La Bible en ses Traditions

Matthieu 28,16–20

Byz S TR Nes
V

16 ...

16 Quant aux onze disciples, ils allèrent en Galilée à la montagne que Jésus leur avait fixée.

17 ...

17 Et le voyant, ils adorèrent,

mais certains doutèrent.

18 ...

18 Et s'avançant, Jésus leur parla disant :

— Il m'a été donné tout pouvoir au ciel et sur terre.

19 ...

19  Allant donc, enseignez toutes les nations,

les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit,

20 ... 

20 leur enseignant à observer tout ce que je vous ai commandé.

Et voici : moi je suis avec vous tous les jours jusqu'à la consommation du siècle.

ICI FINIT L'ÉVANGILE SELON MATTHIEU

Propositions de lecture

1–20 La fête de Pâques depuis l'Eglise d'Orient Comment la Résurrection du Christ est-elle annoncée ? Quels sont les mots choisis ? Quel regard porte l'église d'Orient sur la fête de Pâques ?

La Résurrection s'annonce avec des mots

L'ange de Pâques dit aux femmes d'aller dire qu'Il est ressuscité comme il l'avait dit et comme il vient de le dire, lui, l'ange.

La résurrection se rencontre d'abord dans une heureuse, une incroyable annonce placée par Dieu dans la bouche de ses témoins. L'un d'eux a si bien proclamé l'annonce qu'on l'a appelé « la Bouche d'Or », en grec : Chrysostome. Jean Chrysostome a été l'archevêque de Constantinople — aujourd'hui Istanbul au IVe siècle.

Pâques, c'est aussi ta fête !

Voilà l’homélie que saint Jean Chrysostome écrivit pour le jour de Pâques. Dans les rites orientaux, elle est proclamée durant les Matines de Pâques, sous le doux nom de Hieratikon Tradition chrétienne Mt 28,1–20.

Texte

Genres littéraires

1–20 La mort et résurrection dans la mythologie comparée La mort et résurrection de Jésus pourraient évoquer des parallèles avec la thème du Dieu qui meurt dans les mythologies païennes (Osiris, Tammuz, Adonis, Atys, Dionysos). v. →Mythe et évangiles

Contexte

Textes anciens

27,64–28,20 Apparition et apothéose de Romulus

  • Tite-Live 1,16,6-7 « Romulus, père de notre ville, est descendu soudain du ciel, ce matin, au point du jour, et s’est offert à mes yeux ; et, comme je me tenais devant lui, plein de crainte et de respect, et lui demandais instamment la faveur de le regarder en face : ‘Va’, m’a-t-il dit, ‘et annonce aux Romains que la volonté du ciel est de faire de ma Rome la capitale du monde. Qu’ils pratiquent donc l’art militaire. Qu’ils sachent et qu’ils apprennent à leurs enfants que nulle puissance humaine ne peut résister aux armes romaines’. »

Quelques décennies plus tard, le récit d'apparition post-mortem du fondateur de Rome, relevant de la biographie « archéologique » au sens hérodotien du terme, non de l'historiographie, est amplifié, et assigné à un temoin oculaire autorisé :

  • Plutarque Rom. 28 « Pendant le tumulte que cet incident fit naître, un des premiers patriciens, généralement estimé pour sa vertu, qui avait suivi Romulus d’Albe à Rome, et avait joui de la confiance et de la familiarité de ce prince, Julius Proculus, s’avança au milieu de la place publique ; et là, en présence de tout le peuple, il jura, par ce qu’il y avait de plus sacré, qu’en revenant de l’assemblée Romulus lui avait apparu plus grand et plus beau qu’il ne l’avait jamais vu, et couvert d’armes plus brillantes que le feu ; qu’à cette vue, saisi d’étonnement, il lui avait dit : "— Ah ! prince, que vous avons-nous fait ? et pourquoi nous avez-vous quittés, en nous exposant aux accusations les plus graves et les plus injustes, en laissant toute la ville privée d’un père et plongée dans un deuil inexprimable ?" Que Romulus lui avait répondu : "— Les dieux veulent, Proculus, qu’après avoir vécu si longtemps avec les hommes, quoique fils d’un dieu, après avoir bâti une ville qui surpassera toutes les autres en puissance et en gloire, je retourne au ciel d’où je suis descendu. Adieu ; allez dire aux Romains qu’en pratiquant la tempérance, en exerçant leur courage, ils s’élèveront au plus haut point de la puissance humaine. Pour moi, sous le nom de Quirinus, je serai votre dieu tutélaire." Le caractère de Proculus, et le serment qu’il avait fait, firent ajouter foi à son témoignage. D’ailleurs l’assemblée, par une sorte d’inspiration divine, fut saisie d’un tel enthousiasme, que personne ne pensa à le contredire, et que, renonçant à leurs soupçons, ils se mirent tous à invoquer et à adorer Quirinus » (trad. Ricard).

Littérature péritestamentaire

19s Allez donc enseigner toutes les nations... leur apprenant Parallèle 

  • Did. Titre ''Doctrine du Seigneur [enseignée] aux nations par les douze apôtres.''

19s Allez donc enseigner. je suis avec vous. Parallèle La mission des apôtres

  • Ep. apôt. 19 ''Prêchez et enseignez à ceux qui croient en moi, et prêchez le Royaume des cieux [...] Prêchez et ils croiront. [...] En vérité je vous le dis, prêchez et enseignez, comme si moi-même étais avec vous. Car il me plaît d'être avec vous, de manière que vous soyez mes cohéritiers (cf. Rm 8,17) du royaume des cieux, lequel appartient à celui qui m'a envoyé. [...] De même que toujours je suis dans le Père, de même vous en moi (cf. Jn 14,20).''
  • Ep. apôt. 30 ''Allez et prêchez aux douze tribus d'Israël, aux nations et aux provinces d'Israël, à l'Orient et à l'Occident, au Septentrion et au Midi, et beaucoup croiront en moi, le Fils de Dieu.' Et nous lui avons dit : 'Ô Seigneur, qui nous croira et qui nous écoutera, et comment pourrons-nous faire, enseigner et rapporter comment toi, tu as fait des miracles, signes et exploits ?' Et il a répondu et nous a dit : 'Allez, prêchez et enseignez ce qui regarde l'avènement de la miséricorde de mon Père. De même que mon Père a agi par moi, de même j'agirai par vous, car moi, je demeure avec vous. Je vous donne ma paix (cf. Jn 14,27.20,19.21), mon esprit et ma force (cf. Jn 14,16.26), qui seront vôtres, afin qu'ils croient. À eux aussi cette force sera donnée et sera leur héritage, afin qu'ils la donnent aux nations.''

19 baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit

  • Did. 7,1.3 ''Pour le baptême, baptisez de cette manière : [...] baptisez au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit (cf. Mt 28,19) dans de l'eau courante. [...] verse trois fois de l'eau sur la tête au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit (cfMt 28,19).

Réception

Liturgie

1–20 Représentations du Ressuscité

ICÔNE : Art byzantin

15e s.

Andreï Roublev, La descente aux Enfers ou Descente aux Limbes (tempera sur tilleul, 1408-1410)

Galerie Tretiakov, Moscou (Russie)

© Domaine public→

Une très vieille homélie anonyme de la vigile de Pâques (pseudo-Épiphane, Homélie pour le Samedi Saint, cité selon Hans Urs von Balthasar, Dieu et l’homme d’aujourd’hui, 1956) décrit cette descente du Christ aux enfers :

« Adam, en tant que premier père et premier créé de tous les hommes, et en tant que premier mortel, lui qui avait été tenu captif plus profondément que tous les autres, et avec le plus grand soin, il entendit le premier le bruit des pas du Seigneur, qui venait vers les prisonniers. Et il reconnut la voix de celui qui cheminait dans la prison, et, s’adressant à tous ceux qui étaient enchaînés avec lui depuis le commencement du monde, il parla : — J’entends les pas de quelqu’un qui vient vers nous ! Et pendant qu’il parlait, le Seigneur entra, tenant les armes victorieuses de la croix. […] Et lui ayant saisi la main, il lui dit : — Tiens-toi debout, toi qui dormais, lève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera. Je suis ton Dieu et, à cause de toi, je suis devenu ton Fils. Lèves-toi, toi qui dormais car je ne t’ai pas créé pour que tu séjournes ici enchaîné dans l’enfer. Surgis d’entre les morts, je suis la Vie des morts. Lève-toi, toi l’œuvre de mes mains, toi, mon effigie, qui a été faite à mon image […] Regarde sur mon visage les crachats que j’ai reçus pour toi, afin de te replacer dans l’antique paradis. Regarde sur mes joues la trace des soufflets que j’ai subis pour rétablir en mon image ta beauté détruite. Regarde mes mains qui ont été solidement clouées au bois, à cause de toi, qui autrefois a mal étendu tes mains vers le bois. […] Lève-toi et partons d’ici, de la mort à la vie, des ténèbres à la lumière éternelle. Levez-vous et partons d’ici et allons de la douleur à la joie, des chaînes à la liberté, de la captivité aux délices du paradis, de la terre au ciel. Mon Père céleste attend la brebis perdue, un trône de chérubin est prêt, les porteurs sont debout et attendent, la salle des noces est préparée. Les trésors de tout bien sont ouverts, le royaume des cieux qui existait avant tout les siècles vous attend. »

PARALITURGIE occidentale. Chemin de croix contemporain : une quinzième station !

Pour retrouver une spiritualité moins doloriste, plus authentiquement pascale, de nombreux artistes occidentaux ne s'arrêtent pas à la mise au tombeau de Jésus et ajoutent des stations à la dévotion si populaire du →chemin de croix.

Jerzy Duda-Gracz (1941-2004), 15 — Jésus ressuscité !, (huile sur toile, 2000-2001), 185 x 117 cm

Chemin de croix ex voto de l'artiste, narthex, galerie haute du sanctuaire de l'icône miraculeuse, Sanctuaire de Czestochowa, Jasna Gora (Pologne)

© D.R. Jerzy Duda-Gracz Estate→ ; photo : J.-M. N. , Mt 28,1-20 ; Mc 16,1-8 ; Lc 24,1-11 ; Jn 20,1.11-18

Et voici la station de la Résurrection : Jésus est vivant ! Il est vivant au milieu de cette constellation, de cet univers. De haut en bas, d’un vêtement blanc, de la gloire de cette blancheur ineffable, il bénit la Pologne, tout le peuple. Le Christ s’incorpore au corps de la nation ; de cette force et de ce regard, de cette intensité et de cette puissance. Mais l’artiste va encore poursuivre le commentaire. Et là, il va dépasser les stations traditionnelles d’un chemin de croix. (J.-M. N.)

18b–19 Chant grégorien

  • Antienne de communion du vendredi de Pâques et des fêtes de l’Ascension (année A) et de la Trinité (année B) : Data est mihi omnis potestas in caelo et in terra, alleluia: euntes, docete omnes gentes, baptizantes eos in nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti, alleluia, alleluia (« Il m'a été donné tout pouvoir au ciel et sur terre, alléluia. Allant donc, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, alléluia, alléluia », Grad. 213-214).

Traditionnel, Communion - Data est mihi

Chœur des moines de l’abbaye Sainte-Madeleine du Barroux

© Abbaye du Barroux→, Mt 28,18s

Tout l’ensemble produit une impression de grande majesté et de plénitude. L’antienne se chante dans un grand souffle et un parfait legato, faisant sentir l’unité à l’intérieur de chacune des deux phrases.

1re phrase, deux incises
  • Le début du 1er membre, Data est mihi, est très simple, presque syllabique. Omnis fait une légère montée au la pour effectuer une descente majestueuse sur potestas et se reposer sur la tonique du 1er mode, faisant sentir la solidité de la puissance donnée au Christ. Omnis se trouve au sommet mélodique de ce 1er membre, accentuant ainsi la puissance universelle donnée au Christ.
  • Dans le 2e membre, la mélodie fait une belle montée à caelo, le mot le plus orné et le sommet de la phrase, tandis que terra est traitée très humblement.
2e phrase, deux incises
  • Le 1er membre s’exécute dans un bel élan en tension vers omnes (« toutes »), qui reçoit un traitement semblable à celui de omnis de la 1re phrase, mais avec un ton plus haut. Les apôtres sont invités à aller enseigner avec ardeur toutes les nations. Au mot gentes, une petite descente au fa laisse la mélodie en suspens.
  • Le 2e membre reprend sur le fa, dans un style syllabique, à baptizantes et avec un beau climacus sur eos, en tension mélodique vers ce qui suit. In nomine décrit un bel enfoncement jusqu’à la sous-tonique. Il est suivi par le même saut de quarte déjà rencontré à caelo, mettant en lumière le « Père ». Le thème mélodique de in nomine est repris tel quel à Filii. L’auteur souligne ainsi la mission du Fils : la révélation du nom divin, de la vie intime de Dieu (Un en trois Personnes) et du mystère de salut. Le thème mi sol la mi fa do mi ré ré se fait entendre sur et Spiritus Sancti, presque les mêmes notes qu’à omnis potestas de la 1re phrase. Il aboutit à la tonique du mode de authente, avec une impression de joyeuse plénitude. Les deux alléluias qui terminent la pièce font entendre une joie calme et douce, dans une mélodie utilisée pour terminer quelques antiennes de 1er mode.

Une antienne à Benedictus des laudes du jeudi de la 7e semaine de Pâques a mis en musique Mt 28,19, en ajoutant in mundum après euntes (« allant dans le monde », AM 1,302).

Tradition chrétienne

1–20 Pâques avec Jean Chrysostome Premiers et derniers, recevez le salaire ! Riches et pauvres, chantez en chœur tous ensemble ! Les vigilants comme les nonchalants, honorez ce jour ! Vous qui avez jeûné, et vous qui ne l'avez point fait, réjouissez-vous aujourd'hui ! La table est prête, mangez-en tous ! Le veau gras est servi, que nul ne s'en retourne à jeun ! Jouissez tous du banquet de la foi ! Que nul ne déplore sa pauvreté car le Royaume est apparu pour tous. Que nul ne se lamente sur ses fautes, car le pardon s'est levé du tombeau. Que nul ne craigne la mort, car la mort du Sauveur nous a libérés. Il a détruit la mort, celui qu'elle avait étreint. Il a dépouillé l'enfer, celui qui est descendu aux enfers. Il l'a rempli d'amertume, pour avoir goûté de sa chair. Isaïe l'avait prédit en disant : — L'enfer fut rempli d'amertume lorsqu'il t'a rencontré rempli d'amertume, car il a été joué bouleversé, car il fut mis à mort ; bouleversé, car il fut anéanti. Consterné, car il saisit un corps et trouva un Dieu. Il prit de la terre et rencontra le ciel. Il saisit ce qu'il voyait, et tomba sur celui qu'il ne voyait pas. Ô mort, où est ton aiguillon ? Enfer, où est ta victoire?

Le Christ est ressuscité et tu as été terrassé. Le Christ est ressuscité et les anges sont dans la joie. Le Christ est ressuscité et voici que règne la vie. Le Christ est ressuscité, et plus un mort au tombeau, car le Christ est ressuscité des morts, prémices de ceux qui se sont endormis. A lui, gloire et puissance dans les siècles des siècles Amen. 

St Jean Chrysostome, Homélie de Pâques, trad. M. Jeannin , Bar-le-Duc : Guérin, 1864.

18ss Tout pouvoir m'a été donné... Allez donc, enseignez toutes les nations, les baptisant... leur apprenant à observer ... Être confesseur du Christ consiste en : garder intactes ses prescriptions...

  • Cyprien de Carthage  Ep.  28,2,2-3  ''Lorsque après la résurrection le Seigneur envoie les apôtres en mission, il donne ses consignes en ces termes : Tout pouvoir m'a été donné dans le ciel et sur la terre. Allez donc, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, leur apprenant à observer tout ce que je vous ai commandé (Mt 28,18ss). Telles sont les prescriptions que vous recommandez de garder, les consignes divines et célestes que vous observez. C'est là être un confesseur du Seigneur, un martyr du Christ, que de conserver dans ses paroles une fermeté intacte et toute atteinte et inébranlable, et quand on est fait martyr par l'intervention du Seigneur de ne pas entreprendre de détruire les prescriptions du Seigneur.'' (124)

Recommandation faite à ses frères évêques :

  • Cyprien de Carthage  Ep. 63,18,3  ''Donc pour éviter de marcher dans les ténèbres, nous devons suivre le Christ et observer ce qu'il a prescrit, car il a déclaré lui-même en un autre endroit en envoyant les apôtres en mission : Tout pouvoir m'a été donné dans le ciel et sur la terre. Allez donc, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, leur apprenant à observer tout ce que je vous ai commandé (Mt 28,18ss). C'est pourquoi, si nous voulons marcher dans la lumière du Christ, ne nous écartons pas de ce qu'il a prescrit et recommandé...'' (317)

18 toute puissance m'a été donnée au ciel et sur la terre. Data est mihi omnis potestas in caelo et in terra : inscriptions médiévales

12e siècle : 

  • 2e quart 12e s. : Allemagne, Darmstadt, Hessiches Landesmuseum, évangéliaire de S. Jacques de Liège : "Christ A W Data est mihi omnis potestas in celo et in terra" 
  • Italie, San Pietro in Valle, abbatiale : "terrae omnis potestas", →IMAI II, 143.

14e siècle : 

  • Vers 1335 : Allemagne, Lüneburg, Kloster Wienhausen, peintures : "Data est mihi omnis potestas" DI 76, n° 8, 63.

15e siècle : 

  • 1er quart 15e s. : Allemagne, Lüneburg, Kloster Wienhausen, chandelier : "Data est mihi omnis potestas" DI 76, n° 35, 98.
  • 4e quart 15e s. : Allemagne, Hanovre, Musée August Kestner, antependium : "Data est mihi omnis potestas" DI 76, n°62, 143.

19s Allez, faites de toutes les nations des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Euntes erg, docete omnes gente, baptizantes eos in nomine Patris et Filii et Spiritus sancti ... : inscription médiévale.

8e siècle : 

  • 793 : Italie, Rome, Palais de Latran, triclinium Leoninum : "DOCETE OMNES GENTES, VAPTIZANTES EOS IN NOMINE PATRIS ET FILII ET SPIRITUS SANCTI ET ECCE EGO VOVISCUM SUM OMNIBUS DIEBUS USQUE AD CONSMATIONEM SECULI".

19 allez donc, enseignez toutes les nations les baptisant au nom ...

Allusion à l'enseignement apostolique transmis par l'Église  

En présentant son troisième volume, Irénée, à la fin de la préface, établit l'apostolicité de l'Église qui transmet l'enseignement qu'elle tient des apôtres contre les hérétiques qui ne parlent qu'en leur propre nom :

  • Irénée de Lyon  Haer. 3, Préface ''... tu disposeras d'une argumentation très complète contre tous les hérétiques, et tu lutteras contre eux avec assurance et détermination pour la seule foi vraie et vivifiante, que l'Église a reçue des apôtres (cf. Mt 28,19) et qu'elle transmet à ses enfants.''

Baptême ou régénération en Dieu

À propos de 'faire renaître en Dieu' ou de cette 'régénération divine', Irénée écrit dans sa Démonstration de la prédication apostolique 3 que le 'baptême est ... une 'régénération' en Dieu, en sorte que ce ne soit plus d'hommes mortels, mais du Dieu éternel que nous soyons fils' et en Démonstration 7 : 'Et c'est pourquoi le baptême de notre 'régénération'...'

  • Irénée de Lyon  Haer. 3,17,1 ''... lorsqu'il donnait à ses disciples le pouvoir de faire renaître les hommes en Dieu, il leur disait : 'Allez, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit' (Mt 28,19) .''

Discipline concernant le baptême :

  • Const. ap.  6,15,1  ''De même faut-il s'en tenir à un seul et unique baptême donné dans la mort du Seigneur (cf. Rm 6,3), non pas celui pratiqué chez les funestes hérétiques, mais celui que confèrent les prêtres irréprochables au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit (Mt 28,19). D'une part n'admettez pas le baptême reçu chez les impies et d'autre part ne désavouez pas le baptême reçu chez les saints en rebaptisant.''
  • Const. ap.  8,47,49  ''Si un évêque ou un presbytre ne baptise pas au [nom du] Père et du Fils et du Saint Esprit (Mt 28,19), selon les prescriptions du Seigneur, mais en trois sans-commencement ou en trois fils ou en trois paraclets, on le déposera.''

Le rituel baptismal :

  • Const. ap.  3,16,4  ''Toi donc, ô évêque, d'après ce modèle tu oindras la tête des candidats, tant des hommes que des femmes, avec l'huile sainte, pour signifier le baptême de l'Esprit ; ensuite toi-même, évêque — ou bien le presbytre qui est sous tes ordres — disant et prononçant sur eux la sainte invocation du Père et du Fils et du Saint-Esprit (Mt 28,19), tu les baptiseras dans l'eau ; puis, si c'est un homme, le diacre le recevra, et s'il s'agit d'une femme, la diaconesse s'en chargera, pour que la tradition du sceau infrangible se fasse dans la dignité, ensuite l'évêque oindra les baptisés avec le myron.''

Un ordre reçu du Seigneur 

  • Const. ap.  5,7,30  ''Nous qui avons mangé et bu avec lui (Ac 10,41) et qui avons été les témoins oculaires de ses miracles, de sa vie, de sa conduite, de ses paroles, de ses souffrances, de sa mort et de sa résurrection d'entre les morts, nous qui avons vécu avec lui quarante jours (Ac 10,41.1,3) après sa résurrection et avons reçu de lui l'ordre de proclamer l'Évangile au monde (Mc 16,15) entier, d'enseigner toutes les nations et de baptiser (Mt 28,19) en sa mort (Rm 6,3)...''
  • Const. ap.  7,40,3  ''En effet le Seigneur nous l'a ordonné quand il disait : D'abord enseignez toutes les nations. Il a ajouté : Et baptisez-les au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit (Mt 28,19).''

L'importance de l'enseignement de la doctrine 

  • Origène  Comm. Rom.  4,2,7-8  ''Nous l'avions déjà dit plus haut : non seulement les parents engendrent des fils, mais ils les instruisent [...] Voilà quelqu'un qui, s'éloignant de Dieu, honore les idoles : s'il engendre des fils, ne leur enseignera-t-il pas aussitôt à vénérer les idoles et à offrir des sacrifices au démons ? [...] Mais veux-tu savoir que c'est non seulement du fait de la naissance, mais aussi de celui de la doctrine que la mort a régné depuis Adam ? Apprends-le à partir des contraires. Car lorsque le Seigneur Jésus-Christ vint rectifier les actes qui étaient de travers, du fait que cette première naissance qui venait d'Adam engendrait pour la mort, il introduisit une seconde naissance qu'il appela non pas tant être engendré qu'être régénéré (cf. Jn 3,3 ; Tt 3,5) ; par celle-ci, il supprimait assurément le vice de la première naissance ; et comme il substitua la régénération à la génération, de même à une doctrine il substitua une autre doctrine. En effet, envoyant ses disciples pour ce faire, il ne leur a pas dit seulement : Allez, baptisez toutes les nations , mais : Allez donc, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit (Mt 28,19). Sachant donc que les uns et les autres étaient en faute, il a donné aux uns et aux autres le remède, pour que la génération mortelle soit changée par la régénération du baptême, et que la doctrine de la piété (cf. 1Tm 6,3) chasse la doctrine de l'impiété.''

Contre les hérétiques qui n'enseignent pas de manière sincère et complète

  • Origène  Comm. Rom.  8,4,7  ''C'est en effet ce qu'annoncent les évangélistes selon le commandement de notre Seigneur et Sauveur qui dit : allez donc, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit (Mt 28,19). Ce sont donc les biens de ceux qui évangélisent. [...] non seulement ils annoncent des biens, mais ils annoncent des biens de manière bonne. Car il y a des gens qui, certes, annoncent et prêchent au sujet du Père, du Fils et de l'Esprit Saint, mais qui n'annoncent pas de manière sincère ni complète ; tels sont tous les hérétiques, qui certes annoncent le Père, le Fils et l'Esprit Saint, mais ne le font ni bien ni fidèlement.''

Dieu, dans sa providence, a préparé les nations à recevoir l'enseignement des apôtres 

  • Origène  Cels.  2,30  ''Dieu préparait les nations à recevoir son enseignement, en les soumettant toutes au seul empereur de Rome, et en empêchant que l'isolement des nations dû à la pluralité des royautés ne rendît plus difficile aux apôtres l'exécution de l'ordre du Christ : Allez, de toutes les nations faites des disciples (Mt 28,19).''

Cf. Tradition chrétienne Jn 4,44 Les apôtres exécutent l'ordre du Seigneur 

19 Au nom du Père, et du Fils, et du Saint Esprit... In nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti : inscriptions médiévales.

8e siècle : 

  • 1ere Moitié du 8e s. : Allemagne, Trèves, Rhein Landesmuseum : "ancella Christi sum ego in nomine p. et f. et s.s. Amen.Alleluia." DI 70, n°20, 34.
  • 795-816 : Italie, Rome, Saint-Jean-de-Latran, mosaïque absidiale du triclinium de Léon III, les versets 19-20: "euntes docete omnes gentes baptizantes eos" Lauer 1911, 110.

11e siècle :

  • Fin 10e-début 11e s. : France, Poussy-la-Campagne (14), Saint-Vaast CIFM 22, 77.
  • 1096 : Angleterre, Norwich, cathédrale, pose de la première pierre 

12e siècle :

  • Espagne, Pampelune, Museo de Navarra, tympan de l'hopital San Lazaro d'Estella 
  • 1107-1108 : Belgique, Liège, Saint-Barthélémi, fonts baptismaux : "ego te baptizo in nomine Paris et Filii et Spiritus Sancti. Amen. 
  • 2nde moitié 12e s. : France, Touille (31) : "in nomine Paris et Filii et Spiritus" CIFM 8, 83.
  • Allemagne, Berlin, Stiftung Preussicher Kulturbesitz. Kupferstickkabinet, Cod. 78A3, Evangéliaire, fol. 1v°, Christ debout avec phylactère dans la main gauche : "Ite in orbem universum predicate evvangelium meum omni creaturae" Bloch, Schnitzler 1970, I, fig XIX.
  • 1174 : France, La Couronne (16), première pierre de l'autel majeur : CIFM 3, 42.

13e siècle : 

  • 1206-1223 : France, Troyes, cathédrale, Trésor, gants pontificaux : "In nomine Patriset Filii et Spiritu

14e siècle : 

  • Fin 13e-début 14e s. : France, Sens (89), cathédrale, Trésor, gants liturgiques : "in nomine Patris et" CIFM 21, 182.

19b les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit Esquisse de Credo Les premières hérésies ont suscité en réaction les premières tentatives de credo : formules ramassées exprimant l'essentiel de la foi :

  • Cyprien de Carthage  Ep.  73,5,1-2  '« Pour éviter un parcours trop long à travers toutes les sectes et une revue détaillée de leurs sottises [...] bornons-nous pour un moment à Marcion [...] et examinons si on peut prendre en compte son baptême. En effet, quand après sa résurrection le Seigneur envoie en mission ses disciples, il leur explique comment ils doivent baptiser et les instruit en ces termes : Tout pouvoir m'a été donné dans le ciel et sur la terre. Allez donc, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père et ue Fils et du Saint-Esprit (Mt 28,18s). Il fait intervenir la Trinité, pour que les nations soient baptisées dans son mystère. Est-ce que Marcion professe cette Trinité ? Est-ce qu'il affirme le même Dieu Père et créateur que nous ? Est-ce qu'il reconnaît le même Fils, Christ né de la vierge Marie, Parole faite chair, qui a pris sur lui nos péchés, qui en mourant a vaincu la mort, qui a inauguré en sa personne la résurrection de la chair et a fait voir à ses disciples qu'il était ressuscité dans la même chair ? Bien différente de cela est chez Marcion la foi, comme aussi dans les autres sectes. Plus encore : il n'y a chez eux qu'altération de la foi, blasphème, contradiction systématique, en opposition à la saine doctrine et à la vérité. Dès lors comment celui qui a reçu chez eux le baptême pourrait-il passer pour avoir acquis par sa foi la rémission de ses péchés et la grâce qu'octroie la divine bonté, alors qu'il n'avait pas la vérité de la foi elle-même ? » (374)

20 voici que moi je suis avec vous tous les jours jusqu'à la consommation du siècle Cf. Tradition chrétienne Jn 13,33 encore un peu de temps je suis avec vous ; Tradition chrétienne Jn 1,26c mais au milieu de vous...

  • Origène  Comm. Rom.  8,9,1  ''...le Seigneur dit à ses disciples : Et voici que je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde (Mt 28,20), non point pour dire par là qu'après la fin du monde il ne serait pas avec eux, mais il a dit : jusqu'à la fin du monde, pour montrer que jamais il ne se séparerait d'eux jusqu'à la fin du monde...''

Une étape dans la vie spirituelle de l'âme

Origène interprète 'tous les jours' et 'jusqu'à la consommation du siècle' d'après ce que la nature humaine est capable de saisir de la divine présence et d'en vivre tant qu'elle demeure ici-bas :

  • Origène  Comm. Jn  10,42-43  ''... le ressuscité d'entre les morts adresse à ses disciples en les envoyant instruire toutes les nations : Et voici que moi je suis avec vous tous les jours jusqu'à la consommation du siècle (Mt 28,20). Car, à ceux qui doivent savoir tout ce qu'il est possible de connaître à une nature humaine demeurant encore ici-bas, il est dit clairement : 'Et voici que moi je suis avec vous', et même pour désigner dans sa plénitude l'aurore qui se lèvera dans le coeur de ceux qui contempleront, aurore qui multipliera les jours pour les plus heureux d'entre eux : 'tous les jours jusqu'à la consommation du siècle'. [...] Il est probable que certains nous demanderont non sans raison si, après tous les jours de ce siècle, il ne sera plus là, celui qui a dit : 'Et voici que moi je suis avec vous — c'est-à-dire avec ceux qui l'accueillent — jusqu'à la consommation du siècle', 'jusque' indique en effet une sorte de limite dans le temps. Il faut répondre à cela que 'je suis avec vous' n'est pas la même chose que 'Je suis en vous'. Peut-être donc dirions-nous d'une manière plus appropriée que le Sauveur n'est pas en ses disciples mais avec eux, tant que, par leur état d'esprit, ils ne sont pas parvenus à la consommation de ce siècle. Mais lorsque, le monde étant crucifié pour eux (cf. Ga 6,14), ils verront sa consommation réalisée [en ce qui les concerne et] pour autant que cela dépend de leur préparation, alors, Jésus n'étant plus avec eux, mais en eux, ils diront : 'Ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi' (Ga 2,20) ...''

Exhortation adressée à des confesseurs de la foi emprisonnés 

  • Cyprien de Carthage  Ep.  6,1,2  ''Mais puisque la possibilité de partager ce bonheur ne nous est pas donnée, je fais porter [...] cette lettre, grâce à laquelle je vous félicite et tout ensemble vous encourage à persévérer [...] dans votre confession de la gloire du ciel [...] à y poursuivre avec la vaillance de l'Esprit votre route vers la réception de la couronne, en ayant pour vous protéger et vous guider le Seigneur qui a déclaré : Et voici que je suis avec vous tous les jours jusqu'à l'achèvement du monde (Mt 28,20). Ô bienheureuse prison, illuminée par votre présence ! [...] Ô ténèbres plus lumineuse que le soleil même, plus claire que le jour de ce monde, dès lors qu'y sont placés des temples de Dieu, vos corps sanctifiés par une divine confession de foi !'' (51)

Recommandation adressée aux fidèles 

Après avoir donné la liste des évêques établis par les apôtres, le compilateur des CA ajoute :

  • Const. ap.  7,46,15  ''C'est eux que nous avons chargés des districts dans le Seigneur. Souvenez-vous de leur enseignement, [...] et que le Seigneur soit avec vous maintenant et pour les temps éternels, comme lui-même nous l'a dit au moment d'être enlevé auprès de son Dieu et Père ; en effet il dit : Voici que je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde. Amen (Mt 28,20).''

20 Pour moi, je suis avec vous tous les jours. ecce ego vobiscum sum omnibus diebus : inscriptions médiévales

14e siècle : 

  • Vers 1335 : Allemagne, Lüneburg, Kloster Wienhausen, peintures : "Ecce ego vobiscum sum" DI 76, n° 8, 63.
  • Allemagne, Hessig Lichtenau-Retterode, église, cloche : "ego vobiscum sum dominus Deus vester" 

Arts visuels

1–20 La Résurrection est-elle représentable visuellement ?   La résurrection, qui n’est guère matière à récit (Genres littéraires Mt 28,1–20), et dont l’appréhension repose sur la foi aux dires de témoins, eux-mêmes « prouvés » par les Écritures (→Résurrection, Écritures et parole de Jésus), est encore moins matière à représentation visuelle. Avant les grandes « machines » qui remplissent notre mémoire  avec des images représentant les apparitions du Christ ressuscité, quand ce n'est pas le Christ en train de ressusciter (!), les artistes se sont posé la question de la représentation de l’Irreprésentable.

Antiquité

L’on n’est guère étonné que les évocations visuelles du Ressuscité aient commencé par la reprise de symbolismes conventionnels de victoire (Arts visuels Mt 28,6b).

Moyen-Âge

De l'irreprésentabilité de la résurrection, les plasticiens anciens eurent la profonde conviction, surtout lorsqu'ils travaillèrent au service de la liturgie. La description d’une de leurs plus belles réussites, vaut bien tous les discours théoriques :

Nicola Pisano (1225?-1284 ?), ambon, détail : Nativité et Adoration des Mages (sculpture en ronde-bosse sur marbre, traces de polychromie, 1257-1260), H. 4,65 m

Baptistère, Pise © CC BY-SA 3.0

Son innovante base hexagonale est posée sur une colonne centrale (à la base sculptée de trois atlantes) et six colonnes latérales (à chapiteaux représentant les vertus de charité, force, humilité et foi, ainsi que les hérauts du jugement saint Jean Baptiste et l’archange Michelet) qui abritent des arceaux trilobés à écoinçons sculptés représentant des prophètes et des évangélistes. Sur le monument hexagonal, cinq panneaux en bas-relief représentent les scènes principales de la vie du Christ, du point de vue de l’humain sur le point d’être baptisé : nativité, adoration des mages, présentation au Temple, crucifixion et même, bien sûr, le Jugement dernier ; à l’exception de la résurrection.

Nicola Pisano (1225?-1284 ?), ambon, détail : Nativité et Adoration des Mages (sculpture en ronde-bosse sur marbre, traces de polychromie, 1257-1260), H. 4,65 m

Baptistère, Pise

© CC BY-SA 3.0

C’est que le sixième côté de l’ambon est ouvert pour donner accès à la plateforme d’où le ministre peut, depuis l’aigle-pupitre à la charnière de la crucifixion et du Jugement dernier, proclamer l’Écriture — comme si l’annonce de la Parole était la seule « présentation » possible de la résurrection, l’expérience même, avec le baptême qu’on est en train de célébrer, de la rencontre avec le Ressuscité (→Phénoménologie des rencontres avec le Ressuscité; Théologie Mt 28,17 Voir, adorer ou douter).

Renaissance

Un concentré d'Écritures

Le maître lissier (sans doute flamand) auteurs des célèbres tapisseries de la Chaise-Dieu (France), donne à voir plusieurs des témoignages de rencontres du Ressuscité  depuis la visitation de la Cité sainte jusqu'aux disciples d'Emmaüs, en passant par l'apparition à Madeleine, autour du Christ ressuscitant, sur sa composition sur la Résurrection.

Anonyme, Tapisserie de la Résurrection (tapisserie, 1501-1518), chœur

Abbatiale Saint-Robert de la Chaise-Dieu→, Auvergne

© CC BY-SA 3.0→

19e siècle

Gustave Doré peignit la scène de la résurrection quelques jours avant sa mort.

Gustave Doré (1832-1883), La Vallée de larmes, (huile sur toile, 1883), 4,13 x 6,27m

Petit Palais, Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris 

© Wikicommons→

Jésus Christ est proclamé Dieu fait homme. Il s’est laissé condamner et tuer sur la croix. Mourant dans son humanité, il descend jusqu’aux enfers où l’homme était enfermé depuis le péché d'Adam et Ève. La résurrection du Christ est pour les croyants cette espérance folle : la mort est vaincue par la Vie, puisque Dieu libère la création des enfers.

20siècle

Le mystère glorieux

George Desvallières (1861-1950), La Résurrection, (Huile sur toile marouflée et fresque, 1931), 368 x 485 cm

Chapelle Saint-Yves, Paris 14e 

©D.R. SEBERT→,  Mt 28,1-8; Mc 16,1-8; Lc 24,1-12; Jn 20,1-2

Sur le mur droit de la chapelle, Desvallières représente le mystère glorieux, la Résurrection, dans un grand panneau faisant face à celui de la Nativité, complété par la suite de trois vitraux. Les mêmes rayons de lumière descendent du vitrail central du Cœur du Christ et irradient du tombeau vide dans une représentation proche de de la Résurrection réalisée par Desvallières pour la chapelle de Saint-Privat (CR 1653). La scène est fixée à l’instant où le flamboiement du tombeau vide saisit les femmes recueillies dans la prière. L’évènement mystérieux prend place dans un jardin fleuri et luxuriant, Paradis retrouvé, où l’annonce de l’ange est accueillie dans un tourbillon de grâce. Sous cette scène biblique, l’artiste proclame l’ultime étape du salut : « IL EST RESSUSCITÉ. »

Les trois vitraux délivrent le même message : « PAR MOI – VOUS VIENNENT – LUMIÈRE ET VIE. » Ces verrières, comme celles du mur gauche, sont réalisées en 1933, après celles de Marguerite Huré pour le chœur. On ignore le nom du verrier et leurs dessins ne suivent pas les esquisses du maître qui reprenaient en fait les rayonnements et les nuées des décors (CR 2115).

Mystère glorieux du Christ sortant triomphant du tombeau

George Desvallières (1861-1950), Résurrection, (Huile sur toile, 1942), 900 x 350 cm

Cathédrale Notre-Dame de l’Assomption et Saint-Vaast (dépôt du CNAP, Paris), Arras

© Succession Desvallières→,  Mt 28,1-8; Mc 16,1-8; Lc 24,1-12; Jn 20,1-2

À la suite du panneau de la nativité achevé à l’automne 1941, Desvallières continue la décoration entreprise pour la cathédrale d’Arras avec le panneau de droite où il représente un mystère glorieux du Christ sortant triomphant du tombeau. Le 25 octobre 1941, George écrit à sa fille France dans le Limousin : « […] Pour ma part, j’ai attaqué ma seconde grande toile très humblement, très tranquillement m’en remettant à la volonté du bon Dieu pour sa réussite ou non réussite. » Il traverse chaque jour la Seine pour se rendre dans son atelier non chauffé de Saint-Fargeau. Marguerite raconte à sa fille le 6 novembre les conditions dans lesquelles il travaille : « Papa exécute son deuxième panneau de 9 m, de l’autre côté de l’eau et il a oublié tout à l’heure la paire de chaussettes de laine qui lui sert de gants ».

Elle ajoute le 16 novembre « Papa est tellement acharné à sa grande toile afin de la terminer comme la première en deux mois qu’il vaudrait mieux pour lui ne pas s’absenter. » Et pourtant il fait quand même ses expéditions à Paris entre temps, puisqu’elle signale le 22 : « Papa est parti ce matin à 7 h 1/2 par une nuit étoilée pour son Institut, l’École des Beaux- Arts, ses 2 ateliers. » Le jour de Noël, George avoue à sa fille « Le bon Dieu me donne la force et la joie pour À la suite du panneau de la Nativité achevé à l’automne 1941, Desvallières continue la décoration entreprise pour la cathédrale d’Arras avec le panneau de droite où il représente un mystère glorieux du Christ sortant triomphant du tombeau. Le 25 octobre 1941, George écrit à sa fille France dans traverser tous les jours la Seine, pour travailler à ma Résurrection au milieu de toutes les fleurs du printemps. »

Le tableau prend forme. Le Christ ressuscité au cœur rayonnant de lumière domine le trou noir du tombeau qu’il a quitté et dans un merveilleux paysage de renaissance de végétation, il brandit le drapeau de la victoire sur la mort. La nature luxuriante qui environne le Christ libéré de son suaire illumine ce mystère glorieux. Le 23 mars 1942, l’artiste écrit au directeur général des Beaux- Arts : « Cher Monsieur Poli, Voudrez- vous dire à M. Hautecoeur que mon second panneau de l’église d’Arras est terminé aussi, c’est la “Résurrection”. Vous avez pu voir la “Nativité” au dernier Salon d’Automne. […] Ma toile est malheureusement ici à Seine-Port. Étant donné les dimensions, je n’ai pu la peindre que par terre comme les décorateurs de théâtre, les murs de mon atelier n’ayant pas les 9 mètres de hauteur voulus. » (Arch. Nat. Lettre manuscrite de G. Desvallières, F. 21/6/1737.) Desvallières expose les deux grands panneaux imaginés pour la cathédrale d’Arras au Salon d’automne 1942.

19 Allez donc, enseignez toutes les nations L'envoi en mission

20e s.

Envoi en mission vers l'Afrique

George Desvallières (1861-1950), L’Afrique, (Huile sur toile, 1931), 750 x 500 cm

église Notre-Dame-des-Missions, Epinay-sur-Seine © P.Lemaitre→

La chapelle des Missions catholiques de l’Exposition coloniale internationale, déplacée à Épinay-sur-Seine en 1932, sous le vocable de Notre-Dame-des-Missions, a été construite par l’architecte Paul Tournon à l’occasion de l’exposition qui s’est tenue à Paris de mai à novembre 1931 sur le site de la Porte Dorée, au bois de Vincennes. L’architecture de l’église évoque les styles régionaux des possessions françaises. Finalement, huit millions de visiteurs auront parcouru les allées à la découverte de l’empire français. Pour cet évènement, Desvallières a d’ailleurs réalisé une affiche (CR 2106) montrant Charles de Foucauld, accompagné de deux anges tenant le calice et l’hostie devant une Croix glorieuse. Le programme décoratif complet de la chapelle est confié aux deux maîtres des Ateliers d’art sacré et à leurs élèves.

Le 6 février 1931, le responsable du projet, le père Reviers de Mauny, donne rendez-vous à Desvallières chez l’architecte Paul Tournon pour « assister de sa haute compétence » la réunion sur les maquettes, esquisses et « en juger ». Fin février, l’artiste lui livre sa toile de 7,50 mètres sur 5 mètres. Le 23 avril, le père Reviers de Mauny le remercie pour l’aide qu’il lui a fournie depuis le début du chantier, « à l’œuvre que nous avons entreprise pour la gloire de nos missionnaires ». En effet, on doit aux Ateliers les vitraux (Jean Hébert-Stevens, André Rinuy, Pauline Peugniez, atelier Barillet, Marguerite Huré), les sculptures ornant l’intérieur du bâtiment (Raymond Delamarre, Anne-Marie Roux, Roger de Villiers), la chronologie de l’action des missionnaires sur les murs de la nef, ainsi que les douze grands panneaux de toile marouflée répartis de part et d’autre de la nef, à gauche et à droite du chœur, perpendiculairement aux murs latéraux. À gauche, Georges Ballot, Paul de Laboulaye, Valentine Reyre, Pauline Peugniez, Charles Plissard et Henri Marret ont représenté, dans la continuité du panneau de Maurice Denis, des épisodes de l’évangélisation de l’Europe. À droite, aboutissant à la toile de Desvallières, ce sont les missionnaires des pays lointains qui sont peints par Émile Beaume, Lucien Simon, Robert Génicot, Henri de Maistre et Raymond Virac. Sur le grand panneau, à droite du chœur, Desvallières représente l’action des missionnaires en Afrique. Il choisit, comme sur l’affiche qu’il a imaginée pour l’exposition, la figure du converti Charles de Foucauld (1858-1916), l’apôtre du désert à l’Assekrem, au nord de Tamanrasset en Algérie, qui y a laissé sa vie, assassiné le 1er décembre 1916.

Au centre de la composition, sous une croix blanche monumentale, à l’ombre d’un palmier, Monseigneur Lavigerie, cardinal d’Alger et de Carthage, engagé contre l’esclavage, bénit le continent. Sous sa bienveillance, le père de Foucauld présente humblement le Saint-Sacrement aux populations locales. Dans L’Artisan Liturgique de 1932, Desvallières décrit avec enthousiasme la chapelle où chaque artiste a laissé s’exprimer son talent. « Faire du bien aux autres en s’épanchant soi-même, voilà le fond de notre effort. D’ailleurs dans toute cette chapelle, il règne déjà comme une atmosphère de fraternité, d’entraide plastique ». Il aime à relever l’ingéniosité des uns et des autres, avec son humilité habituelle concernant son propre travail, « L’autorité que Maurice Denis a mise dans la représentation de Saint Pierre et Saint Paul ne viendrait-elle pas déborder heureusement sur les incertitudes ou les négligences involontaires de “ mon ” Père de Foucauld ? » (Desvallières, 1932) Pourtant, l’historien Georges Goyau écrira en 1934 : « Vingt-sept ans après la messe de Beni-Abbès, Lyautey, devenu dans son Maroc le grand Africain, revoyait le P. de Foucauld. Il le revoyait au Pavillon, dans l’admirable fresque de Georges [sic] Desvallières, sur laquelle l’ascétique apôtre offre à l’Afrique l’Hostie eucharistique. Et certain matin, on vit se grouper autour du maréchal et du commandant même de l’École militaire de Saint-Cyr, cinq cents Saint-Cyriens en uniforme, venus là pour entendre une messe, sous le regard extatique du “ camarade ” Foucauld. » (Goyau)

19 Père, du Fils et du Saint-Esprit CONTEMPLATION Jésus-Christ visage de Dieu

Peinture italienne, 14e s.

Nicoletto Semitecolo, La Sainte Trinité (1370), 35 x 40 cm, tempera sur panneau de bois

basilique Saint-Antoine, Padoue © saintmerry.org→

Ce tableau représente la Trinité, selon le schéma préféré aux 13e et 14e s. en Europe, appelé trône de grâce. Il s’agit de comprendre, au-delà de l’image, une pensée théologique… Dieu le Père, siégeant, élève devant lui le crucifié bras en croix et semble le proposer à la contemplation des fidèles. Sans la croix de bois, le Fils est cloué aux mains du Père. Semblant sortir de l’auréole du Père, à sa droite, la colombe de l’Esprit plonge vers le Fils. Une communion, une union de vie se manifeste dans ce lien sacré ; ainsi s’accomplit la parole de Jésus : « Moi et le Père nous sommes un » … Les visages sont les mêmes : « Qui me voit voit le Père ». Dieu a un visage, celui du Fils, parce que c’est lui qui nous l’a fait connaître.

Par l’harmonie des traits, l’intensité des regards, le peintre d’origine grecque et travaillant en Italie révèle, dans la grande tradition des icônes du Christ Pantocrator, une même présence. Leurs yeux expriment un véritable appel à reconnaître le Dieu de Jésus-Christ. Regard unique d’une Parole qui se fait chair… C’est en Christ que nous apparaît le mystère du Dieu invisible ; c’est en ce visage que Dieu se livre, se communique : Dieu se dévoile dans l’amour du crucifié. (J.-M. N.)

Musique

1–20 De la résurrection du Christ à celle du chrétien

Dans la musique populaire (Folk indie, rock alternatif, pop baroque, Electronica)

Sufjan Stevens, " He Woke Me Up Again", Album Seven Swans, piste 10, CD, Sounds Familyre (prod. Daniel Smith), 2004

Sufjan Stevens – composition and performance ; Laura Normandin – calligraphy ; Rafter Roberts – mastering ; Andrew Smith – drums ; Daniel Smith – vocals, bass guitar, and production at his home studio and the New Jerusalem Rec Room in Clarksboro, New Jersey ; David Smith – drums ; Megan Smith – vocals ; Marzuki Stevens – artwork,

© Licence YouTube standard © D.R. Sufjan Stevens

Paroles

He was, he was in the churchyard — My father was in the first part — He came, he came to my bedroom — But I was asleep —— And he woke me up again to say... —— Halle, halle, hallelujah — Holy, holy is the sound — And I hope, I hope you are tired out — And I know, I know there is joy endowed —— But I was asleep — And he woke me up again — And he woke me up again to say... —— Hold on, hold on to your old ways — Or put off, put off every old face — And I know, I know you are changed out — And I hope, I hope you're arranged out —— But I'm still asleep — And you woke me up again — And I'm still asleep — But you woke me up to be holy.

Il était, il était dans le cimetière — Mon père était dans la première partie — Il est venu, il est venu dans ma chambre — Mais j'étais endormi — Il m'a réveillé pour dire : — Halle Halle Halleluiah — Saint Saint est le son — Et j'espère, j'espère que vous êtes fatigué — Et je sais, je sais qu'il y a de la joie à recevoir — Mais j'étais endormi — Et il m'a encore réveillé— Et il m'a encore réveillé pour dire — Accrochez-vous à vos anciennes habitudes — Ou repousser chaque vieux visage — Et je sais, je sais que tu as changé — J'espère, j'espère que ça va mieux — Mais je suis encore endormi — Et tu m'as encore réveillé — Et je suis encore endormi — Mais tu m'as réveillé pour être saint. 

Cinéma

26,1–28,20 La Passion dans Il Vangelo secondo Matteo, chef-d'œuvre de Pier Paolo Pasolini (réal., scén., 1922-1975) Film noir et blanc à petit budget, réalisé par un homosexuel athée marxiste, ce film reste un choc, comparé aux œuvres ultérieures de Pasolini (p. ex. Salò, ou Les 120 journées de Sodome, en 1975). Pasolini s'était dit fasciné par l'éclat littéraire et l'efficacité narrative de l'évangile selon Mt. Son film, dédié au « glorieux Pape Jean XXIII », met en scène tout l’évangile selon Mt, qu’il suit fidèlement, surtout dans les dialogues. Cette fidélité littérale ne l’empêche pas de proposer une représentation très personnelle de la passion de Jésus, où il fait intervenir sa propre mère Susanna Pasolini pour interpréter la Vierge Marie avec une retenue bouleversante (cf. ci-dessous « la figure de Marie »).

Pier Paolo Pasolini, Il Vangelo secondo Matteo, film, 137', Italie-France : Arco film-Lux Compagnie cinématographique, 1964.

Photographie : Tonino Delli Colli ; musique : Jean-Sébastien Bach, Wolfgang Amadeus Mozart, Sergueï Prokofiev, Anton Webern, Père Guido Haazen (Missa Luba), Sometimes I Feel like a Motherless Child (Negro spiritual), chants de l’Armée Rouge ; distribution : Enrique Irazoqui (Jésus), Mario Socrate (Jean-Baptiste), Margherita Caruso/Susanna Pasolini (Marie)

 © Licence YouTube standard

La représentation est à la fois réaliste, par le décor naturel, et hiératique, par une succession de tableaux qui évoquent la scénographie d’un opéra. La musique joue d’ailleurs un rôle important pour préciser le sens des séquences, comme un commentaire sans paroles. La figure de Jésus est celle d’un prophète imprécateur, au verbe violent, qui entraîne les foules et déchaîne l’hostilité croissante des chefs et des pharisiens. Cette énergie se déploie jusqu’à l’arrestation. Jésus est d’ailleurs filmé souvent seul dans le plan, séparément des disciples. Les traits fins et distingués de l’acteur qui interprète le Christ contrastent avec la beauté brute et rustique des visages des disciples : Jésus est la perfection de l’humanité. Les gros plans nombreux sur ces visages évoquent l'Église comme peuple de Dieu ou le Peuple lui-même. On y voit surtout des hommes de tous âges, des vieilles femmes et des enfants, peu de jeunes femmes.

De plus, la pauvreté formelle adoptée comme langage cinématographique résonne fortement avec les enseignements du Christ : les canons néoréalistes permettent d’insister sur l’humanité de Jésus, rompant avec la vision « héroïcisante » des studios hollywoodiens. L’ambition néoréaliste de mettre à l’honneur les humbles, tout en soulignant le caractère réellement inédit du quotidien, renvoie aussi à la prophétie de Jésus : « Aujourd'hui s'accomplit cette Écriture — à vos oreilles » (Lc 4,21). Ce film fut récompensé, entre autres, par le prix spécial du jury au Festival de Venise et le grand prix de l'Office catholique du cinéma.

La passion

La représentation de la passion à proprement parler occupe 28 min, dans la seconde moitié du film. Dans les choix opérés par le réalisateur, trois caractéristiques influent profondément sur le message délivré par l’œuvre : Pasolini a une intelligence politisée du message évangélique ; il adopte une lecture chronologique et littérale de Mt ; il représente la passion de points de vue majoritairement externes.

  • Pasolini dans ses choix de mise en scène, décrit Jésus comme un tribun, un homme politique animé par un immense désir de justice.

  • Il adopte une narration strictement chronologique, qui suit littéralement le texte de l’évangile, omettant toutefois certains épisodes relatés dans Mt. Cette construction linéaire, si elle confère un caractère de simplicité et de pauvreté au récit de la passion, exprime de manière limitée l’unité profonde dont est tissée la vie du Christ.

  • La caméra adopte le point de vue externe de Pierre jusqu’à son reniement, puis de Judas jusqu’à sa pendaison, enfin de Jean jusqu’à la crucifixion. Il en découle que la majorité des images de la passion est éloignée du cœur de l’action : l’œil de la caméra observe une suite de tableaux à distance respectueuse, sans s’approcher du visage ni du corps du Christ. Hormis la pauvreté formelle adoptée dans cette œuvre, la Passion de Pasolini fait peu entrer dans le caractère stupéfiant de l’amour de Dieu tel qu’il est révélé dans la mort du Christ, car cette représentation laisse le spectateur à l’extérieur de l’humanité du messie et de sa réalité incarnée et personnelle. Pasolini ne montre pas non plus l’événement universel et cosmique (en tant qu’il réalise une conversion, un retournement de la marche du monde) que constitue la passion de Jésus.

Une conséquence de telles options est l’impression d’extériorité qui se dégage de la dernière partie du film : Jésus, après avoir déclamé ses enseignements sur un ton impérieux, souffre sa passion et meurt loin du spectateur. La distance installée par le metteur en scène avec le Christ souffrant occulte largement la violence inexprimable de la passion, qui est le sacrifice d’amour de Dieu pour ses enfants et ses frères, les hommes. Avec le recul, on comprend les raisons pour lesquelles cette œuvre a pu rencontrer un tel succès critique, tant cette représentation de la passion, tout en semblant réaliste, est peu dérangeante.

Jésus

À l’écran, selon un procédé fréquent dans le cinéma italien de l’après-guerre, Jésus est incarné simultanément par un duo d’acteurs, avec l’apparence d’Enrique Irazoqui aux cheveux noirs, aux yeux noirs et sans arcade (juif basque qui, comme les autres interprètes, n'était pas un acteur professionnel) et la voix d’Enrico Maria Salerno. Le décalage entre les images capturées en extérieur d’un interprète non professionnel et la voix puissante enregistrée en studio d’un acteur confirmé peut être vu comme le signe de la double nature du Christ. Ce Jésus éructe les paraboles et prophétise avec une férocité vive, comme un agitateur syndical. Il est nerveux avec ses inquisiteurs et brusque avec ses apôtres. C'est un homme-Dieu pressé d'accomplir sa mission. Plus tôt mort, plus tôt ressuscité.

La perfection formelle du visage d’Irazoqui rappelle les représentations du Greco ; son regard légèrement asymétrique renvoie au mystère que dégagent les portraits du Christ dans l’art russe de l’icône. Fidèle au texte de Mt, Pasolini insiste sur l’union de Jésus au Père en montrant la prière solitaire du Christ avant sa passion, sur le point d’entrer dans Jérusalem. Il montre la souffrance portée par Jésus dans son agonie en empruntant à La Passion de Jeanne d’Arc de Carl Dreyer la douleur béate et muette du visage du condamné : regard hébété, fixité, stupéfaction à l’aube du don total de soi.

Il faut néanmoins admettre que l’acteur principal manque singulièrement d’épaisseur, en particulier dans les scènes de la passion, ce qui peut être imputé au jeune âge d’Irazoqui, qui n’avait que 19 ans (et non 33) lors du tournage.

Colère de Dieu, colère des hommes

Il Vangelo de Pasolini frappe par le souffle d’impatience et de colère impérieuse qui jaillit de la personne du Christ et qui secoue toute l’œuvre. La Bonne Nouvelle présentée ici semble être un principe de vie réagissant à l’injustice sociale répandue dans le monde. Par suite, la justice de Dieu semble primer sur la miséricorde de Dieu, appauvrissant le sens fondamental de la passion. On est loin de la plume déchirante de Péguy qui met les mots suivants dans la bouche du Père décrivant la passion de Jésus :

  • Péguy Porche « Cette aventure par laquelle mon Fils m’a lié les bras. Pour éternellement liant les bras de ma justice, pour éternellement déliant les bras de ma miséricorde » (307).

Chez Pasolini, le cœur de Jésus semble plus vibrant de colère que brisé d’amour. Sa colère et son exigence de justice l’emportent sur sa compassion et sa miséricorde. À la lumière des engagements de Pasolini auprès du Parti communiste italien, on peut s’interroger sur la justesse de cette interprétation : la colère attribuée ici au Christ est-elle la colère de Dieu, ou plutôt la colère du réalisateur projetée sur ce qu’il comprend de la personne du Christ ?

Le mystère de la croix

Pasolini montre sans ambiguïté le don libre que le Christ fait de lui-même dans sa passion : Jésus après l’institution de l’Eucharistie, sourit à ses disciples comme un époux qui connaît la plénitude après l’union nuptiale ; au prétoire, après le couronnement d’épines, il marche librement vers sa croix, son bâton à la main ; au Golgotha, il crie peu lorsqu’il est cloué sur sa croix, contrairement au brigand crucifié à ses côtés.

Toutefois par d’autres aspects non négligeables, Pasolini ne donne pas la pleine mesure du don personnel du Fils de Dieu fait homme. Ainsi la flagellation du Christ est ignorée. De plus, dans l’interprétation que le réalisateur fait de la réquisition de Simon de Cyrène, Jésus, désormais déchargé de sa croix et apparemment en bonne santé, cesse de porter sa croix et marche aux côtés du Cyrénéen qui a endossé son fardeau. Étranger à l’ultime étape de sa vie terrestre, le Christ paraît dès lors désincarné. La lecture que fait Pasolini du texte de Mt, quoique poétique, est un contresens : ici le Verbe de Dieu fait homme pour assumer le péché du monde fait porter son joug par son prochain menacé de mort, alors même qu’il est venu assumer la souffrance et le péché de tous les prochains.

La figure de Marie

Le rôle de Marie lors de la passion du Christ est tenu par Susanna Pasolini, la mère de Pasolini. Elle est une Vierge éplorée de douleur, tordue de souffrance devant le spectacle de son fils supplicié et mis à mort devant elle. Malgré le jeu convaincant de son actrice, le réalisateur butte sur le double écueil du choix de son interprète et de la difficulté à percer le mystère de la nouvelle Ève :

  • En donnant ce rôle clef à sa propre mère, Pasolini fait en quelque sorte le choix d’apparaître lui-même comme le messie crucifié. (Nombreux sont d’ailleurs les critiques que, par certains aspects, la vie du Christ résonne avec la vie du cinéaste.)

  • Pasolini ne communique guère au spectateur les réalités profondes qui font que la souffrance de Marie au pied de la croix dépasse considérablement la peine de Susanna Pasolini, fût-elle en train de contempler son propre fils agonisant : Marie au Calvaire distingue dans la personne de son fils à la fois le fruit de ses entrailles et le Dieu vivant et vrai qui épouse notre humanité pour porter toute souffrance. Étant unie mystiquement au cœur de son fils, elle traverse la mort comme Jésus traverse la mort. Cependant si elle porte « celui qui porte tout », on peut dire aussi que sa force et sa dignité reçues de Dieu surpassent celles de toutes les mères : dans son union mystique au cœur de Dieu, Marie garde intacte sa certitude que Jésus est le Fils de Dieu, et intacte sa confiance dans l’amour tout-puissant et miséricordieux du Père. À ce titre le jeu accablé de Susanna Pasolini, s’il est juste sur un plan strictement humain, ne rend pas pleinement compte de l’amour de Marie marchant au Golgotha avec Jésus.

Antijudaïsme ?

Chez Pasolini, Jésus marche jusqu'à sa mort, à travers la campagne de Matera, dans les Pouilles, près du talon de la botte italienne. La foule le poursuit et le presse ; un cri jaillit "Son sang soit sur nos enfants !" (Mt 27,25). Pasolini, poète avant d'être cinéaste, ne voulut pas censurer le verset d'un texte qu'il voulait honorer ; et, en mettant en scène des Italiens pourchassant les Italiens, il typifie une malédiction moins de race ou de religion que de clan.

L’Église

Une mosaïque de musiques émaille l’œuvre de Pasolini : des extraits des œuvres de Bach, Webern, Mozart, Prokofiev, de la Missa Luba (messe congolaise), de Negro spirituals (déchirant Sometimes I Feel like a Motherless Child) et de chants révolutionnaires russes enrichissent les images de la vie simple du Christ et nous enseignent sur ce qu’est l’Eglise :

  • Ces thèmes récurrents sont une représentation de la multiplicité des demeures dans la maison du Père : l’Église ressemble à une famille et l’Église est universelle ; elle accueille tout homme, comme Dieu ouvre ses bras à tout homme.

  • La répétition de ces musiques variées évoque aussi la prière tournoyante et sans cesse recommencée du psalmiste.

  • Enfin, on peut deviner dans les choix de musique de Pasolini les possibles défigurations du message évangélique. Ainsi, après la résurrection du Christ, l’Église en marche est représentée comme un peuple d’insurgés avec les armes à la main, courant vers un avenir lumineux au son des chœurs de l’Armée Rouge.

Conclusion

Il Vangelo secondo Matteo de Pasolini bénéficie des canons du néoréalisme italien et rompt heureusement, par sa pauvreté formelle, avec la proposition hollywoodienne connue jusque-là. Toutefois, dans une lecture littérale (quoique poétisée et politisée) de l’évangile, le réalisateur semble ne pas adhérer au cœur de la foi chrétienne, qui est que Dieu, fait homme dans la personne de Jésus, a porté le péché de chaque homme et de l’humanité pour que tout homme soit sauvé. C’est pourquoi cette œuvre recèle un certain nombre de limites lorsqu’elle rend compte du message évangélique, et ressemble au récit qu’un reporter extérieur ferait du parcours exceptionnel d’un leader exceptionnel.

La passion dans Il Vangelo secondo Matteo, verset par verset

Après la référence, on donne un bref commentaire, suivi du minutage.

  • Mt 26,1-5 : complot contre Jésus (1:38). 
  • Mt 26,6-13 : la protestation « des disciples » contre l'onction vient de Judas seul ; Marie Madeleine perçoit avec effroi le choix que Judas fait, dans son cœur, de trahir le Christ (1:39-41). 
  • Mt 26,14-16: trahison de Judas (1:41-42).
  • Mt 26,25 : dénonciation de Judas (1:42-43). 
  • Mt 26,26 : la communion au pain (1:43). 
  • Mt 26,27:  lors de la communion au calice, Jésus sourit (contentement de l’époux après avoir consommé ses noces ; 1:43-44).
  • Mt 26,30: le jardin des Oliviers (1:44).
  • Mt 26,38: pendant l’agonie de Jésus, la lumière disparaît ; la pellicule noircit (1:45-49).
  • Mt 26,39: Jésus tombe, mais pas face contre terre (1:45-49).
  • Mt 26,43: en train de dormir En train de dormir : Jésus prie en 2 fois et pas 3 (il ne réveille ses disciples qu’une seule fois, puis les soldats arrivent) (1:45-49).
  • Mt 26,49: un baiser le baiser de Judas Ignoré par Pasolini (1:45-49).
  • Mt 26,51-52: Jésus, par sa parole, empêche que l’oreille du garde soit arrachée par le disciple zélé (1:48-49).
  • Mt 26,55 : l’arrestation de Jésus (1:49).
  • Mt 26,59 : pendant l’interrogatoire au sanhédrin, un point de vue de Pierre, qui déambule, perdu dans les rues de Jérusalem. Jérusalem est montrée comme une ville en ruines (1:50).
  • Mt 26,65 a: déchira ses vêtements l’indignation de Caïphe : Caïphe se déshabille plutôt qu’il ne déchire ses vêtements (1:52).
  • Mt 26,67-68 : les outrages chez le grand prêtre sont suggérés (cohue). Cette scène est montrée de loin, avec le point de vue de Pierre qui est un spectateur éloigné. Pasolini qui insiste tout au long de son œuvre sur la colère du Christ devant l’injustice faite aux hommes par les hommes, édulcore l’injustice faite par les hommes à l’Homme (1:53).
  • Mt 26,70 b: Je ne sais pas ce que tu veux dire le reniement de Pierre : Le coq n’est pas montré ; Pierre est montré perdu sur une rue pavée dévorée de mauvaises herbes (Cf. la parabole). On s’éloigne de Pierre pour rejoindre Judas (1:53-54).
  • Mt 27,4-5 les remords de Judas : Puis point de vue de Judas pour montrer Jésus emmené chez Pilate pour mourir (1:55-57).
  • Mt 27,5 Mort de Judas : Judas se pend nu. Il a tout perdu. Il se retrouve seul dans la création, séparé de Dieu, comme Adam après le péché originel ? (1:57).
  • Ajout de Pasolini : Jean et Marie chez Pilate (1:57-58).
  • Mt 27,1 Devant le gouverneur : Jésus chez Pilate est montré du point de vue de Jean, avec les yeux de Jean (1:58).
  • Mt 27,11 b: le gouverneur l’interrogea l’interrogatoire par Pilate (1:58).
  • Mt 27,24 b: se lava les mains le lavement des mains Pilate prononce les paroles du lavement des mains mais ne se lave pas les mains (1:58).
  • Mt 27,26-27 dans le prétoire la flagellation et les outrages au prétoire Jésus marche librement vers sa mort, un bâton de pèlerin à la main jusqu’à ce que ce dernier soit remplacé par la croix. A part un mouvement de cohue, Jésus n’est pas supplicié (1:59).
  • Mt 27,31 c : ils l’emmenèrent la montée au Calvaire : Marie est cramponnée à Jean. Susana Pasolini est tres convaincante en mère assistant au supplice de son fils ; cependant elle n’est pas n’importe quelle mère. Lorsque son fils meurt, il porte le monde et dans sa compassion qui est une union mystique, un cœur à cœur avec le Fils de Dieu qui aime l’humanité à mourir d’amour pour elle, Marie aussi porte le monde. Elle ne peut dès lors être représentée comme « simplement » éplorée (évaporée).  Les soldats donnent à boire à Jésus pour monter au Calvaire. Marie se bat pour être proche de son fils (1:59).
  • Mt 27,32 a : un Cyrénéen du nom de Simon Simon de Cyrène : Jésus tombe une fois, puis Simon de Cyrène est réquisitionné pour porter (seul). Jésus n’a pas un cheveu décoiffé, pas une égratignure. Rupture entre la promenade dominicale d’un Christ étranger/indifférent/désincarné [ou encore philosophe face] à son fardeau. Ici Jésus sous-traite le problème (2:01).
  • Mt 27,35 a l’ayant crucifié la crucifixion (2:03). L’image s’interrompt pour expliquer, par une parole du Christ, le caractère mystérieux (incompréhensible ?) de la Passion : « Vous verrez mais ne comprendrez pas… »
  • Mt 27,38  deux brigands le bon et le mauvais larron : Visibles mais non identifiés (2:02).
  • Mt 27,45 de la ténèbre sur toute la terre l’obscurcissement à la sixième heure (2:04).
  • Mt 27,48 b : vinaigre la gorgée de vinaigre (2:05).
  • Mt 27,51-53 les signes accompagnant la mort du Christ : Seul le tremblement de terre est représenté. Un groupe de femmes en noir jaillit en courant d’une habitation (2:06).
  • Mt 27,59-60 Ensevelissement de Jésus : Cortège comprenant Marie et Jean. Plusieurs jeunes hommes pieds nus, habillés comme des moines franciscains (sans capuche), portent le corps de Jésus jusqu’à son tombeau (2:07-08).
  • Mt 28,1 vinrent pour voir le sépulcre visite des saintes femmes au tombeau (2:09).
  • Mt 28,2 et voici la résurrection Le visage de Marie s’illumine de gratitude, sans trace de surprise lorsque la pierre roule découvrant le tombeau vide (2:10).
  • Mt 28,16-20 : apparition du Christ ressuscité aux disciples (2:11).

(avec fr. Benoît Ente o.p.)