L'épître de Jude (« pas Judas l'Iscariote », cf. Jn 14,22), est une véritable lettre, composée dune introduction, d'un corps et d'une doxologie conclusive. Elle surprend pourtant par son langage polémique, qui cherche à dénoncer une situation difficile et scandaleuse créée par l'ingérence de certains subversifs dans la communauté. Elle le fait en s'appuyant sur des éléments traditionnels puisés dans la foi chrétienne encore toute proche de son milieu juif originel.
L'épître documente bien, en effet, la foi des premières communautés de disciples du Christ. Elle témoigne de la foi des disciples dans le « Dieu unique », qui possède « la gloire, la majesté, la domination, la puissance » de toute éternité (Jude 25). Ils ont connaissance de la Trinité constituée par le Père, Jésus-Christ et le Saint-Esprit (Jude 20s). Jésus-Christ est l'artisan du salut (Jude 25 ; →Salutdans les traditions juives et chretiennes.) et l'Esprit Saint est présent dans l'âme du fidèle, et la prière se fait en lui (Jude 20). Une →foi qui garde la doctrine reçue des apôtres (Jude 17s), fonde la vie chrétienne (Jude 3.20). Au jour du jugement, le chrétien aura le secours de la miséricorde divine (Jude 21) mais ne peut pas s'en enorgueillir car c'est Dieu qui le premier a voulu le sauver (Jude 24s).
Comme on peut s'y attendre dans le cadre du judaïsme antique, le langage de Jude est fortement scripturaire. Jude 11 compare ses adversaires, les « impies », à trois pécheurs bibliques : Caïn, qui a nié le juste jugement de Dieu (Gn 4,13), Balaam, le prophète de Dieu qui a perverti sa tâche pour maudire Israël pour de l'argent (Nb 22-24), et Korah, qui s'est rebellé contre Moïse, l'autorité légitime de droit divin dans la communauté de l'alliance (Nb 16).
En outre, Jude mobilise d'autres traditions venues non des Écritures aujourd'hui canonisées dans les Églises latines, mais d'œuvres comme le →Testament de Nephtali (3,4-5 évoqué en Jude 7, sur Sodome et Gomorrhe), l'→Assomption de Moïsepeut-être cité en Jude 9), ou le →Livre d'Hénoch (60,8 cité comme autorité prophétique en Jude 14), qui interprétaient les épisodes concernés, à l’époque de la rédaction de Jude. Cette épître est donc un précieux document pour comprendre avec finesse la réalité du →canon biblique.
TEXTE
Critique textuelle
Il y a peu de difficultés de transmission en ce qui concerne l’épître de Jude. Néanmoins, il faut noter une différence importante pour les versets Jude 22s, qui ont
- tantôt une version longue, avec des recommandations pour trois types de personne (« Les uns, ceux qui hésitent, cherchez à les convaincre ; les autres, sauvez-les en les arrachant au feu ; les autres enfin, portez-leur une pitié… »),
- tantôt une version courte avec deux types de personnes (« Ayez pitié des uns, de ceux qui hésitent, sauvez-les, arrachez-les au feu ; quant aux autres ayez pour eux une pitié… »), suivie par la Vulgate et des versions modernes.
Plusieurs fautes d’orthographe grecque se constatent en outre dans le papyrus P72 (3ème-4ème s.) (Jude 5.7.8s.11s et Jude 18).
Proposition de structure
- Après une adresse (Jude 1s),
- l'auteur fustige les prétendus docteurs, qui seront sévèrement châtiés, et leurs mensonges (Jude 5-16)
- avant d'exhorter les fidèles à garder la juste doctrine (Jude 17-23)
- et la lettre termine par une doxologie (Jude 24s).
Genres littéraires
Le genre épistolaire
Le genre littéraire apparaît bien être celui de la lettre. Les adresses (« très chers », Jude 3.17.20), le style vif et imagé (Jude 12s), les invectives (Jude 8ss) et les exhortations (Jude 17ss) appartiennent à cette forme épistolaire. Les versets Jude 3s, malgré leur caractère allusif, sont aussi un indice permettant de saisir que Jude a écrit pour une occasion particulière.
Genres connexes
Cependant, l’épître de Jude se caractérise par l’absence des formules épistolaires contemporaines : les destinataires ne sont pas précisés et il n’y a pas de salutation personnelle en conclusion. Cette écriture impersonnelle se rapproche du genre de la circulaire. Certains auteurs la mettent en parallèle avec le genre homilétique, au vu des emprunts constatés aux écrits apocryphes La doxologie finale (Jude 24s) semble reproduire une formule liturgique.
CONTEXTE
Auteur
L'auteur se présente comme « frère de Jacques » (Jude 1) appartenant ainsi aux « frères du Seigneur » (Mt 13,55p). Aucun indice ne nous permet de le rapprocher de l'apôtre Jude (Lc 6,16 ; Ac 1,13 ; cf. Jn 14,22) et lui-même prend soin de s'en séparer (Jude 17). Il s'agit sans doute d'un pseudonyme. L'hagiographe connaît très bien les sources juives.
Datation
L'auteur condamne la débauche et l'impiété de mauvais docteurs, à l'instar de l'épître aux Colossiens, des épîtres pastorales ou de l'Apocalypse. Il s'agit là d'un phénomène connu dès le 1er s. Certaines expressions tendent à montrer un christianisme déjà établi, avec peut-être l'influence des épîtres pauliniennes. On date communément l'épître des années 80-90.
RECEPTION
Canonicité
Hormis 2P, l'épître de Jude n'a pas eu beaucoup d'influence aux premiers siècles. Les témoignages les plus anciens (
(†ca. 99), (†165) et le Pasteur d’ (2ème s.)) ne sont que de très vagues souvenirs, et on peut difficilement comprendre s'il s'agit d'une réelle imitation ou d'une même influence.- En Égypte, (†254), qui la trouve dans le Canon alexandrin, la range parmi les écrits du Nouveau Testament. (†373) de même. Elle existe dans les versions sahidique et bohaïrique, qui remontent au début du 3ème s.
- En Palestine, (†339) l'inclut parmi les « Livres contestés ». (†386) la compte parmi les sept épîtres catholiques. D'après (†420), son ancienneté et son usage lui fournissent autorité.
- En Occident,Canon de Muratori (vers 200) révèle son usage dans l'Église de Rome. ; (†386), (†397) et (†410) s'y réfèrent comme aux autres livres canoniques. En Espagne, (†385) l’approuve. (†ca. 370) fait de larges emprunts à Jude
- En Afrique, (†230) la cite comme Écriture et elle appartient à la liste des Livres saints approuvée par le de 397. (†430) la tient lui aussi pour canonique.
- En Orient, (†ca. 378), (†ca. 390), (†ca. 390), (†407), (†428) et (†ca. 457) sont muets sur cette épître. Ni la Peshitta, ni la Doctrine d'Addaï (5ème siècle) ne la comptent parmi les Saintes Écritures. Néanmoins, les actes du (ca. 364) l’incluent dans leur recueil canonique. (†390) fait de même. (†ca. 543) défend le caractère sacré de l’épître.
- En Mésopotamie, les nestoriens refusent définitivement de l’admettre, tandis que les monophysites acceptent Jude, comme les Syriens catholiques, melchites et maronites.
Cependant, les débats reprennent à la Renaissance.
(†1534) ne lui donne qu'autorité de second ordre. (†1564) quant à lui affirme sa canonicité tandis que (†1531) et (†1546) la rejettent. Le (1546) définit le caractère canonique de l'épître de Jude.Ce qui alimente le débat, c'est l'estime qu'il semble accorder aux apocryphes : Hénoch (Jude 7.14s), Assomption de Moïse (Jude 9), mais les utiliser ne revient pas à les voir comme inspirés.
Importance traditionnelle
Intertextualité
La deuxième épître de Pierre reprend quelques versets de Jude (cf. Jude 14-18 et 2P 2,1-3,3 ; 2P 1,12 et Jude 5). Pierre utilise la →Typologie faite par Jude pour dénoncer les opposants qui raillent le jugement dernier.
Exégèse
Outre les œuvres citées pour l’ensemble des épitres catholiques, l’épître de Jude a aussi été commentée par :
- (†215, fragments),
- (†398)
- (†444, fragments),
- (†1564), (†1581),
- (†1610), (†1643), (†1646), (†1647),
- (†1708), (†1717), (†1778).