Peut-être avez-vous souffert de marginalisation ou d'abandon, ou avez-vous un ami ou un membre de votre famille atteint d'une maladie irrémédiable ? Ces expériences vous ont peut-être conduit à crier : « — Pourquoi, Seigneur ? » Comment un Dieu juste peut-il permettre que des personnes innocentes souffrent ? Le livre de Job amplifie toutes ces interrogations.
« — Nu je suis sorti du sein de ma mère et nu j’y retournerai. Le Seigneur a donné, le Seigneur a repris, que le nom du Seigneur soit béni » (Jb 1,21) : la phrase devenue presque proverbiale illustre la patience de Job endurant les maux qui se sont précipités sur lui. Dans le livre, Job exprime cependant aussi de nombreux mouvements d'impatience, d'indignation et de colère ! Le livre touche l'expérience et la question universelle du « juste souffrant » (→Job et la théodicée). Le lecteur chemine avec Job, qui confronte ses expériences avec les convictions sur Dieu et avec Dieu lui-même.
Le prologue, Jb 1-2, présente les maux qui atteignent Job comme une épreuve de sa fidélité. Le dialogue qui suit exprime les opinions des amis de Job, qui ne peuvent considérer ces souffrances que comme le châtiment de péchés graves et cachés. Ils sont en cela les porte-paroles de la théologie traditionnelle de la justice en tant que rétribution seulement. Malgré cela, Job continue à plaider son innocence face aux accusations de ses amis, allant jusqu'à s'adresser à Dieu lui-même.
Son désir se réalise dans une rencontre mystérieuse avec Dieu (Jb 38-42,6). Finalement, c'est le Seigneur qui déclare Job innocent (et ses amis coupables !) et récompense sa fidélité en lui accordant des bénédictions dans l'épilogue. Ainsi, l'homme qui persévère dans la foi, même si sa persévérance se traduit jusque dans une révolte contre Dieu ... mais auprès de Dieu, reçoit finalement la récompense.
Le juste souffrant et incompris, sinon de Dieu, est évidemment une figure de Jésus-Christ (→Un messie souffrant dans la tradition juive ?). Dans le Nouveau Testament, les chrétiens seront invités à unir leurs souffrances à celles du Christ (Col 1,24), en attendant la gloire plénière (Rm 8,18).
TEXTE
Critique textuelle
Hébreu
Certains passages et même des sections entières présentent une complexité telle que de nombreux chercheurs les jugent souvent altérés ou corrompus.
Grec
La Septante ne s'avère guère utile pour la reconstruction du texte hébreu original. Le traducteur abrège fréquemment le texte et ne respecte pas toujours la littéralité du texte.
Latin
La traduction par Jérôme à la fin du 4e s. ap. J.-C. témoigne d'une beauté de rythme et de langue. Néanmoins,
dit avoir traduit « tantôt littéralement, tantôt d'après le sens ». Sa traduction latine de la Septante hexaplaire, qu'il avait réalisée peu auparavant, et certaines traditions rabbiniques ont pu exercer une influence sur la traduction présente dans la Vulgate.Procédés littéraires caractéristiques
Utilisant un dialecte hébreu différent de la majorité des livres bibliques et manié avec une certaine liberté, le livre présente des mots et des tournures syntactiques qui n’apparaissent qu’ici dans la Bible.
Proposition d’une structure du livre
Après un prologue (Jb 1-2) s'ouvre un grand dialogue poétique, qui se compose de plusieurs parties :
- une conversation à quatre, en trois cycles de discours (Jb 3-14 ; 15-21 ; 22-27). Job parle de plus en plus, ses amis parlent de moins en moins. Le dernier discours de Bildad a seulement six versets (Jb 25) suivi par les discours de Job (Jb 26-27)
- au milieu des discours de Job : un éloge de la sagesse (Jb 28),
- une conclusion de Job (Jb 29-31),
- puis une intervention d'Élihu (Jb 32-37).
- Deux cycles des discours de YHWH suivis par les courtes réponses de Job (Jb 38,1-42,6).
Un épilogue en prose conclut le livre (Jb 42,7-17).
Genres littéraires
Prose et poésie
Le livre de Job est un chef-d'œuvre littéraire. Il est cependant difficile d’en cerner le genre : le récit en prose sans contexte historique et les discours poétiques le rattachent aux livres sapientiaux. Cette opposition tranchée entre la partie narrative et poétique est tout à fait originale et unique.
Par ailleurs, le récit en prose, qui semble issu d’un fond populaire et archaïque, ne ressemble pas à la littérature israélite, tandis que les discours poétiques semblent tout ignorer des grands thèmes bibliques comme l'élection et la mission d'Israël, l’alliance de Moïse et celle de David avec le Seigneur, la montagne de Sion, le Temple, le culte, les sacrifices et l’attente du Messie.
Dialogue
La forme dialoguée donnée par l’auteur aux différents discours est encore plus originale. Les quelques répliques du Cantique des Cantiques (Ct 1,7-11.15s ; 2,10-14 ; etc.) sont plutôt comme les duos lyriques d’un chant d’amour, et non une véritable discussion.
Mélange des genres
Aussi, quoique rangé dans les écrits de sagesse par la tradition juive et par la tradition chrétienne, et malgré le nombre des sentences d’origine sapientiale, il est clair aujourd’hui que le livre de Job transcende les classifications. Il mêle des genres extrêmement variés comme la plainte, l'hymne de louange, les sentences, la satire et l’ironie, la disputatio, les injures de malédiction, l'invective prophétique et le récit théophanique.
CONTEXTE
Milieux de vie
La forme dialoguée donnée aux discussions peut sembler un apanage de la culture gréco-latine.
Parallèles avec la littérature assyro-babylonienne
Mais quelques exemples, trouvés dans la littérature assyro-babylonienne attestent l’existence de dialogues dès la plus haute antiquité dans les régions de Mésopotamie comme dans la vallée du Nil. Le problème du mal est évoqué dès un document cunéiforme du 3e millénaire, d’où son appellation aujourd’hui de « Job sumérien », Ludlul Bel nemeqi. La souffrance du juste est développée dans un texte babylonien. Un autre texte babylonien (le Dialogue acrostiche ou la Théodicée babylonienne) met en scène une discussion entre un malade et son ami au sujet de la justice divine : l’ami y utilise le même argumentaire que celui d’Éliphaz de Têman dans Job.
Parallèles avec la littérature égyptienne
En Égypte, dans le Dialogue du désespéré avec son âme, un pauvre infirme rejeté par sa famille évoque le suicide avec lyrisme. Mais, dans la littérature hébraïque, Job est le seul personnage à souhaiter sa mort avec autant de d'ardeur (on retrouve des parallèles avec Jérémie, Jr 27,7-18). Une certaine familiarité avec la culture égyptienne ressort du vocabulaire utilisé et de plusieurs autres allusions.
Histoire et géographie
Le livre situe le personnage de Job à l'époque patriarcale, dans les régions de l'Arabie et de l'Édom. Ez 14,14.20 compte Job parmi les justes, aux côtés de Noé et de Daniel. Son histoire et l’éloge de sa piété (Jb 1,1-8 ; Jc 5,11) circulent oralement parmi les sages du Proche-Orient, peut-être dès la fin du 2e millénaire av. J.-C. et le début du 1er millénaire.
Auteur/s et datation
Des indications précises sur l'auteur et la date de composition font défaut. Il est probable que le livre ait été rédigé après Jérémie et Ézéchiel, et il pourrait être situé, bien que sans certitudes décisives, au début du 5e s. avant notre ère.
Formation
Malgré les différences de style et de ton, il est probable que le dialogue poétique ait coexisté avec le prologue et l'épilogue en prose. Cependant, l'authenticité de certains passages à l'intérieur du dialogue a été remise en question, suggérant que certains chapitres pourraient avoir été ajoutés au livre par un autre auteur.
RECEPTION
Canonicité
Dans la Bible hébraïque, Job est classé dans la catégorie des « Écrits » (à différencier des deux autres catégories des Écritures, celle du « Pentateuque » et des « Prophètes »). Dans la Septante le livre se trouve de même parmi les « Hagiographes ». Le caractère inspiré du livre n'a jamais été contesté dans les milieux juifs.
Intertextualité de l'Ancien Testament
Le livre a influencé plusieurs passages de la Bible.
L’Ecclésiaste reprend certains thèmes de Job :
- la nécessité de tout quitter au moment de la mort (cf. Jb 1,21 avec Qo 5,14),
- l’avorton préférable à celui qui vient au monde (cf. Jb 3,16 avec Qo 6,4-54),
- l’insensibilité de ceux qui vont au Shéol (cf. Jb 14,21s avec Qo 9,5s),
- l’origine et la fin des choses (cf. Jb 38,24 avec Qo 11,5 ; Jb 34,14 avec Qo 12,7).
Cependant, cette influence n'est pas incontestable. La ressemblance de Jb 9,12 avec Qo 8,4 (et aussi Dn 4,32) tient plus au caractère proverbial de l’idée exprimée.
Il en va de même pour le livre de la Sagesse (cf. Jb 4,19 et Sg 9,15 ; Jb 28,15 et Sg 7,8s ; Jb 29,9 et Sg 8,12 ; Jb 38,17 et Sg 16,13).
Le livre du Siracide en revanche présente de notables analogies d’images et de vocabulaire avec le livre de Job :
- reprises (Si 40,1 de Jb 1,21) ;
- citations (Jb 3,1.3 ; 10,19 en Si 24,19) ;
- analogies de vocabulaire (Jb 5,21 (« fouet de la langue ») et Si 26,9 (grec) ou Si 9,5 (hébreu), Si 8,9 et Jb 8,8 ; 9,3 ; 33,23 (« un entre mille ») et seulement Si 6,6 ainsi que Qo 7,28, Jb 34,11 et Si 16,15 ; Jb 42,5 et Si 43,24 ; Jb 13,4 et Si 51,5 ; Jb 14,1 et Si 10,18 ; Jb 17,7 et Si 31,19 ; Jb 28,5 et Si 8,10 ; 45,19 ; Jb 21,23 et Si 41,1 ; Jb 24,15 et Si 23,25 ; Jb 34,21 et Si 23,19 ; Jb 38,37 et Si 42,8) ; images similaires (Si 40,16 et Jb 8,12) ;
- allusions implicites (de Si 9,5 à Jb 31,1, de Si 1,3 à Jb 11,8s) ;
- influence directe de Job sur l’Ecclésiastique (Jb 18,8s et Si 9,13 ; Jb 20,12 et Si 49,1 ; Jb 30,3 ; 38,27 et Si 51,10 ; Jb 33,29 et Si 13,7 ; Jb 34,11 et Si 16,15 ; Jb 42,5 et Si 43,24).
Les Lamentations, en particulier le ch. Jb 3, semblent s’inspirer de la plainte de Job (Lm 3,7ss et Jb 3,23 ; Lm 3,12 et Jb 16,12s ; Lm 3,14 et Jb 30,9).
Le livre de Baruch, à propos de la sagesse (Ba 3,3-4,4), cite Job (Jb 28,12s.23 et Jb 38,35).
Intertextualité du Nouveau Testament
- Jésus reprend les idées du livre de Job sur la charité (Jb 22,6s ; 31,19) (Mt 25,35-38.42s).
Le style et le vocabulaire de Job se retrouve aussi parfois dans la bouche de Jésus
- Jb 14,1 et Mt 11,11 ; Lc 7,28 ;
- Jb 18,20 et Mt 8,11 ;
- Jb 34,11 et Mt 16,27 ;
- Jb 39,30 et Mt 24,28 ; Lc 17,37 ;
- Jb 40,30 et Lc 5,10.
- Par deux fois dans l’évangile de Jean (Jn 8,46.56) Jésus apostrophe ses interlocuteurs comme Job (Jb 24,1.25).
- La scène d’Ac 22,23 rappelle Jb 2,12.
- 1Co 3,19 cite Jb 5,13.
On peut trouver des similitudes terminologiques entre Job et les lettres pauliniennes
- Jb 1,21 et 1Tm 6,7 ;
- Jb 4,3 et He 12,12 ;
- Jb 4,8 et Ga 6,7s ;
- Jb 4,9 et 2Th 2,8 ;
- Jb 4,19 et 2Co 5,1 ; 2P 1,13s ;
- Jb 11,8 et Ep 3,18 ;
- Jb 8,7 et 2P 2,20,
ainsi qu’avec l’Apocalypse
Importance traditionnelle
Dans le judaïsme ancien
Le Testament de Job est un écrit pseudépigraphique difficile à dater, un des premiers témoins de la méditation menée pour interpréter le livre de Job et en atténuer le scandale. Ici, Job est un païen à la recherche du vrai Dieu qui en vient à renverser le temple des idoles. Pour se venger Satan s’en prend à lui, sans qu’il y ait de pari divin. Au contraire, un ange avertit Job qui, convaincu que sa persévérance sera récompensée par la résurrection, est présenté comme un modèle de soumission à la volonté divine, de résistance à Satan et de charité envers les pauvres.
Des développements juifs de la période hellénistique ont interprété le rétablissement final de Job comme une indication de la résurrection future des justes (cf. Test. Jb 4 6), dans le prolongement de la revendication qu’on lit chez les Septante : « il est écrit que Job se lèvera avec ceux que le Seigneur lèvera » (G-Jb 42,17a)
Exégèse chrétienne
La première littérature chrétienne connaît plusieurs commentaires du livre :
- ; (†254) : Fragments des chaînes sur Job
- ; (†397) : Sur l’interpellation de Job et sur l’infirmité de l’homme, sur celle de David ; (†373) : Scholies sur Job
- ; (†455) : Commentarii in Job. (†407) : Commentaire sur Job
Les thèmes similaires à ceux des auteurs juifs sont également abordés :
- l'origine démoniaque de la souffrance de Job ( ; †230, De la patience 14)
- l'éloge de la patience de Job, seule réponse appropriée à son épreuve (Jc 5,11 ; †ca. 99, Première lettre aux Corinthiens 17, 3) ;
- la foi en la résurrection comme réponse au scandale du juste souffrant (ibid. 26, 3), ce que l’on retrouve au 5e s. ( ; †430, La cité de Dieu 18, 47)
- au 4e siècle, Jb 14,7-14 et Jb 19,25ss sont interprétés comme prophéties pré-mosaïques venant des nations païennes.
Les Moralia in Job de
(†604) reprennent tous ces thèmes et exercent une influence sur la littérature occidentale ultérieure. Ils servent de fondement au commentaire de Job dans la Glose ordinaire, et par conséquent, de toutes les interprétations subséquentes jusqu’au début des temps modernes. Par exemple- ; (†1123) : Expositio in Job
- ; (†1274) : Expositio super Job ad litteram ; (†1280) : Commentarii in Job ; (†1203) : Compendium in Job
- (†1471) : Enarratio in librum Job.
Mais encore :
- (†1531), (†1534), (†1537), (†1548), (†1551), (†1560), (†1564), (†1570), (†1570), (†1598),
- (†1616), (†1628), (†1637), (†1646), (†1650), (†1660), (†1671), (†1672), (†1673), (†1681), (†1696),
- (†1711), (†1729), (†1735), (†1750), (†1757), (†1792).
Liturgie, euchologie
- A partir du 5e s., des extraits du livre de Job sont utilisés pour les liturgies de funérailles.
- Au Moyen-Age, l’office des défunts introduit des passages du livre comme lectures des Matines.
Les chrétiens éprouvés demandent l’intercession de Job, figure du juste souffrant. De nombreuses églises et lieux de pèlerinage d’Italie sont placés sous son patronage, de même qu’un certain nombre d’hospices. Il est spécialement prié pour la syphilis et les autres maladies vénériennes (hôpital Saint-Job de Bologne).
Réception culturelle
Arts visuels
Job, prophète de la Résurrection, est souvent représenté dans les catacombes et sur les sarcophages de l’antiquité tardive ; à partir du 4e s., dans le pourtour méditerranéen sur les pierres tombales. Au Moyen-Age, à cause de son utilisation liturgique, Job figure sur de très nombreuses enluminures de manuscrits. Le mobilier liturgique des églises sous son patronage le représente volontiers, comme le retable de l’église Saint-Job de Venise par (†1516).
Musique
Toujours suite à son utilisation liturgique, le livre de Job inspire les compositeurs dès la fin du Moyen-Age : les Sacrae lectiones ex Propheta Job de Jb 19,25) du Messiae de (†1759).
(†1594) par exemple ou le très célèbre « Je sais que mon Rédempteur est vivant » (Philosophie
Job est un cas d’école dans l’histoire de la philosophie en ce qui concerne les discussions sur le mal et la théodicée : Sur l'échec de toute tentative philosophique en matière de théodicée (1791) d’→Job et la théodicée.
(†1804) propose une lecture de Job où ce dernier, modèle de probité morale et de sagesse, ne se hasarde pas dans des spéculations théodiques. (†1855) fait de même dans La répétition ou La reprise, (Gjentagelsen) (1843)