La Bible en ses Traditions

Romains

 « Qui nous séparera de l'amour de Christ ? » (Rm 8,35). C'est par cette revendication passionnée que l'Épître aux Romains répond à la question de Job : « comment l'homme serait-il juste devant Dieu ? » (cf. Jb 9,2).

En s'adressant aux Romains — communauté qu’il n’a pas fondée ni encore visitée — Paul développe le plan de salut et de justice que Dieu a dessiné pour toute l'humanité, Juifs et païens confondus (Rm 1,16-17).  C’est ce salut voulu pour tous en Jésus Christ qui constitue le message de l’Évangile, la bonne nouvelle de la grâce.  Le nombre et l'importance des thèmes abordés ici sont impressionnants : péché et mort, salut, grâce, foi, justice, justification, sanctification, rédemption, résurrection et glorification ! On y trouve un véritable condensé de la vie et de la doctrine chrétiennes, sans oublier la vocation unique d'Israël dans l’histoire du salut.

Les spécialistes s'accordent largement sur une division de la lettre en sept mouvements :

1  (Rm 1,1-17) Ouverture. La lettre commence par une longue instruction qui décrit et exprime son évangile, l’« Évangile de Paul » : c'est une véritable miniature  de tout l'enseignement qui va suivre. Elle se termine par cette affirmation : « la justice de Dieu en lui s'est révélée de la foi à la foi » (Rm 1,17)

2  (Rm 1,18-4,25) La Justice de Dieu. La deuxième section, qui se déploie  jusqu'à la fin du chapitre 4, décrit les modalités de la justice de Dieu : il y est question du péché et de la colère de Dieu (Rm 1,18–3,20), ainsi que de la justification par la foi (Rm 3,21-31), dont Abraham est le prototype (Rm 4,1-25).

3 (Rm 5,1-21) Le Christ source de toute justification. Le chapitre 5 constitue une longue note christologique : elle fonde la théologie de la justification qui inspire toute la lettre.

4 (Rm 6,9–8,39) Péché, Loi, Esprit. Mais comment vivre dans l’entre-deux de la justification déjà accomplie et du salut à venir ? Le quatrième mouvement, des chapitres 6 à 8, est un exposé dialectique sur le péché, la Loi et l'Esprit.

5 (Rm 9,1-11,36) Espérance pour Israël. Le cinquième mouvement en vient à l’élection d’Israël, soutenue par l’affirmation irréductible : Dieu est juste et fidèle. Paul le juif ne peut pas se résoudre au fait que beaucoup dans son peuple n'aient pas reconnu leur messie. Il va même jusqu'à trouver une valeur positive à leur refus : n'a-t-il pas abouti à l'invitation des non-juifs à entrer dans l'Alliance ? Ne doit-on pas espérer que tout Israël, le premier et le second, finisse par être réuni ? 

6. (Rm 12,1-15,13) Conséquences morales. Dans les trois derniers chapitres, Paul apporte les conclusions pratiques à tirer de tout ce qui précède : comment vivre l’Évangile concrètement ? Comment fonder une communauté sous le regard de Dieu ?

7. (Rm 15,14–16,27) Clôture. Tout naturellement, la lettre se conclut en deux chapitres par des informations sur les missions et projets de Paul (Rm 15,14-33), des salutations à celles et ceux qu'il connaît déjà à Rome (Rm 16,1-23) et, bien sûr, dans la louange à Dieu, ou : « doxologie » (Rm 16,25-27).

Paul est le premier, et aussi le seul dans la Nouvelle Alliance, à utiliser le mot grec tupos (« type ») pour désigner des personnages ou des faits de l'Ancien Testament préfigurant ceux du Nouveau, dont la relation est alors qualifiée de « typologique ». Les thèmes de la typologie paulinienne sont ordonnés selon trois lignes qui convergent dans le Christ : la ligne d'Adam au Christ, celle d'Abraham au Christ, et celle de Moïse au Christ. Du Christ, ils se prolongent dans l'Église et c'est chaque baptisé qui est appelé à continuer l'alliance avec Adam, avec Abraham et avec Moïse. 

TEXTE

Critique textuelle

Le début et la fin de l’épître présentent des différences qui font l’objet d’interprétations diverses de la part des critiques textuels.

Procédés littéraires caractéristiques

De nombreux effets d’annonce et de reprises créent des liens qui renforcent la cohésion de la lettre. Ce procédé de composition fournit des points de repère dans l'argumentation qui se développe par la suite (Rm 1,17 repris en Rm 3,21s ; Rm 5,1-11 repris en Rm 8,1-31, mais aussi Rm 3,1s repris en Rm 3,9-11, ou bien Rm 3,20 repris en Rm 5,20 puis en Rm 7,7s ; Rm 3,31 repris en Rm 8,4 ; Rm 6,14 repris en Rm 7,1 ; Rm 6,4 repris en Rm 7,6 puis en Rm 8,1.4, etc.).

Proposition de structure

La cohésion de l’épître aux Romains repose sur une argumentation qui avance pas à pas, structurée en sections qui s’enchaînent avec bonheur. Elle allie deux thèmes principaux développés parallèlement :

Chaque thème est développé de façon analogue :

Genres littéraires

Le caractère réaliste de la vie plaide en faveur d'une combinaison harmonieuse de ces deux interprétations.

CONTEXTE

Datation et circonstances

L'épître aux Romains est très proche de l’épître aux Galates. Lorsqu’il dicte cette lettre à Tertius (Rm 16,22), Paul est probablement à Corinthe (hiver 55-56), chez Gaïus (Rm 16,23 ; cf. 1Co 1,14), sur le point de se rendre à Jérusalem avec le produit de la collecte (organisée en Macédoine et en Achaïe), avant de partir pour Rome voire pour Espagne (Rm 15,22-32 ; cf. 1Co 16,3-6 ; Ac 19,21 ; 20,3). Mais pour bien situer son intervention, parfois distante, il faut tenir compte du fait que Paul n'a pas lui-même évangélisé la première Église de Rome et connaît mal ces fidèles, ayant peut-être reçu quelques informations par Aquilas (Ac 18,2). Les quelques mentions de l’épître dans un contexte concret permettent d'imaginer des tensions entre les chrétiens issus du judaïsme et ceux du paganisme. Avant sa venue, Paul juge bon d'envoyer par Phébée (Rm 16,1) une épître qui exprime sa vision des choses après le problème galate.

Formation

Certains se demandent parfois si les chap. Rm 15 et Rm 16 ne sont pas des additions postérieures, le chap. 16 étant alors une petite lettre adressée à l'Église d'Éphèse. Cependant, il n'est pas possible de défaire l'unité de la lettre. La mention de différentes personnes au chap. Rm 16 milite d'ailleurs en faveur des destinataires d'une Église non fondée par Paul (sous peine de créer des tensions). Si la doxologie (Rm 16,25ss) a un style un peu différent, c'est peut-être parce qu'elle est un peu plus tardive.

RECEPTION

Canonicité

L'authenticité de l'épître aux Romains n'est pas vraiment remise en question. Marcion (†ca. 160) est le premier à l’attribuer explicitement à Paul. Avant lui, les lettres d’Ignace d’Antioche (†107) et de Polycarpe (†155) contiennent des réminiscences de l’épître, qui inspire manifestement certains passages des lettres de Clément de Rome (†ca. 99).

Importance traditionnelle

Outre les commentaires sur l’ensemble des épitres de Paul (cités ci-dessus), l’épitre aux Romains est aussi commentée, entre autres, par

Et plus tard, par :

L'épître aux Romains est la lettre de Paul la plus commentée depuis les Pères de l'Église, et une source essentielle pour les théologiens. Martin Luther (†1546) la considère comme « le livre capital du Nouveau Testament » et Jean Calvin (†1564) s'en inspire en la commentant dans sonInstitution Chrétienne, qui expose pour la première fois sa théologie.

Encore bien des questions disputées

Le regain d'intérêt actuel pour le Paul rhéteur (et parfois un peu sophiste), qui adapte ses positions à ses auditoires et pour le Paul juif (dont les positions se comprennent au mieux dans le cadre des débats internes au judaïsme de son temps, en évitant le plaquage trop marqué de ses interprétations par les interprètes postérieurs, en particulier saint Augustin), fait que sur tous les sujets que nous listons ci-dessous, le débat fait de nouveau rage parmi les spécialistes.

Justice et grâce

L'épître aux Romains établit une dialectique entre le Christ qui est la justice divine, et la justification par la pratique de la Loi. La loi mosaïque est certes bonne (Rm 7,12) car elle a montré à l'homme sa misère, mais elle ne lui permet pas de se sauver seul (Rm 3,20 ; 7,7-13). L'homme a besoin de la grâce de Dieu pour se sauver. Par la mort et la résurrection du Christ, l'humanité est recréée à l'image de Jésus (Rm 5,12-21). Alors, par la grâce, l'homme peut accomplir la volonté de Dieu (Rm 8,1-4), par la force du Saint Esprit (Rm 8,5-13), qu'il soit juif ou païen (Rm 4,11).

Rapports avec le judaïsme

Les Juifs qui refusent de reconnaître le Christ sont désormais extérieurs à l'économie du salut. Mais leur élection demeure, et Dieu reste fidèle. Un « reste » a cru et la conversion des autres se fera (Rm 9-11). Ce qui importe c'est que tous les chrétiens vivent dans la charité (Rm 12,1-15,13).

Thèmes connexes

Plusieurs grandes perspectives de Ga trouvent des développements et variations dans Rm :

L'eschatologie reste présente, avec l'importance de l'espérance (Rm 5,1-11 ; 8,24), mais le salut a déjà commencé, car le chrétien vit déjà dans le Christ (Rm 6,11).

L'épître aux Romains représente ainsi l'un des plus beaux fruits de l’enseignement paulinien. Ce n'est pourtant pas toute la pensée de saint Paul. Il serait dommage que les simplifications théologiques occasionnées par les réactions à la lecture qu'en proposa Martin Luther occultent la complexité de son enseignement : au fil de son œuvre, d’une épître à l’autre, Paul sait s’adapter aux circonstances et à ses interlocuteurs, et son enseignement se laisse difficilement réduire à une « doctrine paulinienne » systématique.