« Malheur à la ville des sangs, toute de mensonge, pleine de déchirement, la rapine ne te quittera pas » (Na 3,1). Le livre de Nahum, dont le nom signifie « Consolateur » ou « plein de consolation », présente un Dieu acharné à détruire les ennemis de son peuple. Si l'image d'un Dieu enflammé de colère peut choquer, il est plus aisé de s'imaginer un Dieu plein d'amour qui s'indigne. Qu’est-ce qui peut indigner Dieu, et son prophète, à ce point ?
Le livre de Nahum commence par un texte louant le Seigneur comme un juge qui ne laisse pas les crimes impunis (Na 1,1-2). Cette section poétique est à l'origine un acrostiche alphabétique, c’est-à-dire que la première lettre de chaque verset suit l'ordre de l'alphabet hébreu. Dans l'état actuel du texte, l’alphabet est incomplet et seules quelques lettres peuvent être identifiées. Le reste du livre (Na 2,4-3,19) est un poème qui décrit de manière saisissante la chute de Ninive, la capitale de l’empire assyrien, comme le châtiment divin de ses crimes. Ce contenu permet de dater la composition du livre des dernières années avant la chute de Ninive sous l’empire babylonien, en 612 av. J.-C.
Lorsque le prophète chante la chute de Ninive, coupable de la ruine et de la destruction de nombreuses nations, il présente en même temps le Seigneur comme un Dieu zélé pour la justice, prêt à punir ses ennemis, qui sont les ennemis de son peuple. Il est le Dieu puissant qui est au-dessus de tout, et qui provoque l’effroi de l’univers lorsqu’il se manifeste (Na 1,1-8) ; il est le Dieu de la justice et le Dieu de l’amour. L’Assyrie disparut, mais Juda subsista et son peuple se souvint de ces événements comme faisant partie du plan d’action de Dieu dans le monde.
Dans le Nouveau Testament, l’Apocalypse est le livre le plus lié à Nahum : tous les deux parlent de guerres et de destructions, notamment de la colère et d'un tremblement de terre (Na 1,5-6 ; Ap 6,12.17). Les portraits de Ninive comme une prostituée violée et misérable (Na 4,4-7) réapparaissent en Ap 17,2.5.16, et désignent cette fois Babylone (c’est-à-dire, Rome).
TEXTE
Critique textuelle
Le texte hébreu de Nahum présente quelques petites altérations : gloses (Na 1,2b-3a.10 ; 2,9 ; 3,8.15 ; etc.), déformations (Na 1,4 ; 2,4.12 ; 3,8.16 ; etc.), transpositions (Na 1,6 ; 2,2 ; 3,16, etc.) mais reste en bon état.
La version grecque permet de restaurer le texte à plusieurs reprises (Na 1,8.12 ; 2,4.6.9 ; 3,7.9.18) ; parfois, il faut recourir à quelques conjectures.
Procédés littéraires caractéristiques
Plusieurs traits du livre de Nahum le rattachent, bien plus que les autres Petits Prophètes, à la grande poésie hébraïque : rythmes, assonances, charge émotionnelle des images, mouvement dramatique des tableaux, et jusqu’aux accents apposés sur le texte au temps des massorètes.
Proposition d’une structure du livre
Le livre de Nahum contient trois mouvements principaux :
- Le titre, qui évoque de manière évidente un oracle contre Ninive (Na 1,1)
- Un psaume sur la Colère de Yhwh et des oracles qui mettent en regard le châtiment de l'Assyrie et le salut de Juda (Na 1,2-2,1)
- La ruine de Ninive décrite avec soin et intensité (Na 2,2-3,19).
Genres littéraires
La brièveté du recueil n’empêche pas une importante diversité des genres :
- Un psaume (Na 1,2-8) de forme alphabétique - ce qui est courant dans la poésie hébraïque - mais limité à la première moitié de l’alphabet décrit la colère de Yhwh. La langue et les images restent conventionnelles.
- Des « Paroles de Dieu » (Na 1,12ss ; 2,14 ; 3,5ss) et des oracles (Na 1,9ss ; 2,1.3 ; 3,1.11.15) expliquent le sens religieux des événements.
- Des tableaux historiques (Na 2,2.4-11 ; 3,2s.8ss.13s.18) et des visions plus ou moins développées (Na 2,12s ; 3,4.12.15ss) décrivent la fin de Ninive.
- Un chant funèbre (Na 3,18s).
CONTEXTE
Milieux de vie
Certains estiment que le livre, ou du moins son prologue, est d'origine liturgique mais les preuves manquent.
Auteur/s
Le prophète Nahum dont le nom, analogue à ceux de Menahem et de Néhémie, peut se traduire par « le consolé » (cf. Na 3,7, "consolateur"), exerce son ministère un peu après Sophonie, contemporain du début des prophéties de Jérémie. Son œuvre seule fait connaître son existence, qui n'est pas mentionnée dans les livres historiques. Sa patrie, Elqosh (Na 1,1), dont la localisation n'est pas assurée, peut être cherchée en Juda. Cependant, la tombe de Nahum à Al Qoosh en Irak, au Nord de Mossoul, est un lieu de pèlerinage annuel pour des générations de juifs irakiens. Jusqu’au début des années 1950, des milliers de Juifs s’y rassemblent lors de la fête de Shavuot, certains parfois pendant au moins deux semaines.
Datation
La prophétie se déroule un peu avant la prise de Ninive en 612 av. J.-C., et après le sac de Thèbes, ou Nô Amôn, c'est-à-dire Nout-Amon, "la ville du dieu Amon", par les armées d’Assurbanipal en 663 av. J.-C., mentionné dans le livre (Na 3,8ss).
Formation
Certains veulent retrancher du livre de Nahum le psaume et les oracles du début. Mais ceux-ci forment en réalité une bonne introduction au terrible tableau.
RÉCEPTION
Canonicité
L’ordre des Douze Prophètes connaît des variations, en particulier dans la Septante, mais les six derniers livres, dont Nahum est le premier, se suivent toujours à l’identique.
Importance traditionnelle
Intertextualité
Le sens du message de Nahum prend tout son relief lors de la chute de Jérusalem.
- C’est pourquoi il est utilisé par d’autres prophètes, comme Is 52,7, qui reprend l'image de Na 2,1 pour décrire l'avènement du salut.
- Des ouvrages ultérieurs montrent sa postérité après l'exil : Jl 2,4-9 s'inspire de Na 2,4s.11 ; 3,2s ; Tb 14,4 dans le Sinaïticus.
- Le Nouveau Testament ne cite pas explicitement Nahum.
- Ap 6,12.17 et Ap 17,2.5.16 font peut-être allusion respectivement à Na 1,5s et Na 3,1.4. Les versets de Nahum cités ultérieurement le sont souvent en rapport avec les autres textes prophétiques, et non pour eux-mêmes.
Exégèse juive antique
- Retrouvés à Qumrân, les fragments d'un commentaire de Nahum (4Q169 = 4QpNah) appliquent les dits du prophète aux ennemis de la communauté.
Exégèse chrétienne
- Outre son explication dans les commentaires sur l’ensemble des douze petits prophètes (voir supra), le livre est commenté pour lui-même par (†690), qui en donne une lecture allégorique fort développée.
- La lecture des Pères s’intéresse globalement à la prophétie de Nahum dans le cadre de leur réflexion sur la Providence divine et la théologie de l’histoire : les Assyriens sont l’instrument de cette Providence pour châtier Israël de son infidélité, puis les Perses le sont pour les Assyriens et leur puissance orgueilleuse. La chute de Ninive acquiert ainsi pour les Pères un statut exemplaire pour dénoncer l’inutilité des alliances humaines quand l’aide de Dieu vient à faire défaut parce qu’on s’est détourné de lui.
- Une lecture symbolique existe aussi, qui fait de la chute de Ninive le type de la chute de Satan, tandis que l’« ouragan » (Na 1,3) acquiert le sens eschatologique de fin du monde, « le jour de détresse » (Na 1,7) celui de jour du Jugement dernier et « les portes du Fleuve » (Na 2,7) des portes de l’Hadès.
Le livre est plus tard commenté, entre autres, par :
- (†1546), (†1560), (†1564), (†1584),
- (†1605), (†1619), (†1622), (†1625), (†1667),
- (†1719), (†1727), (ca. 1750).