« Voici que je vous enverrai Élie le prophète, avant que ne vienne le jour du Seigneur, jour grand et redoutable. Il ramènera le cœur des pères vers leurs fils et le cœur des fils vers leurs pères, de peur que je ne vienne et ne frappe la terre d’anathème » (Ml 3,23-24).
Ce verset, à la fois encourageant et menaçant, sert de conclusion non seulement au livre de Malachie, mais aussi à l'ensemble des →Prophètes mineurs et à l'ensemble des prophètes postérieurs selon le canon juif. Son destinataire initial était le peuple de Juda de la deuxième ou troisième génération après le retour de la captivité, alors tenté par l'apathie et la tiédeur, bien que le Temple eût été reconstruit.
Malachie est un livre controversé, tant par sa théologie que par sa présentation littéraire. Il n'est pas même certain que Malachie désigne une personne réelle par son prénom, ou simplement une fonction (mal’aki (Ml 1,1) se traduit par « mon messager » ou « mon ange »). L'auteur pratique une « prédication dialoguée » qui alterne oracles et dénonciations prophétiques, avec les objections et les doutes de ses auditeurs, introduites par la formule : « Et vous dites » ou « avez dit » (Ml 1,2.6.7.13 ; 2,14.17 ; 3,7.8.13). C'est ainsi que Malachie dénonce les abus commis dans le culte et dans la vie sociale (Ml 3,5). Ces accusations s'adressent en particulier aux prêtres qui n'offrent pas les sacrifices de manière correcte (Ml 1,6-2,9), aux hommes qui divorcent de leurs femmes pour épouser des étrangères (Ml 2,10-16) et à ceux qui fraudent le Seigneur en ne payant pas la dîme (Ml 3,6-11).
Face à la tiédeur du peuple, le prophète insiste sur l'amour de Dieu (Ml 1,2), qui tiendra parole, de sorte que le Jour du Seigneur « feu fondant », « herbe des foulons », « brûlant comme un brasier » (Ml 3,2.19) viendra en son temps ; alors la justice divine brillera comme la lumière du soleil (Ml 3,20-21). Au jour du Seigneur les prêtres seront purifiés, les justes triompheront et les méchants seront anéantis (Ml 3,1-5.13-21).
Le dernier des prophètes dans l'ordre canonique apparaît dès les premières lignes de ce que certains considèrent comme le premier évangile (Mc 1,2 crée un jeu d'allusions à Ml 3,1 et à Ex 23,20). Malachie est la source du scénario du précurseur (messager qui doit préparer le chemin du Seigneur : Ml 3,1 ; 3,23-24), qui structure la relation entre Jean-Baptiste et Jésus dans l'évangile. Il est donc aussi la source du questionnement qui le traverse : qui est Élie dont parle le prophète (cf. Mt 11,14 ; Lc 3,4-9) ? Le Nouveau Testament cite encore Malachie à propos de l'élection de Jacob et non d'Ésaü (Ml 1,2 : Rm 9,13) ; en outre, le rouleau portant les noms des justes du chapitre 3 (Ml 3,16) anticipe le livre mentionné dans l'Apocalypse (Ap 20,12).
TEXTE
Critique textuelle
L’état du texte hébreu du livre de Malachie est bon, à l’exception du verset Ml 2,15. La Septante permet néanmoins d'en faire une lecture plausible.
Procédés littéraires caractéristiques
Les six controverses entre le Seigneur et son peuple recourent au même procédé : une question actuelle permet, par analepse, un retour sur le passé d’Israël à la manière d’un réquisitoire, puis, par prolepse, l’ouverture, sous forme de promesses, d’un avenir de bonheur.
Proposition d’une structure du livre
Après le titre (Ml 1,1), le livre de Malachie comporte six parties composées sur une même trame : une révélation divine discutée par le peuple ou le clergé est alors amplifiée dans un discours de menaces et de promesses.
- Yhwh aime Israël (Ml 1,2-5).
- Les prêtres sont infidèles à leur alliance (Ml 1,6-2,9).
- L'alliance du mariage est abusé par des mariages avec les infidèles et des divorces (Ml 2,10-16). →Métaphore du mariage
- L'arrivée du Seigneur au temple répondra « où est Dieu? » (Ml 2,17-3,5).
- Convertissez-vous! (Ml 3,6-12).
- Le Jour du Seigneur (Ml 3,13-21).
Épilogue: Souvenez-vous de Moïse et d'Élie ! (Ml 3,22-24).
Genres littéraires
L’unité du livre ne lui vient pas de son contenu mais de sa forme littéraire, la controverse (en allemand Diskussionswort), dans le cadre d’un dialogue fictif véhément entre Dieu ou son prophète et son peuple. Le livre est composé comme une série de questions et de réponses : 1) une thèse de Dieu où le prophète ; 2) thèse opposée « Et vous dites » ; 3) réaction du prophète. C’est probablement une diatribe dont les positions débattues ne sont pas des vraies citations mais une sermocination.
CONTEXTE
Auteur
Le nom « Malachie » est connu par un ostracon de Tel Arad (7e s. av. J.-C.). Il est cependant possible que ce livre soit anonyme, car mal’akie (Ml 1,1) se traduit par « mon messager ». Peut-être Ml 3,1 (« Voici je vais envoyer malachie [= « mon-messager »] est-il la source du nom donné au livre ?
Parce qu'il s’intéresse au Temple, au culte et commence sa critique sociale par les prêtres, on peut imaginer que l'écrivain fût un lévite qui prenait sa mission d'enseignement très au sérieux.
Datation
On peut dater le livre par son contenu : il est probablement écrit après la reconstruction du Temple (515) et la reprise du culte, mais avant l'interdiction des mariages mixtes sous Néhémie en 445 →Néhémie, où aux environs de cette dernière date.
Formation
En ce qui concerne le passage Ml 3,22ss, certains y voient une addition éditoriale faite lors de la collation des Douze Petits Prophètes pour servir de clôture au recueil dans son ensemble.
Les versets Ml 2,11b-13a pourraient aussi être une addition.
RÉCEPTION
Canonicité
A une exception près, 4Q76 = 4QXIId, qui place Malachie avant Jonas, tous les autres témoins textuels placent Malachie à la fin des Douze Prophètes →Prophètes mineurs. Ce dernier prophète postexilique conclut donc à la fois le recueil des Douze Petits Prophètes et l’ensemble des Prophètes. Dans la tradition juive, les « →Prophètes antérieurs (Josué, Juges, Samuel & Rois) font partie des Prophètes aussi bien que les « Prophètes postérieurs » (les livres prophétiques). Après l'ardeur réveillée par Aggée et Zacharie, la communauté retombe dans ses mauvaises habitudes et le prophète du livre de Malachie vient réexpliquer l'importance de la piété intérieure et du respect de la loi de Dieu.
La Vulgate a dédoublé le chapitre 3 : les versets Ml 3,19-24, deuxième passage sur le Jour du Seigneur et annonce du retour d’Élie, deviennent ainsi Ml 4,1-6. Cette manière de diviser le livre s’est transmise aux traductions faites sur la Vulgate, en particulier la King James Bible mais aussi par exemple, la traduction française de au 17e s.
Importance traditionnelle
Intertextualité
- Si 48,10 cite Ml en rapport avec Élie. →Typologie élianique
- Dans le Nouveau Testament, se retrouve l’annonce du Précurseur et celle du retour d’Élie. Jean-Baptiste est ainsi reconnu comme le mystérieux envoyé (Ml 3,1.23) dans les Évangiles (Mt 11,10.14 ; 17,10-13 ; cf. Lc 1,17.76 ; 7,27 et Mc 1,2 ; 9,11ss) : il est « cet Élie qui doit revenir ».
- L’image de la paille qu’on enflamme (Ml 3,19) est implicite dans les paroles du Baptiste sur Jésus (Mt 3,12 ; Lc 3,17).
- Rm 9,13 reprend Ml 1,2s.
- Jc 4,8 utilise le même parallélisme que Ml 3,7.
- Ap 6,17 cite la tournure « soutenir le Jour (de Dieu) » (Ml 3,2).
Exégèse chrétienne
Plusieurs versets ont été particulièrement commentés par les Pères :
- « J'ai aimé Jacob mais j’ai haï Ésaü » (Ml 1,2) est une référence fréquente dans les débats sur la prédestination mais aussi pour légitimer l’élection des chrétiens à la place des Juifs.
- Les Pères ont repris des éléments du réquisitoire contre les prêtres (Ml 1,6-2,9) tantôt à titre d’avertissement aux prêtres, tantôt comme modèle à suivre, Ml 2,5ss figurant alors le Christ, prêtre authentique.
- « Du levant au couchant, mon Nom est grand chez les nations, et en tout lieu un sacrifice d’encens est présenté à mon Nom ainsi qu’une offrande pure. Car grand est mon Nom chez les nations ! » (Ml 1,11). Des premiers Pères jusqu’au Concile de Trente, ce verset a été lu comme prophétie du culte chrétien et tout spécialement de l’eucharistie : il en annonce le caractère universel et spirituel. Désormais le sacrifice non sanglant, « sacrifice spirituel » de louange, est offert en tout lieu.
- « Oui, moi, Yhwh, je n'ai pas changé » (Ml 3,6) est allégué par les Pères pour rappeler la constance de la nature divine, immuable et impassible, qui ne reprend pas son affection.
- « Voici que je vais envoyer mon messager, pour qu’il fraye un chemin devant moi. Et soudain il entrera dans son sanctuaire, le Seigneur que vous cherchez ; et l’Ange de l’alliance que vous désirez, le voici qui vient ! » →Les anges dans les Écritures et la Tradition Ml 3,1 est capital pour les Pères, qu’ils le réfèrent au premier avènement du Christ, l’Incarnation, ou à sa seconde venue dans la Gloire. Comme les évangiles synoptiques appliquent Ml 3,1a à Jean-Baptiste, la plupart des Pères comprennent Ml 3,1b comme se rapportant à un second personnage, en l’occurrence Jésus.
- « Il viendra pour fondre et purifier l’argent » (Ml 3,3) est utilisé à la suite de 1P 1,8 pour évoquer la mise à l’épreuve des croyants.
- « Le Jour vient, brûlant comme un four. Ils seront de la paille, tous les arrogants et malfaisants » (Ml 3,19) est un des arguments visant à affirmer le Jugement dernier.
- « Mais pour vous qui craignez mon Nom, le soleil de justice brillera, avec la guérison dans ses rayons. » (Ml 3,20) Ce verset est l’une des sources essentielles pour le titre christologique : « soleil de justice ».
Le livre est ensuite commenté, entre autres, par :
- (†1546), (†1560), (†1566), (†16e siècle),
- (†1600), (†1616), (†1622), (†1639), (†1667), (†1693),
- (†1713), (†1739), (†1787), (†1792),
- (†1809).
Voir aussi les commentaires sur l’ensemble des douze →Prophètes mineurs.