Mises en garde anciennes
Parce que l'Écriture recèle, très mystérieusement, le secret de Celui que "nul ne peut le voir sans mourir", l'approfondir ne va pas sans risque. Le grand danger est de s'imaginer qu'on a enfin "compris". La tradition rabbinique le sait de longue date :
- b. Hag. 14b: « Nos maîtres enseignent: Quatre sages sont entrés dans le jardin de la connaissance [le PaRDèS]. Ce sont Ben Azzaï, Ben Zoma, Aher et Rabbi Akiva. Ce dernier leur dit: ‘Lorsque vous verrez du marbre pur, ne vous écriez pas ‘de l’eau, de l’eau’ car il est dit (Ps 101,7): ‘Celui qui débite des mensonges ne subsistera pas devant mes yeux’. Ben Azzaï a regardé et il est mort; à son sujet l’Écriture dit (Ps 116,15): ‘Une chose est précieuse au regard d’Adonaï, c’est la mort de ses pieux serviteurs’. Ben Zoma a vu, sa raison en fut atteinte, à son sujet il est écrit (Pr 25,16): ‘As-tu trouvé du miel, manges-en à ta suffisance; mais évite la démesure de peur de le vomir’. Aher a renié sa foi. [Seul] Rabbi Akiva est sorti indemne. »
Dans ses appels à la mesure dans l’étude, la tradition chrétienne a fait sienne un semblable avertissement. Quelles que soient les découvertes qu’on a faites, on ne doit jamais penser avoir acquis la sagesse, mais
- Serm. div. 15 « il ne faut cesser de la chercher et de l’appeler. Sinon il en sera comme de celui qui mange beaucoup de miel: Salomon lui-même le dit bien: ‘Cela ne lui vaut rien, car celui qui aura cherché sans discrétion la majesté sera écrasé par la gloire.’ »
Bernard s’appuie ici sur l’énigmatique Pr 25,27 (M: « il n’est pas bon de manger trop de miel et la recherche de leur gloire est gloire — ou : ... mais chercher la gloire des autres est un honneur — ou : ... s’occuper de sa propre gloire n’est pas la gloire — ou : ... ni de rechercher gloire sur gloire » ; G simplifie: … mais il est nécessaire d’honorer les paroles glorieuses) traduit ainsi par V : sicut qui mel multum comedit non est ei bonum sic qui scrutator est maiestatis opprimitur gloria.
Modernes innocences
Il n'est pas sûr que les positions modernes, même magistérielles — marquées par le désir de répondre au (néo-)positivisme ambiant — aient bien saisi le sens de ces mises en garde, lorsque, dans le désir de trouver "LE sens exact" des Écritures, elles semblent céder à l'illusion intentionaliste et penser que la seule discipline ecclésiastique suffirait à corriger les réductions auxquelles cette illusion aboutit :
- DV 12 (Comment interpréter l'Écriture) « Puisque Dieu, dans la Sainte Écriture, a parlé par des hommes à la manière des hommes [ Civ. 12,6,2: PL 41, 537; CSEL XL, 2,228], il faut que l'interprète de la Sainte Écriture, pour voir clairement ce que Dieu lui-même a voulu nous communiquer, cherche avec attention ce que les hagiographes ont vraiment voulu dire et ce qu'il a plu à Dieu de faire passer par leurs paroles. Pour découvrir l'intention des hagiographes, on doit, entre autres choses, considérer aussi les "genres littéraires". Car c'est de façon bien différente que la vérité se propose et s'exprime en des textes diversement historiques, en des textes, ou prophétiques, ou poétiques, ou même en d'autres genres d'expression. Il faut, en conséquence, que l'interprète cherche le sens que l'hagiographe, en des circonstances déterminées, dans les conditions de son temps et l'état de sa culture, employant les genres littéraires alors en usage, entendait exprimer et a, de fait, exprimé [ Doctr. chr. 3,18,26: PL 34 75s]. En effet, pour vraiment découvrir ce que l'auteur sacré a voulu affirmer par écrit, on doit tenir un compte exact soit des manières natives de sentir, de parler ou de raconter courantes au temps de l'hagiographe, soit de celles qu'on utilisait à cette époque dans les rapports humains [ Ds 294 (3829s); EB 469]. Cependant, puisque la Sainte Écriture doit être lue et interprétée à la lumière du même Esprit qui la fit rédiger [ In Gal. 5,19ss: PL 26, 417 A.9], il ne faut pas, pour découvrir exactement le sens des textes sacrés, porter une moindre attention au contenu et à l'unité de toute l'Écriture, eu égard à la Tradition vivante de toute l'Église et à l'analogie de la foi. Il appartient aux exégètes de s'efforcer, suivant ces règles, de pénétrer et d'exposer plus profondément le sens de la Sainte Écriture, afin que, par leurs études en quelque sorte préparatoires, mûrisse le jugement de l'Église. Car tout ce qui concerne la manière d'interpréter l'Écriture est finalement soumis au jugement de l'Église, qui exerce le ministère et le mandat divinement reçus de garder la parole de Dieu et de l'interpréter [ Const. dogm. De fide cathol. cap.2 de revel. Ds 1788 (3307) 10]. »