La Bible en ses Traditions

Scribes

Aussitôt l'écriture apparue, aux alentours de 3300 av. J.-C., les scribes occupèrent une place centrale dans les sociétés antiques.

1 — Origines et constantes : du technocrate de l’écrit au sage

Les écrivains professionnels exerçaient un monopole sur la tradition écrite en Égypte et en Mésopotamie, où écrire supposait un long apprentissage de systèmes pictogrammatiques complexes. Ils devenaient en même temps spécialistes d’astronomie, de magie et d’oracles.

Technocrates

Ils commençaient donc par une longue initiation : quatre ans de propédeutique avant l’apprentissage proprement dit, ponctués de châtiments corporels et de menaces de relégation à un travail plus manuel. Aussi forment-ils finalement une catégorie sociale fière de ses privilèges.

Même si l’invention de l’alphabet permet à qui le veut d’apprendre à écrire et si, dès l’ancien Israël, on peut observer une certaine démocratisation de l’écriture par rapport aux civilisations voisines, le scribe demeure le principal détenteur de l’écriture au 1er s. : il continue à gagner sa vie dans la rue ou dans les offices administratifs, commerces, affaires juridiques et familiales.

Sages

Être scribe est avant tout un savoir-faire, un métier artisanal parmi les autres. Il suppose des règles, des maximes, une science pratique des divers cas possibles. En hébreu, cette science est ce qui fut d'abord désigné par le terme de ḥokmâ « sagesse » :

2 — Évolution en Israël : du technicien sage à l’expert en Écritures

Étant donné que leur tâche principale dans les cercles juifs est de copier les Écritures, les scribes deviennent aussi les principaux interprètes de l’Écriture. L’origine des scribes versés dans la Loi remonte à l’Exil à Babylone : privés de liturgie, ils relisent et mettent en forme les traditions qui fondent leur identité.

Durant l'Exil

Le passage s’opère vers le 5e s. av. J.-C. : Ézéchiel est encore prêtre-prophète, tandis qu’Esdras (d’abord haut fonctionnaire dans les rouages gouvernementaux de la cour des Achéménides) est le premier prêtre-scribe (Ne 8,9) engageant le peuple à renouveler l’alliance selon sa lettre et indiquant les normes de comportement (Esd 7,25-26 ; 9,1-10,17 ; Ne 8).

Après le retour d’Exil 

Dans la tradition des livres d’Esdras et de Néhémie, Esdras apparaît comme une sorte d’érudit, maître ès Loi de Moïse, et même comme prêtre (mais non grand prêtre), avec une grande influence sur la communauté de Jérusalem. Ce prestige plus ou moins mythique est corrélatif de la canonisation progressive d’un corps d’écrits regroupés sous le nom de Moïse. Esd 7,12 nomme Esdras le « scribe de la Loi du Dieu du ciel ».

En effet, dans le cadre de la restauration théocratique (dont la condition est l'observation scrupuleuse de la Loi pour ne plus encourir le châtiment divin), la puissance des scribes devient très grande : certains étaient les savants du temps, expliquant la Tora aux autres. La primauté donnée au texte de la Loi fait peu à peu du scribe le type même de l’homme de sagesse. Il devient conseiller des tribunaux, des juges et des enseignants, et forme avec ses collègues une classe et une tradition scolaires d’enseignement du droit jouissant d’une grande considération.

Époque hellénistique

Au 3e s. av. J.-C., sous la domination des Lagides d’Égypte, la situation des scribes « d’Israël » se modifia. Ptolémée II Philadelphe (283-246 av. J.-C.) opéra une réforme de l’administration qui accrut la demande de scribes à Jérusalem et ailleurs en Juda. C’est vers la même époque qu’apparut, dans la littérature apocalyptique, une figure sublimée du scribe.

3 — Au 1er siècle

Bureaucrates ou chefs spirituels ?
Dans la diaspora

Philon n’emploie que deux fois le terme de grammateus :

En Terre promise

À la fois fonctionnaires et experts en coutume et en droit (docteurs de la Loi : Lc 5,17 ; Ac 5,34), en lien étroit avec les classes dirigeantes de Jérusalem, les scribes étaient les chefs spirituels et intellectuels du judaïsme (Josèphe A.J. 20,264), les citoyens les plus importants, honorés de titres spéciaux (Mt 23,6-7 ; Mc 12,38-39 ; Lc 20,46). Ils vivaient surtout dans la Judée, près de la capitale (Mt 15,1 ; Mc 3,22 ; 7,1), mais il y en avait aussi en Galilée.

Techniciens de l'écrit

Ils demeuraient des techniciens dans la mesure où le marché des manuscrits était constant :

Théologiens ?

Ils deviennent même des théoriciens ou des théologiens du texte comme tel. Très intéressés par le détail matériel des Écritures, conçu comme une facette de la volonté divine, ils entreprennent des révisions de la traduction G pour mieux refléter l’hébreu et mettent au point des règles strictes pour la copie des rouleaux, plus tard codifiées dans le Talmud et dans le traité Masseket Sôperîm (Sop.). 

Chaque parti semble avoir eu ses scribes (Mt 26,57 ; Mc 2,16 ; 14,53 ; Lc 22,66 ; Ac 23,9) : 

4 — Continuation dans la littérature rabbinique

Scribes

Pour la Mishna, les scribes qui vécurent avant la destruction du Temple étaient des maîtres de la Tora (auteurs de nombreuses lois) et des professionnels de l’écriture. Elle use parfois d’un autre mot que sôpēr : lîblār (transcription hébraïque du latin librarius ou libellarius « copiste »).

Sôpᵉrîm

Entre le 2e et le 7e s. ap. J.-C., les sôpᵉrîm s’intéressèrent de plus en plus à la transmission exacte des livres saints, fixant le texte massorétique, travail parachevé au 9e s. S’éloignant sémantiquement de sēper et de ses connotations de maîtrise du livre de la Loi, le terme sôpēr désigna de plus en plus les spécialistes de la lettre écrite à transmettre. C’était là raviver les connotations étymologiques de sāpar « compter » : 

Au 8e s., le traité Sop. (l’un des « traités mineurs » faisant suite au Talmud) présente les règles de la copie des livres saints et de leur lecture publique (miqrâ).