Définition
Les Targums ou Targoums sont des traductions araméennes des Écritures hébraïques, faites pendant les offices des synagogues. Cette littérature a une histoire très longue, et peut se comparer à celle de l’écriture de la Bible. Les Targums constituent en effet une sorte de Bible araméenne, couvrant les trois grands groupes d’écrits : la Tora (Pentateuque), les Prophètes, et les Écrits (hagiographes).
Le terme targum signifie « traduction », mais aussi « explication ». Sa racine se trouve une seule fois dans la Bible :
- Esd 4,7 : «Au temps d'Artaxerxès, Bésélam, Mithridate et Tabéel et leurs autres collègues écrivirent contre Jérusalem à Artaxerxès, roi de Perse. Le texte du document était d'écriture araméenne et traduit en langue araméenne ».
Le Targum n’est pas donc pas seulement une traduction (littérale ou littéraire) du texte biblique, il est aussi une interprétation, une explication, ou une correction du texte que, dans ses développements les plus tardifs, on peut rapprocher du midrash [cf. l’article Midrash]. On peut aussi le comparer à un texte biblique dans lequel seraient insérés des annotations et des commentaires. Cette littérature est ainsi un témoignage de la compréhension et de l’interprétation du texte. On a qualifié le Targum d'« état le plus simple de l’exégèse scripturaire. »
Intérêt des Targums
Pour l’inauguration du Temple reconstruit avec l’autorisation du souverain perse Cyrus, le scribe Esdras lit un rouleau de la Torah devant le peuple rassemblé pour l’écouter. Le texte dit que les Lévites « lisaient dans le livre de la Loi de Dieu, en traduisant et en donnant le sens » (Ne 8,8). En effet, en deux générations d’exil à Babylone, le peuple dont l’hébreu était la langue usuelle ne parle plus que l’araméen (cf. 2R 18, 26ss // Is 36,11ss). L’hébreu est alors devenu la langue des érudits (Ne 13,24), et la traduction est indispensable : le verbe hébreu meforash utilisé ici peut être compris comme « traduire », mais aussi « séparer, expliquer, interpréter, éclairer ». C’est cette racine qui désigne aussi les sections de la Bible lues chaque sabbat à la synagogue, les parashoth, et qui a aussi donné le terme de « Pharisiens ». La lecture d’Esdras pourrait être une première trace de la coutume de lire des sections de la Torah chaque sabbat.
Travail du Targoum
La Mishna, au traité Meguilla, donne des détails sur le travail des scribes-traducteurs :
- ils traduisaient la Tora verset par verset, parce qu’il fallait s’assurer que les gens comprenaient bien les nombreuses prescriptions rituelles qu’elle contient,
- tandis que les prophètes étaient traduits par trois versets.
cet accent placé sur l'interprétation morale est ainsi décrit en Sifré sur Dt 17,19 (ch. 161) : « La lecture de l’Écriture (miqra) conduit au Targoum ; le Targoum à la Michna ; la Michna au Talmud et le Talmud à l’action. »
- Certains passages scabreux comme l’inceste de Ruben ou l’histoire de David et Bethsabée, étaient lus sans être traduits : il y avait aussi des enfants dans l’assistance.
- On ne traduisait pas non plus la bénédiction des prêtres (Nb 6,24-26) pour ne pas prononcer le Nom divin.
Exemple de Targum :
- TM - Nb 24,7 :"Un héros grandit dans sa descendance, il domine sur des peuples nombreux. Son roi est plus grand qu’Agag, sa royauté s’élève."
- Targum : "Entre eux se lèvera leur roi et leur libérateur sera l’un d’eux. Il rassemblera les exilés des provinces de leurs ennemis et leurs fils domineront sur des nations nombreuses. Il sera plus puissant que Saül qui eut pitié d’Agag, roi des Amalécites, et le règne du Roi Messie sera exalté." (trad. de Roger Targum du Pentateuque, SC 261, 1979).
Quels sont les différents targums ?
Pentateuque
- →Tg. Onq. a été écrit en Palestine entre 70 et 200 ap. J.-C. Il offre une traduction ad sensum du Pentateuque, corrigeant les anthropomorphismes, marquée par le midrash (reprend l’exégèse de laMékhiltasur Ex 21,12). Une version plus tardive fut rédigée et vocalisée à Babylone, et devint le Targum « officiel » de la synagogue.
- →Tg. Neof. I voit s'opposer deux thèses quant à sa datation : au début du 1er s. ap. J.-C. selon A. , 3e s. ap. J.-C. selon R. , , et ).
- →Tg. Ps.-J. est un Targum palestinien. Il paraphrase et a tendance à saturer les lacunes du texte. Sa rédaction finale est tardive, après le début de l’islam, puisqu’il y est question de la famille du prophète Mahomet.
Prophètes
→Tg. Jon.a peut-être été écrit entre 70 et 135 ap. J.-C., ou même plus tôt.
Hagiographes
- Targum des psaumes et de Job (→Tg. Ps. et →Tg. Job)
- Targum des cinq rouleaux
- Targum des Chroniques (→Tg. Chr.)
On a trouvé des fragments du Targum de Job à Qumrân. Pour les autres, une origine tardive, certainement après l’époque talmudique (5e s. ap. J.-C.).
Que peut-on tirer de l’étude des Targums ?
L’étude des Targums permet de comprendre le rapport au texte dans la tradition juive ancienne en montrant comment l’Écriture et l’interprétation sont liées dans la dynamique de canonisation elle-même. En effet, les commentaires qu’ils contiennent considèrent l’Écriture comme un ensemble, et l’interprètent par elle-même. Des origines à l’eschatologie, on éclaire les parties par le tout et le tout par les parties, en évoquant parfois l’esprit de prophétie : toute l’histoire sainte est mise à profit pour l’éclairage d’un passage particulier, parfois. Les Targums semblent donc témoigner de la canonisation en cours d’une tradition préalable :
- La « traduction » finit par produire un texte nouveau, parfois assez éloigné du premier.
- Un tel phénomène apparaît à l’intérieur même du texte des Écritures. Le Deutéronome, par exemple, est une relecture interprétative des quatre livres qui le précède.
- Alors que se clôturait le canon des Écritures juives au 1er s., on continua à produire des Targums, qui ne furent cependant jamais considérés comme des ouvrages apocryphes.
- C’est à l’époque de la fixation du texte écrit au moyen de la vocalisation réalisée au Moyen Âge par les massorètes (8e au 11e s.) que furent composés les Targums les plus proches du genre midrashique, c’est-à-dire les plus éloignés du texte biblique.
La coïncidence temporelle de deux courants apparemment opposés, d’une part de fixation du texte biblique, et d’autre part, de production littéraire abondante sur ces mêmes textes, ne constitue pas une contradiction : tous deux participent en réalité à l’élaboration de la tradition, dans laquelle se trouvent toujours, autour d’un texte canonique, des interprétations nombreuses et sans cesse renouvelées.
L’étude des Targums permet alors de mieux aborder le contexte culturel dans lequel furent rédigés les évangiles : leurs auteurs ont hérité d'Écritures déjà interprétées, traduites soit en araméen (en Palestine), soit en grec (la Septante). Ils ont écrit dans leur contexte culturel, en faisant eux aussi œuvre d’interprétation. La compréhension des textes chrétiens est ainsi dépendante de celles des textes juifs qui les ont portés, et qui leur ont donné naissance.