« Ce que tu hais, ne le fais à personne » (Tb 4,15) : cette maxime de sagesse appelée aussi « règle d'or », mais aussi le merveilleux et le pittoresque de l'histoire qu'il raconte, explique pourquoi ce livre été utilisé par les Juifs et les chrétiens pendant des siècles pour enseigner les grands principes de la vie morale tels que le respect dû aux morts (Tb 1,20) ou le devoir de l'aumône (Tb 4,11) ...
Le livre de Tobie est généralement daté du 3e s. av. J.-C., bien qu'il puisse être antérieur. Il a été écrit en hébreu, mais ne fait pas partie du canon de la Bible hébraïque ; il est conservé en grec, puis en latin, dans la Bible chrétienne.
Le livre de Tobie est un petit roman familial, doublé d'une intrigue de reconnaissance, illustrant la bonté de Dieu qui répond aux prières de ceux qui le servent en toute fidélité. Le narrateur raconte l'histoire de deux Juifs de la diaspora dans le cadre de la ville de Ninive, en Assyrie, pendant l'exil à Babylone. Voici un père (Tobit) et son fils (Tobie), tous deux confrontés à des défis difficiles : le pieux Tobit, devient aveugle après avoir reçu de la fiente d'oiseau dans les yeux (Tb 2,11) ; Tobie, son fils, part en voyage pour recouvrer une dette (Tb 5,22), suivi du chien de la maison, détail amusant (Tb 6,1) mais surtout accompagné d'un ange déguisé en compagnon de voyage, Raphaël. Tobie revient, avec une nouvelle épouse, Sara (Tb 9-11), et Tobit est guéri (Tb 11,15). L'ange Raphaël se fait finalement reconnaître (Tb 12).
Les thèmes principaux de ce livre sont donc: la foi en Dieu qui permet de se sortir des situations difficiles, l'espérance en Dieu (Tb 2,16) qui n'abandonne jamais ceux qui se confient en lui, et la rédemption: Tobit est libéré de sa cécité et Sara du démon Asmodée.
Le livre de Tobie n'est pas cité comme tel dans le Nouveau Testament mais sa théologie de la prière, du jeûne et de l'aumône (Tb 12,8) annonce le discours de Jésus sur la montagne (Mt 6,1-18).
TEXTE
Critique textuelle
Original sémitique
On ne possède pas aujourd'hui l'original sémitique du livre de Tobie.
rapporte qu'il s'est servi pour sa traduction d'un texte “chaldéen” (araméen), perdu, mais l'existence d'un original sémitique est attestée par les grottes de Qumrân, qui recelaient les fragments de quatre manuscrits araméens et d'un manuscrit hébreu du livre de Tobie.Les versions
On dispose également de quatre →recensions, par le témoignage des →versions grecque, syriaque et latine. Les manuscrits grecs Vaticanus (B) et Alexandrinus (A), d'une part, le codex grec Sinaïticus (S) et la Vetus Latina, d'autre part, contiennent les deux plus importantes. L'ancienneté de la dernière est attestée par sa proximité avec les fragments qumrâniens.
Proposition d’une structure du livre
Le livre est l’histoire conjointe de deux familles en proie à l’épreuve et des interventions providentielles en leur faveur. La narration se divise en trois grandes parties.
- La première, en deux tableaux parallèles, raconte les épreuves et la prière de Tobit à Ninive et de Sara à Ecbatane (Tb 1,1–3,15).
- La seconde narre la délivrance de Sara dans le cadre d’un récit de voyage qui se mue en histoire d’amour avec Tobie, puis la guérison de Tobit (Tb 3,16-12,21).
- L’épilogue tire les leçons religieuses et morales de l’histoire (Tb 13,1–14,15).
Genres littéraires et sens général
Ce n'est pas un récit historique...
Un trait littéraire se retrouve dans les livres de Tobie, Judith et Esther : ces récits traitent l'histoire et la géographie avec une certaine latitude. C'est qu'il ne s'agit pas de faire de l'histoire, mais, à partir de faits vraisemblablement réels, de développer un récit contenant un enseignement.
... mais un récit d'édification
Les devoirs envers les morts, l'aumône, une haute idée du mariage et un grand sens de la famille y sont développés. L'ange Raphaël est l'expression de la bienveillance de Dieu qui agit dans le quotidien de cette famille.
CONTEXTE
Histoire et géographie
Le livre de Tobie ne recherche ni la vraisemblance historique ni la vraisemblance géographique.
D'après ce livre, le vieux Tobit a connu, lorsqu'il était jeune, la séparation des deux royaumes (931 av. J.-C.) (Tb 1,4) et est ensuite déporté avec la tribu de Nephtali (734) (Tb 1,5.10). Tobie quant à lui voit la ruine de Ninive (612) (Tb 14,15) avant sa mort. Sennachérib succède, dans le livre, à Salmanasar (Tb 1,15) et Sargon est oublié.
Les distances sont étonnantes : les personnages marchent deux jours entre Rhagès situé dans la montagne et Ecbatane au milieu de la plaine (Tb 5,6) malgré les 300 km entre les deux cités et le dénivelé très important (Ecbatane est à 2 000 m d'altitude).
Auteur/s et datation
L'auteur du livre est familier de la littérature biblique postérieure à l'exil d'Israël et même à celui de Juda comme en témoignent les idées religieuses du livre et l’utilisation qu’il fait des prophètes tardifs. On trouve dans le livre l'influence des récits des patriarches (Genèse), et une proximité littéraire avec Job et Esther, Zacharie et Daniel. Il est possible aussi de comparer ce livre à la Sagesse d'Ahikar (cf. Tb 1,22 ; 2,10 ; 11,18 ; 14,10), ouvrage apocryphe dont le premier état date du 5e s. av. J.-C. (voir Tb 1,22s). Les nombreuses similitudes avec le Siracide (écrit vers 190) sont autant d’indices pour en dater l’écriture vers 200 av. J.-C. peut-être en Palestine, sans doute en araméen.
RECEPTION
Canonicité
Comme celui de Judith, le livre de Tobie compte parmi les derniers intégrés au canon des Écritures.
- Le Tanakh ne les contient pas, malgré un débat sur leur canonicité dans le judaïsme, dont fait mention.
- Ils ne sont pas non plus acceptés dans les canons protestants.
- Ce sont donc des livres deutérocanoniques, admis par l'Église malgré des hésitations parmi les Pères. , dans sa Préface aux livres de Samuel et des Rois signale que les livres de Tobie et Judith ne sont pas canoniques, mais qu'il les a traduits à la demande de ses mécènes (Préface à Tobie) contre son souhait de se limiter au canon juif. Cependant, il les cite et tient les événements qu'ils racontent pour authentiques. Lus cependant et utilisés très tôt, ils sont rangés dans les listes officielles du canon, en Occident à partir du synode romain de 382, en Orient à partir du concile de Constantinople « in Trullo », en 692.
Dans la Vulgate, les trois livres de Tobie, de Judith et d’Esther sont rangés à la suite des livres historiques. Certains grands manuscrits de la version grecque suivent le même ordre mais d'autres les classent après les Écrits sapientiaux.
Importance traditionnelle
Postérité
Plusieurs passages du livre de Tobie ont marqué d’autres œuvres de la littérature religieuse ultérieure.
- Ce récit est particulièrement important dans la reconstruction du développement de l'angélologie et de la démonologie dans le judaïsme ancien puis dans le christianisme. En témoigne, entre autres le Testament de Salomon, apocryphe chrétien du 3e s. ap. J.-C. ;
- Deux versions du Livre des Délices de (médecin barcelonais du 12e s.) reprennent librement l’histoire de Tobie.
Exégèse
Les premiers Pères de l’Eglise ont utilisé les thèmes moraux et religieux du livre comme arguments catéchétiques, théologiques et apologétiques, par exemple
(†397), Sur Tobie.- Tobit est présenté par les Pères comme modèle et symbole de la vie chrétienne.
- Ce livre leur a aussi servi pour penser la relation du christianisme à l’Ancien Testament.
- (†735) dans son Interpretatio in librum Tobiae en propose quant à lui une interprétation allégorique.
Des commentaires plus récents furent rédigés, entre autres, par
(†1609), (†1613), (†1627), (†1628), (†1646), (†1661),- (†1736) et (†1757).
Liturgie
- Des textes liturgiques latins (Bréviaire mozarabe du 11e s.) et gothiques (cf. Manuscrits de Tolède, Espagne) reprennent le cantique de Tobie 14.
- Des passages du livre figurent dans les lectures proposées pour la liturgie du sacrement de mariage dans l’Église catholique.
- Sa thématique apparaît souvent dans les livres de prière de la Réforme pour la célébration du mariage.
Le livre de Tobie a toujours eu une place privilégiée dans la piété des croyants à cause du thème de l’assistance divine dans l’épreuve. C'est le seul livre qui fait mention de l'archange Raphaël dans l'AT.
Réception culturelle
L’iconographie du 3e au 5e s. utilise la lecture symbolique du livre de Tobie. Ainsi, le portrait de Tobie attrapant le poisson se retrouve sur les fresques des catacombes et sur les bas-reliefs de sarcophages comme « type » du Christ et de la vie sacramentelle du baptême et de l’eucharistie.
Pour les arts plastiques, figurent parmi les tableaux les plus renommés sur le sujet :
- ; (†1469), Les trois archanges avec Tobie (chap. 6) avec l’ajout des archanges Michel et Gabriel
- (†1669), chez qui les thèmes du livre de Tobie reviennent une vingtaine de fois, par exemple dans Tobit, Anna et le chevreau, Tobit aveugle (aveugle, Tobit connaît cependant la lumière intérieure de la vérité qui vient de Dieu), L’ange quittant la famille de Tobit, etc.
Le thème de l’ange prenant une apparence humaine et guidant Tobie dans son voyage a été un thème de prédilection pour les peintres et les sculpteurs de la Renaissance florentine dans les œuvres religieuses qui leur étaient commandées. De nombreux autres artistes se sont encore ultérieurement inspirés de ce livre.