Les oracles de Zacharie, que l’on peut dater des lendemains de ceux d’Aggée (520 av. J.-C.), visent au départ Zorobabel, petit-fils du roi Joachin de Juda (d'ascendance davidique), désigné comme gouverneur par les Perses. Zorobabel, qui accomplit une première fois ces prophéties, est mentionné dans les deux généalogies de Jésus (Mt 1,12 ; Lc 3,27). Accompagnant Zorobabel le gouverneur et Josué le grand prêtre, le messianisme de Zacharie promeut la restauration d’une dyarchie royale et sacerdotale. Le Deutéro-Zacharie (Za 9-14), difficilement datable (début du 4e s. ?), prolonge canoniquement les prophéties messianiques du Proto-Zacharie (Za 1-8), déclinées en figures anonymes et énigmatiques, situées dans un avenir eschatologique.
Zacharie semble avoir joué un grand rôle dans la constitution même des récitatifs évangéliques, pour éclairer les faits rapportés par la tradition sur Jésus (dont Zorobabel est un aïeul), en particulier pour donner sens à la passion. Il est présent dans le corpus évangélique sous différentes formes.
Typologie
- Les figures anonymes de Za 9-14 : le roi humble (Za 9,9), le prophète-berger (Za 11,4), le transpercé (Za 12,10) et le berger frappé par l’épée (Za 13,7), dont on peut se demander s’il s’agissait d’une même personne ou de plusieurs, sont concentrés sur le seul Jésus.
Citations
- Dans leurs récits de l'entrée à Jérusalem, Mt 21,4-5 et Jn 12,14-15 citent Za 9,9 : « Exulte avec force, fille de Sion ! Crie de joie, fille de Jérusalem ! Voici : ton roi vient à toi. Il est juste et sauvé, humble et monté sur un âne, sur un ânon, le petit d’une ânesse. » Mt 21,5 cite Za 9,9 en suivant sur dix mots plutôt G, puis sur six mots plutôt M. Globalement, la traduction Mt du prophète est meilleure que G et peut être rapprochée d’Aquila, de Symmaque, de Théodotion et de la Quinta, si bien qu’on peut se demander si le premier évangéliste ne cite pas une recension grecque ancienne aujourd’hui disparue.
- Mt 27,3-10 se réfère à Za 11,12-13 : « Et je leur dis : — Si cela est bon à vos yeux, donnez mon salaire ; sinon, n’en faites rien. Et ils pesèrent mon salaire, trente sicles d’argent. Et YHWH me dit : — Jette-le au potier, ce prix splendide duquel je suis évalué par eux ! Et je pris les trente sicles d’argent et les jetai dans la maison de YHWH, au potier » (Procédés littéraires Mt 27,3–10 ; Intertextualité biblique Mt 27,9s).
Allusions
Allusions propres à Mt
- Mt 26,15 : Za 11,12 (les trente pièces d’argent jetées dans le Temple, Intertextualité biblique Mt 26,15c).
- Mt 27,51-53 : Za 14,4-5 « Et ses pieds se poseront, en ce jour-là, sur le mont des Oliviers, qui est en face de Jérusalem, du côté du levant. Et le mont des Oliviers se fendra par le milieu, d’est en ouest, en une très grande vallée et une moitié du mont reculera vers le nord et une moitié vers le sud. Et vous fuirez vers la vallée de mes montagnes, car la vallée des montagnes atteindra Açal. Et vous fuirez comme vous avez fui devant le tremblement au temps d’Ozias, roi de Juda. Et YHWH mon Dieu viendra, tous les saints avec toi » (Intertextualité biblique Mt 27,51c–53).
Allusions communes avec d’autres évangiles
- Mt 21,12-13 (cf. Jn 2,15-16) : Za 14,21 « Et toute marmite à Jérusalem et en Juda sera consacrée à YHWH Sabaot et tous ceux qui sacrifient viendront en prendre et cuisineront dedans et il n’y aura plus de marchand dans la maison de YHWH Sabaot, en ce jour-là. »
- Mt 24,30 (cf. Jn 19,37 ; Ap 1,7) : Za 12,10-11 « Et je répandrai sur la maison de David et sur l’habitant de Jérusalem un esprit de grâce et de supplication et ils regarderont vers moi, celui qu’ils ont transpercé, et ils se lamenteront sur lui comme on se lamente sur un unique et on sera affligé comme on est affligé pour un premier-né. En ce jour-là, la lamentation sera grande dans Jérusalem, comme la lamentation de Hadad-Rimmôn, dans la vallée de Megiddo. »
- Mt 26,28 (cf. Mc 14,24 ; Lc 22,20) : Za 9,11 « Toi aussi, pour le sang de ton alliance, j’ai renvoyé tes captifs de la fosse sans eau dedans. »
- Mt 26,31 (cf. Mc 14,27 ; Jn 16,32) : Za 13,7 « Épée, éveille-toi contre mon berger et contre l’homme qui est mon parent, oracle de YHWH Sabaot. Frappe le berger et que les brebis soient dispersées, et je tournerai la main contre les petits » (Intertextualité biblique Mt 26,31d).
Allusions propres avec d'autres évangiles que Mt
- Mc 11,16, dans l’épisode dit de « la purification du Temple », rappelle que Jésus ne laissait personne transporter quoi que ce fût dans le Temple. Jésus pourrait bien avoir agi sous l’influence de Za 14,20-21 qui annonçait qu’« en ce jour-là » tout serait considéré saint dans l’enceinte du Temple et que nul marchand n’y serait plus autorisé.
- Jn 4,14 ; 19,34 : Za 14,8 « Et il arrivera en ce jour-là : des eaux vives sortiront de Jérusalem, moitié vers la mer orientale et moitié vers la mer occidentale et il en sera ainsi en été comme en hiver » (cf. Ez 47,1-12).
Une controverse moderne révélatrice des enjeux de l'usage de Zacharie dans l'Évangile
Dans une brève missive adressée au Père Maydieu, éditeur au Cerf, Paul Claudel courroucé réagit au tout premier fascicule de la future Bible de Jérusalem (Aggée, Zacharie, Malachie) et dit son indignation à propos de la traduction de Za 13,6 (archives du Couvent Saint-Étienne à Jérusalem). À la suite de recherches historiques, on avait préféré traduire un passage signifiant littéralement :
- « Que sont ces blessures entre tes mains (bén yādêkā) »
par :
- « Et si on lui dit : "Que sont ces blessures sur ton corps ?" il répondra : "Celles que j'ai reçues chez ceux qui m’aiment" » ( Albert [trad.], Aggée, Zacharie, Malachie [La Sainte Bible], Paris : Cerf, 1948, 54).
Les éditions compactes suivantes ajouteraient une note invitant à y voir ou bien une coutume prophétique d’auto-lacération, ou bien une allusion à des rixes entre amis (p. ex. La Bible de Jérusalem, Paris : Cerf, 2000, 1653 n. g) — là où des siècles de tradition textuelle, depuis la Septante et la Vulgate, avaient maintenu la traduction « au milieu de tes mains », qui constituait une évidente prophétie christologique de la croix :
- « Alors on lui dira : D’où viennent ces plaies que vous avez au milieu des mains ? Et il répondra : J’ai été percé de ces plaies dans la maison de ceux qui m’aimaient » (La Bible, traduction de Lemaître de Sacy [Bouquins], Paris : Laffont, 1990, 1188) ; cf. KJV « And one shall say unto him, What are these wounds in thine hands? Then he shall answer, Those with which I was wounded in the house of my friends. »
Claudel est catégorique : « C’est un véritable faux dans une matière d’une telle gravité ! Et qui donne une triste idée du reste de l’ouvrage. » La sévérité du poète trouve un écho chez des esprits aussi ouverts que le patrologue jésuite Jean
(Recension de Aggée, Zacharie, Malachie, traduits par A. Gélin, Études 259 (1948) 407-408), et le théologien dominicain Yves Congar, qui déplorent également le manque de sens mystique et de référence christologique de ces premiers fascicules, assurant que la typologie messianique de la Bible permet seule de saisir sa « véritable signification » ( Yves, « L’Ancien Testament, témoin du Christ », La vie intellectuelle 17 [1949] 334-343, 342-343).Zacharie dans l'Évangile est ainsi un exemple particulièrement frappant du décalage aujourd'hui existant entre l'interprétation christologique traditionnelle de l'ensemble des Écritures et la recherche exégétique moderne d'un sens littéral réduit à « ce que les auteurs de l'époque avaient l'intention de transmettre aux auditeurs / lecteurs de l'époque » — et son impact sur les traductions.