La Bible en ses Traditions

Jésus scribe ?

Parmi les enseignants juifs de son temps, Jésus est fréquemment opposé aux →scribes (et aux →Pharisiens). De fait, il se distingue d'eux en revendiquant une autorité (Mt 21,23-27 //) spectaculaire (Mt 7,29), quoi qu’il n’ait pas appris auprès de maîtres (Jn 7,15.52), ni rien écrit que dans la terre (Jn 8,6).

Ce portrait de Jésus comme super-scribe ne se réduit cependant pas à la « scribophilie » de Matthieu. L’AT avait déjà rapproché les figures du scribe, du sage, du prophète en les concentrant sur la figure de Moïse. Par le truchement de la →typologie mosaïque, Jésus et la figure du scribe sont mis en relation tout au long de son ministère, dans la mesure où Jésus accomplit bel et bien la double mission du scribe  — conserver l'Écriture et l’interpréter de manière autorisée.

1 — Lire (à la lettre)

Jésus se caractérise à plusieurs reprises comme lecteur (Lc 4,16-21) attentif de la lettre des Écritures et donc comme défenseur de l'œuvre du scribe-Moïse :

Il s'élève contre les hyperinterprétations abusives de ses contemporains :

2 — Écrire...

... Comme on parle : dialectique de l'oral et de l'écrit

Fixation et permanence sont les deux caractères de l’écrit dont les scribes tirent leur prestige. Si Jésus n’écrit pas avec de l’encre (cf. Jn 8,6.8), c’est parce que sa parole orale est assez vive et puissante pour se fixer dans le cœur de ses auditeurs et y produire son effet (Jn 12,48). Cette représentation de l’oral comme plus-qu'-écrit est bien présente dans l'AT :

À en croire les récits de la Tora, Moïse a lui-même autorisé la dialectique de l’oral et de l’écrit :

Les pharisiens de son temps avaient commencé à mobiliser cette dialectique au service de la notion de double Tora, écrite et orale, eux-mêmes présentant leur tradition comme une continuation de la transmission orale. 

En enseignant sa propre halakha, Jésus invite ses interlocuteurs à prendre distance de la Tora orale (Mt 5,21 « vous avez entendu qu'il a été dit aux anciens [tois archaiois] » — archaios, à distinguer de presbuteros, désigne dans le contexte de la controverse rabbinique la génération de l'Exode) qui prétendait interpréter la Tora écrite : 

C'est donc bien une compétition d'autorités scribales qui se déploie (→Autorité de Jésus durant son ministère). 

... Comme Dieu parle : dialectique entre parole humaine et parole divine

En plaçant son idéal scribal dans la bouche de Jésus lui-même en Mt 13,52, le premier évangéliste avait d'illustres prédécesseurs : les scribes-auteurs du Deutéronome, avaient autorisé leur propre pratique d'une façon tout à fait semblable, en présentant le Dieu d’Israël et Moïse son médiateur comme des scribes. 

La double dialectique de l'oral et de l'écrit, de l'humain et du divin est ressaisie par Jésus dans la dialectique entre sa parole et les textes de Moïse : Jn 5,47 : « si vous ne croyez pas à ses écrits, comment croirez-vous à mes paroles ? »

Conclusion : types scribaux de Jésus

Dès l'Ancien Testament, il y a scribe et scribe. Certes, les scribes peuvent faire figure de parasites sociaux (Na 3,17) ; le prophète est parfois obligé d’élever sa parole vive contre leurs écrits morts et mensongers qui prétendent accaparer la Loi (Jr 8,8). Cependant, ils ont aussi bien d'autres visages :

Ces figures positives de scribes sont autant de types du Christ enseignant, prophétisant, contredit, bafoué, sauveur. À la toute fin du Nouveau Testament (Ap 22,12-19), c'est un Jésus scribe céleste et Pantocrator, véritable auteur (Ap 1,1-3), ouvreur et lecteur du livre (Ap 5,1-9), que confesse le lecteur.