La Bible en ses Traditions

Philémon 1,11–13

Byz V S TR Nes

11 qui t’était jadis inutile

et qui est maintenant à toi comme à moi, bien utile,

Byz V TR
S
Nes

12 Vet que je te renvoie.

Mais toi reçois-le comme mes propres entrailles.

12 Je te l'ai renvoyé

et toi reçois-le comme ma propre progéniture.

12 et que je te renvoie.

ll est mes propres entrailles.

Byz V S TR Nes

13 Je voulais le retenir auprès de moi

pour qu’il me serve à ta place dans les chaînes de l’Évangile.

Propositions de lecture

1–25 Supplique d'un apôtre devenu pater familias

Structure

Adresse (v.1-3)

À son accoutumée, Paul profite de l’adresse pour transmettre une bénédiction aux destinataires de l’épître : Genres littéraires Phm 1,1ss.

Action de grâces (v.4-7)

L’épître est l’occasion de féliciter Philémon de sa foi et de sa charité, qui provoquent joie et consolation à l’Apôtre : Genres littéraires Phm 1,4–7. Elle est mobilisée au service de l'argumentation de Paul : il rappelle que la communion dans la foi ne peut rester une simple adhésion intellectuelle mais doit s’épanouir dans une réflexion éthique (la connaissance du bien qui est en nous pour le Christ) et de véritables actions (la charité qui produit le réconfort).

Demande (v.8-19)

L’essentiel du corps de l’épître est consacré à la requête de Paul. Tout en affirmant laisser Philémon libre de son choix (v.8), l’Apôtre présente divers arguments pour le convaincre de recevoir Onésime sans le punir. Paul présente ainsi sa demande : que Philémon ne tienne pas rigueur à Onésime de s’être enfui de chez lui pour se réfugier chez Paul. En effet, converti par Paul et devenu chrétien, il est bien plus que le simple esclave de son maître : il est comme son propre frère.

Conclusion (v.20-22) et salutations (v.23-25)

L’épître se clôt par l’assurance d’être entendu de Philémon (v.20-21), une promesse de voyage (v.22), un échange de salutations de la part des collaborateurs de Paul (v.23-24) et une bénédiction finale (v.25) : Genres littéraires Phm 1,20–25.

Caractérisation de Paul : apôtre, père, commerçant, ironiste ?

On peut se lancer dans des considérations de morale sociale (Théologie Phm 1,12), peut-être anachroniques (Milieux de vie Phm 1,16a) ; on peut aussi être sensible à la subtilité des relations humaines tissées par Paul.

Père et victime

Deux thèmes sont à l’œuvre : la prison et les entrailles (le cœur : Milieux de vie Phm 1,7b.12b.20b). Ils construisent une figure subtile d’autorité de l’Apôtre, qui apparaît à la fois comme un modèle de souffrance pour la foi et comme un modèle de paternité. Paul devient pater familias de Philémon et d’Onésime, qui sont maintenant frères (c.-à-d. la paternité de Philémon est relativisée). Plutôt que de faire appel à son autorité apostolique (v.8), Paul préfère se présenter comme un père et comme une victime (v.9).

Négociateur madré

Il le fait avec une tendre ironie (Procédés littéraires Phm 1,8s), feignant la négociation commerciale (Milieux de vie Phm 1,19ab), multipliant les arguments jusqu’aux limites de la préciosité (comme le jeu de mots sur le nom de l'esclave : Procédés littéraires Phm 1,10b.11b ; Procédés littéraires Phm 1,20a), comme s'il ne voulait pas imposer sa volonté, malgré son insistance (Phm 20-21) et alors qu'il rappelle à Philémon qu'il ne lui doit rien moins que... lui-même : Procédés littéraires Phm 1,19c !

Texte

Procédés littéraires

10b.11b Onésime + utile — Jeu de mots entre Onêsimos (« profitable ») et euchrêstos (« utile »), qui sont synonymes. Euchrêstos est peut-être aussi un jeu de mots avec Christos (« Christ », v.8-9c) car la voyelle èta commençait à cette époque à se prononcer comme iota (phénomène de iotacisme).

13a.14a Je voulais + je n’ai rien voulu faire — Variation sur les verbes de volonté

  • Paul emploie au v.13a boulomai, signe d’une volonté concertée ; 
  • il emploie au v.14a thelô, manifestation d’un simple désir.

Contexte

Milieux de vie

7b.12b.20b entrailles Anthropologies comparées

  • Conformément à l’usage de G et à l’anthropologie biblique, les « entrailles » (splanchna) sont le lieu des sentiments de l’homme.
  • C'est souvent rendu en français par le « cœur ». En effet, l'anthropologie moderne situe le siège des sentiments plutôt dans le cœur.
  • En v.12b S comprend « matrice », soit — par métonymie — « progéniture ».

Textes anciens

12 reçois-le comme mes propres entrailles Topos épistolaire Dans les lettres familières, on trouve de nombreuses recommandations. Elles adoptent souvent les mêmes lieux communs. Reçois-le comme si c’était moi :

  • P. Oxyrh. 1,32,6 « ait un œil sur lui comme si c’était moi. »
  • P. Oslo2,55→ : Un certain Diogène envoie Théon à son « frère » Pythagoras en lui disant : « Je t’en prie, frère, reçois-le comme moi-même ».

Textes anciens Phm 1,10a

Réception

Liturgie

1–21 Deuxième lecture du 23e dimanche du TO, année C

Lectionnaire œcuménique révisé 

Phm 1-21 est précédé ou bien de Jr 18,1-18 ; Ps 139,1-6.13-18 ou bien de Dt 30,15-20 ; Ps 1 ; et suivi par Lc 14,25-33.

Lectionnaire dominical romain

Phm 9b-10.12-17 est précédé de Sg 9,13-18b ; Ps 90,3-6.12-14.17 et suivi par Lc 14,25-33.

Le rappel à Philémon de considérer Onésime maintenant comme un frère et non plus comme son esclave prépare l’enseignement de Jésus qui invite dans l’évangile ceux qui veulent le suivre à renoncer aux biens matériels. La requête de Paul à Philémon se comprend alors comme le cas particulier d’un enseignement biblique plus général.

7–20 Lectionnaire quotidien romain

Messe du jeudi de la 32e semaine du TO-II

Ce texte se lit avec Lc 17,20-25, où l’enseignement de Jésus sur la venue du fils de l’homme, qui doit souffrir et être rejeté par les hommes, a un lien ténu avec la situation critique d’Onésime.

Tradition juive

12ss Attitude talmudique envers un esclave enfui Les avis des rabbins sont partagés.

  • b. Giṭ. 45a « Un certain esclave s’enfuit depuis l’étranger jusqu’en Eretz Israël et était poursuivi par son maître. Ce dernier vint devant R. Ammi, qui lui dit : “Qu’il te rembourse sa valeur, et tu feras un acte d’émancipation en sa faveur en accord avec la vision de R. Ahi fils de R. Josiah. Car on a enseigné : 'Ils n’habiteront pas ton pays, de peur qu’ils ne te fassent pécher contre moi, car tu servirais leurs dieux et ce serait pour toi un piège' (Ex 23,33). Dirai-je que les textes parlent d’un païen qui a entrepris de ne pas pratiquer l’idolâtrie ? Il est écrit : (Dt 23,16)." R. Josiah a trouvé cette explication difficile à accepter, car, au lieu de “de chez son maître”, cela devrait être “de chez son père”. Aussi, R. Josiah expliqua le verset en parlant d’un homme qui vend son esclave à l’étranger. R. Ahi fils de R. Josiah trouva cela difficile à son tour, car au lieu de “qui s’est enfui auprès de toi”, cela devrait être “qui s’est enfui depuis chez toi”. R. Ahi fils de R. Josiah expliqua donc le verset en parlant d’un esclave qui s’enfuit depuis l’étranger jusqu’en Eretz Israël. Un autre enseigne : "Tu ne livreras pas un esclave à son maître." Un Rabbi dit que le verset parle d’un homme qui achète un esclave dans l’intention de l’émanciper. Comment devons-nous le comprendre ? R. Nahman b. Isaac dit : "Il fait un contrat en ces termes : 'Quand je t’achète, tu seras regardé comme étant ton propre maître à partir de maintenant.'" Un esclave de R. Hisda s’enfuit chez les Cuthéens [= Samaritains]. Il envoya une lettre pour qu’ils le lui retournent. Ils lui citèrent en retour le verset "Tu ne livreras pas un esclave à son maître". Il leur cita en retour "Ainsi feras-tu pour son âne, ainsi feras-tu pour son manteau, ainsi feras-tu pour tout objet perdu par ton frère et que tu trouveras ; tu n’as pas le droit de te dérober" (Dt 22,3). »

Cette difficulté semble exister depuis longtemps. Tg. Onq. sur Dt 23,16 traduit : « Tu ne livreras pas un esclave des nations à son maître ».

Droit

13a Je voulais le retenir Devoir de protection

  • Dt 23,16-17 « Tu ne livreras pas un esclave à son maître qui se sera enfui de chez son maître auprès de toi. Il demeurera avec toi, parmi les tiens, au lieu qu’il aura choisi dans l’une de tes villes où il se trouvera bien ; tu ne le molesteras pas. »

En fait, cette loi ne s’appliquait qu’à la Terre promise.

Théologie

12 MORALE Esclavage

Pourquoi Paul ne recommande-t-il pas l’affranchissement d’Onésime ?

On a souvent voulu faire de cette lettre une prise de position de Paul en faveur de l’esclavage et le manifeste d’un certain conservatisme social. Ce conservatisme apparent doit se comprendre en référence aux épîtres aux Galates et aux Corinthiens, que Paul écrit au même moment : dans l’Évangile, il n’y a ni esclave, ni homme libre, ni homme, ni femme, ni Grec, ni Juif (Ga 3,26-28) ; chacun doit rester là où l’Évangile l’a trouvé (1Co 7,20-24). Cette phrase retentit comme une affirmation théologique sur la grâce et peut-être sur la proximité du salut.

En regard de l’importance de la grâce, toutes les déterminations qui traversent le monde social n’ont plus aucune importance. Elles ne sont que des éléments contingents qui ne doivent pas troubler l’esprit du chrétien. On comprend alors l’insistance de Paul sur le couple esclave/frère et non sur le couple esclave/homme libre : l’essentiel pour Philémon est de saisir que son esclave n’est plus un étranger qui le sert, mais un chrétien comme lui.

Si l’on admet que Paul croyait encore à l’imminence du retour du Christ qu’il défendait en 1Th, il est compréhensible de sa part de ne pas pousser outre mesure à l’émancipation : pourquoi se préoccuper de ces questions matérielles, alors que l’on ne restera que peu de temps dans cette chair ?

 →Serviteurs et esclaves chez Paul