Le 10e jour de Tishri, Yôm kîppûr « jour de l'expiation » (ou mieux : de la « dissimulation »), était le jour du rituel du Temple le plus important de l’année. La Tora exige que le grand prêtre accomplisse un ensemble complexe de services et de sacrifices pour parvenir à l'expiation-dissimulation divine des péchés des hommes, dans l'intérêt de tous les Juifs et du monde.
1 — Le témoignage de Flavius Josèphe
- → 3,240-243 « Le dix du même mois lunaire, on jeûne jusqu'au soir et on immole ce jour-là un taureau, deux béliers, sept agneaux et un bouc pour les péchés. On offre, en outre, deux boucs, dont l'un est envoyé vivant hors du pays vers le désert et a pour but de détourner et d'expier les péchés du peuple tout entier A.J. ; l'autre, on l'amène devant la ville, dans un endroit parfaitement pur, et là on le brûle avec la peau elle-même, sans rien nettoyer du tout. On brûle en même temps un taureau qui n'est pas offert par le peuple, mais qui est donné à ses frais par le grand-prêtre. Une fois ce taureau égorgé, après avoir introduit dans le sanctuaire de son sang ainsi que du sang du bouc, il en asperge sept fois de son doigt le plafond ainsi que le plancher, et autant de fois encore le sanctuaire même et les alentours de l'autel d'or ; le reste, il l'apporte et le répand dans le vestibule. En outre, on dépose sur l'autel les extrémités, les reins, la graisse avec le lobe du foie. Et le grand-prêtre offre encore pour son compte un bélier en holocauste à Dieu. »
Ce récit semble compiler deux passages (Lv 16 et Nb 29,7-11) en les complétant avec des précisions sur leur mise en œuvre à l'époque de Flavius Josèphe. Il semble faire une somme du nombre d'animaux sacrifiés dans les deux passages afin d'éviter toute contradiction :
- Lv spécifie 1 taureau, 1 bélier et l'offre expiatoire de 2 jeunes boucs (dont le « bouc émissaire ») ;
- Nb spécifie 1 taureau, 1 bélier, 7 agneaux et 1 bouc, en plus de l'offrande d'expiation.
- Josèphe les combine : 1 taureau, 2 béliers, 1 bouc, 7 agneaux, en plus des 2 boucs pour l’expiation. Comme Rabbi Éléazer ben Siméon (→b. Yoma 3a ; 70b), Josèphe différencie le bélier en Lv de celui en Nb.
- Josèphe décrit le prêtre aspergeant de sang sept fois en direction du plafond et sept fois vers le sol, tandis que le Lévitique nécessite sept aspersions seulement vers le sol. →m. Yoma 5,3 indique que le sang a été aspergé « une fois vers le haut et sept fois vers le bas ».
Le passage transmet peut-être le sens général de l'expiation rituelle, c'est-à-dire du « remboursement » d'une blessure ou d'un tort. Les mots que Josèphe utilise pour décrire le bouc émissaire sont apotropiasmos (action de détourner par un sacrifice) et paraitêsis (prière pour détourner un malheur, →A.J. 3,241), qui évoquent l'expiation procurée par les sacrifices quotidiens et les offrandes pour les péchés ordinaires.
2 — Souvenirs mishnaïques du rituel de Yom Kippour
Voir
Arnold et Michael, Kasirer Edition Yom Kippur Machzor: With Commentary Adapted from the Teachings of Rabbi Joseph B. Soloveitchik, New York NY : K'hal, 2006, 588-618.En bref
Sept jours avant Yom Kippour
Isolé dans la chambre appelée Palhedrin, le grand prêtre étudie le service avec les savants du Temple. Il répète le rituel de l'offrande d'encens dans la chambre de la famille d'Abtinas (en charge de la fabrication de l'encens). On lui prépare même une autre femme au cas où la sienne vienne à mourir avant la fête, le rendant impropre au service (→m. Yoma 1,1-5).
Le jour de Yom Kippour
Le grand prêtre exécute une longue série de rites,
- portant cinq ensembles de →vêtements (trois en étoffe d'or et deux en lin blanc) hautement symboliques ;
- s’immergeant cinq fois dans le mikvé (bassin d'eau rituel) et se lavant mains et pieds dix fois.
Les sacrifices comprenaient :
- les deux agneaux quotidiens (tāmîd du matin et du soir, →m. Yoma 3,2-4),
- un taureau (→m. Yoma 4,2-3),
- l'un des deux boucs (→m. Yoma 5,4), deux béliers et sept agneaux (→m. Yoma 7,3),
accompagnant
- l'offrande de minḥā (offrande végétale, →Sacrifices dans l'AT : 1),
- des libations de vin,
- trois offrandes d’encens (les deux quotidiennes et une supplémentaire pour Yom Kippour).
Le grand prêtre entrait trois fois dans le Saint des saints. Le →tétragramme était par lui prononcé trois fois, une fois durant chaque confession (→m. Yoma 3,8 ; 4,2 ; 6,2).
En détail
- Le matin de Yom Kippour, offrande du tāmîd (le sacrifice quotidien perpétuel) : le grand prêtre s'immerge dans un mikvé et se lave mains et pieds ; il revêt des vêtements dorés spéciaux et exécute l'offrande quotidienne (généralement effectuée par des prêtres ordinaires).
Dans la cour du Temple
- Changement de vêtements 1 : le grand prêtre se lave mains et pieds, dépose les vêtements dorés, plonge dans un mikvé spécial ; il met des vêtements de lin et se lave à nouveau les mains et les pieds.
- Offrande du taureau pour les péchés personnels : il étend les mains sur le taureau (faisant le geste de la sᵉmîkâ, qui sert aussi pour l'ordination rabbinique) et confesse son péché au nom de lui-même et de sa famille, prononçant le tétragramme pendant que le peuple se prosterne. Il sacrifie ensuite le taureau en ḥaṭṭā't (sacrifice pour le péché) et met son sang dans un bol.
À la porte orientale (dite « porte de Nikanor »)
- Tirage au sort des boucs : le grand prêtre tire au sort entre deux boucs. L'un est « pour le Seigneur » et l'autre « pour Azazel » puis attache un ruban rouge autour des cornes du bouc « pour Azazel » (→m. Yoma 4,1-2 ; 6,1).
Dans la cour intérieure du Sanctuaire, à l'autel
- Préparation de l'encens : le grand prêtre prend une pelle spéciale pleine de braises. De l'encens est apporté, il en remplit ses mains et le place dans un vaisseau — manœuvre périlleuse, puisqu'il doit garder la pelle pleine de braises allumées (en utilisant son aisselle ou sa bouche), tout en remplissant ses mains de l'encens.
Dans le Saint des saints (qōdeš ha-qŏdāšîm)
- Offrande d’encens : tenant la pelle et le vaisseau, le grand prêtre entre dans le Saint des saints, place la pelle à l’endroit où se trouvait l'Arche et attend que la chambre soit remplie de fumée (→m. Yoma 5,1).
- Aspersion de sang du taureau : il prend le bol avec le sang du taureau et entre à nouveau dans le Saint des saints. Il asperge de sang avec son doigt huit fois. Il sort et place le bol sur un piédestal devant le pārōket (rideau entre le Saint et le Saint des saints : →Voiles du Temple).
À l'extrémité orientale de la cour des Israélites, près de la porte de Nikanor
- Sacrifice du bouc pour le Seigneur comme offrande du péché pour les prêtres : le grand prêtre impose les mains (sᵉmîkâ) sur le bouc « pour le Seigneur » et prononce une confession en utilisant le tétragramme (les gens se prosternent). Il immole ensuite le bouc et reçoit le sang du bouc dans un autre bol.
- Il y avait peut-être une façon spéciale de manger ce bouc : →m. Menaḥ. 11,7.
Dans le Saint des saints
- Aspersion de sang de bouc : le grand prêtre entre à nouveau dans le Saint des saints, avec le bol de sang de bouc. Il répand le sang avec son doigt huit fois de la même manière que le sang du taureau. Il part alors, posant le bol sur un pied devant le pārōket.
Dans le hékāl (Temple)
- Aspersion du sang : debout de l'autre côté du pārōket, le grand prêtre prend le sang du taureau et l'arrose avec son doigt huit fois en direction du pārōket, puis il fait la même chose avec le bol de sang du bouc, puis le remet sur le support.
- Application de sang sur l'autel d'or (autel de l'encens) : il mélange le sang du bouc avec le sang du taureau. Commençant au coin nord-est, il met ensuite du sang mélangé sur chacun des quatre coins de l'autel d'or, puis il asperge du sang huit fois sur l'autel.
- Le grand prêtre quitte le Sanctuaire et se dirige vers le côté est de la cour des Israélites.
Dans la cour des Israélites, à la porte de Nikanor
- Préparation de l'envoi du bouc pour Azazel : près de la porte de Nikanor, le grand prêtre impose ses mains (sᵉmîkâ) sur le bouc « pour Azazel » et avoue les péchés de tout le peuple d'Israël, qui se prosterne lorsqu'il prononce le tétragramme. Alors qu'il fait une confession générale, l’assemblée se confesse en privé (→m. Yoma 6,2).
- Expulsion du bouc émissaire : il envoie alors le bouc « dans le désert ». En pratique, pour éviter son retour dans les zones habitées, le bouc était conduit en dehors de Jérusalem et précipité du haut d'une falaise (→m. Yoma 6,3-6).
- Préparation des animaux sacrificiels : tandis que le bouc « pour Azazel » est conduit à la falaise, le grand prêtre enlève les entrailles du taureau et entrelace les corps du taureau et du bouc. D'autres personnes portent les cadavres au lieu des cendres, où ils sont brûlés après confirmation que le bouc « pour Azazel » a atteint le désert.
Dans le parvis des femmes
- Lecture de la Tora : après confirmation que le bouc « pour Azazel » a été précipité de la falaise, le grand prêtre traverse la porte de Nikanor pour pénétrer dans le parvis des femmes et y lit les passages de la Tora concernant Yom Kippour.
Dans la cour du Temple
- Changement de vêtements 2 : le grand prêtre se lave les mains et les pieds ; il enlève ses vêtements de lin, se plonge dans le mikvé dans la cour du Temple, revêt un deuxième ensemble de vêtements dorés et se lave les mains et les pieds.
- Autel extérieur, offrande de béliers : il offre deux béliers en holocauste (‘ōlâ), les sacrifiant du côté nord de l'autel extérieur, recevant leur sang dans un bol, transportant le bol vers l'autel extérieur et l'aspergeant de sang dans les coins nord-est et sud-ouest. Il démembre les béliers et brûle entièrement les morceaux sur l'autel extérieur. Il propose ensuite les offres de minḥâ (offrande végétale) et de nᵉsākîm (libations de vin).
- Offrande du mûsāp : le grand prêtre offre enfin le mûsāp (sacrifice complémentaire).
- Combustion des entrailles : il brûle entièrement l'intérieur du taureau et du bouc placés sur l'autel extérieur.
- Changement de vêtements 3 : il enlève ses vêtements dorés, s'immerge dans le mikvé et revêt un nouvel ensemble de vêtements en lin, se lavant de nouveau les mains et les pieds deux fois.
Dans le Saint des saints
- Retrait de l'encens : le grand prêtre, retourné au Saint des saints, en retire le bol d'encens et la pelle.
Dans la cour du Temple
- Changement de vêtements 4 : le grand prêtre enlève ses vêtements de lin, s'immerge dans le mikvé et se change en un troisième ensemble de vêtements dorés, se lavant à nouveau les mains et les pieds deux fois.
- Offrande du soir (tāmîd) : le grand prêtre termine par l'offrande quotidienne du soir dans les vêtements dorés spéciaux. Il se lave les mains et les pieds une dixième fois.
Plusieurs passages du NT font référence à la liturgie de Yom Kippour : →Yom Kippour dans la littérature paléochrétienne (NT, Pères apostoliques).