Certains ont vu dans cette similitude un signe que l'ensemble de ces quatre livres (→1 Chroniques→2 Chroniques) fût œuvre d'une unique autorité ayant recouru à diverses sources.
Compilation de plusieurs documents
Les livres d'Esdras et Néhémie font allusion à des documents qui pourraient avoir été la source de la forme actuelle des livres (mais qui sont aussi des formes rhétoriques) : listes de rapatriés ou du peuplement de Jérusalem, actes des rois de Perse, correspondances avec la cour, et surtout le rapport où Esdras rend compte de sa mission et le mémoire justificatif de Néhémie. Les écrits provenant d'Esdras et de Néhémie ont été disloqués, puis combinés ensemble. Les deux livres ne formaient à l'origine qu'un seul livre, réunissant les mémoires de ces deux figures marquantes des réformes politiques, sociales et religieuses de l'ère qui commence avec la reconstruction du temple.
Datation
- La partie ancienne des livres a probablement été écrite après la première mission de Néhémie, peut-être dans le premier quart du 4e s. av. J.-C.
- Ne 12,22 donne des noms des familles des prêtres jusqu'au temps de Darius III (le dernier roi Perse).
- L’image de « réformateur religieux » qui émerge de Ne 13,4-31 en M est un indice du terminus ante quem de l’ensemble Esdras-Néhémie : le tout début du 1er siècle av. J.-C.
RÉCEPTION
Canonicité
Intertextualité
L’Ecclésiastique fait l’éloge de Zorobabel et Josué (Si 49,11s) ainsi que de Néhémie (Si 49,13). 2M 1,18-2,13 mentionne l’activité de Néhémie.
Canon chrétien
Malgré l’absence de toute mention de ces livres dans le Nouveau Testament, les Pères considèrent leur appartenance au canon comme établie. Il faut cependant noter l’hésitation de l'école d'Antioche :
(†428) rejette les deux livres. Leur canonicité est confirmée aux (1441) et (1546).Importance traditionnelle
Les Pères commentent peu ces deux livres; et cette place secondaire dans leur exégèse s’explique sans doute par leur situation : après les grands livres historiques, ils peuvent être compris comme des appendices aux Rois et aux Chroniques.
- Esd 3,2-7). (†373) mentionne que l’inachèvement du temple n’empêche pas d’y prier et d’y célébrer le culte (
- Esd 3,8s). (†379) explique que Salathiel et Zorobabel dirigent Jérusalem en laissant le pouvoir aux prêtres à cause de la réunion des tribus royale et sacerdotale (
- Ne 1,5-11 pour affirmer l’ouverture du salut aux païens comme aux juifs. (†254) s’appuie sur
- Quelques commentaires ponctuels sont donnés par Esd 2,64-70) est la figure du renouvellement de l’âme une fois délivrée des péchés. (†585) : le retour d’Exil (
- (†735) donne le premier commentaire suivi : In Esdram et Nehemiam allegoricae Expositionis. Il est en effet héritier et tributaire de l’héritage des Pères latins ( (†397), (†420), (†430) et (†604)) dont il suit les méthodes exégétiques. S’inscrivant dans leur lignée, il commente aussi les parties des Ecritures passées sous silence. De ce point de vue, est très précieux puisqu’il a ainsi la possibilité de donner une interprétation nouvelle, voire originale, de l’Ecriture, néanmoins ancrée dans l’exégèse typologique, morale et allégorique de ses prédécesseurs. Pour son commentaire sur Esdras et Néhémie, il privilégie les passages les plus appropriés à ce type d’interprétation. Il couvre cependant la quasi-totalité du texte.
Plus tard, Esdras et Néhémie sont commentés par :
- (†1534), (†1554), (†1569), (†1571), (†1576),
- (†1628), (†1646), (†1651), (†1669), (†1681).