Tout au long de l’Antiquité, le mot archê renvoie à l’idée générale de primauté. À partir de cette notion centrale, deux sens principaux se dégagent, en lien avec la double valeur de la forme verbale :
1. l’idée de primauté dans le temps, ou « commencement », d’où « principe », « extrémité » : cf. archomai (« commencer »)
2. l'idée de primauté hiérarchique, ou « pouvoir » (« autorité », « puissance » : cf. archô).
A. Temps
1. Littérature grecque
Commencement temporel
Bien attesté, le sens de « commencement » semble le plus ancien dans les textes littéraires.
- → 22,116 : Il.archê neikeos, « l’origine d’une querelle ».
Pour marquer l’origine, le terme archê apparaît dès la période préclassique dans les expressions ex archês et ap’ archês, signalant toutes deux le point de départ temporel d’un phénomène ou d’un état (« depuis le commencement »).
Origine métatemporelle
Pour situer un fait « à l’origine » ou « au commencement », sans idée de durée temporelle, deux expressions sont fréquentes en grec classique :
1. tên archên offre, surtout dans les contextes négatifs, un sens logique ou métalinguistique (« au commencement » [initio] > « pour commencer », « absolument » [omnino], d’où « tout au moins », « même ») ;
2. en archêi répond à une analyse visuelle et rationnelle du temps conçu comme un développement linéaire qui part du passé pour aller vers le futur :
- →60 : Med.en archaᵢ pêma koudepô mesoi (« la douleur en est à son début, pas encore au milieu » ). La Nourrice, au début de la pièce, explique ainsi au Pédagogue qui ramène de la palestre les enfants de Jason, à quel point Médée souffre de l’infidélité de son mari.
Sens dérivés : principe cosmologique, extrémité physique
Chez les premiers philosophes, archê revêt le sens de « principe » de l’univers.
- Seconds Analytiques I,272a 7 étend cet emploi aux notions premières de la physique (« forme », « privation » ou « matière ») ainsi qu’aux propositions immédiates.
Enfin, à partir du sens général de « commencement », le mot archê peut aussi référer à l’idée d’ « extrémité » :
- → (4,60) désigne le bout d’une corde par Hist.archên strophou. Ce sens se maintient au fil de la littérature grecque ancienne.
2. Dans la Septante
Les sens attestés durant la période classique se maintiennent. La valeur générale de « commencement » se manifeste dans l’acception précise de « début d’une action ».
- Le livre d’Osée s’ouvre précisément par les termes archê logou Kuriou pros Ôsêe, « commencement de la parole du Seigneur à Osée » (Os 1,2).
Expressions
- Les expressions ex archês (huioi basileôn ex archês, « les enfants des rois de l’origine » (Is 19,11) et ap’archês (hoi gigantes… hoi ap’archês (Ba 3,26) sont bien représentées.
- La locution tên archên est réservée dans la Septante au signifié initio (« au commencement », « auparavant » : Gn 13,4 ; 41,21 ; 43,18.20 ; 2 Esd = Ne 8,18).
- L'expression en archêᵢ figure une trentaine de fois. Souvent, elle permet de traduire la tournure hébraïque bᵉrēšît (Gn 1,1 ; Jr 33,1 ; etc.), où en traduit b-. Dans d’autres cas, elle constitue un équivalent de l’expression merō’še (cf. Pr 8,23).
Influence de l’hébreu
Le sémantisme d’archê fut fortement influencé par les termes hébreux rō’še et rēšît, dont il représente l'équivalent habituel. Les deux mots hébraïques sont en effet liés à la notion de « qualité suprême », puisque la « tête » constitue aussi bien le « début » que le « représentant par excellence » du corps.
- Gn 49,3 (archê [rēšît] teknôn mou : « le premier-né de mes enfants ») et Ex 12,2 (archê mênôn (« le premier [rō’še] des mois [de l’année] ») présentent le sens particulier de « premier ».
Dans la littérature sapientiale, le mot archê s’enrichit de la nouvelle nuance d’« élément essentiel ou capital », qui élargit le sens de « principe » que revêtait déjà le terme grec à l’époque classique :
- Ps 110,10 : archê [rēšît] sophias phobos Kuriou (« le principe [à la fois commencement et point essentiel] de la sagesse est la crainte du Seigneur » (cf. Pr 1,7).
Enfin, comme en grec classique, le mot archê peut référer dans G à l’idée d’« extrémité » :
- Na 3,10 : ep’archas pasôn tôn hodôn autês, « à l’extrémité de toutes ses voies ».
Servant à traduire le premier verset du premier livre de la Tora, archê équivalent de rēšît se trouva impliqué dans la spéculation et la mystique juives les plus élevées, concernant les entités originaires de la création→, fortement présentes dans la littérature néotestamentaire.
3. Le Nouveau Testament et la première littérature chrétienne
Significations du substantif archê
Le grec du NT conserve le sens littéraire du mot archê « commencement ».
- On y retrouve l’expression classique archên labein, équivalant à archesthai « commencer, débuter » (He 2,3).
- Le sens d’ « extrémité » est attesté dans Ac pour parler d’un tissu retenu par les quatre coins (Ac 10,11 ; 11,5).
Dans un passage difficile de Hébreux, on devine même le sens de « principe » :
- He 3,14 : On participe au Christ « si du moins nous retenons jusqu’à la fin (mechri tou telous), dans toute sa solidité, le principe de [ce] fondement (tên archên tês hupostaseôs). » Le mot archê désignant d’abord le « commencement », le texte fait un jeu de mots avec telos, (bien senti d'ailleurs par le traducteur de la Peshitta), que l’on peine à rendre en français : il s’agit à la fois du « principe du fondement » et du « fondement originel » qu’il faut maintenir jusqu’au bout.
En même temps, le mot archê prolonge dans le NT les valeurs spécifiques qu’il manifestait dans G. Ce terme y désigne volontiers l’idée de « principe » associée à celle de « part excellente ».
- Col 1,18 présente le Christ comme « la Tête [kephalê] du Corps de l’Église, lui qui est principe [archê], premier-né d’entre les morts, afin de détenir parmi tous la primauté [prôteuôn]. »
Le corpus johannique reflète une valeur comparable :
- Ap 3,14 : le Christ, parole créatrice, est défini dans ce corpus comme « principe [archê] de la création de Dieu ».
- Jn 2,11 : le signe de Cana, prémices de l’action de Jésus, revêt une valeur archétypale : « Tel fut le commencement, le principe que Jésus établit pour les signes [tautên epoiêsen archên tôn sêmeiôn ho Iêsous] à Cana en Galilée. Il fit paraître sa gloire et ses disciples crurent en lui » ).
- Jn 8,25 : la réponse de Jésus (tên archên hoti / ho ti kai lalô humin) aux Ioudaioi qui l’interrogent sur son identité participe également de cette valeur (mais pas seulement : cf. Propositions de lecture Jn 8,25).
Locutions adverbiales incluant archê
Le grec koinè sémitisé de Judée et de Galilée au 1er s. avait en tout cas conservé l’acception de (tên) archên au sens d’initio. Quelques décennies seulement après l’édition du quatrième évangile, (tên) archên apparaît fréquemment sous la plume de :
- au sens d’ « au commencement », ou « à l’origine » (dans des emplois comparables à ceux d’en archêi [« lors du commencement »] : → 129,2 Dial. ; cf. ibidem 91,4 [tên archên] où le contexte est analogue) : → 22,11 Dial. ; 27,4 ; 45,4 ; 84,2 ; 91,4 ; 102,3 ; 112,2 ; → 6,3 2 Apol. ;
- au sens d’ « auparavant » : cf. → 66,1 avec une connotation chronologico-logique : « pour commencer ». Dial.
Enfin, l’expression en archêi ouvre le quatrième évangile : en archêi ên ho Logos. Elle a donné lieu à deux interprétations différentes et complémentaires.
- La plus connue, celle de et de son école comprend « Au commencement était le Verbe » = dans l’éternité de Dieu.
- Certains auteurs comprennent que l’archê représente non seulement le « commencement » (méta-)temporel, mais aussi et surtout, dans la continuité de la mystique juive sur les →Protoctistes ou entités originaires de la création, le « principe » ou la Sagesse éternelle du Fils :→ I,102-124 Comm. Jo. ; Homélie « Vox spiritualis aquilae » : « ‘Au commencement était le Verbe’, comme s’il avait dit directement ‘Dans le Père subsiste le Fils.’ »
B. Pouvoir
1. Littérature grecque, papyri et inscriptions
- L’idée générale de « pouvoir » est attestée pour le mot archê depuis → 2,64 : Ol.en taide Dios archai « dans ce lieu soumis à l’autorité de Zeus »).
- En grec classique, archê désigne souvent une magistrature (cf. dès , l’expression archên archein, « exercer une magistrature »).
- A partir de là, on aboutit au sens d’ « empire » ou de « pays gouverné » (→ 1,91 : Hist.megalên archên… katalusai, « détruire un grand empire »).
- Au pluriel, on note une acception plutôt rare : « les officiels », hai archai (cf. → 1,106 §497, à propos des personnes qui prennent part à la procession funéraire de Sulla). Bell. civ.
2. La Septante et la littérature juive
Les différents emplois classiques du mot archê dans sa valeur de « pouvoir » se maintiendront dans la Septante. Le terme désigne ainsi la souveraineté :
- kai tês metoikesias hê archê hautê tois huiois Israêl gê tôn Chananaiôn heôs Sareptôn (« cette souveraineté [+ēl] [échue à ceux de] l’exil, pour les enfants d’Israël, sera la terre des Cananéens jusqu’à Sarepta » (Ab 20).
De l’acception classique de « pouvoir en tant que charge », on passera aisément à la désignation de la personne qui détient le pouvoir, sous l’influence du terme rēšît :
- Cf. Nb 24,20 : archê [rēšît] ethnôn Amalek : « Amalek, chef des nations ! »
À partir du livre de Daniel, le terme archê commence à s’associer à celui d’exousia, « autorité ». Le mot grec traduit alors la forme šāl*ānā’ tandis qu’exousia peut rendre, selon les cas, soit rᵉbûtā’ (« grandeur », Dn 7,27) soit tipᵉtāyē’ (« magistrats », Th.G—Dn 3,2.3). Dans la littérature juive de langue grecque, l’expression archê kai exousia est déjà lexicalisée. Elle désigne en principe les autorités. On la voit même apparaître chez un auteur païen tel qu’Œnomaüs (archas kai exousias, cf. → 6,7,26), philosophe cynique originaire de Gadara en Pérée. Praep. ev.
3. NT et première littérature chrétienne
L’expression archê kai exousia va souvent figurer dans les textes du NT. Dans certains cas, elle désigne tout simplement le pouvoir établi.
- Lc parle ainsi des espions qui tentent de livrer Jésus « au pouvoir et à l’autorité du gouverneur » (têᵢ archêᵢ kai têᵢ exousiaᵢ tou hêgemonos : Lc 20,20, cf. Lc 12,11 et Tt 3,1).
Cette valeur se retrouve dans la première littérature chrétienne.
- Ainsi, →Mart. Pol. 10,2 mentionne les archais kai exousiais hupo tou Theou tetagmenais, « les pouvoirs et les autorités établis par Dieu ».
Dans les épîtres de Paul, le terme va permettre de désigner une puissance angélique :