« Le lion rugira : qui ne craindra pas ? Le Seigneur Dieu a parlé : qui ne prophétisera pas ? » (Am 3,8). Cette puissante analogie reflète l'expérience intérieure d'Amos, l'un des prophètes classiques du 8e s. av. J.-C., qui est à l'origine du plus ancien livre prophétique de la Bible. Dans le canon biblique, il fait partie d'un corpus des douze prophètes →Prophètes mineurs. Paysan de Tekoa en Juda, le Royaume du Sud, (Am 1,1), le Seigneur l'appelle à prophétiser en son nom à Israël, au Royaume du Nord (Am 7,15) →Bible et Archéologie X : Israël et Juda.
La prospérité commerciale du royaume d'Israël avait accru la richesse, mais aussi la pauvreté et les déséquilibres sociaux. C'est dans ce contexte qu'Amos a accompli sa mission prophétique en critiquant sans relâche la société israélite, notamment pour ses péchés contre la justice sociale. Ses dénonciations s'adressent en particulier à ceux qui s'enrichissent par la violence et l'exploitation des plus faibles (Am 3,10 ; 5,11 ; 8,4), à ceux qui pratiquent la corruption dans les tribunaux (Am 5,12.15) et à ceux qui réduisent en esclavage les débiteurs incapables de payer (Am 2,6 ; Am 8,6). Sans oublier la critique du culte détaché de l'éthique (Am 5,21-26). Face à ces crimes et à ces injustices, le Seigneur ne laissera pas les coupables impunis (Am 2,13-16 ; 4,2s ; 8,3). D'où l'appel du prophète : « Prépare-toi à rencontrer ton Dieu » (Am 4,12).
Structurellement, le livre d'Amos commence par une série d'oracles prophétiques annonçant le châtiment des nations voisines d'Israël, en raison des atrocités qu'elles ont commises au cours des guerres (Am 1,3-2,3). Contre les attentes de ses lecteurs potentiels, le prophète se retourne aussi contre Juda et Israël qui ne seront pas non plus épargnés par le jugement divin sur leur péché (Am 3,1-6,14). Dans la dernière partie, nous trouvons une série de visions prophétiques (Am 7,1-9,10), qui annoncent l'imminence du châtiment malgré l'intercession répétée du prophète (Am 7,2.5). Cependant, le livre se termine par un message d'espérance, décrivant la restauration future du peuple de Dieu (Am 9,11-15).
Sur le plan théologique, on trouve dans le livre d'Amos la plus ancienne attestation du motif prophétique du « Jour du Seigneur » : quand le Seigneur viendra dans les ténèbres (Am 5,18s) pour déclencher sa vengeance (Am 6,8s) aux mains d'une nation désignée par Dieu (Am 6,14), probablement identifiée cette fois à l'Assyrie. Tout au long de ces oracles et visions nous entendons le crépitement des flammes, le grondement des murs qui s'écroulent, les palais et les maisons qui s'effondrent, les sanctuaires qui écrasent leurs adorateurs. Mais il reste l'espérance, le désir de salut qui se manifestera dans un "reste" (Am 3,12 ; 5,3.15 ; 9,8).
Déjà dans le Nouveau Testament, Am 2,16 semble avoir inspiré le détail du jeune homme s'enfuyant nu dans le passage selon Marc (Mc 14,52). Plus tard, Étienne et Jacques reprendront Amos devant le Sanhédrin (Am 5,25-27 G, Ac 7,42) et lors du Concile de Jérusalem (Am 9,11-12 ; Ac 15,16). Les motifs du Jour du Seigneur font partie des visions apocalyptiques →Apocalyptique (littérature —) ; p. e. Ap 8,8 ; 10,3.
TEXTE
Critique textuelle
Texte massorétique
Malgré quelques passages qui posent problème, les exégètes admettent aujourd’hui la fiabilité du texte massorétique d’Amos. Les fragments découverts à Qumran (4Q78 = 4QXIIc, 4Q82 = 4QXIIg, 5Q4 = 5QAmos, Mur88 = MurXII) viennent en effet le confirmer.
- La version du →Targum (Targum Jonathan ben Uzziel sur les Prophètes), tout en interprétant elle aussi le texte, présuppose une version proto-massorétique.
- La Peshitta et la Vulgate s’attachent de près au texte proto-massorétique.
La Septante
- La traduction de la Septante au contraire interprète beaucoup le texte hébreu et représente peut-être une tradition textuelle différente.
Procédés littéraires caractéristiques
Les procédés récurrents d’écriture
Ils sont caractéristiques de la poétique d’Amos : répétition de formules : « pour trois crimes et pour quatre » (Am 1-2) ; série d’images produisant le même effet rhétorique (Am 3,3-8); refrain « mais vous n’êtes pas revenus à moi » (Am 4,4-13) ; même structure narrative pour chacune des trois visions (Am 7,1-9) ; parallélisme formel entre l’accusation d’Amasias contre Amos et la réponse d’Amos (Am 7,10-17).
La poétique d’Amos ne consiste pas seulement dans l’alternance de strophes et de refrains, mais aussi dans la structure de chaque strophe, rythmée et construite sur des parallélismes.
Métaphores agricoles
Amos s’exprime avec la simplicité et la richesse d'images d'un homme de la campagne. Il ne se contente pas de citer les réalités du monde agricole comme la récente sécheresse, « la rouille et la nielle » (Am 4,7ss), les taxes oppressives prélevées sur les récoltes des pauvres (Am 5,11), ou la cupidité des marchands de grains (Am 8,5). Mais il décrypte son temps et annonce le jugement de Dieu au moyen de métaphores agricoles :
- les « instruments de battage » (Am 1,3),
- le chariot chargé sur l'aire (Am 2,13),
- la hauteur des cèdres et de la force des chênes (Am 2,9),
- le rugissement du lion (Am 3,4.8)
- les restes de la bête dévorée par le lion (Am 3,12),
- la chasse au filet (Am 3,5),
- les « vaches de Bashân » (Am 4,1),
- l'absinthe (Am 5,7 ; 6,12),
- la rencontre du lion, de l'ours ou du serpent (Am 5,19),
- le torrent intarissable (Am 5,24),
- des adynata (Am 6,12),
- les essaims de criquets qui dévorent le regain (Am 7,1s),
- la « corbeille de fruits mûrs » (Am 8,1).
Le style d’Amos garde son originalité, sans doute dû au fait qu’il est parmi les premiers à adapter ce vocabulaire imagé au discours prophétique. Cela n’empêche pas sa fermeté.
Proposition d’une structure du livre
L'état du livre que nous possédons présente un texte structuré par le contenu et par la forme (doxologies Am 4,13 ; 5,8 ; 9,6) :
- Des jugements de Yhwh sur les peuples voisins servent comme une introduction aux oracles contre Juda et Israël (Am 1-2)
- Des oracles anaphoriques contre Samarie débutant par « écoutez » (Am 3-4,13) ;
- Les annonces de l'exile en forme d'oracles « malheur à... » et des visions, au nombre de cinq (Am 7,1-9,10) ;
- La conclusion tendue sur l'avenir eschatologique (Am 9,11-15).
On trouve en outre des passages qui n'entrent pas facilement dans la structure, comme le récit en prose (Am 7,10-17) qui sépare deux visions.
CONTEXTE
Histoire et géographie
Le prophète Amos exerce son ministère dans le royaume d'Israël sous le règne de Jéroboam II →Bible et Archéologie X : Israël et Juda. Si ce royaume prospère économiquement et militairement, la disparité entre pauvres et riches reflète le fossé entre culte et éthique. En effet, rien d'autre. Vingt ans après la mort de Jéroboam II, le royaume d'Israël cessa d'exister.
Auteur et datation
Selon son livre, Amos, dont le nom est peut-être la forme abrégée d'‘Amosya, « Yhwh a porté », vient de Teqoa, à la limite du désert de Juda (Am 1,1). Il est alors arraché à ses brebis par Yhwh qui le choisit comme prophète malgré son ignorance (Am 7,14). Il prêche principalement à Béthel (Am 7,10s) et Samarie (cf. Am 3,9 ; 4,1 ; 6,1), sous Jéroboam II, 783-743, avant d'être exilé et de revenir à son troupeau. Il est possible que le prophète n'ait pas été un simple berger, mais un propriétaire de troupeaux relativement riche. Selon les présupposés théologiques, Amos est aujourd'hui présenté soit comme un annonceur de catastrophe, soit comme un rationnel critique de société.
Formation
Le livre d’Amos est sans doute le premier des messages prophétiques de l'Ancien Testament à prendre la forme d'un livre : Amos lui-même, ou plutôt ses disciples, écrit ses visions et ses oracles. Plus tard, le recueil a encore reçu des compléments qui témoignent du crédit accordé à cette prophétie. Une possible reconstruction serait la suivante:
- Une première édition d'Amos voit le jour entre 750 et 700, constituée des « Paroles d'Amos » (Am 3-6*).
- Après la chute de Samarie, en 722 av. J.-C., le livre d'Amos est transféré en Juda où il reçoit les oracles contre les nations (Am 1-2*) et le cycle des visions (Am 7-9*).
- Puis suivent des ajouts à l'époque exilique, comme par exemple les fragments hymniques (Am 1,2 ; 4,13 ; 5,8s ; 9,5s), l'oracle contre Juda (Am 2,4s), et à l'époque post-exilique, comme par exemple les oracles contre Tyr et Édom (Am 1,9-12) et les perspectives d'avenir (Am 9,11-15).
RÉCEPTION
Canonicité
- Le livre d'Amos est le troisième, après Osée et Joël, des Douze prophètes dans la Bible hébraïque.
- Il est le deuxième dans la Septante et les versions qui la suivent, entre Osée et Michée puis Joël.
Importance traditionnelle
Intertextualité
La rapide réalisation de la prophétie d'Amos, avec la chute de Damas puis du royaume d'Israël, frappe les esprits et influence durablement les écrits qui suivent.
- Osée, Isaïe, Michée s'en inspirent.
- Zacharie (Za 14,5) se souvient du cataclysme sismique d'Am 1,1.
- Am 8,10 est cité en Tb 2,6.
Le Nouveau Testament donne quelques allusions ou citations :
- allusion à Am 3,7 dans Ap 10,7 ; 11,18 ;
- à Am 3,8 dans Ap 10,3 ;
- à Am 9,1 dans Ap 8,3 ;
- citation de Am 5,25ss dans Ac 7,42s
- et de Am 9,11s dans Ac 15,16s (passages cités, librement, selon la version de la Septante).
- Am 2,16 semble avoir inspiré le détail du jeune homme s’enfuyant nu (Mc 14,52)
- et la note sur l’obscurité qui se fit sur la terre à la sixième heure lors de la crucifixion de Jésus (Mc 15,33) reprend Am 8,9.
Exégèse chrétienne
L’Église a une véritable prédilection pour les prophéties d’Amos, qui trouvent à ses yeux leur accomplissement dans la vie du Christ et le règne de Dieu qu’il inaugure.
- Am 9,11s est interprété par – suivi en cela par – comme une prophétie du remplacement du judaïsme par le christianisme. (†430) et (†407) y lisent plutôt une prophétie de la mort et de la résurrection du Christ.
- A propos de Am 8,9s, (†202), (†230), (†258) et (†ca. 325) y voient la prophétie des phénomènes naturels qui ont accompagné la mort de Jésus. (†379) applique ces versets aux troubles et aux persécutions traversés par l’Église de son temps.
- Am 2,6 comme une prophétie de la trahison de Judas et Am 9,6 de l’Ascension du Christ. comprend
Les Pères de l’Église développent encore une autre ligne de lecture d’Amos, insistant, dans une perspective morale, sur la condamnation du ritualisme et l’exigence divine de justice et de droiture morale. Ils soulignent au fil des siècles les diverses facettes des péchés dénoncés par Amos en fonction de leur propre contexte ecclésial.
Le texte d’Amos est aussi étudié dans les discussions plus dogmatiques : Am 4,13 acquiert ainsi le statut d’une référence obligée.
- Pour , il autorise la distinction réelle entre le Père et le Fils.
- Pour (†390) il illustre au contraire l’agir commun du Père et du Fils.
- (†373) et (†397) se basent sur le même passage pour réfuter l’hérésie d’un Esprit Saint créé.
- Am 6,13 pour réfuter les pélagiens qui prétendent pouvoir parvenir à la sainteté par leurs seuls efforts. (†420) utilise l’avertissement sur l’arrogance de la force en
Le livre est ensuite commenté, entre autres, par :
- (†1498),
- (†1587), (†1593), (†16e siècle),
- (†1617),
- (†1774)
- (†1803).