« — Jusqu’à quand, Seigneur, vais-je crier sans que tu écoutes ? Vociférer vers toi, souffrant violence, sans que tu sauves ? » (Ha 1,2). On s'interroge parfois sur le sens de la souffrance et de l'injustice que les individus et les peuples doivent si souvent subir. Habaquq, l'un des →Prophètes mineurs, n'avait pas non plus la réponse à ces questions et il les a posées directement à Dieu. Le Seigneur lui répond en lui révélant sa merveilleuse justice et il envoie le prophète la proclamer.
La prophétie d'Habaquq se déploie en trois mouvements. Dans le premier (Ha 1,2-2,4), le prophète se lamente et Dieu lui répond indirectement : le Seigneur enverra les « Chaldéens », c'est-à-dire : les Babyloniens, pour détruire les méchants (Ha 1,5-11). Cette réponse soulève de nouvelles questions : comment le Dieu saint et juste peut-il utiliser des gens eux-mêmes méchants pour faire la justice ? Les exécuteurs du châtiment ne sont-ils pas plus cruels que leurs victimes (Ha 1,12-17) ? La réponse à ces questions est donnée dans le deuxième mouvement : les Chaldéens sont châtiés en raison de leur cruauté (Ha 2,5-20). Le troisième mouvement décrit dans un psaume la manifestation du Seigneur comme guerrier : il vient juger les coupables et secourir son peuple (Ha 3).
Pourquoi Dieu permet-il la souffrance et laisse-t-il dans leur bien-être les méchants qui persécutent les croyants ? La question est toujours d'actualité. La réponse d'Habaquq aussi : le Dieu vivant est un Dieu qui « frappe la tête de la maison de l'impie » (Ha 3,13). Aux croyants de rester constant dans la foi.
« Le juste vivra dans sa foi » (Ha 2,4) : l'apophtegme est cité trois fois dans le Nouveau Testament, dans les épîtres aux Romains (Rm 1,17), aux Galates (Ga 3,11) et aux Hébreux (He 10,37-38). C'est l’un des points de départ de la théologie chrétienne de la justification par la foi. Autre écho d'Habaquq dans le Nouveau Testament, l'invitation à la joie : « moi, je me réjouirai dans le Seigneur. J'exulterai dans le Dieu de mon salut [en hébreu : yišᵉ‘iy » (Ha 3,18). Saint Jérôme traduit littéralement : « en Dieu, mon Jésus » ! Il souligne ainsi le lien avec le Magnificat chanté par Marie (Lc 1,46-47) et fournit une clé de lecture : la confiance dans le nom de Jésus (dont le nom signifie : salut), donne la joie, même si les difficultés demeurent.
TEXTE
Critique textuelle
Hébreu
Le texte massorétique du livre d'Habaquq est conservé dans un assez mauvais état. L'altération de nombreux passages (cf. Ha 1,9.11s ; 2,4s.15 ; 3,9.11.13s.16) ou la présence de gloses (Ha 2,6e.19c ; 3,17), une transposition nécessaire (Ha 2,18s) ou encore une lacune (Ha 3,11a) ajoutent à la difficulté de comprendre le texte.
Un manuscrit du désert de Juda (1QpHab ; daté du milieu du 1er s. av. J.-C.) témoigne d’un texte hébreu non massorétique. Des fragments d’Habaquq sont aussi attestés dans le texte proto-massorétique Mur88 (= MurXII) et peut-être 4Q82 (= 4QXIIg), ainsi que dans des morceaux grecs de 8Ḥev1.
Grec
Il est difficile de trouver secours dans les versions : leur texte ne permet pas de restituer les passages obscurs de façon satisfaisante, ou est trop loin de l'original et les variantes témoignent plutôt d'adaptations.
Enfin, le chap. 3 (la « Prière d'Habaquq ») est aussi conservé dans une traduction grecque de l'hébreu, indépendante de la Septante : la version Barberini.
Araméen
Se rapprochant plus du texte massorétique que la version grecque, le Targum d’Habaquq offre néanmoins des gloses interprétatives qui semblent viser à préserver la transcendance divine, en rejetant les anthropomorphismes (Ha 1,2.13) et en interposant entre Dieu et le peuple les intermédiaires que sont la Shekinah ou la Memra divines (Ha 1,12s).
Proposition d’une structure du livre
Le court livre d'Habaquq offre une structure claire :
- Dieu et le prophète dialoguent, entre plaintes du prophète et oracles de Yhwh (Ha 1,2-2,4) ;
- Cinq imprécations fulminent contre l'oppresseur (Ha 2,5-20) ;
- La prière finale décrit la victoire du Seigneur (Ha 3).
Genres littéraires
Une vision
Le titre du livre (Ha 1,1) nomme Habaquq « prophète », tout comme Aggée et Zacharie. Habaquq se présente comme un guetteur, un « visionnaire » : le verbe « voir » revient en Ha 1,5 ; 2,1 ; et en Ha 2,2s le Seigneur lui ordonne d’ « écrire la vision » de ce qui doit advenir.
Une complainte
L’ensemble du livre a pour genre littéraire la « complainte » (cf. en particulier Ha 1,2ss.12-17), où le prophète parle à la première personne mais au nom de tout le peuple des opprimés.
Rapprochements avec la poésie psalmique
Le livre s’apparente aussi à la poésie psalmique : les indications musicales au début et à la fin d'Ha 3 montrent son usage liturgique, qu'il ne faut cependant pas donner au livre entier. Certains commentateurs supposent que sa composition s’est étalée dans le temps, chaque partie marquant une étape de la conquête chaldéenne.
CONTEXTE
Histoire et géographie
Les oracles d’Habaquq portent sur une époque cruciale pour le royaume de Juda : la dynastie néo-babylonienne, après la prise de Ninive (612) et la chute de l’empire assyrien (606), assoit sa domination au Proche-Orient : aux trois campagnes militaires victorieuses en Syrie (605-604), succède l’occupation de Juda (604), la première déportation à Babylone (597) et finalement le siège de Jérusalem (589) (2R 23-25).
Auteur/s
La vie du prophète Habaquq, dont l'origine du nom n'est pas claire, venant soit du nom d'une plante de jardin (akkadien khabbaququ), soit d'une racine hébraïque hbq "embrasser", n’est pas attestée dans d'autres témoignages historiques. Or rien, ni dans le titre du livre (à la différence de ceux d’Osée, Amos, Michée ou Sophonie) ni dans le corps des chapitres, ne permet de la retracer. Les traces liturgiques que l'on retrouve dans le livre ne permettent pas non plus de le ranger parmi les prophètes cultuels.
Datation
La discussion demeure à propos des circonstances de la prophétie et de l'identification de l'ennemi. Si certains évoquent les Assyriens ou les Chaldéens, voire le roi de Juda, Joachim, cette dernière identification n'est pas possible, tandis que les deux premières se justifient.
- S'il s'agit des Assyriens, alors Yhwh envoie contre eux les Chaldéens (Ha 1,5-11) et la datation serait d'avant la chute de Ninive en 612.
- S'il s'agit, dans le livre entier, des Chaldéens (nommés en Ha 1,6), la prophétie les montre successivement comme outils de Dieu pour la punition de son peuple, puis comme châtiés à leur tour par Dieu vengeur de son peuple. Dans ce cas, on daterait le livre entre la bataille de Karkémish en 605, qui ouvre la région à Nabuchodonosor, et le premier siège de Jérusalem de 597. Habaquq exercerait son ministère en même temps que Jérémie et un peu après Nahum.
Formation
Certains, considérant l'absence d'Ha 3 dans le commentaire qumrânien du livre, en ont déduit le manque d'authenticité de ce chapitre. Cependant, ce n'est pas une preuve, et la structure du livre empêche également cette hypothèse.
RÉCEPTION
Canonicité
Habaquq occupe toujours la huitième place dans le recueil de Douze Petits Prophètes.
Importance traditionnelle
Intertextualité
Le Nouveau Testament cite deux versets d'Habaquq (sans le nom du prophète) :
- Ha 1,5 est cité dans Ac 13,41 ;
- Paul enchâsse Ha 2,4 dans sa doctrine de la foi (Rm 1,17 ; Ga 3,11 ; He 10,38). La traduction grecque rend le terme hébreu emet, « fidélité », par pistis, « foi ».
Exégèse juive antique
Un commentaire juif du livre, le Pesher d'Habaquq (1QpHab), cite et commente les deux premiers chapitres d'Habaquq par rapport à l'histoire du Maître de justice de la Communauté de l'Alliance : « le méchant » est alors « le prêtre impie » ; « le juste » (Ha 1,4), « le Maître de justice » ; « les pauvres », les membres de la communauté comme ils se nomment eux-mêmes. La « fidélité » du juste (Ha 2,4) est fidélité envers la Loi et le Maître de justice, tandis que les « Chaldéens » (Ha 1,6) figurent l’invasion romaine.
Liturgie
La lamentation d'Habaquq (Ha 3,2-19) se trouve après le psautier avec d'autres cantiques de l'AT et du NT dans le codex Alexandrinus.
Exégèse chrétienne
C’est à la fois la dimension historique et la portée théologique du livre qui retiennent l’attention des commentateurs (voir les commentaires sur l’ensemble des douze petits prophètes). Les chap. 1 et 2 appellent des commentaires plutôt historiques. Mais pour Ha 2,4) plusieurs fois citée par Paul dans le cadre de sa doctrine de la foi, est interprétée dans la même ligne de sens.
(†444) les imprécations du chap. 2 peuvent tout autant s’appliquer à Satan qu’à Nabuchodonosor et la libération de Babylone prophétise le salut universel apporté par le Christ. Il rapporte au Christ la supplication du chap. 3 comme le fait aussi (†430). La sentence théologique « le juste vivra par sa fidélité » (Par la suite, le livre est commenté, entre autres, par :
- (†735),
- (†1545), (†1541), (†1546), (†1589),
- (†1600), (†1608), (†1619), (†1625), (17ème siècle),
- (†1713), (†1727), (†1740), (ca. 1750),
- (†1808).
Réception culturelle
Arts visuels
L’art occidental ne s’attache pas à la figure d’Habaquq autant qu’à celle des grands prophètes d’Israël.
- La première renaissance offre cependant une sculpture saisissante du prophète par (†1466) qui illustre le réalisme des artistes de l’époque.
- À l’âge baroque, on doit au Dn 14,33-39 et non dans le livre d’Habaquq. (†1680) la sculpture la plus célèbre du prophète, qu’un ange saisit par les cheveux pour l’emporter à Babylone nourrir Daniel dans la fosse aux lions. Cependant, la référence de l’épisode se trouve dans le livre de Daniel (Septante)