Les échanges épistolaires de Paul avec ses différentes communautés sont l’expression de relations qui ont aussi été traduites par une aide financière, particulièrement avec la communauté de Philippes. Nous avons probablement là l’origine d’un vocabulaire à connotation financière non seulement à la fin, mais aussi au début de Ph, en Ph 1,11 ; 4,17-18 , dans l’emploi du verbe plêroô.
Plêroô dans les papyri
Le verbe a le sens général de « combler » quelqu’un (de force, de qualités). L’emploi de ce terme dans les papyri permet de préciser l’emploi de ce terme dans le champ lexical des échanges commerciaux.
- →P. Lond. 243,11 écrit hina plêrôsêis autous tên timên « Pour que tu leur en paies le prix » ;
- →P. Lond. 251,30 ho deina plêrôtheis tên timên « Untel ayant payé le prix » ;
- →Pap. Oxyrh. 1133,8 homologô apeilêphenai kai peplêrôsthai para sou tous tessaras chrusinous « Je déclare avoir reçu de ta part et [avoir reçu] pour solde de tout compte les quatre pièces d’or » ;
- →Pap. Oxyrh. 1134,6 homologô peplêrôsthai ta ekphoria « Je reconnais avoir pleinement reçu le bail pour le terrain » ;
- →P. Flor. 27,3 peplêrômai para humôn ton phoron tôn haipta arourôn aph' hôn egeôrgêsen ho patêr humôn kai mêdena logon echô pros humas (lettre d’une tenancière à ses métayers) « J’ai pleinement reçu de votre part la redevance pour les sept mesures de terre arable que votre père a cultivées et vous ne me devez plus rien » ;
- →Pap. Oxyrh. 1260,16 dia to peplêrôsthai me pantôn tôn analômatôn « parce que toutes mes dépenses ont été remboursées ».
Ces textes montrent que deux constructions se rencontrent avec peplêrômai dans les papyri : 1) le génitif de l’argent dû et rendu ; 2) l’accusatif de l’argent dû et rendu.
Chez Paul
Pour le texte de Ph 1,11, si nous suivons la syntaxe des papyri, nous devrions traduire de la façon suivante :
- peplêrômenoi karpon dikaiosunês ton dia Iêsou Christou eis doxan kai epainon theoû (« ayant reçu, pour solde de tout compte, les dividendes de la justice qui nous viennent à travers Jésus Christ dans la gloire et la louange de Dieu »).
Cela implique de donner à karpos le sens de « profit » financier, de « dividendes », qui n’apparaît pas dans les papyri, mais que l’on peut aisément supposer d’après les emplois papyrologiques des termes karpeia, karpizomai, et d’après Ph 4,17 (epizêtô ton pleonazonta eis logon humôn « je cherche le profit qui s’accroît sur votre compte »).
Paul a contracté une dette auprès des Philippiens (cf. Ph 4,16). Il pourrait résulter des versets précédents un certain malaise. Les Philippiens pourraient penser que Paul cherche, en les flattant, à obtenir de nouveaux fonds. Pour éviter cela, il montre que les vrais bénéficiaires de ces dons sont les Philippiens eux-mêmes. L’assistance au prisonnier à cause de l’Évangile contribue à une croissance spirituelle, en vue de l’accomplissement eschatologique.
Ce verbe apparaît aussi en Ph 4,18 (peplêrômai dexamenos para epaphroditou ta par humôn) où la construction s’impose d’emblée, et le sens est renforcé par dexamenos. Les Philippiens ont pourvu à tous les besoins de Paul. Ayant été comblé par ces dons, l’Apôtre n’est en rien demandeur à leur égard. C’est alors que le langage sacrificiel fait son apparition, tout comme en Ph 2,15.17.25.30 et Ph 3,3, se mêlant au langage économique. Le don des Philippiens à Paul est, en fait, un don fait à Dieu lui-même.
Enfin, il faut signaler que la construction de Ph 1,11 s’explique également par la syntaxe propre à G, et un deuxième sens est à la fois présent dans ce passage :
- peplêrômenoi karpon dikaiosunês ton dia Iêsou Christou eis doxan kai epainon theou (« pleinement remplis du fruit de justice qui vient par Jésus Christ dans la gloire et la louange de Dieu »).
Peplêrômenoi ti serait la forme passive de la construction avec double accusatif plêroô tina ti, « combler quelqu’un de quelque chose », que l’on rencontre dans G avec les verbes dont le sens est lié à l’idée de « combler ».