« Booz s'était couché de fatigue accablé | Il avait tout le jour travaillé dans son aire | Puis avait fait son lit à sa place ordinaire | Booz dormait auprès des boisseaux pleins de blé... » Le poème Booz endormi de
tourmente encore bien des lycéens français qui doivent en faire un commentaire composé. Il s'inspire directement du livre de Ruth.C'est l'une des rares œuvres où l'on retrouve au premier plan une figure féminine : aux côtés Ruth, personnage éponyme, se tient sa belle-mère Noémie. C’est une petite histoire familiale et villageoise qui devient un élément essentiel dans la grande histoire nationale et celle du salut. Contre la stipulation spécifique de la Loi, Ruth, une veuve de Moab, trouve sa deuxième maison à Bethléem, parmi les fils d’Israël. Mariée avec Booz, Ruth l’étrangère, convertie, devient arrière-grand-mère du roi David. Elle appartient désormais à la généalogie royale de la Maison de David, et en conséquence aussi à celle de Jésus.
Le canon palestinien met le livre parmi les cinq →Megillôt (ou "Rouleaux"). Le canon d’Alexandrie de la Septante et la Vulgate le placent parmi les livres historiques, après les Juges parce que les événements décrits ici précédent la monarchie.
Il s’agit bien du parcours d’une étrangère qui « s’en retourne » vers un pays qui pourtant n’était pas sa patrie d’origine – et qui passe ainsi de la misère à l’abondance, de la malédiction à la bénédiction. Deux points se dégagent principalement de ce récit : l'universalité de la miséricorde de Dieu qui regarde même une étrangère, ainsi que l'importance de la foi, dûment récompensée.
Ruth est citée dans la généalogie de Jésus (Mt 1,5). Dans la théologie chrétienne, elle est aussi une figure de la Vierge Marie. D'autre part, Noémie est un type de la Vierge Marie au pied de la Croix (Rt 1,20).
TEXTE
Critique textuelle
Grec
Le texte grec de Ruth est très littéral et permet de retrouver l'hébreu sous-jacent.
- Le codex Vaticanus semble refléter un texte établi avant
- tandis que le codex Alexandrinus porte la marque des révisions des →HEXAPLES d'Origène.
Latin
La Vulgate est au contraire plus éloignée du texte hébreu.
Syriaque
La Peshitta n'est pas très bien conservée pour ce livret.
Proposition d’une structure
Ce livret, l'un des plus courts de l'Ancien Testament, est ainsi nommé, parce qu'il raconte l'histoire de Ruth, la Moabite. Trois parties peuvent en être dégagées :
- Le retour de Ruth en Juda, après la mort de son mari - qui était parti de Bethléem en Moab - avec sa belle-mère Noémi (Rt 1)
- La rencontre et le mariage de Ruth avec Booz, parent de son mari, en vertu de la loi du lévirat (Rt 2-4)
- Une addition (Rt 4,18-22) qui liste les ancêtres de David, recoupant 1Ch 2,5-15.
Genres littéraires
Le livret de Ruth est un récit de conversion dans le cadre d’une chronique familiale. Pour qualifier les migrations des personnages depuis le pays de Moab jusqu’au territoire de Juda, le texte biblique utilise, à douze reprises, le verbe shūb « se tourner », qui a toujours dans la Bible une connotation religieuse de retour et de conversion au Dieu d’Israël.
CONTEXTE
Auteur/s
Malgré le premier verset qui inscrit Ruth dans la continuité des Juges, l'auteur du livret n'est pas celui à qui on attribue la rédaction deutéronomiste →Deutéronome.
Datation
Il n'y a pas d'unanimité sur la datation du livret.
- Jouent en faveur d’une date préexilique la référence à des coutumes juridiques antérieures à celles dont témoigne le Deutéronome, le style littéraire et les noms propres d’origine ancienne. Le livret refléterait une option favorable au mariage avec des étrangères que les réformes rigoureuses d’Esd 9 et Ne 13 condamnaient au contraire.
- Mais plusieurs arguments font pencher pour une datation postexilique : l’absence du livre parmis →Prophètes antérieurs (Josué, Juges, Samuel & Rois) dans le canon hébreu, la langue, la référence au temps des Juges comme à un temps déjà lointain, le fait que les anciennes coutumes doivent être expliquées, et surtout une théologie (universalisme, conception de la rétribution et sens de la souffrance) plus improbable avant l’exil.
RECEPTION
Canonicité
- Dans la Bible hébraïque, le livret est rangé avec les Ketûbîm ou hagiographes, comme l'un des cinq rouleaux, les →Megillôt (ou « Rouleaux ») — le livret sert dans certains communautés pour la fête de Shavouot parce qu'il mentionne la moisson des orges.
- Dans la Septante et la Vulgate (comme dans les traductions modernes), le livret a été placé après les Juges, du fait du premier verset « au temps où gouvernaient les Juges ».
Importance traditionnelle
Le livret de Ruth n’a guère suscité de commentaires patristiques. Le plus souvent, c’est en commentant la →GÉNÉALOGIE de Jésus chez Matthieu que la référence à Ruth apparaît : Ruth est une ancêtre de David (sa bisaïeule) et donc de Jésus-Christ.
- Dans les Homélies sur Luc (28,2), (†254) place Ruth parmi les pécheresses à cause de son origine de Moab.
- De même pour (†407, Commentaire sur l’Évangile selon saint Matthieu) la référence à l'origine moabite de Ruth a vocation à donner aux hommes une leçon d'humilité et réprimer l'orgueil du peuple juif, car parmi les ancêtres de David figurent des prostituées et une étrangère. Le Christ lui-même, en les assumant dans sa généalogie, marque sa volonté de rejoindre tous les hommes, pourvu qu’ils s’attachent à la vertu.
- Dans la même optique, (†420) écrit : « Notons-le, la généalogie du Sauveur ne comporte la mention d'aucune sainte femme, mais seulement de celles que blâme l'Écriture. Ainsi, il veut montrer que celui qui était venu pour les pécheurs, descendant de pécheresses, effacerait les péchés de tous ».
- Selon (†ca. 457), en revanche, si Matthieu n’a mentionné que des femmes pécheresses ou étrangères, c’est dans le but de prouver que le message du Christ s’adresse à toute l’humanité.
Des lectures morales ou figuratives du personnage de Ruth existent.
- (†235) voit en elle la figure des chrétiens à qui Dieu octroie sa grâce parce qu'ils ont recours à lui sans honte et sans vouloir acheter la grâce.
- Dans la Chaîne de Ruth, loue la piété de Ruth, figure des nations, puisqu’elle n’a pas hésité à quitter sa patrie pour adopter les mœurs d'Israël.
- fait lui aussi l’éloge de la foi et de la vertu de ces femmes - d’autant plus louables que rien ne les prédisposait à suivre Dieu. Il y ajoute une lecture typologique : Ruth l’étrangère, l’indigente, est une figure de l'Église tandis que Booz, qui n’a pas méprisé sa pauvreté mais en a fait sa légitime épouse, préfigure Jésus-Christ qui s’est penché sur l’Eglise pour lui donner part à tous ses biens.
- , quant à lui, voit en chaque personnage l’incarnation d’une vertu chrétienne : Noémi est ainsi l’illustration de la force d’âme, ses belles-filles - et Ruth en particulier - de l’affection filiale, Booz de la noblesse de cœur. Enfin, la venue du Christ et le salut du monde sont préfigurés par la bénédiction finale dont l’accomplissement est à venir.