Un projet du Programme de Recherches La Bible en ses traditions AISBL
Dirigé par l’École Biblique et Archéologique Française de Jérusalem
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1 VDISCOURS DE JÉSUS FILS DE SIRAC
Je te rendrai grâces, Seigneur Roi
et je te louerai, Dieu mon sauveur
Gje rendrai grâces à ton nom
1 ...
2 car tu as été pour moi protecteur et secours.
Tu as délivré mon corps de la perdition
du piège de la calomnie de la langue
et des lèvres des fauteurs de mensonge.
Et face à ceux qui étaient présents
tu m'as été un secours, et tu m'as délivré
2 je rends grâces à ton nom
car tu as été pour moi un secours et un protecteur.
2 ...
3 selon la grandeur de ta miséricorde et de ton nom
de ceux qui grinçaient des dents prêts à me dévorer
de la main de ceux qui en voulaient à ma vie
des innombrables tribulations que j'ai subies
3 Tu as délivré mon corps de la perdition
du piège de la langue injuste
et des lèvres de ceux qui pratiquent le mensonge ;
et face à ceux qui étaient là tu t'es fait pour moi un secours.
3 ...
4 de la suffocation du feu qui m’entourait et du milieu d’un feu que je n’avais pas allumé
4 Et tu m’as délivré, selon l'abondance de la miséricorde propre à ton nom
de ceux qui rugissaient, prêts à me dévorer
4 ...
1–12 Action de grâces au terme d'une terrible épreuve
Ben Sira rend grâces au Seigneur qui, d’une véritable descente aux enfers, l’a fait remonter à la vie. Une calomnie l’avait mis en péril (v.1-7 décrivent les dangers dont le Seigneur l’a délivré ; v.8-12 rendent grâces au Seigneur sauveur). Il montre que son enseignement de Si 2 est fondé sur sa propre expérience, autant que sur celle des aïeux, tels Josué (Si 46,5), Samuel (Si 46,16-18) et autres.
Les coupes observées dans les versions ne sont pas identiques.
La numérotation des versets en hébreu, grec et latin est différente. La version syriaque suit la numérotation du grec.
Particulièrement claire en hébreu, la structure littéraire reste ferme dans les versions aussi :
1–12 Le texte héb. du ms.B est bien transmis, hormis quelques détails. Propositions de lecture Si 51,1–12
1ab Dieu de mon salut + mon Dieu, mon père — (héb. 50,28cd) Vocalisation ?
2b mon pied (héb.) Vocalisation ? raglî « mon pied » ou raglay « mes pieds ». Le texte consonantique permet les deux lectures. Probablement raglî (assonance avec la fin des deux versets précédents : ’ābî, napšî).
2cd (héb.) Glose Ms.B propose en fait trois stiques : « Tu m’as libéré de la calomnie du peuple, / du fouet de la calomnie de la langue / et de la lèvre des fauteurs de mensonge ». Les tristiques sont toujours problématiques chez Ben Sira. L’expression « de la calomnie du peuple », empruntée peut-être à Ez 36,3, est vraisemblablement une glose. Nous l'omettons dans la traduction.
3cd ma chute de la main (héb.) Conjecture Le texte non modifié (sl‘ wmyd) n’a pas de sens : « (ceux qui guettent) un rocher (sl‘) et de la main ». On propose de modifier en çl‘y myd.
4a […] (héb. 4b) Conjecture Un mot de quelques lettres manque dans le manuscrit, déchiré. Il pourrait s’agir du terme sabîb, « tout autour ». Cf. G, V et S, et Lm 2,3.
4b de la brûlure d'un feu (héb. 5a) Conjecture ms.B : mkbwt ’š, « de l’extinction d’un feu », sens qui n’est accepté par personne : ce n’est pas de l’extinction d’un feu que Ben Sira demande d’être délivré mais du feu lui-même. Plutôt que mittôk ’ēš (« du milieu d’un feu ») ou que mibénôt ’ēš (sens analogue), on préférera la proposition mimmikwat ’ēš (mmkwt ’š « de la brûlure d’un feu »), expression attestée en Lv 13,24.
2a Très-Haut (S) Propre à S Cf. S-10a « mon père d’en haut ».
2b fosse (héb. 2a) Ou : « destruction » Le terme šaḥat a les deux sens. À Qumrân le terme šaḥat est associé à la corruption.
2d fauteurs de mensonge (héb.) ms.B : śṭy kzb. L’expression śāṭé kāzāb « fauteurs de mensonge » est un hapax dans la Bible hébraïque (Ps 40,5). Cf. héb. 5c : « plâtriers de mensonge ».
3b perdition (S) Polysémie S : ’bdn’ (racine « perdre »), également un autre nom du Shéol.
1s.6 (héb.) Inclusions qui soulignent le péril mortel encouru : « ma vie » (héb. 1a.6b), « mon âme » (héb. 1b.6a), « la mort » (héb. 1b.6a »), « shéol » (héb. 2b.6b).
1ab (héb. 50,28cd) Parallélisme ? Lire « Mon Dieu, mon salut… mon Dieu, mon père » ou « Dieu de mon salut… Dieu de mon père » (Critique textuelle Si 51,1ab) soulignerait un parallélisme de structure entre les deux stiques. Néanmoins,
1ac Je te rendrai grâces + Je rends grâces — Anaphore G : exomologêsomai... exomologoumai, caractéristique du rythme oratoire et de l’amplification propres à une prière d’action de grâces.
2–5 (G) Anaphore G : ek / apo, caractéristique du rythme oratoire.
2a .2f Chiasme G : boêthos egenou… egenou boêthos.
2b.12a destruction (G) Inclusion.
2cd.5b–6a de la calomnie de la langue + de mensonge + de mensonge + de la calomnie d’une langue — (G) Échos en chiasme v.2cd : diabolês glôssês… pseudos ; v.5b-6a : pseudous… diabolê glôssês. Critique textuelle Si 51,6a
2e présents (G) Nuance adversative ? Peut-être avec une nuance d’opposition, comme en héb.
3a tu m’as libéré Soulignement du verbe « libérer » par accumulation des compléments d'objet Le verbe commande les neuf stiques qui suivent : immense fut la libération !
4b qui ne fut pas allumé (héb. 5a) Désignation métonymique du résultat par le processus ? Litt. « qui ne fut pas soufflé » (lᵉ’én pūḥâ) ; cf. Jb 20,26 ; Sg 17,6 ; →Sem. 47b. On souffle sur un feu pour le faire démarrer. L’expression signifie « un feu qui ne fut pas allumé » par l’homme, un feu immaîtrisable, terrible, peut-être la foudre. Intertextualité biblique Si 51,4b ; Tradition juive Si 51,4b
1–12 (heb.) Action de grâces individuelle — inversée En commençant par l’action de grâces adressée à Dieu proprement dite, la structure normale de ce genre littéraire (connue surtout par Ps 116 ; 118 ; Is 38,10-20) est inversée. Généralement elle se présente ainsi :
Ben Sira en bouleverse le cadre énonciatif et l'ordre :
L’auteur s’adresse d'emblée au Seigneur pour le remercier de l'avoir libéré.
Ben Sira ne s’adresse pas au Seigneur mais plutôt à des tiers, quitte à citer sa prière dans la détresse. En inversant les sections « tu » et « il » (Propositions de lecture Si 51,1–12), Ben Sira opère un choix : non plus une liturgie, mais une action de grâces privée.
Le Ps de louange qui suit, quelle que soit l’hypothèse rédactionnelle retenue, rejoint la 2e partie de la structure traditionnelle (cf. Ps 118,29).
1–12 Anthropologie Les mentions « ma vie », « mon âme », « ma chair », « mon pied » n’impliquent pas une anthropologie dualiste. C’est la personne même de Ben Sira qui est sauvée de la mort, comme l’atteste le pronom personnel 1e pers. sg. (les expressions « tu m’as libéré », « tu m’as protégé », « tu m’as sauvé »). Au v.6 « mon âme » et « ma vie » sont parallèles.
1a Roi : G V S | héb. : Ø
1ab rendre grâces et louer : G V S | héb. : louer et rendre grâces L’ordre des deux premiers stiques est renversé.
2a G V | héb. G et V sont plus courtes que l’héb. :
2b destruction : G V S | héb. : fosse La polysémie du terme hébreu šaḥat (Vocabulaire Si 51,2b) est supprimée dans G : apôleias ; V : perditione ; S : ḥbl’ « destruction ».
2e–3b Et face à ceux qui étaient .... et de ton nom — G V | héb. G (v.2e-3b) et V (v.3d-4a) étendent sur trois stiques le distique de l’héb. (v.3ab) et ajoutent « de ton nom ».
3e nombreuses : G | V : des portes Plutôt que pleionôn (« nombreuses »), V a dû lire pulônôn (« des portes » de l’adversité ; gén. pl. de pulôn « porte », « portail »).
4b je n’ai pas brûlé : G | V : je n’ai pas été consumé | héb. : qui ne fut pas allumé Alors que G et V soulignent la façon dont l’énonciateur a surmonté le mal qui l’affligeait, l'héb. souligne le caractère terrible et immaîtrisable du feu.
1–12 Scenario du juste en détresse Bien des citations ou des références à l’Écriture renvoient à des situations de détresse critique et exemplaire : Job, le psalmiste en péril (Ps 25 et autres psaumes de détresse), Jérémie persécuté, Jonas dans le ventre du grand poisson, Sophonie devant le Jour de YHWH, etc. Références en marge
4–5a feu + enfer — (V-6-7a) Le feu de l'enfer Le NT présente le lieu destiné aux personnes coupables d’injustice comme la géhenne « dans le feu qui ne s’éteint pas » (Mc 9,43) où « seront les pleurs et les grincements de dents » (Mt 13,42 ; cf. Mt 25,30.41). L’Apocalypse représente de façon expressive dans un « étang de feu » ceux qui se soustraient au livre de la vie, allant ainsi à la rencontre de la « seconde mort » (Ap 20,13-14). Tradition chrétienne Si 51,6c ; Arts visuels Si 51,3–6
4b qui ne fut pas allumé (héb. 5a) Motif du feu inextinguible Le sens de l’expression (Procédés littéraires Si 51,4b) — non sa référence — rejoint celui d’expressions plus usuelles dans la Bible :
1bc mon Dieu, mon père. Je veux raconter ton nom (héb. 50,28d-51,1a) Prière du patriarche Joseph
1–8 Lectionnaire sanctoral romain : victoire du martyr
4b un feu qui ne fut pas allumé (héb. 5a) La géhenne Le traité Semaḥot, consacré à la mort et aux funérailles, raconte l’histoire d’un rabbin condamné à mort par le feu. Celui-ci, se basant sur Jb 20,26 (reprise ici en Si), dit préférer être consumé par un feu allumé (par l’homme) plutôt que par un feu non allumé, c'est-à-dire celui de la géhenne :
1–30 Le premier commentaire chrétien sur le livre de Ben Sira est le commentaire édifiant de , évêque de Mayence au 9e s. (→Comm. Eccl.).
3c de ceux qui rugissent prêts à dévorer (V-4b) Topos V : a rugientibus praeparatis (/paratis) ad escam ; expression reprise fréquemment pour évoquer les menaces, avec ou sans l’idée de délivrance.
1b.10a mon Dieu, mon père + Mon père, c’est toi — (héb. 50,28d ; 51,10a) Innovation théologique : Dieu, Père des personnes individuelles ? Une lecture ’Ĕlōhay, ’ābî « mon Dieu, mon père » (ms.B : ’lhy ’by) dans héb. 50,28d (Critique textuelle Si 51,1ab) permet de voir ici l’idée de Dieu comme père non plus seulement du roi (cf. 2S 7,14) ni du peuple mais de la personne privée ; cf. héb. 51,10a « Et j’ai exalté YYY : Mon père, c’est toi » ; Si 4,10 (surtout héb.) ; Si 23,1.4. Intertextualité biblique Si 51,10a
3–6 Imagerie traditionnelle des peines dans l’au-delà Des expressions comme « ceux qui rugissent prêts à dévorer » (V-4b), « mains de ceux qui cherchent mon âme » (V-5a), « portes de la tribulation » (V-5b), « suffocation d’un feu tout autour » (V-6a) trouveront des échos dans la représentation traditionnelle de l’enfer. Intertextualité biblique Si 51,4–5a ; Tradition chrétienne Si 51,6c