La Bible en ses Traditions

XP : staurogrammes et christogrammes

Dans le monde antique, le →nom renvoie à l'essence même de la chose ou de la personne qu'il désigne. Le nom divin fait l'objet d'intenses spéculations dans les Écritures et de pratiques dévotionnelles autour du →tétragramme YHWH chez les scribes hébreux. Celles-ci se continuent dans la dévotion précoce au →nom de Jésus et dans la discipline primitive des nomina sacra, auxquels ressortissent staurogrammes et christogrammes.

1 — Taw

Le taw protecteur d’Ez 9,4, qui s’écrivait peut-être comme une croix en paléo-hébreu (cf. le phénicien et les monnaies hasmonéennes), a pu être compris par les premiers Juifs devenus disciples de Jésus comme une préfiguration de la croix ou du Crucifié :

Au cours du 3e s. l’usage du T grec comme symbole de la croix est bien attesté :

La pratique se continue au Moyen Âge :

2 — TP, Tau-rhô, staurogramme (⳨) 

Le tau-rhô, ou staurogramme, est un nomen sacrum très singulier qui aide à comprendre le fonctionnement de ces symboles.

Origine

Le symbole, dont l'existence précède le christianisme, fut approprié rapidement par les scribes qui en firent un christogramme (alors qu’il ne se réfère pas directement au nom de Jésus).

Manuscrit P66, (écriture grecque à l'encre sur papyrus, 2e-3e s.), papyrus néotestamentaire, P.Bodmer II (PB 2), page 141

Fondation Martin Bodmer→, Genève, Suisse

D.R. Martin Bodmer Foundation, Bodmer Lab Digitization→ © CC BY-NC 4.0, Jn 19-15-20

P Bodmer 2 comprend 75 folios de papyrus identifiables et de très nombreux fragments. La disposition est en colonne unique de 25 lignes.

Manuscrit P 66, (écriture grecque à l'encre sur papyrus, 2e-3e s.), page 141

 D.R. Martin Bodmer Foundation, Bodmer Lab Digitization→ © CC BY-NC 4.0 Jn 19-15-20

Restitution du texte grec soulignant la présence des staurogrammes.

manuscrit P66, (écriture grecque à l'encre sur papyrus, 2e-3e s), papyrus néotestamentaire, P.Bodmer II (PB 2), page 141

D.R. Martin Bodmer Foundation, Bodmer Lab Digitization→ © CC BY-NC 4.0 , Jn 19-15-20

Cette traduction française du passage met en valeur la présence des staurogrammes.

Christogramme orné de l'alpha et de l'oméga, (mosaïque, ca. 390), plafond du Baptistère de San Giovanni in Fonte (Naples, Italie)

Domaine public→ © CC BY 3.0

Le premier crucifix

Le signe devient un support visuel à la méditation sur la mort du Christ. Son apparence, rendue par contraction graphique, ne se contente pas de signifier la croix, elle l’évoque visuellement : le tau (T) rappelle la traverse de la croix, alors que la verticalité de la hampe du rhô (P) et la protubérance de sa panse anthropomorphisent la lettre pour évoquer le Crucifié.

La méditation sur la croix et le Crucifié n’a plus seulement pour support un mot (même réduit à la ligature de graphèmes) mais un signe cruciforme, peut-être le plus ancien motif iconographique légué par l'Église. Cette forme agit comme un pictogramme, phénomène hybride (forme et graphie, visuel et textuel) qui évoque moins l’instrument du supplice que la mort de Jésus Christ.

3 — XP, chi-rhô, christogramme (☧), symbole aux confins du religieux et du politique

Le christogramme, composé des lettres grecques chi (Χ) et rhô (Ρ) de Christos (χριστός), symbolise le nom du Christ. Le caractère est préchrétien, mais après la vision d'un chrisme par Constantin la veille de la bataille contre Maxence au pont Milvius en 312, suivie de la conversion de l'empereur et de l’édit de Milan en 313, son usage se répand.

4 — Concentrés de christologie

Staurogramme et pictogramme synthétisent le pouvoir salvateur du nom de « Jésus » et témoignent d’une christologie déployée depuis avant la création du monde (Jn 17,5.24), pendant sur la période de l’Ancien Testament (Jn 1,1-3 ; 12,41) et durant la vie du Logos incarné en Jésus Christ (Jn 1,14).

Médaillon figurant Constantin avec un chrisme sur le casque, avers, (argent, 315), Ticinum (Pavie) ou Rome

Munich, Staatliche Münzsammlung

 Domaine public→ © CC BY-SA 3.0

Sarcophage chrétien, (Sculpture en ronde-bosse sur marbre, 6e s.), 212 × 76 × 53 cm, découvert à Notre-Dame de Soissons

Musée du Louvre, Denon, rez-de-chaussée, salle 28 — MR 886

 Domaine public→ © CC BY-SA 4.0

Anonyme, bague portant le christogramme Chi-Rho, (argent, ca. 300-400), découverte sur un site funéraire chrétien

Musée Gallo-Romain de Tongres, Belgique — 82.H.1

Domaine public→ © CC0 1.0

5 — Autres christogrammes remarquables 

IX (iota-chi) et XI (chi-iota)

Ce monogramme est très répandu dans le monde impérial chrétien pendant la période constantinienne et adopte les mêmes procédés iconographiques que le chi-rhô. Il contracte le I (iota) pour Ἰησοῦς (Jésus) et le X (chi) pour Χριστός (Christ).

IH (iota-êta) et HI (êta-iota)

Le iota-êta associe les deux premières lettres de Ἰησοῦς. Il est plus connu sous sa forme de trigramme intégrant la lettre S : IHS et IHC, iota-êta-sigma (le sigma étant représenté par les lettres latines S ou C). JHS et et JHC sont d'autres variantes.

IC (iota-sigma) et XC (chi-sigma)

Ces christogrammes représentent les premières et dernières lettres de « Jésus » (ΙΗϹΟΥϹ) et de « Christ » (ΧΡΙϹΤΟϹ). Familiers dans le monde grec, ils sont très répandus sur les icônes peintes. Les lettres sont parfois agencées au-dessus de la traverse d’une croix grecque, en surplomb des lettres NI-KA (« victoire »).