La Bible en ses Traditions

Cantique des cantiques 4,13

M V
G S

13 tes pousses sont un bosquet

Vjets, un paradis de grenadiers avec Mles fruits les plus exquis

Vde fruitiers,

cypres avec nards

Vnard,

13 

Contexte

Milieux de vie

13 FLORE Grenadier

Un grenadier à Jérusalem

Photo : Isabelle Dauphin (oct. 2022) D.R. M.R. Fournier © BEST AISBL

M, G—Ex 28,33-34 ; 39,24-26 ; Nb 13,23 ; 20,5 ; Dt 8,8; 1S 14,2 ; 1R 7,18-20 ; 2R 25,17 ; 2Ch 3,16 ; 4,13 ; Ct 4,3.13 ; 6,7.11 ; 7,13 ; 8,2 ; Jr 52,22-23 ; Jl 1,12 ; Ag 2,19 

Comparer les « jets » de la « fontaine scellée » qu'est la bien-aimée avec un « paradis de grenadiers », c'est évoquer le jus de grenade, rouge et sucré et proche du vin par la couleur. D'un point de vue christique, cela rappelle forcément le cœur transpercé du Christ sur la croix d'où jaillissent le sang et l'eau, et signe de vie par excellence. Ainsi la bien-aimée est-elle aussi source de vie, avec le rapprochement aisé du « jardin clos » avec Marie toujours Vierge.

Identification

L’identification est indiscutable : le nom « rimmôn » dans la Bible (qui signifie « élevé ») désigne à la fois le grenadier et la grenade. Les Romains ont connu ce fruit par les Carthaginois et l’ont appelé « malum punicum » (« fruit punique »). Aujourd’hui son nom scientifique est « punica granatum » : « punicus » signifie « de Carthage » et « granatum » veut dire « rempli de graines ».

Classification
  • Famille : punicaceae
  • Genre : punica
  • Espèce : granatum
Localisation

Originaire d’Asie centrale et plus précisément des régions d’Iran situées au sud de la mer Caspienne, le grenadier est rapporté par les Phéniciens à Carthage et sur le pourtour méditerranéen. Il est l’un des premiers arbres cultivés par l’homme. Il était présent à Jéricho 4000 ans av. J.-C., dans les jardins de Babylone et en Égypte (Nb 20,5). Aujourd’hui ce fruit est cultivé sur tous les continents.

Description
  • Arbuste monoïque au port touffu et buissonnant qui peut atteindre jusqu’à 6 m de haut. 
  • Il peut vivre 200 ans.
  • Rameaux légèrement épineux.
  • Ses petites feuilles caduques, oblongues (3 à 7 cm) et opposées sont d’abord rouges puis vertes.
  • Ses fleurs rouge-orangé sortent chiffonnées de leur calice et mesurent environ 3 cm de diamètre quand elles sont ouvertes.
  • Son fruit, la grenade, est une grosse baie jaune-rouge contenant en moyenne 600 semences rouges et pulpeuses dans 6 à 12 loges. Ce fruit éclate quand il est mûr.

Illustration botanique du Punica granatum

1885 © Domaine public

Usage
Alimentation
  • La grenade est consommée comme fruit ou en boisson (jus de grenade, liqueur, vin de grenade). Le jus de grenade est parfois associé au vin (Ct 8,2).
  • En réduisant le jus, on obtient un condiment appelé nasharab.
Médical
  • En tisane les fleurs sont utilisées pour soigner l’asthme.
  • L’écorce soigne la dysenterie.
  • Les grains de grenade contenant des vitamines, du potassium, des antioxydants et des hypertenseurs sont de bons remèdes pour lutter contre les maladies cardiovasculaires et les cancers.
Cultuel
  • Le grenadier était une plante sacrée.
  • La grenade devait être associée au culte du dieu assyrien Ramman, que Naaman appelle dans la Bible « Rimmôn » (2R 5,18).
Culture matérielle
  • Le tanin de l’écorce sert de teinture (couleur jaune) pour le cuir, les tapis, etc.
  • En cuisant les grains, on obtient une encre noire.
  • Sa racine mélangée à de l’oxyde de fer donne une teinture bleue.
Ornemental
  • Les fleurs de grenadier peuvent être mises en bouquets.
  • Les grenades sont utilisées comme motifs architecturaux en particulier chez les Assyriens. Les chapiteaux et colonnes du temple de Salomon ainsi que la mer d'airain étaient ornés de grenades (1R 7,20 ; 2Ch 4,13 ; Jr 52,22).
  • L’habit sacerdotal d’Aaron était décoré de grenades (Ex 28,33).
  • Aujourd’hui certains rouleaux de la Torah sont décorés de grenades.
Symbolique
Prospérité, bénédiction
  • La grenade fait partie des sept fruits bénis de la Terre promise.
  • Elle est considérée dans le Coran comme un fruit du paradis.
Vie, fertilité, éternité
  • Elle est symbole de fertilité en raison de ses nombreuses graines.
  • Son jus a la même couleur que le sang qui représente la vie.
  • En Chine, les femmes offrent des grenades à la déesse de la miséricorde pour qu’elle leur accorde d’avoir des enfants (MoldenkePlants of the Bible p. 191).
Renouvellement, passage d’une vie à une autre, éternité
  • Les grains de grenade, quand ils sont enfouis pour un temps dans la terre, peuvent germer et porter du fruit afin de permettre à de nouveaux grains de voir la lumière du jour. C’est là un symbole de renouvellement.
  • Dans la mythologie grecque, Perséphone, fille de Déméter déesse de l’agriculture, sur le point d’être délivrée des enfers pour rejoindre sa mère, succombe à l’attrait de la grenade qu’Hadès lui tend, et en mange six grains. Ceci lui vaut d’être ramenée aux enfers mais uniquement pour y passer six mois chaque année. Durant ces six mois, Déméter délaisse les récoltes de la terre pour chercher sa fille (c’est alors l’automne et l’hiver) et la récolte ne reprend que lorsque Perséphone revient, au printemps et en été : de là le cycle des saisons.
  • Les Égyptiens plaçaient des grenades dans les sarcophages pour le voyage de l’âme dans l’au-delà. 
  • La grenade qui éclate pour laisser apparaître ses grains symbolise la résurrection du Christ sortant du tombeau.
  • Jean de la Croix Cantique spirituel str. 36 : Dieu est « représenté par la forme circulaire ou sphérique de la grenade parce qu’elle n’a ni commencement ni fin ».
La royauté
  • Le bout de la grenade a la forme d’une couronne.
  • En Perse le sceptre royal se terminait par une grenade.
  • D’anciennes représentations de Jupiter le montrent avec une grenade dans la main.
Commandements de Dieu
  • La grenade, selon les juifs, contient 613 graines rappelant les 613 commandements.
Unité
  • En un seul fruit est contenue une multitude de grains serrés les uns contre les autres et harmonieusement agencés.
L’amour, la beauté, la charité, le Christ
  • Sa couleur rouge et son goût suave et sucré font de ce fruit le fruit de l’amour.
  • Dans la poésie orientale, la femme est parfois comparée à la grenade pour illustrer sa beauté (Ct 4,3.13).
  • Sous une écorce dure et quelconque se cachent des graines à la saveur divine tout comme dans l'humanité de Jésus se cache sa divinité. 
  • Ce fruit qui s’entrouvre tout seul pour laisser couler son jus rouge et permettre à l’homme de goûter ses fruits est le symbole de la Passion de Jésus : par amour, il a donné sa vie pour la multitude et de son cœur transpercé sur la croix a jailli le sang rédempteur.
Fruit de l'arbre de vie
  • Parce que la grenade est symbole d’amour, d’éternité, d’unité, de retour à la vie, de fertilité, de bénédiction et une représentation du Christ, le grenadier devient un parfait symbole de l’arbre de vie.
L’Église
  • Derrière une écorce rugueuse se cachent la beauté et la bonté de la grenade. De même la beauté de l'Église réside à l'intérieur, dans l'âme des justes qui aiment Dieu Ps 45,14 Apponius Exp. Cant.8,74.
  • Comme les grains rouges de la grenade sont réunis en un seul fruit, la multitude des hommes lavés dans le sang du Christ est réunie en une unique Église.
  • Comme de la grenade éclatée apparaissent les nombreux grains qui la composent, du cœur transpercé de Jésus naît l’Église.

Réception

Philosophie

1,1–8,15 Le Cantique comme symbole de la révélation Rosenzweig Stern (p. 235-242) interprète le caractère dialogal du Ct comme une instance de la structure dialogale de la révélation elle-même.  

  • Une première partie, intitulée « création », décrit une relation non personnelle, en 3e pers. et au passé, entre Dieu et le monde.
  • Au cœur de l'ouvrage, Rosenzweig fait de son commentaire du Ct le fil conducteur de la présentation de ce qu'il appelle « La révélation », c'est-à-dire le passage au « tu » et au présent et ainsi à l'avènement d'une relation personnelle entre Dieu et l'homme. Tout le Ct est un dialogue (à l'exception de Ct 8,6) : il ne dit pas que la révélation est dialogale, il le montre en étant lui-même dialogue et étant presque uniquement cela.

Révélation performée : importance du dialogue

La révélation n'est donc pas pour Rosenzweig la communication d'un ensemble d'informations sur Dieu, mais la naissance d'une relation entre Dieu et l'homme. Le Ct est pur dialogue — sans jamais de passage à la 3e pers. — et histoire au présent. Ces deux caractéristiques sont le fondement de la révélation : le dialogue et le présent.

Il ne s'agit donc plus de parler de la relation entre Dieu et l'homme, comme les prophètes qui décrivaient cette relation à l'aide de la métaphore des noces, mais de faire parler cette relation elle-même.

Révélation lyrique : importance de la subjectivité

Le discours du Ct est donc tout entier porté par la subjectivité.

  • Cela se manifeste par l'importance du « je » sous la forme du je-marqué (’ănî en héb.). Le Ct est le texte biblique qui utilise, proportionnellement à sa taille, le plus ce « je », après le livre du Qo (fréquence de 6,03 emplois pour 1000 mots en Ct, et de 6,50 en Qo).
  • Cela se remarque aussi au fait que les premiers mots du Ct expriment une comparaison : « tes amours sont meilleures que le vin » (Ct 1,2b), c'est-à-dire une appréciation subjective et non un simple constat, auquel cas un comparatif n'eût pas été nécessaire.

Dès le début du texte, la focalisation n'est pas celle d'une narration objective mais celle d'une subjectivité : les choses ne sont pas décrites pour elles-mêmes, l'enjeu est d'emblée perspectiviste. 

Critique de la réception moderne du Cantique

Rosenzweig critique les analyses modernes du Ct (à partir des 18e et 19e s.) qui ont cherché à effacer cette dimension dialogale du texte.

  • Il vise d'abord Herder et Goethe, qui ont fait du Ct un chant d'amour purement humain, prisonniers qu'ils étaient du préjugé que ce qui est humain ne peut être divin et que Dieu ne peut pas aimer. Cependant, leur tentative eut au moins le mérite de conserver cet aspect essentiel du Ct : le fait qu'il s'agisse d'un chant lyrique, de l'expression de deux subjectivités.
  • D'autres tentatives ont suivi, plus condamnables parce qu'elles ont réduit le Ct à un simple récit, narration entre plusieurs personnages : un roi, un berger, une paysanne. Dans ce dernier type d'interprétation le cœur du Ct, à savoir son caractère lyrique, est perdu et l'œuvre demeure incompréhensible.