La glose est peut-être le →commentaire le plus typiquement chrétien des Écritures. Son actualité est bien illustrée par le programme de recherches glossae.net→. Associer au texte de la Bible chrétienne des passages significatifs de sa tradition exégétique est une pratique apparue dans l’Occident latin dès la fin de l’ère patristique. Elle a des ressemblances extérieures avec la disposition typographique du Talmud que nous connaissons aujourd’hui, qui est plus tardive, et avec celle des gloses grammaticales de l’Antiquité classique.
Une origine monastique et mystique
A partir du 7e s., des moines irlandais commencèrent à inscrire de brèves explications en exergue des psaumes du Psautier qu’ils priaient intégralement au quotidien. Extraits de commentaires par Ph 2,5).
, ou , elles exploraient l’énonciation psalmique pour l’étendre à l’ensemble du corps mystique, depuis la prière de Jésus-Christ lui-même jusqu’à celle des membres souffrant ou exultant du corps mystique actuel : les sentiments jadis exprimés par un poète d’Israël devenaient, par la grâce de l’incarnation du Verbe, potentiellement ceux de quiconque, dans l’histoire, lui appartient (Une continuation pédagogique
A partir de la réforme du clergé du 11e s. puis de l’installation des écoles au siècle suivant, cette manière de faire fut étendue à toute la bible et pas seulement au Psautier, et l’on puisa dans l’ensemble de la littérature chrétienne autorisée. L'art de la glose ne visait plus seulement l’appropriation mystique de l’Écriture, mais plus généralement son intelligence, l’Écriture devenant le point de reconcentration, de tri et de synthèse de toute la tradition de sagesse herméneutique occidentale. Il forma un corpus en plusieurs volumes, transmis aux Ecoles, qui en faisaient une base de leur étude, commentaient les commentaires, et développaient le genre littéraire.
La succession des œuvres
La glose ordinaire, ou « petite glose »
- Apparue à Laon, en France, vers 1090/1100, standardisée au milieu du 12e s., cette Glose servit de texte de base à l’étude de l’Écriture et de la théologie jusqu’à la fin du Moyen Âge, époque où elle reçut le nom de Glose « ordinaire ». Elle est très vite enrobée d'ajouts plus ou moins systématiques.
- On ne peut éditer ces gloses médiévales selon les critères de la philologie moderne, car ni le découpage du texte biblique ni les gloses ne sont fixées d'un manuscrit à l'autre. Le projet glossae.net a fait le choix de la disposer autour d'un des plus anciens témoins imprimés de la version parisienne du texte de la Bible qui domina depuis le 13e s. jusqu’à la version Sixto-Clémentine imposée par le concile de Trente (édition d’Adolf , Strasbourg, 1489, 4 vol., 1500 pages in folio).
La glose moyenne
- avec sa Glose dite « moyenne » sur les Psaumes et saint Paul (vers 1130) qui intégrait les principaux éléments des gloses marginales et interlinéaires de Laon dans le fil d’un commentaire continu, eut un succès mitigé.
La Magna glossatura ou « grande glose »
- Après lui, (1150/1160) compila à son tour et selon les mêmes principes la « Grande Glose » sur les Psaumes et saint Paul, piliers de l’enseignement élémentaire de la théologie au 12e s. En comparaison, la Glose de Laon fut appelée « petite Glose ».
Les Postillae
- À la suite de l’école biblico-pastorale parisienne issue du 12e s., vers 1230/1235, sous la conduite d’ , les dominicains parisiens éditèrent une série de commentaires littéraux ou moraux, dits "postilles", le long du texte de la Vulgate latine réédité par l’Université. Ces postilles avaient un volume tel qu'elles chassèrent le texte biblique. Victime de leur ampleur, elles furent peu copiées.
- Vers 1260, tente un résumé, peu suivi.
Les chaînes ou Catenae
Pierre Lombard avait recomposé une glose sur le Psautier et les épîtres de saint Paul, les deux principaux livres bibliques commentés dans les écoles du 12e s. Le recentrement de l'enseignement théologique sur les évangiles conduit Thomas d'Aquin a composer à son tour une glose des évangiles qui se caractérise par une mise en sentence des passages patristiques retenus. Précurseur de la seconde école exégétique dominicaine, il présenta à l’Occident latin de nombreux textes patristiques grecs, et les actes des cinq premiers conciles œcuméniques, alors oubliés.
- Catena aurea [Chaîne d’or — nom moderne] compose un commentaire continu des quatre évangiles sous forme d'une mosaïque de fragments de commentaires patristiques des passages correspondants, et collés à la suite de chacun des passages des évangiles reproduits en gros caractères. La Catena a été rédigée en Italie, d'abord à Orvieto puis à Rome, entre 1263 et 1266 environ, et dédié d'abord au pape Urbain IV, puis à l'ancien élève et ami de Thomas d'Aquin, le désormais cardinal Annibald de Annibaldis. La Catena s'inscrit dans la continuité du mouvement scolaire du 12e s., tout en intégrant les évolutions intellectuelles du 13e s. : retour aux originaux des auteurs anciens grecs et latins, remise des évangiles au premier plan de la réception chrétienne des Ecritures et promotion du modèle évangélique par les nouveaux ordres (ordres mendiants).
Les postilles de Nicolas de Lyre
au 14e s., se distinguent par le recourt novateur et massif à la tradition hébraïque et spécialement talmudique. Ses manuscrits ne reproduisent pas le texte biblique intégral.
fut assez peu lu avant l’imprimerie. Les marges des énormes in folios consultables en France et en Italie sont vides, contrairement à celles des manuscrits bibliques glosés du 13e s. commentés dans les écoles. Pierre Lombard, jugé plus sûr, lui fut préféré jusqu’au 16e s.Les principes herméneutiques : le sententiarisation
Le 12e s. scolaire fut dominé par le phénomène de la sententiarisation des écrits ayant autorité dans la tradition chrétienne (Pères).
- Sélection
- abréviation
- structuration
Cette "mise en sentence" consiste principalement à :
- rassembler un corpus d'œuvres et d'auteurs, certains inédits et encore jamais traduits en latin ;
- en extraire les passages significatifs ;
- réorganiser quasi systématique de l'ordre des phrases de chaque sentence
- supprimer les passages superflus à l'intérieur des passage les plus longs.
- synthétiser d'autres passages
- ajouter, dans les sentences patristiques, des phrases de liaison rappelant le passage biblique commenté (lemmes de rappel)
La glose de la Bible (principalement la Glose de Laon) les organise selon l'ordre du texte des Éritures. Les recueils de sentences (principalement celui de
) les classent selon un ordre théologique ou thématique.Conclusion : le poids de la glose dans l’histoire de la réception des Écritures
Ces divers états de la Bible ainsi mise en regard de ses traditions, furent de grands succès de l’exégèse médiévale : plus de 1000 manuscrits de Pierre Lombard sont conservés, 400 de la Catena aurea de Thomas d’Aquin, seulement une quarantaine d’Hugues de Saint-Cher. Devenues des « classiques » elles furent lues jusqu’au 16e s. mais non pas continuées. Du point de vue historique, leur influence sur la tradition interprétative des Écritures, via la prédication, la théologie, les écrits de controverses et la littérature fut beaucoup plus importante que celle des commentaires bibliques d’auteurs, souvent très mal diffusés et demeurés majoritairement inédits ; ils n’étaient que rarement destinés à une publication.