La Bible en ses Traditions

Luc

C'est le taureau, dans le tétramorphe symbolique du Verbe répandu par les quatre évangiles, qui représente traditionnellement l'évangéliste Luc : un taureau comme ceux que pouvait sacrifier le prêtre-sacrificateur Zacharie, en scène au début de ce troisième évangile, au Temple de Jérusalem. Sa biographie de Jésus est polarisée sur la Ville sainte. C'est à Jérusalem qu'elle commence (Lc 1,5s) et c'est là qu'elle finit (Lc 24,52s).

Elle suit un déroulement chronologique et une progression dans l'espace géographique, qui nous conduisent tout d'abord à la prédication du Baptiste (c.3-4). Elle se poursuit par le ministère en Galilée (c.4-9) et la longue montée vers Jérusalem (c.9-19), où se dérouleront le drame final de la passion et de la résurrection (c.20-22) ainsi que l'ultime retournement de situation (c.22-24).

Anonyme, Luc l'évangéliste, mosaïque, 7e-12e s. (?)

Arc triomphal intérieur (détail), Basilique de Sant'Apollinare in Classe, Ravenne, Italie © CC-BY-SA-4.0→ 

Luc, parce que grec, nous invite à contempler la bonne nouvelle de Jésus à travers un plus large horizon que celui de Matthieu et de Marc. Certains des aspects qu'il aborde diffèrent de ceux des trois autres évangélistes qui étaient juifs. Luc souligne l'action de l'Esprit Saint, la prière fréquente de Jésus, la miséricorde de Dieu et tout ce qui conduit à la joie du salut.

Dans son prologue (Lc 1,1-4), Luc décrit son projet avec précision, dans un grec élégant. Il écrit à l'intention d'un ami de Dieu (Théophilos), qui connaît déjà l'évangile (il est katechouménos) et ce afin de le conforter dans ce qu'il sait déjà. Pour cela, il conduit des recherches afin de compléter et structurer les témoignages oculaires et les traditions antérieurs à lui (Lc 1,3). On remarque le contraste avec le style sémitique des récits d'enfance qui suivent, propres à Luc. La mention de possibles sources orales (Lc 2,19.51) suggère une mise en forme de traditions antérieures. Son travail n'est pas seulement celui d'un historien, c'est également celui d'un prédicateur : d'emblée il désigne l'objet ou la matière de son récit comme →Logos transmis par ceux qui en furent témoins oculaires et serviteurs  Il raconte des événements qui se sont passés non seulement « parmi nous » mais « en nous » (en hêmin, Lc 1,1), si bien que la vérification à laquelle il invite Théophile doit se faire à la fois dans l'extériorité de l'approche historique et dans l'intériorité de l'expérience mystique. Le célèbre épisode des « pèlerins d'Emmaüs » au tout dernier chapitre, fait vivre au lecteur les expériences par lesquelles il peut, ici et maintenant, rencontrer le ressuscité : la lecture christocentrique des Écritures et la célébration de l'eucharistie (Lc 24,30-33).

Un point marquant est la nécessité de la prière (Lc 11,5-8 ; 18,1-8), appliquée par Jésus lui-même (Lc 3,21 ; 5,16 ; 6,12 ; 9,28), et dont l'objet principal est le don de l'Esprit Saint. L'action de l'Esprit-Saint est souvent mise en valeur (Lc 1,15.35.41.67 ; 2,25ss ; 4,1.14.18 ; 10,21 ; 11,13 ; 24,49). La joie, don de l'Esprit-Saint, imprègne le troisième évangile (Lc 2,14 ; 5,26 ; 10,17 ; 13,17 ; 18,43 ; 19,37 ; 24,51s).

L'évangile de Luc est parfois surnommé « l'évangile de la miséricorde »,  tant il met l'accent sur la tendresse compatissante de Jésus envers les pécheurs (Lc 15,1s.7.10) illustrée par plusieurs scènes de pardon (Lc 7,36-50 ; 15,11-32 ; 19,1-10 ; 23,34.39-43). Luc accorde un intérêt tout particulier aux petits et aux méprisés : les Samaritains sont souvent mentionnés, et même donnés en exemple (Lc 10,30-32 ; 17,11-13). La bienveillance envers les humbles et les pauvres alterne avec les reproches aux orgueilleux et aux riches (Lc 1,51ss ; 6,20-26 ; 12,13-21 ; 14,7-11 ; 16,15.19-31 ; 18,9-14). Sa mise en garde contre les dangers de la richesse est accompagnée de l'exigence du renoncement (Lc 14,25-34), notamment par l'abandon des richesses (Lc 6,34s ; 12,33 ; 16,9-13). 

Les femmes occupent une place importante, à commencer par Marie, la propre mère de Jésus, qui semble être à l'origine des récits de son enfance (Lc 2,19.51). Luc cite également un groupe de femmes qui accompagnent Jésus (Lc 8,2-3). Luc est le seul à évoquer la sollicitude de Jésus envers les femmes de Jérusalem sur le chemin du Calvaire (Lc 23,37-29). Avec les pauvres, elles sont les premières bénéficiaires des paroles et des actes de Jésus. C'est pour cette raison que Dante fait de l'évangile de Luc « le scribe de la mansuétude du Christ » (Dante Alighieri Monarchia 1,16,2 : scriba mansuetudinis Christi).

TEXTE

Critique textuelle
Proposition d’une structure du livre

L'évangile de Luc est le premier volet d'une œuvre qui se poursuit avec les Actes des Apôtres. Selon Luc, l'histoire se découpe en trois périodes : l'histoire d'Israël, celle de Jésus, celle de l'Église. L'évangile a pour objet l'histoire de Jésus, et les Actes le temps de l'Église. La transition entre ces deux temps est marquée par l'épisode de l'Ascension, conclusion de l'évangile et introduction des Actes (Lc 24,49-53 et Ac 1,1,11).

Comparaison avec les autres Synoptiques

Le plan de l'évangile de Luc est similaire à celui de Marc : sur les quelques 1150 versets, plus de 400 sont présents chez Marc et 200 autres chez Matthieu, mais 500 sont propres à Luc (notamment dans les récits de l'enfance Lc 1,5-2,52 et la section médiane Lc 9,51-18,14). Les principales différences de l'évangile de Luc d'avec les autres Synoptiques sont les suivantes :

L'évangile de Luc partage aussi certains épisodes avec celui de Jean (notamment sur l'amitié de Jésus avec Marthe et Marie Lc 10,38-42 || Jn 11-12, ou les explications du comportement de Judas Lc 22,3 || Jn 13,2).

Proposition de plan

L'évangile de Luc se présente comme une montée vers Jérusalem. C'est là que l'évangile commence (Lc 1,5s) et c'est là qu'il finit (Lc 24,52s). Ainsi on peut distinguer :

Procédés littéraires

L'écriture de Luc se caractérise par l'emploi des genres du symposium (Lc 7,36-50 ; 11,37-54 ; 14,1-24) et du discours des adieux (Lc 22,14-38), les parallélismes répétés (Jean le Baptiste et Jésus, Lc 1,5-2,52) et le schéma promesse-accomplissement qui structure son récit.

CONTEXTE

Auteur

Irénée de Lyon identifie Luc au « médecin bien-aimé » mentionné parmi les compagnons de Paul (Col 4,14). Il s'agit probablement d'un médecin qui accompagna Paul dans ses missions (2Tm 4,14 ; Phm 1,24). En tous les cas, l'auteur n'est pas un témoin oculaire.

L'évangile de Luc est dédié à Théophile, qui désigne sans doute à la fois un personnage proche de l'auteur, et par extension tout lecteur « qui aime Dieu ». Luc s'appuie sur des témoignages reçus de l'Église primitive, mais aussi sur ses recherches personnelles. Il s'évertue à relier les événements à l'histoire générale (Lc 2,1-3 ; 3,1).

La position de l'auteur vis-à-vis du judaïsme est complexe : il ancre la vie de Jésus dans un environnement juif pratiquant (notamment Lc 1-2), tout en décrivant la synagogue comme un lieu de violence (Lc 4,28-29) et insiste sur les manquements d'Israël qui contrastent avec la fidélité des Gentils et des Samaritains (Lc 7,9 ; 17,16-18), traitant les Pharisiens sans concession (Lc 5,17-39). Les pratiques juives sont détaillées (Lc 22,1), parfois même de façon erronée (Lc 2,22), ce qui indique que l'auteur est un Gentil écrivant pour un public de Gentils, probablement à la fin du 1er s. (env. 80-90). Cette vision des Juifs est probablement influencée par l'écriture des Actes, où les Juifs sont présentés comme hostiles à l'Église naissante (Ac 3,14-15 ; 28,26).

RÉCEPTION

Importance traditionnelle
Exégèse

Luc, comme Marc, retient moins l’attention des premiers commentateurs chrétiens que Matthieu et Jean. Cependant, plusieurs Pères de l'Église en donnent un commentaire :

Ensuite, viennent

De cette période datent les commentaires, entre autres, de :

Liturgie, homilétique et euchologie
Réception culturelle
Peinture

C’est plus largement la peinture qui s’est inspirée des scènes les plus marquantes de l’évangile de Luc : les récits de l’enfance, ainsi que les paraboles de l’enfant prodigue (Lc 15,11-32) et du bon Samaritain (Lc 10,29-37), qui se trouvent uniquement chez Luc, ont été représentées par de nombreux peintres, comme Rembrandt, Bassano ou Van Gogh, entre autres. Au 20e siècle, l’art biblique de Solentiname a lui aussi contribué à faire connaître les scènes de cet évangile.