La Bible en ses Traditions

YHWH (significations et fonctions)

Les quatre consonnes yod he waw he forment le « tétragramme », YHWH, qui est le nom ultime et propre de Dieu dans les Écritures (Gn 2,4 ; 4,26, cf. Dt 6,2-8. Plusieurs traductions en ont été proposées :

La révélation de YHWH au buisson ardent

Le nom YHWH est lié particulièrement à la sortie d’Égypte marquée par la manifestation à Moïse devant le buisson ardent qui fait l’usage le plus développé du nom (Ex 3). 

Deux grandes lignes d'interprétations

En contexte, le Nom signifie que Dieu sera toujours présent à Israël :

Hors contexte, pris comme le nom propre de Dieu, le tétragramme a donné lieu à deux grands types d’interprétations

(1) Interprétation existentielle, ironique, minimaliste

Elle se fonde sur le texte massorétique et son interprétation grammaticale obvie de la forme inaccomplie.

Elle prévaut dans le judaïsme traditionnel, qui pense que Dieu lui-même ne donne pas son nom, ineffable, et se dévoile en se voilant : on ne prononce pas Son Nom. La forme paronomastique aurait aussi une connotation d’indétermination (cf. Ex 4,13 : « envoie qui tu enverras » ; Ex 16,23 ; 1S 23,13 ; 2R 8,1, etc.), et donc de réticence divine à donner son nom (cf. Gn 32,30 : « Pourquoi me demandes-tu mon nom ? » ; Jg 13,18). Cette révélation est marquée d’une ironie profondément pédagogique. Le « nom » est tout ensemble cataphatique et apophatique, à la fois une réponse positive (Dieu accepte de se dire) et un refus de répondre (il se voile en se dévoilant). Il oblige à un déplacement de l’interlocuteur du monde des idées à celui des actes et de la réalité concrète, du sémantique ou du déictique, au pragmatique.

(2) Interprétation métaphysique, maximaliste

L’autre, plus métaphysique, reflétée dans le texte de la Septante, lit ici une proposition de type « sujet-copule-prédicat » :

Elle entend dans la formule l’affirmation que YHWH est le dieu qu’Israël doit reconnaître comme réellement existant (De Vaux), et voit dans l'épisode du buisson ardent le dévoilement de l’Être par excellence. Justifier cela en philologie hébraïque n'est pas simple. Pour ce faire, il faut :

En réalité, comme le montre, dans l'œuvre de Thomas d'Aquin, l'articulation de la morale, de la mystique et de la « métaphysique de l'Exode » fondée sur Ex 3,14 (Gilson), ces deux grandes lignes d'interprétation ne se contredisent pas et se rejoignent au plus profond de l'expérience et de la pensée de ceux qui méditent le Nom...

Hypothèses sur l’origine et l’histoire

Un Dieu adopté par les Israélites ?

→Bible et Archéologie XII : Stèles.

Un dieu d’origine sudiste ?
 YHWH adopté par Israël puis par Juda ?

LE TÉTRAGRAMME YHWH : Verbaliser et prononcer le nom ?

Attestation de sa prononciation

Les quatre lettres formant le Tétragramme sont imprononçables sans vocalisation. Il a donc été vocalisé afin d’être prononcé.

Dieu lui même s’attarde sur ce nom devant Moïse en prescrivant de le répéter (Ex 3,12-15) ; le livre de Ruth (Rt 2,4) laisse entendre que le nom est d’usage courant. En effet, le nom de Dieu doit être sanctifié (Is 29,23 ; Ez 20,9 ; 14,22 ; 36,22 ; Mt 6,9) et glorifié (Jn 12,28 ; 13,31 ; 17,6-26) ; il peut également être profané (Lv 18,21 ; 19,12 ; 20,3 ; Am 2,7) ou blasphémé (Lv 24,16 ; Rm 2,24 ; 1Tm 6,1 ; Jc 2,7). Pour la réalisation de certains rites puissants, tels les exorcismes, le Nom devait être prononcé : sans l’invocation explicite du nom de YHWH, les démons ne partiraient pas.

Il faut donc insister sur le « en vain » dans l’interdit énoncé par Ex 20,7 : on ne doit pas prononcer le nom en vain. Il vise moins le fait de prononcer/profaner le Nom que le parjure. Le serment fait sous le nom de Dieu (par invocation de son nom) rend la promesse incorruptible, sous peine d’insulter le nom de Dieu, et c’est sans doute ce type de pratique que cible l’interdiction.

Hypothèses pour une prononciation restituée

La prononciation originelle du nom signifié par le Tétragramme est incertaine, mais on peut faire une approximation. La construction de noms propres à partir de la racine abrégée du nom divin (noms théophores) montre que la population connaît la verbalisation de YHWH :

Yahweh ou Yahvé sont les reconstitutions les plus communément admises. « Jéhovah » provient d’un placage approximatif des voyelles du Qeré Adonaï (hatef patakh, pris comme shewa puis patakh puis qameç) et des consonnes du Ketiv YHWH. Cette vocalisation curieuse a été popularisée en particulier dans les traductions anglaises de William Tyndale, de la King James Version ou de la Bible de Genève.

La réticence traditionnelle à prononcer le nom divin

La tradition assure cependant que ce nom ne pouvait être prononcé hors de l’enceinte du Temple, en dehors on disait Adonaï (Maimonide Mishneh Torah  14,10 (sur les prières et bénédictions) ; cf. b. Kiddushin 71a). Le Nom ne serait donc plus prononcé depuis la disparition du Saint des saints.

Il semble que l’évitement du nom soit un processus engagé antérieurement. La tradition juive a cessé peu à peu de le prononcer en lecture publique (sans doute au moment de la période perse) en prenant le détour du titre : Adonaï (Mon Seigneur) ou Elohim (Dieu/x). Cette pratique juive consistant à remplacer ce Nom par une désignation (en particulier : là où le Ketiv YHWH apparaît, lire le Qeré : SeigneurAdonaï ou Kurios ; mais aussi remplacer « Dieu » par « ciel » ou « cieux » dans des expression comme « royaume de Dieu ») pour la lecture du texte hébreu dans la synagogue se retrouve dans la Septante mais aussi dans de Nouveau Testament (Ac 2,21 ; Rm 10,13) ou dans les targums avec la substitution de Hadavar (la parole) pour le nom divin.

Continuant une tendance pieuse d’évitement du Nom, dans le judaïsme contemporain, beaucoup évitent non seulement le tétragramme, mais même ses substituts traditionnels. Ils disent : Hašem : Le nom (cf. Lv 24,11). Ces deux termes sont utilisés dans la conversation courante.

Position ecclésiastique et usage dans La Bible en ses traditions

Dans la mesure où la philologie historique nous assure que le Nom fut bel et bien prononcé dans l'Antiquité, nous ne plaquons pas sur notre traduction du texte de M l'usage pieux et liturgique de Kurios ou Dominus et préférons conserver au tétragramme simplement translittéré YHWH toute son énigme. Nous traduisons les équivalents donnés en G (Kurios/Seigneur, le plus souvent, parfois Theos/Dieu) et en V (souvent Dominus/Seigneur, mais parfois simplement il ou qui, par souci latin d'élégance, en les formattant en petites capitales et en les « taggant » « Nom divin », pour que le lecteur sache immédiatement que le Nom mystérieux gît dans l'Ur-text.

LE TÉTRAGRAMME YHWH en signe efficace, ou : le nom de Dieu comme un artefact.

Le processus d’invocation de la présence divine en oralisant son nom vaut également pour le signe écrit : si le nom est sacré, le signe qui y renvoie le devient automatiquement. Aussi, le tétragramme est nettement distingué dans le texte, le plus souvent écrit en caractères paléo-hébreux, isolé du texte qui l’entoure, ou écrit en lettres carrées. Jusque dans la littérature juive en grec, le tétragramme reste écrit soit en paléo-hébreu, soit en hébreu carré. Toujours pour isoler les caractères et les rendre plus signifiant encore, ceux-ci peuvent être tracés avec une encre de couleur différente, par exemple pour certains manuscrits de Qumrân (11Q22).

La combinaison des quatre caractères devient un signe autonome et puissant, ce signe devenant lui même une forme signifiante. Composer cette forme devient un acte rituel, et le tétragramme en premier lieu (et les nomina sacra plus généralement) contraint le scribe à des règles strictes. Celui-ci doit se préparer au tracé des lettres ; une fois le tracé commencé, il ne peut être interrompu, sous aucun prétexte ; en cas d’erreur, aucun repentir n’est possible. Le nom de Dieu ne peut être effacé, Il doit être entouré pour être désacralisé et le support, devenu inutilisable, entreposé dans la gueniza (remise de la synagogue).

Les textes usés devenus impropres à la lecture publique pour cause d’usure ne peuvent être jetés ni détruits car en plus de la parole divine y sont inscrits les noms de Dieu. Il sont alors également entreposés dans la gueniza.

Le nom inscrit sur son support en fait donc un artefact sacré. Les tephillins (les phylactères), petits coffrets contenant de petits rouleaux des Écritures que certains juifs (rabbiniques) fixent avec des lanières de cuir sur leur front et leur bras au moment de prier (Ex 13,9 ; Dt 6,8 ; 11,18), sont un exemple éloquent de ce processus. Le texte devient un artefact de haute valeur sacrée qu’il convient de porter au plus près de sa chair, comme pour réaliser littéralement l’essence de l’alliance par le nom divin énoncée près du buisson à Moïse (Ex 3,12 : « Je serai avec toi »).

Il est à noter que les scribes chrétiens antiques prolongèrent ce type d'usages : 

HISTOIRE DE LA RÉCEPTION

Présent sur de nombreuses œuvres→ liturgiques chrétiennes (en particulier dans les gloires, au sommet de retables baroques), le tétragramme n'en finit pas d'inspirer les artistes, comme en témoigne une œuvre récente de Eli Petel Might this thing be?→ [Pourrait-ce être ?], Perles et fil, 2007, Dvir Gallery, Tel Aviv, Israel.