La Bible en ses Traditions

Bible et Archéologie I : L'archéologie biblique

L'archéologie, entre science et discours

L'archéologie est la discipline qui reconstitue les sociétés passées et leurs évolutions (monumentales, technologiques, économiques, politiques, culturelles, religieuses) à partir des traces matérielles qu’elles ont laissées dans l'espace. Les procédures analytiques de la discipline permettent de décrire le plus objectivement possible, « scientifiquement », les vestiges découverts. Elles livrent de précieuses, quoique parcellaires, informations sur l'économie, la démographie, les mentalités des sociétés qui produisirent les vestiges étudiés. Mais elles débouchent rarement sur la possibilité d'une synthèse.

En fait, le discours de l'archéologue tient autant de l'interprétation que de la description. L'archéologue a sous les yeux des restes matériels du passé souvent muets (sauf découverte de matériel inscrit). C'est lui qui les fait « parler ». S'il a à l'esprit une image préconçue de la réalité historique (par exemple les récits bibliques, ou des récits alternatifs produits par les historiens), il aura tendance à la plaquer sur les vestiges exhumés.

L’archéologie biblique pourrait se définir simplement comme la branche de l'archéologie qui s'intéresse aux mondes de la Bible. D’emblée, et très naturellement, elle fut marquée par une ambigüité de finalité et de méthode qui la propulse aujourd’hui encore. Son but est-il de « prouver » ce que dit la Bible ? En ce cas, qu’a de scientifique une discipline qui connaît déjà ce qu’elle est censée rechercher ?  

1 —— Naissance de la discipline

L'archéologie biblique naquit dans la seconde moitié du 19e s., dans le contexte général du développement de l'archéologie orientale en Egypte et en Mésopotamie. Elle se constitue à l'origine  en réaction à « l'hypothèse documentaire » forgée par l'exégète allemand Julius Wellhausen. Pour ce dernier, le Pentateuque résulterait de la fusion de 4 documents distincts, rédigés indépendamment les uns des autres, dont le plus ancien (le document yahviste) remonterait au 9e s. av. J.-C. et dont le plus récent daterait de la période de l'Exil (le code sacerdotal). La rédaction des 5 premiers livres de la Bible n'apparaît donc plus comme l'oeuvre de Moïse et surtout ne serait plus contemporaine de l'épopée qu'elle raconte. 

Initalement développée pour prouver la véracité historique des Écritures contre cette théorie , l'archéologie biblique s'intéressa rapidement à d’autres sujets, notamment la conquête de Canaan, relatée dans le livre de Josué , ou la monarchie unifiée de David et Salomon. Au tournant du 19e s., les archéologues pionniers de la discipline jouissent d'un contexte favorable. L'Empire ottoman, qui gouverne alors la Palestine, est particulièrement affaibli ; les puissances européennes, telles que la France ou le Royaume-Uni, ou encore les États-Unis, en profitent pour envoyer de nombreuses missions catholiques ou protestantes au Levant ; et le bateau à vapeur réduit la distance entre les deux rives de la Méditerranée. La Terre Sainte n'est plus aussi difficile d'accès et certains archéologues européens et américains décident de venir étudier la Bible sur le terrain même qui l'a vu naître.

Illustrent cette époque pionnière les français Félicien de Saulcy (à l'origine des premiers chantiers de fouille à Jérusalem) et Charles Clermont-Ganneau (acquéreur pour le Louvre de →la stèle du roi Mesha et découvreur d’une des deux inscriptions menaçant de mort quiconque entrerait dans l'enceinte du Temple sans être juif), ou bien encore le britannique Charles Warren dont les fouilles permettent de mieux apprécier les proportions colossales du Temple.

Ces premiers archéologues à étudier la Bible sur le terrain sont rapidement soutenus par diverses institutions qui se développent en Europe et en Amérique pour soutenir leurs efforts scientifiques. La première d'entre elles est le Palestinian Exploration Fund, fondé en 1865, à Londres. Cinq ans plus tard, en 1870, c'est au tour de l'American Palestine Exploration Society de voir le jour, mais la société cesse d'exister dès 1877. Les travaux qu'elle a entrepris n'ont jamais été menés à bien et n'ont donc jamais été publiés. Cependant, certains de ses membres se retrouvent parmi les fondateurs de l'American School of Oriental Research, en 1900, qui prend le relais de l'éphémère société archéologique de la décennie 70. En 1890, le vénérable père Lagrange (1855-1938) fonde à Jérusalem l'École pratique d'études bibliques, qui devient trente ans plus tard l’École biblique et archéologique française de Jérusalem après sa reconnaissance officielle par l'Académie des inscriptions et des belles-lettres. Face au divorce entre ce que, d’un côté, les historiens et les archéologues découvraient et ce que, d’un autre côté, récitait un jeune catholique au catéchisme, Lagrange empoigne ce champ d’étude avec sérieux, confiant en bon disciple de saint Thomas d’Aquin, et dans la révélation et dans les capacités de l’esprit humain. Il s’agit pour lui d’étudier la Bible au pays de la Bible, en comparant, le plus rigoureusement possible le document (les textes bibliques) et le monument (tout ce que l’archéologie peut retrouver de traces physiques du passé).

Au début du 20e s. l’installation de Juifs en Terre Sainte s’intensifie : ils fuient les pogroms d'Europe orientale. La redécouverte de leur passé leur permet de faire émerger un sentiment national juif et de légitimer leur présence. L'archéologie biblique devient ainsi une discipline juive.  Avec l'inauguration en 1925 de l'Université hébraïque et la création de l'État d'Israël en 1948, les Israéliens deviennent les principaux acteurs de cette discipline. 

2 —— Les principaux noms de l'archéologie biblique

Félicien de Saulcy (1807-1890)

Félicien de Saulcy, archéologue français, est à l'origine des premiers chantiers de fouille à Jérusalem. En 1863, au nord-ouest de la ville, il découvre le Tombeau des Rois, contenant plusieurs sarcophages, dont un avec une inscription. Cette dernière a permis d'attribuer le tombeau à une reine de Haute-Mésopotamie, Hélène d'Adiabène, qui s'était convertie au judaïsme à l'époque du Christ et qui était venue s'installer à Jérusalem. Cependant, Félicien de Saulcy pensait avoir plutôt découvert le tombeau de David et Salomon. C'est à ce titre que les frères Perreire, banquier sous le règne de Napoléon III, l'achètent en 1878 « pour le conserver à la science et à la vénération des fidèles enfants d'Israël », ainsi qu'il est écrit sur la plaque à l'entrée du monument.

Charles Warren (1840-1927)

Charles Warren, militaire et archéologue britannique, réalise pour sa part des fouilles dans la partie sud-est de la ville. Il démontre que le mur d'enceinte du Temple est bien plus profond que le niveau du sol permettait de le voir. Il découvre dans l'actuelle cité de David ce qui est connu aujourd'hui comme le puits de Warren. Pour l'archéologue, il s'agit d'un puits creusé par les Jébuséens (les occupants de la ville avant sa conquête par David) pour accéder à la source du Gihon mais il s'agit en réalité d'une cavité naturelle.

Robert Koldewey (1855-1925)

Robert Koldewey, archéologue allemand, renouvelle en profondeur la méthode archéologique. Plutôt que de ne porter son attention que sur des documents matériels qui ont été conservés, il s'intéresse avant tout aux schémas architecturaux des ruines antiques. Mais son plus grand titre de gloire est la découverte de la Babylone antique, dans le sud de l'Irak, dont la zigourat serait peut-être à l'origine du récit de la Tour de Babel.

Charles Clermont-Ganneau (1846-1923)

Charles Clermont-Ganneau, archéologue français, acquiert en 1870 pour le compte du musée du Louvre la stèle du roi Mesha, découverte à Dibon par le missionnaire allemand F. A. Klein, en 1868. L'année suivante, en 1871, il découvre l'une des deux inscriptions ayant survécu, menaçant de mort quiconque entrerait dans l'enceinte du Temple sans être juif.

William Flinders Petrie (1853-1942)

William Flinders Petrie, archéologue anglais, est plutôt un égyptologue de formation. Mais ses fouilles en Égypte, à Tanis ou Amarna, l'amènent à s'intéresser à l'archéologie palestinienne. Il est le premier à réaliser des fouilles stratifiées en Palestine, à Tell el-Hesi, près d'Ascalon en 1890. C'est là qu'il démontre que les fragments de poterie, même sans inscription, sont un sûr moyen de datation. Il y découvre quelques fragments d'une jare de style « bilbil » qu'il avait déjà observée en Égypte, dans des tombes recouvertes d'inscriptions datant de 1300 av. J.-C. Petrie mesure alors la distance verticale qui sépare ces fragments des restes de poteries grecques au sommet du tertre, la divise par le nombre d'années et décide que le résultat trouvé équivaut au nombre d'années représentées par chaque pied. Cette méthode apparait de nos jours, et avec raison, excessivement naïve, et même trompeuse car elle ne peut tenir compte des interruptions d'occupations du site. Petry avait également tendance à plaquer sur les sites qu'il foullait des noms bibliques, aujourd'hui largement rejetés. Tell el-Hesi n'était pas l'ancienne Lachisch, par exemple.  

Louis-Hugues Vincent (1872-1960)

Louis-Hugues Vincent, archéologue français, n'a que seize ans lorsqu'il arrive à l'École pratique d'études bibliques tout juste fondée par le père Lagrange, comme séminariste dominicain. Il découvre l'archéologie peu de temps après son arrivée en Terre Sainte, alors que fleurissent les thèses de W. Flinders Petry. À cette époque, la plupart des archéologues sont des professeurs d'université étrangères qui ne séjournent que temporairement dans la région. Il y a donc peu de continuité dans les travaux et les recherches qui y sont menés. La présence permanente du père Vincent en Palestine permet au contraire une direction continue des fouilles réalisées. Ses principales recherches furent menées à Hébron, Emmaüs-Nicopolis et le Lithostrotos de Jérusalem.

Gottlieb Schumacher (1857-1925)

Gottlieb Schumacher, archéologue étatsunien, fouilla Megiddo en 1903 et publia pour le British Fund d'imoortantes recherches sur la région de Gadara. Sa formation d'architecte et d'ingénieur en est fait un excellent superviseur de chantier de fouilles. Son travail est fait avec professionnalisme et sérieux mais ses efforts pour établir la chronologie ou pour déchiffrer les inscriptions ont été depuis largement revus.

Robert Stewart Macalister (1870-1950)

Robert Stewart Macalister, archéologue irlandais, conduit en personne les fouilles de Gezer de 1902 à 1909. Il y fait la découverte de la fameuse tablette du calendrier de Gezer mais la datation proposée par Macalister est beaucoup trop tardive (la tablette daterait, en effet, du 10e siècle av. J.-C.), tout comme celle de la porte solomonique. En revanche, son interprétation de la rangée d'obéliques comme espace cultuel est toujours admise. Macalister a également mené des fouilles à Samarie (l'actuelle Sébaste).

William Foxwell Albright (1891-1971)

William Foxwell Albright, archéologue américain, arrive à Jérusalem en 1920 pour le compte de l'American School of Oriental Research, fondé en 1900. Il réalisa des fouilles à Guibéa (1922), Bethel (1927) et Beth-Zur (1931). De 1926 à 1932, Albright dirige les fouilles de Tell Beit Mirsim, au sud d'Hébron, qu'il identifie à tort au site de l'ancienne Debir. La publication de ses travaux, identifiant 10 couches à partir des vestiges en céramique, établit pour des décennies le standard de la stratigraphie de l' « âge du bronze » (3200-1200 av. J.-C.) et de l' « âge du fer » (1200-586 av. J.-C.) en archéologie levantine. Lui et son collègue George Ernest Wright (1909-1974) s’efforcèrent aussi de rapprocher les vestiges découverts et l’histoire racontée dans la Bible. Ils élaborent une synthèse chronologique, d’Abraham au Nouveau Testament, longtemps adoptée par les éditeurs de bibles, aujourd’hui abandonnée par les savants.

Nelson Glueck (1900-1971)

Nelson Glueck, archéologue américain, est d'abord l'élève de William F. Albright à la John Hopkins University de Baltimore et l'accompagne sur le chantier de fouille de Tell Beit Mirsim. Il dirige l'ASOR de Jérusalem en 1932 et 1933, puis celle de Bagdad de 1942 à 1947. Il introduit l'étude de la céramique dans la méthode archéologique : il fonde ainsi la reconnaissance des sites sur l'étude de la poterie retrouvée en surface.

Roland de Vaux (1903-1971)

Roland de Vaux, archéologue et père dominicain français, est directeur de l'École biblique et archéologique française de Jérusalem. De 1946 à 1964, il fouille Tirzah, la capitale du roi Omri puis, à partir de 1952, il dirige et coordonne les recherches sur les manuscrits de la Mer Morte, retrouvés dans onze grottes de Qumran, entre 1947 et 1956. Pour le père de Vaux, ces manuscrits ont été produits et copiés par une communauté de la secte essénienne, qui vivait à Qumran un peu sur le modèle d'un monastère médiéval. Il identifie ainsi parmi les ruines un réféctoire, ou encore un scriptorium. Son hypothèse est aujourd'hui débattue.

Kathleen Kenyon (1906-1978)

Kathleen Kenyon, archéologue britannique, est une figure majeure de l'archéologie biblique. Elle se fait remarquer tout d'abord en  défendant l'idée que l'archéologie doit être enseignée comme une discipline universitaire indépendante. En son temps, cette dernière était, en effet, simplement perçue comme une branche des humanités, de la théologie, des études orientales ou encore de l'histoire. Mais c'est sur le terrain qu'elle s'illustre véritablement. En 1952, elle réouvre le chantier de Jéricho. Elle démontre que le mur de briques, attribué par le père Vincent et Albright à Josué, est en réalité de mille ans plus ancien ; elle démontre aussi que le tertre sur lequel se trouve Jéricho, appelé Tell el-Sultan, était en complet état d'abandon pour toute la période dans laquelle auraient pu se dérouler les événements du livre de Josué, de 1500 à 800 av. J.-C. Elle y découvre enfin une puissante fortification qui serait antérieure à 5000 av. J.-C. Ses conclusions constituent un tournant dans l'histoire de la discipline. Les archéologues commencent alors progressivement à cultiver l’autonomie de leur discipline par rapport aux récits bibliques.  Kathleen Kenyon mène également des fouilles dans la Cité de David et l'ancienne citadelle jébuséenne.

Bellarmino Bagatti (1905-1990)

Bellarmino Bagatti, archéologue italien et père franciscain, étudie surtout les églises tardo-romaines et byzantines, ce qui le porte à étudier les lieux saints et évangéliques sur lesquels ces sanctuaires ont été édifiés.

Yigael Yadin (1917-1984)

Yigael Yadin, archéologue israélien, est le fils d'Eleazar Sukenik qui découvrit dans les années 1930 la synagogue de Beth Alpha avec l'inscription: "Jésus, fils de Joseph". Yadin suit les traces de son père. À partir de 1960, il réalise des fouilles dans le désert de En-Gedi et à Massada. Mais sa principale réalisation, d'un point de vue strictement scientifique, est l'exploration du site d'Hazor entre 1955 et 1958.

George Ernest Wright (1909-1974)

George Ernest Wright, archéologue américian, dirigea les fouilles de Sichem.

3 —— Crise : le débat entre maximalistes et minimalistes

Le débat entre archéologues et biblistes est suspendu à une question : la Bible est-elle une source historique fiable ? Y répondre suppose de savoir (1) quand l'essentiel du corpus biblique fut constitué et rédigé ; et (2) comment il aurait pu préserver des témoignages historiques dignes de foi.

Sur ces points, on peut distinguer deux tendances parmi les archéologues, selon qu’ils concèdent une plus ou moins grande ancienneté aux premières grandes compilations du corpus biblique : les maximalistes et les minimalistes.

Les maximalistes

L'archéologie biblique fut d’emblée maximaliste, à ses débuts.

Dans les livres de Samuel et des Rois, les historiens deutéronomistes  magnifient les règnes de David et Salomon. En se fondant sur eux, les archéologues maximalistes ont eu tendance à attribuer les plus grands vestiges qu'ils mettaient au jour aux règnes de ces rois. Du coup, par une espèce d’ironique ventriloquie, ils trouvèrent régulièrement sur les sites qu’ils fouillaient ce qu’ils avaient décidé d’y trouver avant le premier coup de pioche. Plusieurs sites spectaculaires ont ainsi été liés à Salomon, avant que des analyses plus exactes les datent de périodes bien plus récentes.  

Cette forme d’archéologie biblique fut également critiquée pour les dégâts causés au patrimoine archéologique de Terre Sainte. Visant avant tout à retrouver les traces matérielles du récit biblique, elle se souciait peu des vestiges qui lui semblaient étrangers. Ainsi la Harvard Expedition de Samarie, dirigée de 1908-1910 par G. Schumacher et G. A. Reinser, a-t-elle détruit tout le site de l'acropole de cette ville après l'époque omride jusqu'à atteindre la roche mère — sans aucune certitude, d’ailleurs, d'avoir mis au jour le moindre vestige du palais d'Omri…

Les maximalistes d’aujourd’hui admettent que le Pentateuque et l'Histoire deutéronomique ont été rédigés aux 10e et au 9e s. av. J.-C., et non à l'époque des événements qu'ils relatent, comme on l'a longtemps cru. Mais ils estiment que cette rédaction finale fixe des traditions anciennes datables des temps historiques qui les intéressent, à savoir ceux de l'Exode, de la conquête de Canaan et de la royauté davidique et salomonique (Finkelstein 2007a 11-12). 

Les minimalistes

Les minimalistes retiennent une date nettement plus tardive pour la rédaction de la Bible. Ils descendent jusqu'à l'époque perse ou hellénistique.

Cette hypothèse est cependant mise à mal par plusieurs données scientifiques :

4 ——  L'élaboration d'une voie moyenne

Les fouilles sur le terrain et l'exploration scientifique des textes sont bien deux sources de connaissance du passé irréductibles l'une à l'autre, mais les maladresses de l'ancienne « archéologie biblique » n'enlèvent rien à l'exigence logique d'articuler les meilleurs résultats des sciences archéologiques et historiques. La mise en relation du texte biblique et du donné archéologique dépend des convictions de ceux qui s'efforcent de la trouver : l'archéologue minimaliste développe sur le texte biblique un doute systématique ; l’agnostique ou le croyant, juif ou chrétien, lui font plus spontanément confiance. 

Les archéologues israéliens Israël Finkelstein (né en 1949) et Amihai Mazar (né en 1942) sont aujourd'hui des figures en vue de l'archéologie qui s'intéresse au monde biblique. Plutôt minimaliste dans les premières publications qui le firent connaître, Finkelstein a nuancé ses vues en collaborant avec les biblistes et ouvre un chemin médian, emprunté aussi par Mazar, plus proche des maximalistes, qui est assez prometteur.

La période cruciale de la fin de la monarchie

Selon Finkelstein, le Pentateuque et l'histoire deutéronomiste ont été rédigés, pour la plus grande part, vers la fin de la monarchie, au 7e s. av. J.-C., vraisemblablement sous le règne de Josias, roi de Juda, puisque le second livre des Rois met en scène la (re-)découverte du Livre au Temple sous son règne (2R 22,8-13).

Existence de documents antérieurs

Bien sûr, les livres mis en forme au 7e s. ont conservé du matériel historique antérieur et digne de foi, pouvant remonter jusqu'au début de la monarchie, voire, par traditions orales, aux époques encore plus anciennes. En voici des exemples :

Les scribes de Josias ont pu trouver ces informations dans les archives du Temple ou du palais, dans les inscriptions publiques et dans la tradition orale qui relataient des événements passés (Finkelstein 2007a 17-18).

Une mémoire accumulative
En ce qui concerne les périodes les plus reculées

impossibles à documenter (par exemple, le temps des Patriarches ou celui de l'Exode), les auteurs bibliques ont pu s'appuyer sur les légendes et les mémoires collectives qui circulaient alors en Juda et en Israël. Une invention fictionnelle pure et simple est imbrobable dans le contexte de cultures orales traditionnelles. Le propre d'une légende est d'avoir un fondement de vérité, même impossible de discerner : il est donc aussi difficile de nier qu'Abraham et Moïse aient jamais existé, que d'affirmer que ce furent des personnages en chair et en os. Finkelstein précise simplement que les informations que le texte biblique donne sur eux relèvent davantage du monde de Josias que de l'histoire primitive d'Israël (Finkelstein 2007f 185). 

Les périodes plus récentes

de la fresque biblique virent sans doute se continuer semblable accumulation des histoires. Les scribes du roi Josias purent étoffer les renseignements que leur fournissaient les archives du temple sur le roi David, avec diverses traditions ou récits dont la mémoire collective avait conservé trace, afin de donner à sa vie les dimensions d'une épopée : 

Primat de l'idéologie royale de Juda

Mis en forme au moment où la dynastie royale de Juda cherchait à renforcer sa légitimité face à celle d’Israël au nord, le texte fixé à Jérusalem insiste ainsi :

Cette relecture du passé, dite « deutéronomiste », doit donc faire l'objet d'un examen qui tienne compte du programme théologico-politique de ses auteurs. Elle ne saurait, en aucun cas, être comprise littéralement à la manière des maximalistes. Is. Finkelstein prend l'exemple des règnes d'Ézéchias et de Manassé.

Il faut donc, selon Finkelstein, procéder par une lecture régressive : commencer par les livres qui racontent les événements les plus proches de leur période de rédaction et remonter jusqu'aux époques les plus anciennes, qui sont les plus susceptibles d'être déformées ou tout simplement inventées. Seule une bonne connaissance de la Palestine du 7e s. permet de distinguer, dans le récit des règnes de David et de Salomon, ce qui relève de la relecture idéologique, du contexte de rédaction (Goliath est ainsi décrit comme un hoplite grec) et des sources effectives dont disposaient les scribes de la cour royale de Juda (Finkelstein 2007a 14).

L'apport principal de l'archéologie à la compréhension de la Bible...

L'archéologie poursuit deux objets :

Par conséquent, s’il arrive à l'archéologie de pouvoir confirmer ou infirmer tel ou tel point des textes bibliques, ce n'est pas là son apport principal. Elle renseigne surtout sur le contexte antique du Proche-Orient dans lequel ont été élaborés et mis par écrits les textes bibliques. Elle permet de reconstituer l'environnement géographique, social et culturel des auteurs inspirés tant à l'échelle locale (le petit royaume de Juda) que régionale (le Levant dans son ensemble) ou internationale (l'ensemble du Moyen-Orient biblique comprenant l'Égypte et l'Assyrie). 

... et celui de la Bible à l'archéologie

Mieux l'on connait le contexte dans lequel a été élaboré le texte biblique, davantage peut-on savoir si ses auteurs ont pu conserver des données sûres pour établir l'histoire du vieil Israël (Mazar 2007f 190-191). Mais ce n'est pas là le seul apport des études bibliques à l'archéologie. Puisque le but de cette dernière est de produire un discours sur les restes matériels du passé, elle n'est pas non plus exempte de présupposés modernes qui peuvent fausser son interprétation. Sans document textuel, l'archéologie, pour reprendre les mots de Finkelstein lui-même, reste muette. Une flèche retrouvée sur un champ de bataille informe l'archéologue sur l'armement utilisé par les belligérants mais ne lui dit pas qui a gagné. Il ne peut trouver cette information que dans les textes. Or la Bible est l'un des seuls documents narratifs à proposer un récit continu de la terre de Canaan, du début de l'âge du bronze jusqu'à la période perse. Pour parvenir à une reconstruction raisonnable du passé, il est nécessaire de croiser :

5 -- Conclusion : comment articuler archéologie et Bible aujourd'hui ?

Selon la lettre

L'expression « archéologie biblique » reste associée à la branche de la discipline qui pratiquait une archéologie « apologétique », en vue de prouver la véracité du texte biblique — démarche que beaucoup jugent obsolète. William G. Dever prêche par exemple pour redéfinir ce champ de l'archéologie en « archéologie syro-palestinienne » et l'American Schools of Oriental Research a changé, il y a quelques années, le nom de son magasine Biblical Archaelogy en Near Eastern Archaelogy. En revanche, Amahai Mazar défend l'usage de l'expression. Il est, à ses yeux, légitime de désigner sous cette formule la branche de la discipline qui étudie le monde de la Bible. Ce qu'il conteste, ce n'est pas l'association des deux mots mais plutôt la soumission d'un domaine (l'archéologie) à l'autre (la Bible) (Mazar 2007a 31-33). L'archéologie doit être pratiquée indépendamment du contenu biblique. Ce n'est que dans un second temps que l'on revient au texte pour voir si les deux concordent et, si tel n'est pas le cas, se demander pourquoi (Finkelstein 2007f 184). 

Selon l'esprit 

D'après Finkelstein, tâcher d'harmoniser ou de juxtaxposer la foi et la recherche historique est faire preuve de concordisme, et donc une erreur. Lorsqu'est lu solennellement le récit de la Pâque au jour des Azymes, s'interroge l'archéologue, faut-il vraiment s'interroger pas sur la localisation de Pithom et le dégré de véracité du récit ? Seules importent à son coeur et à son intelligence la beauté du texte et la méditation sans fin qu'il propose sur l'esclavage et la liberté (Finkelstein 2007f 187). A supposer (et ce ne reste qu'une supposition) que le récit de l'Exode n'ait aucune véracité archéologique ni factuelle, on ne pourrait lui dénier sa vérité historique, comme le rappelle Amihai Mazar. La vérité archéologique, c'est ce qui a bel et bien eu lieu ; la vérité historique, c'est ce qui a informé la vie sociale, les imaginaires et les idéaux des différentes sociétés au cours des siècles. Par sa puissance symbolique, le récit de l'Exode est la pierre de fondation de l'identité juive et de celle de toute la culture occidentale (Mazar 2007f 189-190). 

La foi, cependant, peut-elle se satisfaire de pareil agnosticisme méthodologique ? Ce que l'on peut affirmer c'est que la réduction de la grande histoire de « tout Israël » aux proportions de modestes légendes patriarcales ou d'épopées magnifiant des faits de guerre plus localisés — opérée par la critique historique appuyée sur les résultats de l'archéologie récente — ne ruine en aucun cas la foi catholique. En effet, pour qui croit que Dieu s’est révélé en plénitude dans les quelques années de vie d'un jeune Juif du 1er siècle — elle confirme une constante de la révélation : c'est dans la petitesse que le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob déploie toute sa grandeur (Ps 113). Et c'est dans cette même petitesse qu'il fait souffler son Esprit.

La Bible est le fondement même de la culture occidentale. Aucune autre oeuvre n'a exercé sur elle une semblable influence. Pourtant, toutes les découvertes archéologiques tendent à montrer que cette fresque immense fut composée dans une toute petite cité, au matériel culturel relativement pauvre, dans une région aux marges des grands empires de cette époque, à un moment de crise qui vit en l'espace de quelques décennies Israël se faire rayer de la carte, Juda être ravagé par Sennacherib et son meilleur roi mourir au combat. Dans un laps de temps relativement bref, dans une région relativement isolée mais secouée de crises, se déploya une créativité littéraire et théologique extraordinaire, peut-être même sans équivalent dans l'histoire (Finkelstein 2007f 188). De même que l'on a pu parler de miracle grec, il ne serait peut-être pas interdit de parler de miracle juif. Et celui-ci, aucun archéologue ne saurait le nier.

Enfin, il faut constater que la question des relations entre Écritures, histoire et archéologie se pose de façons bien différentes selon les livres et les époques de la Bible :

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