« — Tu crois qu’il y a un seul Dieu ; tu fais bien. Les démons le croient aussi et ils tremblent » (Jc 2,19). Voilà l’étonnant compliment que Jacques adresse à son lecteur qui est invité à passer d'une foi réduite à une simple connaissance — inutile —, à une foi bien menée à terme et traduite en actes de charité ; il s’agit du débat très célèbre sur « la foi et les œuvres » (Jc 2,14-26). Les motifs du pauvre rélegué au dernier rang (Jc 2,1-13) et de la langue meurtrière (Jc 13,1-12) sont aussi très connus.
« Petit manuel de pratique chrétienne » : voilà le titre que l’on pourrait donner à cette lettre ou prédication, adressée aux chrétiens, et qui constitue un guide de conduite à suivre dans diverses situations de la vie sociale et personnelle. Il s’agit d’un texte catéchétique, voire moralisateur, composé de règles et de conseils de sagesse. L'oeuvre propose différents buts à atteindre (persévérance, mise en œuvre de la parole de Dieu) ou erreurs à éviter (discorde, mépris des pauvres, accumulation insensée de richesses).
En dépit de son apparente simplicité, Jc est l’un des écrits les plus énigmatiques du NT et ce, pour trois raisons : sa forme littéraire inhabituelle, sa théologie et un contexte historique incertain.
La lettre consiste en une longue suite d’exhortations, dont la plupart sont brèves et peu liées les unes aux autres, mais d’autres sont plus développées. Le seul point commun de ces sections, et qui donne à la lettre son caractère particulier, est le souci que la foi des destinataires soit mise en pratique.
Le point de départ de la pensée de Jc est l'idée de la Sagesse « d’en haut » (Jc 3,17 ; cf. 3,15 ; 1,17) qui est donnée aux chrétiens dans le baptême comme une parole de vérité salvatrice, et qui les rend capables de faire la volonté de Dieu. La sagesse « d’en haut » renouvelle les êtres humains pour en faire des personnes justes. Jc est un document théocentrique, mais il développe sa théologie comme une anthropologie et une éthique. Bien que le nom de Jésus n’apparaisse que deux fois (Jc 1,1 ; 2,1), le contenu de la lettre a un accent christologique particulier (Jc 1,1 ? ; Jc 5,7.8.15). D'un point de vue anthropologique ou éthique, Jc exhorte ceux qui sont éprouvés, tentés ou dans la souffrance, à la joie, la patience, la sagesse, la prière confiante et la réponse à la Parole de Dieu. Aucun livre du NT n’a autant insisté sur l’éthique que Jc ; son enseignement moral est fondé sur la certitude qu'en agissant correctement, on s’approche de Dieu (Jc 1,20 ; 2,5s ; 4,5s), on accomplit sa volonté et on obtient des bénéfices spirituels dans cette vie et dans la suivante (Jc 1,2-4.12 ; 2,5.13-16 ; 5,7-20).
Jc est ancré dans la tradition des livres sapientiaux de l’AT et dans la tradition des homélies des synagogues et des exhortations chrétiennes comme celles de saint Paul ou du Sermon sur la Montagne. Ainsi, par exemple, son enseignement sur la puissance de la prière du juste (Jc 5,16-18) est enraciné dans le Ps 34,17 ; Pr 15,29 et dans l’exemple d’Élie comme modèle de prière efficace (cf. 1R 17,1 ; 18,1). De l’AT, Jc évoque également Abraham et Rahab comme des modèles de bonnes œuvres (Jc 2,21-25) et Job comme exemple de patience (Jc 5,11).
TEXTE
Critique textuelle
La transmission du texte grec de Jacques est relativement bonne, et les différentes versions en donnent un texte plutôt homogène. Il faut ainsi remarquer la proximité entre la tradition occidentale et le texte alexandrin (ce qui est spécifique pour cette épître).Mais des variantes demeurent : 44 versets (sur 108) en présentent d’importantes. Parfois même, certaines difficultés appellent une critique tant philologique qu’exégétique afin de trancher en la faveur de l’une ou l’autre leçon.
Procédés littéraires caractéristiques
Le souci de l’intégrité morale, aussi bien en ce qui concerne l’individu que la communauté, se remarque dans le choix des mots : l’adjectif teleios / perfectus (« parfait », « entier ») (Jc 1,4.17.25 ; 3,2) des noms ou des verbes de la même famille (en Jc 1,15 ; 2,8.22 ; 5,11) consummatus, perficere ; le terme holos / totus, omnis (« entier ») (Jc 2,10 ; 3,2s.6) holoklêros / perfectus (même (Jc 1,4).
Proposition de structure
Au-delà de l’introduction épistolaire, il n’est pas facile de dégager un plan d’ensemble de l’œuvre. L'épître en effet aligne une succession de conseils moraux sans ordre évident.
- Adresse et salutation (Jc 1,1)
- Le bienfait des épreuves (Jc 1,2ss)
- La demande confiante (Jc 1,5-8)
- Le sort du riche (Jc 1,9ss)
- L’épreuve (Jc 1,12-15)
- Recevoir la Parole et la mettre en pratique (Jc 1,16-27)
- Le respect dû aux pauvres (Jc 2,1-13)
- La foi et les œuvres (Jc 2,14-26)
- Contre l’intempérance du langage (Jc 3,1-12)
- La vraie et la fausse sagesse (Jc 3,13-18)
- Contre les discordes (Jc 4,1-12)
- Avertissement aux riches (Jc 4,13-5,6)
- L’Avènement du Seigneur (Jc 5,7-11)
- Exhortations finales (Jc 5,12-20)
Une structuration simple pourrait être la suivante :
- Authenticité de la foi Jc 1,2-2,26
- La sagesse de la vie chrétienne Jc 3,1-4,10
- Avertissements avant le jugement et le salut Jc 4,11-5,26
Genres littéraires
La salutation d’ouverture (Jc 1,1) est la marque du genre épistolaire, bien que le texte manque d’une salutation finale. Mais il est difficile d'y voir une lettre conventionnelle : dénué des salutations et des émotions pauliniennes, il se rattache plutôt au genre homilétique et catéchétique des premières assemblées.
CONTEXTE
Auteur
Auteur traditionnel : Jacques
La première question qui se pose porte sur l’identité de Jacques : il a souvent été compris comme le Jacques « frère du Seigneur » (Mt 13,55 ; Mc 6,3 ; cf. Mt 12,46), chef de la communauté de Jérusalem (Ac 12,17 ; Ac 15,13-21 ; Ac 21,18-26 ; 1Co 15,7 ; Ga 1,19 ; Ga 2,9.12) et martyrisé par less Juifs vers l'an 62 ( , ). Ce Jacques est à diférencier de l'apôtre Jacques, fils de Zébédée (Mt 10,2p) martyrisé sur ordre d'Hérode Agrippa I en 44 (Ac 12,2). S'agirait-il de l'autre apôtre Jacques, fils d'Alphée (Mt 10,3p) ? La discussion demeure.
Hypothèse et reconstitution
La véritable difficulté est l'identification de l'auteur au « frère du Seigneur ». Le nom serait plutôt un pseudonyme, comme l'attestent les nombreux débats autour de sa canonicité, sans doute évités par le patronage de Jacques →« frère de Jésus» (→les Jacques proches de Jésus).
- Son écriture élégante et riche, en grec, recourant à la diatribè correspond mal à un apôtre venu de Galilée, à moins de lui supposer une aide.
- Cette épître est toute pétrie de références sapientielles et d'exhortations concrètes. Les thèmes de l'origine divine de la sagesse (Jc 1,5 ; cf. Pr 2,3-6 ; Pr 8,22-36 ; Sg 7,7 ; Sg 8,21-29 ; Si 1,1 ; Si 51,13), de l'universalité du péché (Jc 3,2 ; cf. Ps 19,13 ; Pr 20,9 ; Si 19,16), de la fragilité de la vie humaine et de l'incertitude de l'avenir (Jc 4,13s ; cf. Pr 27,1 ; Si 11,16s), de la langue malicieuse (Jc 3,2-12 ; cf. Pr 16,27 ; Pr 18,21 ; Si 5,13 ; Si 28,13-36) y sont repris. La peinture imagée du riche en homme repu (Jc 5,5 ; cf. Ps 22,30 ; Ps 73,7) qui égorge le pauvre (Jc 5,6 ; cf. Ps 37,14) et frustre l'ouvrier de son salaire (Jc 5,4 ; cf. Si 31,25-29) est un autre écho des livres sapientiaux.
- On ne peut omettre la grande influence des évangiles, avec la reprise des grands enseignements de Jésus et de ses maximes, transmises par la tradition orale plus que par des ouvrages écrits.
La lettre est l'oeuvre d'un disciple de Jésus qui revisite la sagesse juive selon les enseignements du Christ. Le cadre apocalyptique témoigne aussi de ce contexte de composition. Les théories sur la provenance de l’épître couvrent un large champ : Égypte, Rome, Syrie-Palestine ont toutes été proposées.
Datation
Datation tardive, selon certains parallèles ?
On constate des liens clairs avec des écrits de la fin du 1er s. ou du début du 2e, en particulier la première lettre de
et le Pasteur d'Hermas. Si beaucoup insistaient sur l'influence de l'épître de Jacques sur ces textes, il est généralement reconnu que les trois auteurs utilisent des sources communes et font face à des problèmes semblables. L'épître de Jacques est donc datée de la fin du 1er s., voire du début du 2ème.Datation selon l'authenticité
Si l'authenticité de l'épître est maintenue, il faut la situer avant la mort de Jacques en 62. Il y a alors deux hypothèses, en fonction du problème de la justification par la foi et du débat avec Paul.
- Certains estiment que Jacques polémique contre l'enseignement de Paul galvaudé par des chrétiens, et écrit peu de temps avant son martyre.
- Quelques uns pensent que Jacques aurait écrit son épître vers 45-50 et que Paul s'élèverait contre cette doctrine.
Une telle date semble prématurée. De fait, comme ni le temple de Jérusalem ni la guerre (de 66 à 70) ne sont évoquées, la date de l’épître n’est probablement pas antérieure à 80.
Destinataires
L'épître est adressée aux « Douze tribus de la Diaspora » (Jc 1,1), qui regroupent probablement les chrétiens issus du judaïsme et habitant aux alentours de la Palestine (Syrie ou Égypte). L'argumentation avance moins par citations bibliques claires que par allusions, ce qui confirme l'adresse à des convertis du judaïsme.
RECEPTION
Canonicité
L'épître de Jacques fut accueillie par l'Église au terme de débats.
- Sa canonicité a été reconnue en Égypte, et ; et lui-même la considère comme canonique. (†254) la cite comme Écriture inspirée. Mais (†339) explique que certains la contestent. Cependant il signale aussi que la lettre est « utilisée publiquement par la plupart des Églises » et qu’elle est « connue et approuvée par un grand nombre », dont lui-même. (†420) mentionne aussi qu’elle est discutée
- Les Églises de langue syriaque la reconnaissent comme canonique au cours du 4e s. ; la Peshitta l’inclut. En Afrique, (†230), (†258) l'ignorent ; le Catalogue de Mommsen (vers 360) ne la contient pas non plus. Son statut canonique est établi par les (393) et (397). (†428) la rejette
- À Rome, elle n'est pas citée dans le Canon de Muratori, attribué à ; cf. supra). (†367) et (†410) l’acceptent. (vers 200), (†ca. 99), et l'auteur du Pasteur d'Hermas ne la citent pas à priori (2ème s.
C'est seulement à la fin du 4e s. que sa canonicité s'impose.
l’inclut dans sa liste canonique de la Lettre festale 39 (367).Plus tard, la question est alors reposée :
(†1536) met en question l’authenticité apostolique de Jacques.- (†1546) en parle comme de l’« épitre de paille » d’autorité apostolique douteuse et qui contredit l’enseignement de Paul sur la justification par la foi seule. Il la relègue donc à la fin de son Nouveau Testament.
- D’autres Réformateurs comme (†1531), (†1536), (†1560) et (†1564) ne mettent pas en question sa canonicité.
La canonicité de l’épître se trouve à nouveau affirmée au
(1546).Importance traditionnelle
Exégèse
L’épître est fréquemment citée par
(†407), (†ca. 435) (†444).Parmi les anciens commentateurs, se comptent, outre les œuvres citées :
- (†449),
- (ca. 850),
- (†1171),
- (†1203)
- (†1358).
A l’époque de la Réforme et ensuite, l’épître est commentée, entre autres, par :
- (†1550), (†1564),
- (†1610), (†1610), (†1611), (†1624), (†1638),
- (†1770), (†1792).
Liturgie
Le sacrement de l'Onction des malades trouve son fondement biblique en Jc 5,14s (cf. Concile de Trente).
Polémique contre Paul ?
Une discussion (Jc 2,14.26) et les nombreux parallèles entre Jc et Ga/Rm permettent d'imaginer une confrontation entre Paul et Jacques, signe non de la division entre les chefs, mais de la complexité de la révélation. La pastorale des deux apôtres ne s'adresse pas au même public, ce qui peut expliquer leur opposition qui vient de ce qu'ils ne mettent pas en avant les mêmes points (Paul évoque les préceptes rituels comme la circoncision, et Jacques plutôt la morale). Mais ils s'accordent sur l'essentiel (cf. Jc 2,6.14). Et l'Eglise, tenant les deux épîtres, trouve l'équilibre entre la foi et les oeuvres.