Une des grandes controverses doctrinales du Moyen Âge porta sur la légitimité de représenter Jésus dans des images offertes à la vénération des fidèles. Née en Orient, dans un contexte de pression musulmane avec lequel les empereurs isauriens cherchaient des tempéraments, la querelle rebondit plusieurs fois, jusqu’en Occident sous Charlemagne. Le décalogue affirme sans trop d’ambiguïté : « tu ne te feras aucune image sculptée » (Ex 20,4 ; Lv 19,4 ; Lv 26,1 ; Dt 4,16.23.25 ; Dt 5,8). Entre l’interdit de représenter Dieu sous forme d’une image formulé par le Décalogue et la décoration parfois surabondante des églises du christianisme traditionnel, l’écart paraît grand. Un parcours historique succinct permet de comprendre l’omniprésence de l’image dans cette religion pourtant si profondément biblique qu’est le christianisme.
1 — Nuances bibliques
Les interdits sur l’image sont corrélatifs à la hantise de l’idolâtrie (Ex 20,4 ; Lv 26,1) et du polythéisme (Nb 33,52 ; Dt 4,16.23.25 ; 5,8 ; 7,5.25 ; 9,12 ; 12,3 ; 27,15 ; Jg 17,3-18,30). C’est toujours dans ce contexte que se comprennent les destructions d’images (1R 14,9 ; 2R 11,18 ; 2Ch 23,17 ; 28,2 ; 2Ch 33,19 ; 2Ch 34,3).
L’interdiction du Décalogue connaît cependant des exceptions :
- Le lieu saint par excellence de la foi d’Israël, à savoir le propitiatoire d’or de l’arche d’alliance : « Tu façonneras au marteau deux chérubins d’or aux deux extrémités du propitiatoire. […] Ces chérubins auront les ailes déployées vers le haut » (Ex 25,18-20). Ces êtres mystérieux protègent, en le couvrant, le lieu de la manifestation de Dieu. Ils ne constituent pas une transgression de l’interdiction de l’image, car leur rôle est de protéger le mystère de la présence divine.
D’autres sculptures semblent avoir orné le temple de Jérusalem :
- bœufs, lions, taureaux et chérubins (1R 7,25.29) ;
- serpent d’airain (que le Seigneur demande à Moïse de façonner : Nb 21,8-9) ;
- l’énigmatique kapporeth qui représentait pour Paul l’image annonciatrice du véritable « propitiatoire » vivant qu’est le Christ crucifié (Rm 3,23-25), en qui Dieu avait en quelque sorte révélé son visage.
Le rapport à l’image n’est pas définitivement réglé à l’aube du christianisme. Selon la tradition biblique, elle apparaît comme un véritable organe-obstacle.
D’une part, elle fait toujours courir le risque de se détourner de Dieu pour se tourner vers sa création. L’homme est une créature divine, mais privilégiée, celle qui fut créée « à l’image » de Dieu. Il ne peut s’avilir à adorer le reste de la création ni même l’image que lui-même pourrait produire (imparfaitement) de cette création. Ce second cas est l’idolâtrie, qui reste une hantise du christianisme (Ap 19,10 ; 22,9).
Le texte fondateur du judaïsme communapparaît dans le Deutéronome :« puisque vous n’avez vu aucune forme, le jour où le Seigneur, à l’Horeb , vous a parlé du milieu dufeu, n’allez pas vous pervertir et vous faire une image taillée figurant quoique ce soit : figure d’hommeou de femme, figure de bête de la terre, figure de quelqu’un des oiseaux qui volent dans le ciel, figurede quelqu’un des animaux qui rampent sur la terre, figure de quelqu’un des poissons qui nagent dansles eaux. Quand tu lèveras les yeux vers le ciel, que tu verras le soleil, la lune, les étoiles et toutel’armée des cieux, ne va pas te laisser entraîner à te prosterner devant eux et à les servir » (Dt 4,15-19).
Ce texte remarquable ne se contente pas de prohiber la représentation figurée, il en motive l’interdiction. Moïse considère la production d’image comme une copie. La copie suppose une identité entre le modèle et sa copie. La copie constitue un deuxième degré d’existence du modèle. Les idoles des cultes païens prouvent que le dieu s’identifie partiellement à la copie. Lorsque deux êtres sont unis par une relation d’identité, l’un est présent dans l’autre. Le dieu est nécessairement présent à sa représentation, et donc il agit également en elle. Par conséquent, lorsque l’on produit légitimement des images de ces dieux, ces images étant des copies, alors ces dieux ont des traits visibles. Une certaine conception de la divinité en découle. Les dieux représentés par les idoles ont des traits visibles. Or la phénoménologie de la religion d’Israël sur l’Horeb ne lui a fourni aucune forme selon laquelle adorer Dieu. Moïse reprend avec une insistance les formes qu’Israël n’a pas vues dans le feu (Dt 4,16-18). Le mot tabnît (figure) est répété cinq fois, et la liste reprend dans l’ordre inverse l’apparition des formes vivantes dans le récit de la Création en Gn 1. En Dt 4,15 l’absence de figure au milieu du feu à l’Horeb sert de justification à l’interdiction des représentations ; la liste des interdictions reprend celle du récit créateur mais en un ordre inverse. Gn 1 livre le point de vue divin sur les créatures, à savoir l’ordre selon lequel elles procèdent de lui à partir de la cause première ; c’est l’ordre inverse en où il est question non de descente à partir de Dieu, mais d’un ordre ascensionnel, à savoir une voie négative où les créatures les unes après les autres clament qu’elles ne sont pas Dieu, mais que Dieu les a créées (→ XI,4,6 : « Conf.clamant quod facta sint »). L’interdiction de la représentation dans le judaïsme est motivée par l’absence de forme que Dieu aurait donnée à vénérer lorsqu’il s’est manifesté à l’Horeb. Le judaïsme laisse donc ouverte la possibilité que Dieu, par une initiative laissée à la libre disposition de sa sagesse, peut décider de donner une forme adéquate en laquelle l’adorer.
Le statut de l’image religieuse en judaïsme n’est donc pas clairement assuré à l’époque de Jésus.
Quoique renvoyant visuellement à la création divine, en effet, l’idole est une créature de l’homme lui-même créature divine. Or l’interdiction d’adoration de la création divine vaut a fortiori pour celle de son image modelée par l’homme. Se tourner vers l’idole, c’est se détourner de Dieu doublement.
Mais l’image n’est pas délégitimée a priori, puisqu’il en existe que Dieu a donné lui-même à son peuple. De cette façon, l’image guide vers Dieu. Elle peut en rapprocher, à condition de ne pas renvoyer à quelque démon, de ne pas servir de support à l’adoration, ni d’être vénérée dans sa matérialité d’objet-image. Elle doit conserver un statut de pur signe, de rappel extérieur associé à la mémoire du sujet.
2 — Iconographies bibliques antiques
La Synagogue
Les juifs des premiers s. interprétaient de façon très souple l’interdiction de l’image. Plusieurs synagogues antiques du Proche-Orient présentent :
- des mosaïques figuratives représentant des scènes bibliques, p. ex. à Beit Alfa près de Beth She’an et du Parc National Hamat à Tibériade, en Israël.
- des fresques, p. ex. celles de Doura Europos en Syrie (datées des alentours de 244-245 ap. J.-C.).
L’Église
L’iconographie chrétienne primitive, dans les catacombes, s’inspira du canon d’images établi par la synagogue, en le mettant en relation avec les événements de la vie du Christ.
- L’arche de Noé et le passage de la mer Rouge renvoient au baptême.
- Le sacrifice d’Isaac et le repas des trois anges avec Abraham réfèrent au sacrifice du Christ et à l’Eucharistie.
- Les trois enfants sauvés de la fournaise et Daniel tiré de la fosse aux lions font référence à la résurrection du Christ et à notre propre résurrection.
Ces images, tout en représentant un événement passé, sont intégrées à l’univers sacramentel et liturgique. Les représentations de l’Église primitive dépassent la fonction didactique, et sont de l’ordre des « mystères ». Elles ne donnent pas un portrait du Christ, mais le représentent de manière figurée comme :
- le vrai philosophe qui enseigne à vivre et à mourir
- le didascale enseignant
- le bon pasteur : l’image du berger, chère à la chrétienté primitive, était une allégorie du Logos par qui tout a été fait et qui porte en lui les archétypes de tous ce qui existe, étant le gardien de la Création. En s’incarnant, il prend sur ses épaules la brebis perdue, c’est-à-dire l’humanité tout entière et la ramène au Père, résumant ainsi toute l’histoire du salut.
Le spécifique de l’image liturgique judéo-chrétienne
Les images des synagogues antiques n’étaient pas seulement des témoignages du passé comme si elles n’étaient qu’une illustration historique. Déroulant un récit consistant et plein d’enseignement (haggada) autour de tel ou tel épisode scripturaire, elles l’actualisaient pour celui qui le contemplait, contribuant ainsi à l’espace-temps liturgique.
Ce phénomène est intensifié par l’iconographie chrétienne primitive. En effet, pour ses fidèles, la résurrection du Christ illumine toute la ligne du temps : en lui tout est accompli, mais encore en espérance. La liturgie déploie exactement ce déjà qui est aussi un à-venir : le présent liturgique est un présent eschatologique. Dans la célébration, le Christ ressuscité se rend présent à chaque moment de l’histoire, à travers tous les âges. Prises dans un tel contexte, les images ont pour fonction d’entretenir l’espérance de la venue définitive du Christ, elles ont donc une forte charge eschatologique.
Radicalement, la foi nouvelle légitime l’image : la divinité s’est rendue visible en Jésus Christ, levant l’interdiction antique sur l’image. Par l’incarnation, Dieu est entré dans le monde matériel pour que les hommes, liés à la matière, puissent le reconnaître. L’incarnation de Dieu justifie donc que les hommes se libèrent de la peur des images, dont l’intégration au culte accompagna la maturation d’une christologie cohérente.
Après la fin des persécutions
Une fois le christianisme reconnu religion officielle, des lieux de culte sortent de terre. En offrant de grandes surfaces pour l'évocation des thèmes chrétiens, les basiliques favorisent le développement de l’art sacré.
- À côté des symboles comme l'Agneau pascal, le Bon Pasteur ou la Croix glorieuse, les mosaïques orientales montrent le Christ lui-même, la Vierge, les anges et les saints.
L’Église latine (Grégoire le Grand, Hadrien Ier) retient surtout dans un premier temps l’intérêt didactique de l’image.
Ce n’est qu’à partir du 3e ou 4e s. de notre ère que le judaïsme reprit l’interdiction à la lettre, peut-être en réaction contre l’appropriation de l’image comme médium de célébration de la divinité par le christianisme hellénisé — rigorisme juif qui serait intensifié encore sous l’influence de l’islam naissant.
3 — Naissance et influence de l’islam
L’islam s’achemine vers l’aniconisme par identitarisme doctrinal. Le rejet du polythéisme conduit au rejet des idoles et la frayeur de voir le fidèle se porter vers l’idolâtrie conduit au bannissement des images des lieux de prière.
- →Coran 21,57-65 ; 26,72 raconte la réaction emblématique d’Abraham face aux idoles ;
- De même Mahomet aurait fait détruire les quelque 360 idoles de la Ka‘aba après la prise de la Mecque en 630.
La position de l’islam sur l’image est très différente de celle qui ressort de la Bible. L’aniconisme islamique se justifie par une séparation radicale de Dieu du reste de la Création : rien ne ressemble à Dieu, pas même l’homme. Pour l’islam, l’homme n’a pas été créé « à l’image de Dieu », mais « selon l’image que Dieu a voulue ». Une figuration de Dieu est inconcevable et, moins encore, une figuration anthropomorphe.
Cependant, comme dans la pratique juive, l’interdit religieux s’assouplit dans le monde profane. Si l’image demeure proscrite dans le sanctuaire, elle est admise dans le palais.
4 — Iconodulie et iconoclasme en Orient
Dans l’empire byzantin, l’image-icône (eikôn — concept que l’imago latine ne recouvre que partiellement) devient progressivement objet de vénération. L’icône y est perçue comme une participation ontologique et médiation liturgique de son sujet.
L’image comme participation ontologique et médiation liturgique de son sujet
Dans la conception grecque de l’icône, l’image offre plus que la re-présentation, doublure noétique, ou mémoire de son sujet (le prototype) : l’image-objet (l’icône) participe à l’être du prototype dont elle émane (et à la médiation sacrée qu’il assure). Du coup, elle peut devenir objet de vénération : l’image matérielle permet au fidèle de transiter par l’écran pictural vers le prototype. Pour avoir cette qualité quasi sacramentale, l’image doit être produite en contexte liturgique, naître de la prière et y conduire. L’icône est censée conduire à une vision théologale, à une image intérieure, perçue par les sens spirituels, contemplant dans le sensible ce qui va au-delà du sensible. Elle présuppose un « jeûne du regard » et les peintres iconographes (ou plutôt les « écrivains » d’icônes, comme ils se nomment) se préparent par un long chemin d’ascèse et de prière (
Icône 161).Cependant, un objet-icône particulier — surtout s’il est occasion de miracles — peut finir par attirer une dévotion qui semble s’attacher à l’image singulière plus qu’à son prototype. Trois facteurs peuvent expliquer ce comportement : (1) le souvenir encore vivace du culte de l’empereur dans un empire devenu chrétien ; (2) la diffusion du sacré dans le monde profane, hors des limites du sanctuaire et de la célébration du sacrement ; (3) l’essor du culte des saints, celui des reliques et donc la vénération des images qui figurent l’objet même de la dévotion. La sainteté de la relique se communique à l’image qui s’y trouve associée.
Le rapprochement des reliques et des images
L’essor de la dévotion pour les icônes et les châsses reliquaires suscitèrent des tensions dans le monde grec entre iconodoules (partisans de la vénération des images) et iconoclastes (partisans de leur destruction). C’est dans un premier temps contre le culte des reliques — accusées de détourner l’adoration de l’unique objet légitime — que les « iconoclastes » se dressent. Les « iconodules » défendent les reliques par l’intermédiaire des images.
Tournant décisif : l’apparition d’images acheiropoiètes
Un tournant décisif fut l’apparition de représentations, de la face du Christ réputées acheiropoietes (« non faites de main d’homme »). Deux images apparaissent presque en même temps en Orient au 6e s.
- un camulianum (qui serait l’empreinte de la face du Christ sur un vêtement de femme, le fameux voile de Véronique).
- le mandylion, comme il fut nommé plus tard, ou Image d’Édesse, réputé être un portrait miraculeux du Christ remis au roi Abgar, parfois identifié au linceul de Turin aujourd’hui.
Ces images énigmatiques, qu’aucun artisan n’aurait été capable de produire, et qui porteraient l’empreinte de la vraie face du Christ, crucifié et ressuscité, fascinèrent, surtout le mandylion. Il devenait possible de contempler le visage du Seigneur ! C’est pourquoi les icônes du Christ s’inspirèrent de l’acheiropoietos, prenant presque le statut formel d’un sacrement.
- Certaines représentations furent réputées dictées par la grâce divine elle-même (le portrait de la Vierge par Luc).
Ces images miraculeuses offrent un canon divin légitimant pleinement les images qui en sont dérivées.
La réaction iconoclaste (8e-9e s.)
Cette évolution comportait le danger d’une sacralisation indue de l’image. Cela conduisit à de violentes oppositions et à l’iconoclasme, refus radical de l’image, avec persécutions et destructions d’images.
Dimension politique
Sur le plan politique, la « crise iconoclaste » est une offensive lancée par le pouvoir impérial contre le pouvoir monacal qui s’est rendu maître du culte des reliques. Léon l'Isaurien (Léon III) déclenche, en 725, la grande « querelle des images » dont le pic le plus violent se situe sous Constantin Copronyme, après le concile de Hiéreia en 754 condamnant officiellement l’image, tant sa production que sa vénération. En supprimant les images, ils voulaient aussi garantir l’unité de l’empire et la paix avec leurs voisins musulmans.
Expression doctrinale
L’offensive impériale s’accompagne d’un argumentaire doctrinal. L’empereur est assuré de se concilier les milieux ecclésiastiques s’il parvient à faire de l’iconoclasme une hérésie christologique. Le risque était grand, car il réveillait ainsi les vieux démons de Byzance à peine matés au siècle précédents par la grande offensive de Maxime le Confesseur contre le monothélisme. Constantin écrit que le Christ est une seule personne à partir (ek) de 2 natures. Sa tendance est très forte à marquer l’unité de l’hypostase du Christ. Après l’union de la personne divine avec la nature humaine dans une hypostase unique, la réalité qui en résulte est inséparable : Copronyme semble affirmer qu’il est impossible de distinguer ses deux natures, l’humanité du Christ (« sa chair ») étant devenue consubstantielle au Verbe. L’hypostase du Verbe incarné semble être la face, le visage unique, l’aspect visible de la réalité unique que sont les deux natures du Christ. La personne du Christ, que Constantin prend au sens très concret de visage plutôt que la notion métaphysique de personne, est inséparable de ses deux natures. Or l’une des deux, la nature divine, est incirconscriptible (aperigraptos), ne peut donc être dessinée. Il est donc impossible de circonscrire, de peindre le visage (prosôpon) du Christ. Puisque c’est l’unique visage qui est dessiné sur l’icône, celui qui circonscrit a manifestement circonscrit la nature divine. Puisque le visage est inséparable des deux natures, les iconodules ne peuvent se réfugier derrière l’argument qu’ils ne représentent que l’humanité du Christ. En effet :
- s’ils cherchent à conserver l’unité du Christ, ils circonscrivent la divinité et sont donc hérétiques
- soit ils prétendent dire que son humanité a un visage propre : ils divisent ainsi le Christ, et sont donc nestoriens.
L’essentiel de l’argumentation iconoclaste apparaissait déjà chez Eusèbe de Césarée au 4ème siècle :
« L’image du Christ dont tu parles – laquelle et comment serait-elle, celle que tu appelles l’image du Christ ? quelle image du Christ cherches-tu ? serait-ce la véritable et immuable, celle qui possède par nature ses caractères propres, ou serait-elle celle que le Christ a assumée pour nous, lorsqu’il a revêtu la figure de la forme d’esclave ? puisqu’il possède deux formes, mais que je ne puis penser que tu demandes une image de la forme divine ; en effet, le Christ lui-même t’a appris que personne ne connaît le Père, sinon le Fils, et que personne n’a été digne de connaître le Fils sinon le Père qui l’a engendré. Il faut donc penser que tu demandes l’image de la forme d’esclave et de la chair qu’il a revêtue pour nous. Or de celle-ci nous avons appris qu’elle a été mélangée à la gloire de la divinité, et que ce qui est mortel a été englouti par la vie ». , Lettre à Constantia PG 20 col. 1545AB ref à rentrer
Selon Eusèbe, la divinité est invisible (ce que personne ne remet en cause), mais l’humanité de Jésus a été submergée par la vie divine. Depuis la résurrection, sa chair est entièrement mélangée à la gloire de la divinité. Les termes sont forts et choisis à dessein : mélanger, engloutir ; transformer ; changer ; transfigurer ; immortaliser. L’iconoclasme se révèle à l’examen une forme de monophysisme : la nature humaine de Jésus est absorbée dans la divinité de façon à se confondre avec elle. Selon l’empereur, ce qui est figuré sur l’icône, c’est l’unique visage (prosôpon) ; or quiconque le circonscrit en fait autant avec la nature divine. Cette conclusion repose sur une fausse compréhension de l’hypostase du Christ. Si Constantin avait vu juste, le simple fait de regarder le visage du Christ aurait été une circonscription de la nature divine ! il est exacte que l’icône figure la personne. Le visage de Jésus est l’hypostase du Verbe. Mais justement, ce que montre le visage, c’est l’hypostase et non pas la nature. Il est impossible de représenter la nature, et cela qu’elle soit divine ou humaine. On représente toujours une personne. Or la personne du Verbe a, par l’incarnation, une nature humaine, sans confusion ni opération avec sa nature divine. C’est donc dans son nature humaine que la personne du Verbe peut être représentée, la nature divine demeurant tout à fait irreprésentable.
L’apport de Jean Damascène
Contre les iconoclastes qui prétendaient maintenir l'interdit vétérotestamentaire des images dans le culte, Jean Damascène (674-749) défend la légitimité de représenter le Christ au nom de l’incarnation.
- Jean Damascène Contra imaginum calumniatores orationes tres 1,16 « Autrefois Dieu qui n’a ni corps, ni figure, ne pouvait absolument pas être représenté par une image. Mais maintenant qu’il s’est fait voir dans la chair et qu’Il a vécu parmi les hommes, je peux faire une image de ce que j’ai vu de Dieu » (CEC 1159, Kotter Bonifatius ed., German transl., « Patristische Texte Und Studien », 1963, 89).
C’est bien sûr le dogme de l’incarnation qui autorise radicalement l’image, laquelle vient en retour le confirmer :
- Le Concile Quinsexte (ou Concile in Trullo, 691-692) favorise même la figuration anthropomorphe plutôt que zoomorphe du Christ, l’image pouvant ainsi servir d’argument contre les monophysites qui minorent l’humanité du Dieu incarné. L’image est dans ce sens un gage de vérité.
Le culte à rendre est à son tour un culte incarné, et c’est aussi à cause des nécessités de l’humaine nature qu’il est bon de garder proche de soi une image de Jésus. Et s’il est légitime de représenter le Christ, Fils de Dieu, ce l’est a fortiori la Vierge Marie et les saints qui sont des créatures.
- → 89,44-65 « Souvent, assurément, on n’a pas présente à l’esprit la passion du Seigneur, mais d’avoir vu l’image du Christ crucifié nous remet en mémoire la passion qui nous sauve et tombant à genoux, nous nous prosternons non devant la matière, mais devant ce qui est représenté, de même que notre prosternation ne s’adresse pas à la matière de l’Évangile, non plus qu’à la matière de la croix, mais à la reproduction figurative. En quoi diffèrent, en effet, la croix qui ne porte pas la reproduction de l’image du Seigneur et celle qui la porte ? Il en va de même pour la mère de Dieu : l’honneur qu’on lui rend remonte jusqu’à celui qui a pris d’elle chair. De même aussi pour les hauts faits des saints qui nous sont un entraînement au courage, au zèle, à l’imitation de leur vertu, à la glorification de Dieu. Comme nous le disions, l’honneur rendu à ces généreux compagnons de service fournit la preuve de notre droiture de sentiments envers notre commun maître et l’honneur rendu à l’image passe à l’original » (SC 540, 241). Cf. Basile Spir. Sancto 18, 45). Fid. orth.
Jean Damascène fut parmi les premiers à distinguer, dans le culte public et privé des chrétiens : l’adoration (latreia) qui ne peut être adressée qu'à Dieu, transcendant ; et la vénération (proskynesis), qui consiste à user d’images pour s'adresser à ceux que l'image même représente, et qui ne sauraient être identifiés avec la matière qui compose l'icône.
Jean Damascène répondait également au monde islamique, qui amplifia la tradition juive d’exclure du culte toute image.
La théologie de l’image trouve son fondement dans l’incarnation
La légitimation ou la délégitimation de l’image religieuse est relative à la conception de la révélation divine.
De l’apophatisme radical à l’iconoclasme
Une théologie apophatique qui ne connaît Dieu qu’en tant que « tout autre » et réduit la révélation à l’insuffisant reflet humain du Dieu éternellement imperceptible, aboutit à un Dieu in-imaginable et donc à l’iconoclasme. Mais poussée au bout de sa logique, une telle pensée ne laisse place à aucun contact avec Dieu dans l’histoire perceptible à l’homme : elle ne peut admettre ni « Parole » ni a fortiori « incarnation » de Dieu.
Fondement christologique et trinitaire de la théologie de l’image
Contre ce « non » apophatique, la pensée chrétienne de l’image développe un « oui » analogique, partant de l’incarnation comme manifestation du Dieu transcendant au cœur de l’immanence. Elle continue avec la réflexion trinitaire sur la relation entre le Père et le Fils. Le Fils est « l’image du Dieu invisible » (Col 1,15) : l’invisible s’est rendu visible en une image parfaite.
- ; (451) : au terme de leurs définitions, le Christ est pensé comme une personne ou « hypostase » unique, en deux natures. Un peu comme un portrait ne figure pas seulement l’âme ni le corps du sujet, mais le sujet même, ce que représente l’icône est la personne et non une nature ou une autre. (325)
- ; si elle atteignait la perfection, il n’y a plus de relation entre une image et son modèle, mais deux sujets, ou deux fois le même sujet. Or la confession du mystère de l’incarnation permet de dépasser la dialectique platonicienne de l’égalité et de l’inégalité. Elle constate la possibilité d’une image parfaite (une seule) : le Fils image du Père : (1) le Fils respecte le principe d’expression puisqu’il provient bien du Père par dépendance causale. Il est donc son image ; (2) le Fils est en tout point semblable au Père. Le Fils est l’égal du Père, la seule image qui puisse être l’image de son modèle sans lui être inférieure ; (3) l’image parfaite existe donc : le Fils, image (absolue) du Père, est une image exprimée du Père. Par analogie, l’homme est aussi une image exprimée de son créateur, mais imparfaite puisque l’homme ne l’est pas, puisqu’il n’est pas égal au divin. (354-430) développe cette idée. Il part de la théorie platonicienne selon laquelle l’image parfaite n’existe pas : l’image est toujours inférieure au sujet, à l’original qu’elle exprime
Les conciles de Nicée ou victoire de l’orthodoxie sur l’iconoclasme
Le second concile (787) adopta la distinction proposée par Jean de Damas entre adoration et vénération :
- →Définition des images et des traditions sacrées : Action VII : « Nous définissons — déclarèrent les Pères de ces assises conciliaires — avec la plus grande rigueur et le plus grand soin que, à l'image de la représentation de la Croix précieuse et vivifiante, les images saintes et vénérées, qu'elles soient peintes, représentées sur mosaïque, ou sur tout autre matériau adéquat, doivent être exposées dans les saintes églises de Dieu, sur les objets sacrés, sur les ornements sacerdotaux, sur les murs et sur les tables, dans les maisons et dans les rues, qu'il s'agisse de l'image de Notre Seigneur Dieu et de Notre Sauveur Jésus-Christ, de celle de Notre Dame immaculée la Sainte Mère de Dieu ; des saints anges, ou encore de tous les saints et justes. » […] En effet, plus ces images sont contemplées fréquemment, plus ceux qui les contemplent sont portés au souvenir et au désir des modèles d'origine et à leur rendre, en les embrassant, respect et vénération. » (DS 600-601)
Nicée II valide donc les pratiques de prosternation d’honneur (timètikè proskunesi) mais proscrit l’adoration (latreia) devant l’image. Les actes autorisent donc l’honneur rendu à l’hypostase de celui qui est présent sur l’icône. Tous les synodes postérieurs virent dans l’icône une profession de foi dans l’incarnation et dans l’iconoclasme la négation de l’incarnation — somme de toutes les hérésies.
5 — Une très brève histoire des variations chrétiennes occidentales du rapport avec l’image
Fonction pédagogique
Dans un premier temps éloigné des querelles orientales, l’Occident a mis l’accent sur le rôle didactique et pédagogique de l’image. Loin de toute notion de participation, l’imago latine conduit au prototype par la seule médiation de l’intelligibilité des signes qui la composent et l’émotion que ceux-ci éventuellement provoquent. L’image reste détachée de la vénération (selon le modèle théorique d’Augustin et la fonction didactique reconnue par Grégoire le Grand). L’Occident chrétien a adapté la culture antique de l’image : elle aide à la mémoire et offre une occasion de connaissance et de piété par l’expérience émotive faite de la figuration de l’être saint. Mémoire, enseignement et émotion sont ainsi trois moyens qu’offre l’image pour approcher le divin.
L’iconophobie carolingienne
Le malentendu sur Nicée II
Suite au concile de Nicée II, la crise iconoclaste atteint l’Occident à la fois par un malentendu des autorités carolingiennes, et par leur volonté politique de peser dans le débat comme défenseur de l’orthodoxie chrétienne. Les actes du concile sont portés à leur connaissance d’après une version latine qui use du même terme latin (adoratio) pour traduire les deux termes grecs de vénération (proskunèsis) et d’adoration (latreia). Sans cette nuance, les actes sont lus comme une défense de l’idolâtrie à laquelle
- Opus Karoli Regis contra synodum (ou Libri carolini, rédaction achevée en 792 par Théodulf, évêque d’Orléans et abbé de Fleury) conteste Nicée II qu’il considère comme hérétique, ainsi que l’autorité du pape qui l’a approuvé. Les penseurs carolingiens mettent en opposition les conciles de Nicée I et de Chalcédoine avec celui de Nicée II. Ce dernier en se trompant sur l’image, aurait ébranlé ce qu’Augustin avait réussi à stabiliser concernant l’image et la christologie. Un troisième positionnement par rapport à l’image est ainsi conçu, ni iconodoule, ni iconoclaste, mais iconophobe, témoin d’une prudence nouvelle face à l’image.
- Les (794) et de (824), se fondant sur une traduction latine médiocre, se trouvent en désaccord avec le second concile de Nicée.
Dans leur peur de remettre en cause les fondements du dogme de l’incarnation en revoyant le statut de l’image, les Carolingiens établissent certains fondements d’une pensée de l’image qui se perpétue en Occident bien après la crise iconoclaste : l’image est artificielle, fabriquée de la main de l’homme, elle n’est lestée d’aucune consubstantialité même parcellaire avec le prototype. Son rôle se limite à l’ornement, l’instruction, le souvenir et l’émotion, autant de possibilités pour le fidèle de s’approcher de Dieu ; mais l’image reste inféodée à l’écrit. L’inquiétude carolingienne confirme également que l’image pour le christianisme, son apparition, sa conception et sa pratique sont déterminées par le mystère de l’Incarnation, par la Parole faite chair.
Une œuvre représentative de ce climat de pensée.
La mosaïque présente l’arche d’alliance vénérée par quatre chérubins : deux sont solidaires de l’arche (ce sont les images d’anges commandées par Dieu à Moïse) alors que deux autres anges désignent de l’index l’arche et plus précisément leurs propres homologues figurés sur l’arche (ceux que Salomon fait placer dans le Saint des saints du Temple). Le décor de la conque reprend précisément la description d’Ex 25,17-20 en y ajoutant la description du Temple (1R 6,19-28). Entre les chefs des deux anges, la dextre divine plonge vers l’arche et rappelle non seulement le commandement divin de sa fabrication, le commandement conservé à l’intérieur du coffre et la présence de Dieu dans cette arche. Le décor était complété par des éléments peints : deux chérubins sur l’arc diaphragme qui précède la conque et une décoration végétale. À cela s’ajoute une inscription toujours visible aujourd’hui : ORACVLVM SCM CEVBIN HIS ASPICE SPECTANS ET TESTAMENTI EN MICAT ARCA DEU HAEC CERMENS PRECIBVC QVE STVDENS PVLSARE TONANTEM THEODVLFVM VOTIS IVNGITO QVESO TVIS : « Regarde le saint oracle et les chérubins, contemple la splendeur de l’arche de Dieu et, à cette vue, songe à toucher par tes prières le Maître du tonnerre, et associe, je t’en prie, le nom de Théodulf à tes prières ». Qui regarde attentivement ce décors remarque que les deux anges désignant l’arche lèvent vers lui la paume de leur autre main, pour retenir son regard et l’orienter vers ce qu’il faut voir, ce qu’il faut regarder, ou plutôt, ce vers quoi l’image des anges conduit : l’adoration du seul sujet véritablement digne de l’adoration, Dieu dont la présence dans l’image est simplement désignée et non figurée. L’image s’efface ainsi devant la présence divine, elle peut conduire le regard, mais ne doit pas en être le seul destinataire. Cette image commandée par l’un des principaux acteurs de la crise iconoclaste importée en Occident (Théodulf) est une brillante synthèse des inquiétudes et des hésitations par rapport à l’image au début du 9e s.
De l’art chrétien primitif à la fin de l’art roman
Malgré leur divergence de vocabulaire, la thématique et l’orientation fondamentale dans l’ensemble de la chrétienté, occidentale et orientale, ne varient guère pendant cette période, même si l’art roman développe l’art plastique qui demeure inconnu en Orient plus rigoureusement fidèle à l’interdit biblique des images sculptées.
C’est vers le Christ ressuscité, vers la Croix glorieuse que les chrétiens portent toujours leur regard en se tournant vers l’Orient. Création, christologie et eschatologie forment ensemble une thématique homogène. Cet art est toujours fondé sur le mystère de la foi que rend présent la liturgie, qui, elle, est toujours orientée vers la liturgie céleste. Les anges romans, comme les anges byzantins, montrent que nous prenons part avec eux à l’adoration de l’Agneau. Ils sont le signe que nous participons à une immense liturgie qui embrasse tout le cosmos visible et invisible.
L’art gothique
Avec l’apparition du gothique, qui accorde une plus grande place à la nature tout en la conservant dans un cadre eschatologique le sujet central se modifie.
- Le Pantocrator n’est plus représenté;
- le Christ crucifié et souffrant devient l’élément central : l’image mystérique semble faire place à l’image dévotionnelle. Elle témoigne d’une nouvelle orientation de la conscience religieuse vers l’humain, vers l’historique.
L’iconographie narrative du gothique ne se borne cependant pas à montrer les apparences, elle contemple en elles l’irradiation du Créateur dans ses créatures.
- Le vitrail gothique confère à l’espace une sacralité en projetant dans la lumière, depuis les parois de la cathédrale toute l’histoire de Dieu et des hommes, de la création au dernier avènement du Christ.
L’art de la Renaissance
À la Renaissance, le mouvement « naturaliste » s’accentue. Une esthétique naturaliste réapparaît, à l’imitation de l’art antique redécouvert. Même si la thématique chrétienne demeure un des réservoirs principaux pour l’inspiration, la dimension sacramentale de l’image est moins consciemment cultivée. Certains chefs-d’œuvre suggèrent une béatitude atteinte ici-bas déjà, par le biais de la seule beauté naturelle, sans ouverture eschatologique.
Cela peut expliquer l’iconoclasme de la Réforme protestante, même si ses racines plongent plus loin dans le temps.
Iconoclasme de la Réforme?
Une nouvelle période d’iconoclasme dans l’histoire des cultures chrétiennes débute avec la Réforme. L’iconoclasme radical et l’aniconisme sont cependant minoritaires parmi les penseurs de la Réforme, et ne sont concrètement mis en œuvre qu’au plus dur du conflit armé dans un contexte de guerre civile. La querelle des images provoquée par la Réforme reprend quelques traits de l’antique querelle iconoclaste (la dévotion pour l’image) mais sur un terrain radicalement différent : la mise en doute du monothéisme des catholiques est formulée comme une charge contre la papauté.
- ; Albrecht (1471-1528) ; (1606-1669). Cependant, la dévotion rendue à l’image est vaine si elle pollue la recherche de Dieu : l’image est inefficace, coûteuse, relativise l’Écriture et donne l’illusion à l’homme pouvoir agir sur son salut. Les réserves de Luther contre l’image sont liées à son contexte. Il attaque l’institutionnalisation d’une certaine pratique de l’image, qui lui semble un degré de l’idolâtrie sur l’échelle qui va du vrai culte rendu au(x) faux dieu(x), totalement condamnable, au faux culte rendu au vrai Dieu. Ce dernier peut être accompli par méconnaissance mais aussi être organisé à grande échelle par choix : c’est le danger que fait courir le « papisme » à la foi chrétienne. Selon Luther, le culte des saints organisé par le biais de leur représentation (reliques et image) est une forme d’idolâtrie qui conduit au polythéisme : le « panthéon » des saints catholiques lui semble comparable au baalisme biblique, une véritable enfreinte aux deux premiers commandements (Ex 20,2-5). (1483-1546) reconnaît la fonction pédagogique de l’image si sa subordination aux Écritures est claire. Le chrétien demeure donc libre de produire des images, comme le prouvent les peintres protestants actifs aux 15e-17e s. : (1472-1553), proche de Luther
- (1509-1564) trouve l’attitude de l’islam plus sage que le comportement de l’Église catholique qu’il juge superstitieux ! Calvin ne condamne pas la figuration, ni même l’image religieuse, mais son usage, et particulièrement l’usage qui conduit à la production d’images pour servir Dieu (l’image sacrée).
Le fondement de la pensée protestante conduit donc à une laïcisation de l’art (sa désacralisation nécessaire) et relève plus certainement d’une idolophobie que d’un iconoclasme véritable.
6 — Théologies et pratiques de l’image dans l’Église catholique
Le concile de Trente, conscient des déviations, réaffirme la compréhension ancienne de l’image comme instrument pédagogique et ordonne des mesures concrètes :
- → Session 25 (1563) Invocation, Vénération et reliques des saints et des saintes images « On doit avoir et garder notamment dans les églises les images du Christ, de la Vierge, Mère de Dieu, et celles des saints, en leur rendant l’honneur et la vénération qui leur sont dus. Non qu’on croie qu’il y a en elles du divin ou quelque vertu qui justifieraient leur culte, ou qu’on doive leur demander quelque chose, ou qu’on doive mettre fermement sa confiance dans les images, comme il arrivait autrefois aux païens qui mettaient leur espérance dans les idoles (Ps 135,18), mais parce que l’honneur qu’on leur rend remonte aux modèles originaux qu’elles représentent. Ainsi, à travers les images que nous baisons, devant lesquelles nous nous découvrons et nous nous prosternons, c’est le Christ que nous adorons, et les saints, dont elles portent la ressemblance, que nous vénérons » (DzH 1823).
L’Église d’Occident s’ouvre graduellement à l’enseignement du 2e concile de Nicée, en adaptant les fondements de la théologie de l’image au cheminement spécifique qu’elle a suivi depuis le 13e s. Le concile Vatican II réitère les décisions du second Concile de Nicée :
- → 8,4,67 « Le saint Concile […] enseigne exhorte tous les fils de l’Église […] à observer religieusement ce qui, dans le passé a été décidé quant au culte des images du Christ, de la bienheureuse Vierge et des saints » (cf. Concile de Nicée DzH 600-601 cf. Jean-Paul II Redemptoris Mater, n° 33)
- Concile Vatican II SC 111. « Selon la tradition, les saints sont l’objet d’un culte dans l’Église, et l’on y vénère leurs reliques authentiques et leurs images. » Cf. → 1188
« La pratique qui consiste à proposer dans les églises des saintes images à la vénération des fidèles sera maintenue (fermement, dit le latin) ; toutefois, ces images seront exposées en nombre modéré et dans un ordre convenable, pour ne pas susciter l’étonnement du peuple chrétien et ne pas donner lieu à une dévotion plus ou moins sûre. »
Le rituel de bénédiction d’une image (statue ou icône) destinée à la vénération publique indique la dévotion sûre à promouvoir. La bénédiction n’a pas lieu lors d’une messe, mais au cours des vêpres, car la bénédiction n’est pas un sacrement. La présence de l’évêque n’est pas nécessaire, alors que seul l’évêque peut consacrer un autel. Le rituel présente trois formulaires, selon qu’il s’agit d’une image du Christ, de la Vierge ou d’un saint.
- →Rit. bened. n° 999 « Qu’en vénérant cette image du Christ, tes fidèles aient en eux les sentiments mêmes du Christ Jésus. »
Alors que le Christ est l’Image du Père et ne fait qu’un avec lui, la Vierge est l’image et le modèle de l'Église, notre mère et notre avocate :
- →Rit. bened. n° 1013 « Dieu notre Père, dans la Vierge Marie, tu as donné à ton Église en marche sur la terre l’image de sa gloire à venir. Accorde à tes fidèles, rassemblés autour de cette image, de lever les yeux vers elle avec confiance, puisqu’elle est un modèle éclatant de sainteté pour tout le peuple des rachetés. »
S’il s’agit des saints, la bénédiction insiste sur leur intercession dans la communion des saints :
- →Rit. bened. n° 1028 « Dieu, source de toute grâce et de toute sainteté […] nous avons placé ici cette image de saint N. et nous te prions : puisqu’il est un ami du Christ et qu’il partage sa gloire […] qu’il soit notre intercesseur auprès de toi. »
7 — Théologie de l’orthodoxie
La solution définitive est venue au 9e s. avec les analyses de Théodore Studite (759-826). L’icône de quelqu’un ne représente pas sa nature, mais son hypostase. Il est impossible de dessiner l’image d’une nature qui ne serait pas vue dans une hypostase. Pierre n’est pas représenté en tant qu’être raisonnable, intelligent, caractéristiques que l’on trouve aussi chez Georges ou Mélanie. L’image peinte est toujours l’image de quelqu’un. En ce qui concerne le Fils de Dieu, les iconoclastes affirment que le Christ a assumé une chair non particularisée, ne signifiant pas un tel, mais l’homme en général. Le Christ aurait assumé la nature humaine commune, celle de l’Homme avec un grand H, mais n’aurait pas eu une humanité individuelle : c’est en ce sens là aussi qu’il serait « incirconscriptible ».
Théodore répond que toute caractéristique commun à plusieurs doit néanmoins subsister dans un individu. Particulariser la nature, c’est donc signifier l’hypostase. Il n’y a donc pas d’humanité en Jésus si son humanité n’est pas particularisée par l’hypostase. Or cette individualité, ce sont les traits caractéristiques de Jésus, qui permettaient de le reconnaître entre mille autres. Le Christ est donc bien un homme, c’est-à-dire un individu de l’espèce humaine, même s’il est Dieu. Un de la Trinité, il est distinct du Père et de l’Esprit par la propriété d’être Fils. Et ici-bas, il est particularisé des autres hommes par les propriétés hypostatiques. Ce sont eux qui permettent de reconnaître Jésus de Nazareth.
Mais de quelle hypostase s’agit-il ? Les chrétiens orthodoxes confessent que l’hypostase du Verbe est devenue l’hypostase commune des deux natures divine et humaine et qu’elle hypostasie en elle la nature humaine avec les propriétés qui la distinguent des autres individus de la même espèce. On appelle à bon droit la seule et même hypostase du Verbe, incirconscrite selon la nature divine, circonscrite selon la nature humaine : celle-ci ne subsistant pas dans une personne qui subsisterait pour elle-même, en dehors de l’hypostase du Verbe. Mais elle a sa subsistance en cette hypostase - en effet, il n’y a pas de nature sans hypostase - et c’est dans l’hypostase du Verbe qu’elle est contemplée et circonscrite comme un individu.
Le paradoxe de l’incarnation fait que l’hypostase divine est devenue circonscrite dans les traits personnels et individuels du visage humain de Jésus. L’hypostase du Christ est circonscrite, non pas selon la divinité que nul n’a jamais vue, mais selon l’humanité qui est contemplée en elle à la manière d’un individu. Ainsi l’icône circonscrit celui qu’elle figure, mais c’est parce que le Verbe s’est lui-même circonscrit dans la nature humaine (autant que c’était possible) ; il s’est restreint jusqu’à être cet individu dans toute sa contingence. D’ailleurs, il était passible puisqu’il est mort sur la croix. (Christophe , L’icône du Christ – Paris : Cerf, 1986 ; Paul .)