1,1–14,14SYNAGOGUE Lecture juive à Sûkkôt De nos jours, à la synagogue, de nombreux Juifs lisent Qohélet (l'Ecclésiaste) à la fête des Huttes (Sûkkôt). Le choix de ce livre vient de ce que cette fête célèbre dans la joie (Musique) le souvenir des huttes où Dieu avait fait habiter son peuple après la sortie d’Égypte et du fait que Qo est censé faire la promotion de la joie (Qo 2,24ss ;3,12.22 ;5,17ss ; etc.).
L’habitude de lire Qo à Sûkkôt est toutefois tardive (10-11e s.), puisqu’elle n’est même pas signalée dans la liste que dresse le traité post-talmudique intitulé Mas. sôperîm 14,3 qui énumère les lectures des différents rouleaux lors des fêtes juives (254-255).
Peut-être peut-on aussi voir dans les tentes, les Sûkkôt que construisent les Juifs pour cette fête, et dans laquelle ils vivent durant plusieurs jours, un vivant symbole et un rappel liturgique de la fragilité du séjour de l'homme sur la terre, thème si central dans le livre de Qohélet ?
Le temps de la fête, pieds des immeubles et balcons se transforment, avec des planches, en résidences plus frêles, où revivre l'expérience de la liberté et de la joie des nomades au désert ...
La proximité des éphémères constructions de Sukkot et du mur occidental, vestige du Temple résidence du Nom sur la terre, donne à méditer, dans l'esprit de l'Ecclésiaste, sur ce qui est stable et sur ce qui passe, dans la relation entre l'homme et Dieu...
1,1–12,14Liturgie synagogale : une des lectures principales de la fête de Sukkoth (Tentes)
CALENDRIER — LECTIONNAIRE
La lecture du Livre de Qohelet au cours de l'office du matin du sabbat de hol hamoëd (« [période] profane du temps fixé » : période de quelques jours mi-chômés entre le début et la fin de la fête de Pâque et de la fête ddes Tentes), ou du premier jour de la fête, si le 15 tishre est un sabbat, est une institution rabbinique tardive visant à maintenir les manifestations de joie à un seuil raisonnable. Les discussions sur la vanité de l'existence et le rappel que l'homme rendra compte de tous ses actes devant Dieu viennent tempérer l'allégresse. Arts visuels Qo 1,1–12,14
Tradition juive
2Aux fins de renouvellement
→Buber Récits « Paroles de Rabbi Pinhas : "Lorsque l'Écclésiaste s'exclame : 'Vanités des vanités, tout est vanité !', c'est qu'il veut que le monde s'anéantisse afin qu'il naisse à une vie nouvelle" » (193).
Tradition chrétienne
1,1–12,14Questions sur l’inspiration du livre(Séminaire des Sources Chrétiennes — HiSoMA→)
Inspiration et caractère prophétique
Qo a fait l’objet d’un nombre appréciable de commentaires, d’homélies et de citations chez les auteurs patristiques, qui reconnaissaient généralement le caractère inspiré, et même prophétique, du livre.
→Grégoire le Thaumaturge Metaphr. Eccl.1,1, à l’instar de la tradition juive, affirme que l’auteur du livre est non seulement un roi et un sage, mais aussi un prophète ; il est même « le roi le plus honoré et le prophète le plus sage des êtres humains » (SBLSCS 29,7).
Le mot rêmata, « paroles » (Qo 1,1), amène en particulier des réflexions sur l’inspiration de l’Esprit Saint et le caractère prophétique de l’Ecclésiaste, par exemple
→Didyme d'Alexandrie Comm. Eccl. 7,9-14 : « À proprement parler, dans les Écritures inspirées, l’auteur, c’est l’Esprit qui souffle ce qui est à dire ; mais il est secondé par un sage. Car ce n’est pas l’Esprit qui grave invisiblement les lettres et qui met les mots, mais il les inspire à une âme. Ou bien c’est Salomon lui-même qui écrit cela, ou bien ce sont des sages qui ont écrit cela. C’est peut-être cette hypothèse que nous préférons, pour qu’on ne pense pas que celui qui parle, parle de lui-même. Donc ce sont donc des paroles (rêmata) au lieu de discours (logoi) de l’Ecclésiaste ; car de diverses manières, les paroles sont saisies à travers des discours » (PTA 25,16-18, trad. B. Meunier).
La question des locuteurs
Le caractère déroutant de certaines affirmations a de fait conduit certains exégètes à les interpréter comme dites au nom d’autres personnes.
→Olympiodore le Diacre Comm. Eccl. « Il faut savoir aussi que le sage Ecclésiaste parle tantôt en son propre nom, tantôt en celui d’une personne que ce monde déconcerte » (éd. Boli, 1).
Selon plusieurs, Salomon aurait donc rapporté dans son livre maintes doctrines impies ou hérétiques afin de les combattre. Par exemple :
Cela peut conduire à élargir le propos à toute l’Église, sans remettre en question le bien-fondé des affirmations :
→Didyme d'Alexandrie Comm. Eccl. 9,30-32 : « Il ne faut pas attribuer à un seul et même personnage tout ce qui est annoncé dans ce livre, mais à toute la foule de l’Église dans son ensemble » (PTA 25,34).
Méfiances à l’égard de Qo
Les témoignages de rejet ou de prudence vis-à-vis du livre sont assez rares :
→Philastre Haer.,134, évêque de Brescia, rappelle, dès la seconde moitié du 4e s., que certains hérétiques rejettent le livre de l’Ecclésiaste (PL 12,1265).
Théodore de Mopsueste Actes du 5e concile œcuménique, cité dans les Actes du 5e concile œcuménique, de l’Église syriaque, dont l’œuvre a presque entièrement disparu à cause de sa condamnation au Concile de Constantinople en 553, attribue une inspiration de degré inférieur au livre de Qo, mais sans proposer pour autant son exclusion formelle du canon (→Zaharopoulos 1989, 33).
Giannozzo Manetti De dignitate et excellentia hominis (1452), grand humaniste chrétien, cite Qo dans sa liste noire au 15e s. et seul le respect du canon des Écritures le retient de condamner ce livre au feu (→de Lubac 1974, 236).
1ss La trilogie salomonienne dans la tradition patristique(Séminaire des Sources Chrétiennes — HiSoMA→)
Trois livres correspondant à trois sciences profanes
Chez les auteurs patristiques, aussi bien grecs que latins, Proverbes, Ecclésiaste et Cantique constituent une trilogie attribuée à Salomon. Pour Origène, elle correspond à l’ordre de progression de l’apprentissage des sciences inspiré des philosophes : éthique, physique, époptique (ou inspective, ou mystique). L’Alexandrin écrit dans son prologue de son Commentaire sur le Cantique :
→OrigèneComm. Cant., Prol. 3,6-7 « D’abord, dans les Proverbes, il [= Salomon] enseigna la morale, proposant par des sentences courtes et concises, comme il se doit, des règles de vie. Mais il enferma la seconde, qu’on appelle naturelle, dans l’Ecclésiaste ; là, traitant de nombreux sujets concernant les choses de la nature, distinguant ce qui est inutile et vain de ce qui est utile et nécessaire, il exhorte à laisser la vanité et à rechercher ce qui est utile et honnête. Il a aussi enseigné l’inspective dans ce petit livre qui est entre nos mains, à savoir le Cantique des cantiques ; là, il inspire à l’âme l’amour des réalités célestes et le désir des biens divins » (SC 375,133).
Cette tripartition est parfois appliquée avec une certaine souplesse. Par exemple, commentant le titre « Ecclésiaste »,
→Grégoire de Nysse Hom. Eccl.1,2 interprète l’Ecclésiaste en un sens plus spécifiquement ecclésial et moral : « Le but de tous les autres écrits [de la Bible], historiques et prophétiques, concerne pour chacun d’eux des faits qui ne sont pas absolument utiles à l’Église. […] Mais l’enseignement de ce livre-ci concerne la seule vie de l’Église, en montrant comment mener une existence vertueuse » (SC 416,111).
[Bibliographie spécifique : S. Leanza, « La classificazione dei libri Salomonici e i suoi riflessi sulla questione dei rapporti tra Bibbia e scienze profane, da Origene agli scrittori medievali », Augustinianum 14, 1974, p. 651-666 ; M. Harl, « Les trois livres de Salomon et les trois parties de la philosophie dans les Prologues des Commentaires sur le Cantique des cantiques (d’Origène aux chaînes exégétiques grecques) », dans Texte und Textkritik (TU 133), Berlin 1987, p. 249-269.]
Trois âges de la vie
L’ordre de la triade est parfois différent.
→Augustin d’Hippone Doctr. chr. 2,13 place ainsi l’Ecclésiaste après les Proverbes et le Cantique : les Proverbes comme discours d’un père à son fils (cf. Pr 1,4 et Pr 1,8) ; le Cantique comme poème d’amour d’un homme jeune pour un lecteur qui le serait aussi ; l’Ecclésiaste comme la sagesse d’un homme âgé (BA 11/2,152, l. 15-16)
→Jérôme Comm. Eccl. 1,1 déjà faisait correspondre les trois livres aux trois âges de la vie : les Proverbes, « instruction du jeune enfant », puis l’Ecclésiaste, adressé « à un homme d’âge mûr », le Cantique enfin, livrant « à l’étreinte de l’Époux l’homme parvenu au terme de sa vie et fortifié par son mépris pour le monde » (CCSL72,50, l. 2-7).
→OrigèneComm. Cant.Prol. 4,22 : C’est même le Christ qui progresse, pour nous et en nous : « […] il est comme plus petit d’abord dans les Proverbes, puis progressant dans l’Ecclésiaste, enfin plus parfait dans le Cantique des cantiques, puisque tu le vois écrit aussi dans les Évangiles, où on dit qu’il progresse pour nous et en nous : ‘Jésus progressait en âge et en sagesse devant Dieu et devant les hommes’ (Lc 2,52) » (SC375, 163).
Trois étapes d’un progrès spirituel
Dans tous les cas, la triade est conçue de façon dynamique, dans un mouvement de progression :
→OrigèneComm. Cant. Prol. 3,14 décrit les trois livres de Salomon comme des étapes vers la sagesse : « […] lorsqu’une personne a progressé dans l’intelligence et les mœurs, elle en vient encore à la discipline de la connaissance naturelle […] et reconnaît qu’il faut […] se hâter vers les biens durables et éternels » (SC 375,139).
→Jean Cassien Coll. 3,6,4 évoque les trois renoncements nécessaires dans la vie du moine : le premier, matériel, concerne les richesses et les biens de ce monde ; le deuxième s’applique aux passions et vices de la chair ; le troisième est le renoncement à la contemplation du présent et du visible au profit du futur et de l’invisible (SC 42bis,224).
Une interprétation trinitaire
On lit enfin une interprétation triadologique isolée dans un résumé du Commentaire sur le Cantique attribué à Hippolyte
→Hippolyte de Rome In Cant. I,5-8 « Salomon a ordonné ces trois livres de manière mystérieuse et très cachée à la Trinité. En effet, il a composé les Proverbes de manière mystérieuse pour le Père, parlant, est-il dit, à la façon de son père à lui, Salomon : le Père y apporte sur son propre Fils consubstantiel des mystères qui vont arriver pour nous à la fin des jours. [Et Salomon a écrit] l’Ecclésiaste en y évoquant le Christ Fils de Dieu, le Monogène, et par allusion tout ce qui est dans l’Église, ou plutôt c’est celui-là qui est mis en exergue de manière allusive et cachée. Et [on peut lire dans le livre] comment il montre l’Église issue des nations, pour ceux qui lisent attentivement, et comment les choses du monde sont vanité des vanités, tout est vanité, ce que le Christ plus tard dans l’Évangile manifeste par son enseignement. Le Cantique est quant à lui une parole du divin Esprit : c’est lui la source du chant, de la psalmodie, des divers charismes et c’est lui qui a fait briller l’Église des nations, auparavant noire à cause de ses péchés, et l’a unie à lui après l’avoir fait resplendir par divers charismes » (éd. Richard Marcel, « Une paraphrase grecque résumée du commentaire d’Hippolyte sur le Cantique des cantiques », Muséon 77 [1964] 141).