«— Maintenant donc, dit le Seigneur, revenez à moi de tout votre cœur, dans le jeûne, les larmes et les lamentations ; déchirez vos cœurs et non vos vêtements et revenez au Seigneur votre Dieu » (Jl 2,12-13a).
C'est l'invitation que le prophète Joël fait aux fidèles le mercredi des Cendres. Trois mois plus tard, le grand cycle liturgique de Carême à Pâques, se clôt aussi avec Joël, quand l'apôtre Pierre, le jour de la Pentecôte, déclare accompli cet oracle du même prophète :
« — Et il arrivera, après cela, que je répandrai mon esprit sur toute chair [...] Même sur les serviteurs et sur les servantes, en ces jours-là, je répandrai mon esprit » (Jl 2,28-29 ; Ac 2,16-21).
Malgré sa brièveté, le livre de Joël, l'un des →Prophètes mineurs, comprend deux des éléments classiques de la prophétie hébraïque : 1) un appel à la repentance et 2) des prédictions d'événements à venir (comme le « Jour du Seigneur »). La poésie de Joël est vivante et visuelle, et n’hésite pas à se servir de l'ironie, par exemple lorsque Dieu appelle les nations à se rassembler pour leur propre destruction (Jl 4,12-19). Au moment de l'appel aux armes, Joël contredit le pacifisme d'Isaïe et de Michée (Is 2,4 ; Mi 4,3) en disant : « Martelez vos charrues en épées et vos houes en lances ; que le faible dise: “car je suis fort moi” » (Jl 4,10).
On trouve chez Joël des références à d'autres prophètes plus anciens (Jl1,15 : Is 13,6 ; Jl 3,5 : Ab 17 ; Jl 4,16 : Am 1,2 ; Jl 4,18 ; 9,13), mais à différence des prophètes pré-exiliques, il montre une grande estime pour le Temple, les sacrifices et tout ce qui est lié au culte (Jl 1,9.13-14.16 ; 2,14-15). Malgré les épreuves et les bouleversements de l’histoire, Joël invite à rester fermes dans la foi car Dieu viendra et triomphera. L'armée des sauterelles (Jl 1,4) représente un avant-goût du « Jour du Seigneur », qui est « très terrifiant » (Jl 2,11) et qui consumera les nations païennes, mais aussi le peuple infidèle de Juda, à moins qu'il ne se repente.
Dans le Nouveau Testament, Pierre et Paul appliquent le « Jour du Seigneur » à la seconde venue de Jésus (1Th 5,2 ; 2P 3,10). Paul (Rm 10,13) reprend Jl 3,5 : « Et quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé » pour sa doctrine sur le salut universel. L’Apocalypse, enfin, reprend aussi des motifs de Joël, comme : les prodiges (Jl 3,3-4 : Ap 6,12-13.17), les sauterelles (Ap 9,3-11) et le « grand jour » (Jl 2,1.11 ; 3,4 : Ap 6,17 ; 16,14).
TEXTE
Critique textuelle
La version grecque de Joël suit assez fidèlement le texte hébreu : il existe très peu d’additions et de divergences qualitatives.
Proposition d’une structure du livre
On peut distinguer deux parties dans le livre de Joël.
- Devant l'invasion de sauterelles qui dévastent Juda, le peuple décide un deuil pour supplier YHWH, qui répond à leur prière et leur assure le salut (Jl 1,2-2,27).
- La fin du livre dévoile le jugement final de toutes les nations et le triomphe de Dieu, d'une manière apocalyptique (Jl 3-4).
C'est le « Jour de YHWH » présent dans les deux parties (Jl 1,15 ; 2,1-2.10-11 ; 3-4) qui donne son unité au livre.
Genres littéraires
Un appel à la conversion
Joël n'est pas un prophète de prédication violente et de reproche : le peuple est déjà conscient du châtiment à cause du fléau qui ravage la région. Joël est là pour rappeler l'efficacité de l'humilité, de la prière et de la pénitence pour expier les fautes. YHWH se laissera toucher car il « est tendresse et pitié, lent à la colère et riche en grâce » (Jl 2,13 ; cf. Ex 34,6). C'est la conversion intérieure qui importe.
Parenté du livre avec le culte
On trouve dans Jl 1-2, les caractéristiques liturgiques d'un rite de pénitence, achevée par la promesse du pardon de Dieu. On estime donc que Joël appartient aux prophètes cultuels, même s'il peut aussi s'agir d'un style qui imite la liturgie. Qui plus est, ce livre résulte d'un véritable travail littéraire, loin d'être un compte-rendu de prédication.
CONTEXTE
Auteur et datation
Le nom de Joël signifie « YHWH est Dieu (Elohim) ». Il n'est pas nécessaire d'invoquer deux rédactions.
- La plupart des exégètes datent le livre d'après l'exil, d'environ 400 av. J.-C., en s'appuyant sur les éléments suivants : pas de mention d'un roi, références à l'exil et au retour, liens avec le Deutéronome et d'autres prophètes (Ézéchiel, Sophonie, Malachie, Abdias— Ab 3,5).
- Néanmoins, il faut noter un parallèle visible de vocabulaire comme d’idées avec le Deutéronome, Sophonie et Jérémie (fin du 7e et début du 6e s.). Les allusions aux faits historiques précis (4) se réfèrent sans doute aussi au 7e ou, à la rigueur, au 6e s. av. J.-C. Aussi, certains défendent-ils une datation haute, à la fin de l'époque monarchique.
RECEPTION
Canonicité
- Il est situé après Osée, Amos et Michée dans la Bible grecque.
- Il est placé entre Osée et Amos, dans la Bible hébraïque et la Vulgate, pour son ancienneté supposée ou pour le lien entre Am 1-2 et Jl 4, la prophétie et sa réalisation.
Importance traditionnelle
Intertextualité
Le Nouveau Testament voit la réalisation de la prophétie de la venue de l'esprit prophétique sur le peuple de Dieu (Ab 3,1-5) dans la Pentecôte.
- Pierre cite tout ce passage (Ac 2,16-21) : Joël est le prophète de la Pentecôte. Mais le cadre particulier de Joël est remplacé par l'appel à la conversion de toutes les nations.
- Paul (Rm 10,13) comprend dans Jl 3,5 (« tous ceux qui invoqueront le nom de YHWH seront sauvés ») l'annonce du salut de tous par la foi au Seigneur Jésus. « Il n'est plus question de Grec ou de Juif, de circoncision ou d'incirconcision, de Barbare, de Scythe, d'esclave, d'homme libre », « tous vous ne faites qu'un dans le Christ Jésus» (Col 3,11 ; Ga 3,28 ; cf. Rm 10,12). Tous, juifs et païens, peuvent recevoir l'Esprit et les dons qu'il apporte (Ac 10 ; Rm 5,5 ; 1Co 12).
L’Apocalypse contient plusieurs citations implicites du texte de Joël :
- les prodiges (Is 6,12-13.17) sont identiques à ceux de Jl 3,3-4 ;
- le « grand jour » (Ap 6,17 ; 16,14) rappelle Jl 2,11 ; 3,4 ;
- la métaphore des sauterelles (Ap 9,3.7-9)
- et celle de la faucille (Ap 14,14-18) font aussi implicitement référence à Joël.
Exégèse
Les Pères privilégient trois grands thèmes dans leurs commentaires :
- l’invasion des sauterelles qui appelle chez eux une lecture symbolique, même pour ceux qui admettent la possibilité d’un événement réel ;
- le Jour du Seigneur renvoie tantôt à la déportation à Babylone, tantôt à la prise de Jérusalem en 70, mais aussi à la passion de Jésus, au jugement dernier ou encore à l’entrée dans l’éternité ;
- l’effusion de l’Esprit « sur toute chair » est commentée par (†254) comme la cessation en Israël de la prophétie qui passe dès lors aux « nations » et (†339) comprend « toute chair » comme « l’espèce humaine tout entière ».
Les Pères proposent aussi des actualisations du texte en fonction du contexte ecclésial de leur temps et des lectures morales qui illustrent le combat spirituel de l’âme, réplique de celui des anges contre les démons.
Le livre est encore commenté, entre autres, par :
- (†1583), (†1597), (†1598), (†16e siècle),
- (†1629), (†1691), (†1699),
- (†1710), (†1752), (†1757), (†1766), (†1796).
(Voir aussi les commentaires sur l’ensemble des douze →Prophètes mineurs.
Liturgie
Par l'importance donnée à la pénitence, les lectures de Joël sont très présentes dans la liturgie chrétienne du Carême ; par exemple, Jl 2,12-18 est la première lecture du Mercredi des Cendres.
Réception culturelle
Arts visuels
- Comme les autres prophètes, Joël est représenté dans les manuscrits enluminés du Moyen-Âge.
- Il est l’un des sept prophètes que (†1564) a peint dans la Chapelle Sixtine, représenté un rouleau à la main et face à la sibylle de Delphes.
- L’art occidental associe souvent la représentation de Joël au thème de la Pentecôte : ainsi, le graveur (†1650) représente la prophétie de Joël dans les rues de Jérusalem avec en arrière-fond le cénacle sur lequel descend l’Esprit sous forme de colombe. Plusieurs gravures sur bois de l’époque reprennent ce thème dans les milieux de la Réforme.
Musique
Joël inspire des musiciens :
- Jl 2,15-17) l’hymne choral Blow up the trumpet in Sion. (†1695) compose (à partir de
- Dans un tout autre style, le groupe de reggae chrétien emprunte à Joël (4) le thème du combat eschatologique dans sa chanson Vallée de la décision (1996).