La Bible en ses Traditions

Lieu de la mort et de l’ensevelissement de Jésus

Données évangéliques

Le silence des premières décennies chrétiennes

Les premières décades du christianisme ne fournissent aucune donnée concernant la vénération de la tombe de Jésus. Même Luc, qui insiste sur la résurrection corporelle de Jésus (Lc 24,39), ne fait aucune mention de vénération de la tombe dans sa chronique des débuts de l’Église à Jérusalem (Ac 2-5). Paul lui-même ne mentionne rien dans ses relations de visites à Jérusalem. C’est d’autant plus frappant que la vénération des tombes des défunts révérés est bien attestée dans le judaïsme de l'époque (1M 13,27-30 ; Ac 2,29 ; Josèphe B.J. 4,531-532 ; 5,505 ; A.J. 7,392 ; 13,249 ; 16,179-183 ; 18,108 ; 20,95 ; Vies pro. 2,4 ; cf. Mt 23,29 ; Lc 11,47). Aujourd’hui encore, les Juifs vénèrent les tombes de prophètes et de rabbins anciens.

Emplacement ignoré ou honteux ?

On n’explique guère ce fait en imaginant que Jésus ait été enterré à la hâte dans une fosse commune, soit par ses exécuteurs (auquel cas on aurait été incapable de la localiser), soit par des Juifs pieux, et que cette sépulture était un objet de honte pour les disciples : n’ont-ils pas très tôt fait de la croix, son instrument de torture, le plus vil de l’Antiquité, un objet de vénération et de fierté (→De l’horreur à la splendeur : symbolismes de la croix dans les interprétations chrétiennes) ?

Tombe vide : aucun reste à vénérer !

On explique au mieux cette étonnante absence de vénération de la tombe de Jésus par le fait que les disciples puis les chrétiens savaient où Jésus avait été enterré et en conservèrent la mémoire (jusqu’à l’époque de Constantin) mais croyaient qu’aucune tombe ne contînt le corps du Ressuscité : il n’y avait aucun reste à vénérer. La confiance en l’exaltation d’un martyr auprès de Dieu après sa mort allait de pair avec la vénération de sa tombe, mais, au contraire, dans le cas de Jésus, la tombe pose un véritable problème. Le finale complexe de Mc en rend compte, avec l’ajout de Mc 16,9-20, tandis que le récit originel se terminait sur la perplexité des femmes dans le tombeau vide (Mc 16,8).

Transmission de la mémoire du lieu ?

À partir de la destruction du Temple, les pèlerins chrétiens, postés sur le →mont des Oliviers, découvraient depuis cet endroit le navrant spectacle du mont du Temple ravagé, qui confirmait la vérité des prophéties de l’AT et de Jésus concernant le jugement imminent. Les chrétiens étaient alors une petite minorité, qui se rassemblait peut-être dans une petite église du mont Sion où elle pouvait conserver les archives de ses chefs depuis le temps de Jacques le Mineur.

Au moment de la reconstruction de Jérusalem en Aelia Capitolina, ville romaine, un édit d’Hadrien interdit à toute personne circoncise de revenir en ville : cela priva Jérusalem de sa population juive. Parmi les chrétiens, seuls les pagano-chrétiens, et non l’Église de la circoncision, purent y demeurer.

« Ville sainte » et Jérusalem terrestre

Jusque vers la fin du 3e s., la Jérusalem terrestre et les sites évangéliques historiques ne sont pas au centre de l’attention. Dans la logique du premier christianisme, minoritaire, la spiritualité met l’accent sur le Christ en gloire plutôt que sur les jours de sa chair. Par opposition à la Jérusalem terrestre, toujours dans la servitude (Ga 4,25), on est dans l’attente ardente de la Jérusalem céleste, au-delà du sensible (Ga 4,26 ; He 12,22).

La localisation traditionnelle : du Golgotha au Saint-Sépulcre

Nature du lieu
Une carrière ?

Le lieu servit de carrière à une certaine période, comme en témoignent les marques de découpe du rocher sous l’église du Saint-Sépulcre, visibles dans les 14 sondages effectués par le P. Coüasnon lors de la dernière restauration (années 1960). On en extrait une pierre calcaire de haute qualité, le meleke. La surface du roc est artificiellement formée ; elle présente les contours de moellons en partie coupés.

Au sud-est de la carrière s’élève un bloc isolé de 4,2 m de haut, constitué d’une roche dont le sommet fissuré est impropre à l’exploitation (Gibson et Taylor 1994, 60), mais dont la base a la même qualité que le reste de la carrière (Díez 2004, 199).

Dans la crypte qu’on appelle « crypte de Sainte-Hélène » depuis Constantin IX Monomaque, la carrière atteint une profondeur de 11 m (Díez 2004, 316). Des traces de la carrière ont aussi été trouvées dans l’enclave du Muristan dans le quartier chrétien et sous l’église luthérienne du Rédempteur.

Lieu d’invention de la relique de la croix

Au début du 4e s., la découverte de la croix est mentionnée. Aux environs de 500, des textes commencent à situer l’invention de la croix dans le Martyrium de la basilique constantinienne (Forme A du Breviarius de Hierosolyma). Au 8e s., une lettre de l’empereur Léon à Omar, roi des Sarrasins, rapporte que les trois croix furent découvertes dans une tranchée où les constructeurs constantiniens creusaient. Au 9e s., sa localisation quelque part sous la basilique est attestée (Theophanes le Confesseur, en 814-815 ; Bernard le Moine dans son récit de pèlerinage vers 870, plus tard Saewulf au début du 12e s.; Gibson et Taylor 1994, 83-85).

De nombreuses légendes sont liées à ces lieux : →Reliques de la passion : la vraie croix.

Datation du lieu
Une histoire de carrière antérieure à la passion ?

Nombre d’archéologues datent l’exploitation de la carrière entre le 7e et le 1er s. av. J.-C. (Corbo 1981-1982Broshi et Barkay 1985Broshi 1994 et Gibson et Taylor 1994 pour la carrière sous le Saint-Sépulcre ; Kenyon 1967 et Kenyon 1974 pour la carrière sous le quartier adjacent, ou Muristan).

Cependant, des travaux récents ont montré que toute la céramique de l’âge de Fer II découverte sous la basilique était mélangée à de la céramique romaine aussi récente que le 2e s. ap. J.-C. Les céramiques proviendraient donc d’un remblai tardif, probablement datable de la construction du temple de Vénus sous Hadrien (Díez 2004, 69-76, 94-96, 144, 316, 320). Kenyon elle-même trouva dans ses fouilles du Muristan du matériel de deux époques (fin du 7e s. av. J.-C. et 1er s. ap. J.-C.) formant un seul remblai provenant de deux sources différentes (Kenyon 1974). D’autres fouilles dans le Muristan (Vriezen 1994) ont aussi retrouvé du matériel du 1er s. ap. J.-C. La durée entre l’exploitation de la carrière et son remblayage semble donc très brève. En conséquence, pour Díez, la zone n’a été utilisée comme carrière qu’à partir du 1er s. av. J.-C. et jusque vers le milieu du 2e s. ap. J.-C. (pour les constructions des temples romains vers les années 135-150). Le bloc du Golgotha lui-même semble avoir été exploité sur les quatre côtés entre la fin du 1er s. et le milieu du 2e s. ap. J.-C. (Díez 2004, 47).

S’il est aisé de s’accorder sur la date de fin d’exploitation de la carrière, il est difficile de savoir quand elle a commencé : pour beaucoup, ce serait au 7e s. av. J.-C., mais Díez montre qu’elle n’a été exploitée que sur une période courte, commençant au milieu ou à la fin du 1er s. ap. J.-C.

Au moment de la passion

Pour les tenants de la datation la plus ancienne de la carrière, comme Corbo, le lieu est devenu un jardin et un cimetière avant le moment de la passion. Quand la carrière est abandonnée, elle est peu à peu comblée et la végétation lui donne un air de jardin (Jn 19,41). Comme une espèce de terrain vague, l’ancienne carrière est aussi utilisée comme lieu d’inhumation.

Pour Díez, c’est simplement un endroit vide, avec une petite éminence rocheuse, à la sortie de la ville, dans une zone où pouvaient se trouver quelques tombes dispersées au milieu de vergers, de jardins, de terrassements agricoles et de citernes d’eau, comme on en trouve dans la « bande nécropolitaine » qui entoure Jérusalem (cf. la description dans Kloner et Zissu 2007, 33-35). La citerne de la chapelle de l’Invention-de-la-Sainte-Croix, que Corbo interprète comme un remploi de la carrière après sa désaffection, est interprétée par Díez (2004, 97-98) comme une citerne agricole, utilisée avant que le lieu ne soit excavé et abîmé par les carriers ensuite. La porte de Gennath (« porte des jardins »), située par Josèphe B.J. 5,146 au début du second mur, devait probablement son nom aux jardins qu’on trouvait là et qu’au début de la période romaine on irriguait peut-être avec des canaux dirigeant de l’eau de la piscine d’Ézéchias vers l’est (Gibson et Taylor 1994, 61). De la période du second Temple, on a retrouvé des tombes kokhim situées derrière celle de Jésus (et peut-être celles qui existaient encore 250 m à l’ouest à la fin du 19e s. : Clermont-Ganneau 1899, 1,252).

Le Golgotha

Au moment de la passion

Un bloc de rocher isolé émerge de la surface du sol et peut faire penser à une sorte de calotte crânienne. Aujourd'hui, le Golgotha est haut de 12,93 m et large de 5,5 m, le sommet est à 758,95 m au-dessus du niveau de la mer (Díez 2004, 145, 157). À une date inconnue du 1er s., un tremblement de terre y a fait une grosse fente.

Depuis la fin du 1er siècle et jusque vers le milieu du 2e siècle

Un culte s'y développa, dans une grotte flanquant son côté est, pavée et décorée à cette époque. À la même époque, les quatre côtés du Golgotha furent taillés, réduisant de beaucoup son volume (Díez 2004, 147). Les 4 m supérieurs ne semblent pas avoir été affectés par le travail des carriers. Leur travail fit disparaître la partie inférieure du côté est ainsi que la partie orientale du pavement à l'intérieur de la grotte qui le flanque (Díez 2004, 183). L'exploitation de la roche autour du Golgotha lui confère une hauteur double de sa hauteur originelle (Díez 2004, 147). À une date inconnue du 2e s., le flanc est du Golgotha fut couvert de remblai.

C’est ce lieu que l’on trouverait sur la droite en entrant au Saint-Sépulcre. Depuis les derniers aménagements durant les années 2000, trois fenêtres permettent d’imaginer le gros rocher masqué par les chapelles actuelles.

Débat

Le Golgotha n’est nulle part mentionné comme un mont dans les évangiles. Certains comme Taylor (1998) estiment que le nom était celui du lieu. Si l’emplacement du tombeau vide semble admissible, le lieu de la crucifixion peut avoir été plus proche de la porte de Gennath que le rocher traditionnellement vénéré jusqu’à nos jours : à la jonction des deux routes de l’endroit, là où les passants pouvaient le mieux assister au spectacle. Cependant les données philologiques (Vocabulaire Mt 27,33a ; Vocabulaire Mt 27,33b), les traces de vénération antique dans la grotte toute proche et la forme conique donnée au Golgotha dès ses toutes premières représentations (fin du 4e s. - début du 5e s. : l'église Sainte-Pudentienne à Rome) accréditent la localisation traditionnelle.

Le tombeau attribué à Jésus

Type de tombe

Pour un essai de reconstitution des dimensions de la tombe fondé sur les témoignages des premiers pèlerins, voir Gibson et Taylor 1994, 62-63.

Autres tombes à proximité de celle de Jésus

D’autres tombeaux ont été retrouvés :

On pense généralement que le contenu de toutes ces tombes fut transféré lorsque la ville de Jérusalem s’étendit au nord et à l’est avec la construction du troisième mur sous Agrippa I (41-44 ap. J.-C.), pour se conformer à la prohibition juive de toute carcasse, tombe, tannerie à moins de 50 coudées (environ 25 m) des villes (m. B. Bat. 2,9 ; Gibson et Taylor 1994, 63).

Histoire des constructions sur ce lieu

M.R. Fournier, La basilique du Saint-Sépulcre à travers les siècles, (numérique, 2022), Jérusalem 

© BEST AISBL

La grotte du flanc est

Díez a fouillé une grotte à l’arrière du Calvaire et trouvé des traces de ce qui pourrait être le plus ancien culte chrétien au Saint-Sépulcre. Située sur le côté est, son plafond à 3,76 m sous le sommet du Golgotha, elle mesure 3,50 x 2,30 m et est haute de 1,80 m. Ce fut peut-être une grotte naturelle à l’origine, utilisée comme tombe avec chambre mortuaire et antichambre à l'âge du Fer, avec au moins une banquette dans la chambre et dans l’antichambre (côtés ouest).

Durant la première moitié du 1er s., la grotte est fissurée à cause d'un tremblement de terre (Díez 2004, 174-177, on en voit la trace au sommet du Golgotha et dans la fenêtre ménagée dans la chapelle d’Adam). Vers le milieu du 1er s., les murs sont plâtrés (revêtement décoré par endroits de peintures non figuratives : traces d’ocre, de crème, de jaune, de vert et de rouge), et le sol est pavé (recouvrant la banquette). À la même période, une grosse pierre d’environ 84 x 84 cm à la base est insérée au côté sud de la grotte, peut-être comme un seuil d’entrée. La grotte est replâtrée et redécorée au moins deux fois, ce qui indique un usage assez long.

Pour Díez, il s’agit sans doute de la « Caverne des trésors », grotte mystique mentionnée dans les apocryphes La caverne des trésors et Le combat d’Adam et Ève, dans lesquels la communauté judéo-chrétienne de Jérusalem fait mémoire de la mort et de la résurrection de Jésus, en lien avec l’idée de descente de Jésus aux enfers (le sein d’Abraham). Après la destruction du Temple, les chrétiens projetèrent de nombreuses traditions associées au Temple sur le Golgotha : ils considérèrent la grotte du Golgotha comme le séjour d’Adam et Ève après leur expulsion du paradis, et comme le lieu d’ensevelissement d’Adam et des patriarches descendants de Seth. Le sang du Christ, ruisselant depuis le sommet du Golgotha à travers la fissure du rocher, atteignit les ossements d’Adam, qu’il purifia de son péché. Selon les légendes qui lui sont liées, Adam bénit et consacra la grotte pour en faire un lieu de prière où il puisse adorer Dieu (Díez 2004, 193).

La pierre du sud de la grotte peut être un autel votif en lien avec le sacrifice de pain et de vin de Melchisédech, ou bien un symbole du Christ comme autel, rocher d’où coule l’eau vive revivifiant Adam, la pierre de fondation de l’édifice. Si l’interprétation de Díez est correcte, la grotte serait un vestige du culte chrétien des deux premières générations : en 135 ap. J.-C., l’ensemble du site est couvert par la construction du temple de Vénus. On sait que les chrétiens anciens priaient volontiers dans diverses grottes reliées à Jésus (Bethléem, Nazareth, …).

La grotte est détruite vers le milieu du 2e s., probablement durant la phase d’exploitation de la carrière ou la construction du temple de Vénus. À partir de la construction dudit temple (vers 135-150), un mur construit à l’est de la grotte en bloque l’entrée : elle est perdue de vue et oubliée. Au temps de Constantin, une partie du mur est détruite durant le démantèlement du temple de Vénus ; un nouveau mur de soutènement est construit, et la zone est comblée de remblai pour soutenir le sol de la chapelle Post crucem.

Les croisés retrouvent la grotte durant les travaux de fondation de leur église. Vers 1187, à l’époque du siège de Saladin, ils construisent deux murs de soutènement dans la grotte et la remblaient, bien qu’ils connussent les légendes sur Adam (associées à la « chapelle d’Adam », que le patriarche Modeste avait déjà construite et à laquelle ils attachèrent leur propre construction : Díez 2004, 183). La grotte est demeurée cachée jusqu’au 20e s.

La chapelle « Post crucem »

La chapelle est attachée au flanc est du Golgotha durant la période byzantine et couvre la grotte. À cette époque, du côté est, seul le sommet du Golgotha (ca. 3 m) est visible ; les côtés nord et ouest sont plus dégagés, car le niveau du sol de ces côtés-là est environ 1,5 m plus bas que celui de la chapelle.

Après l’invasion perse de 614, Modeste aurait construit la « chapelle d’Adam » au pied de la façade ouest, ainsi que les pilastres et le dôme qui protègent depuis la partie ouest du Golgotha.

Le côté est est peut-être resté visible jusqu’aux constructions croisées. À une date inconnue, le côté ouest du sommet du Golgotha est plâtré, peut-être pour le protéger des pèlerins. Díez a retrouvé des graffito, simple croix et incisions grecques, dont se détache une croix de forme quadrata mundi, qui peut être un symbole judéo-chrétien (Díez 2004, 147-150 and n. 11).

Derrière l’autel au sommet du Golgotha, un trou est interprété comme le lieu où la croix aurait été fixée ; mais selon Gibson et Taylor 1994, 60, les premiers pèlerins ne mentionnent jamais ce trou. Jusqu’au saccage des Perses en 614, il y avait une croix dorée, remplacée par la suite par une croix en argent. C’est seulement au 7e s. qu’on interprète le trou comme le lieu de la croix de Jésus. La taille du trou aujourd’hui (50 cm de diamètre et 40 cm de profondeur) s’explique par l’habitude des pèlerins d’essayer de rapporter un fragment du rocher. Durant les périodes byzantine et croisée, une barrière, dont on a retrouvé récemment la base, protégeait le côté ouest du sommet.

La plateforme d’Hadrien (135)

En 70, les Romains, en réponse à la première révolte juive, détruisent Jérusalem avec son Temple. En 132 a lieu la grande révolte juive messianique de bar Kokhba. En 135, l’empereur romain Hadrien mate la révolte. Il exile les Juifs de Jérusalem et décide de transformer la cité en une ville romaine, appelée Aelia Capitolina. Sur le lieu du jardin-cimetière, il fait construire une plateforme gigantesque constituée d’un mur trapézoïdal (temenos), rempli de terre. Des parties de ce mur sont préservées dans l’hospice russe d’Alexandre. Sur cette plateforme, il construit un podium plus modeste et érige un temple à la déesse Vénus/Aphrodite (Eusèbe de Césarée Vit. Const. 3,26). Selon Jérôme, c’est un temple à Jupiter, avec une statue de Vénus/Aphrodite sur le sommet du Calvaire (Jérôme Ep. 58,3). Jérôme écrit cette information vers 395, tandis qu’Eusèbe (ca. 265-339) est un témoin oculaire des bâtiments d’Hadrien. L’information de ce dernier est donc à préférer.

L’église de Constantin (325/326-335)

Une fois le christianisme devenu religion tolérée, l’empereur Constantin cherche le tombeau de Jésus. On lui indique le site de la plateforme d’Hadrien. Eusèbe de Césarée Vit. Const. 3,28 raconte comment, lors des fouilles, une caverne (antron) est découverte. Cyrille de Jérusalem Cat. illum. décrit que le tombeau a une antichambre creusée dans le roc (proskepasma). Elle est détruite pour laisser place à une construction d’apparat impérial (14,9). La pierre qui a scellé le tombeau et qui a été roulée par l’ange se trouve toujours devant l’entrée (10,19 ; 13,39 ; 14,22). Comment ce tombeau-ci fut-il identifié avec celui de Jésus ? D’abord, il correspond sans doute le mieux aux récits évangéliques. Il se peut aussi qu’il y ait eu des inscriptions : jusqu’en 135, le tombeau est resté accessible et a pu recevoir des graffiti, encore lisibles en 325/326 quand le tombeau est découvert (cf. des graffiti constituent la preuve la plus ancienne pour l’identification du tombeau de Pierre dans le cimetière du Vatican, et de la maison de Marie à Nazareth). Pendant les années 325/326-335, Constantin et sa mère Hélène font construire l’église du Saint-Sépulcre. On démolit la construction d’Hadrien et l’on dégage le rocher entourant le tombeau de Jésus, détruisant ainsi les autres tombes qui ont pu s’y trouver. Le tombeau devient un bloc isolé sur un sol aplani et il est fourni de colonnes et d’une abondance d’ornements (Eusèbe de Césarée Vit. Const. 3,34).

L’église est orientée vers l’ouest et se compose de quatre ensembles :

Les restes de l’époque constantinienne dans le bâtiment actuel comprennent une partie du mur extérieur de la rotonde, jusqu’à une hauteur de 11 m ; deux colonnes dans la rotonde (ce sont en fait deux moitiés d’une seule colonne du temple d’Hadrien ou de l’église de Constantin, coupée en deux, et remployée dans la restauration des croisés) ; les murs au nord de la chapelle de Marie-Madeleine, ainsi que la « prison de Jésus » et le mur qui les joint. Une partie du mur et des portiques de l’est est conservée dans l’hospice russe jusqu’à une hauteur de 4,6 m.

Les destructions des Perses et des Arabes

À l’invasion des Perses en 614, l’église est endommagée (le toit de la rotonde est incendié), mais pas totalement détruite. (Les Perses détruisent beaucoup d’églises à Jérusalem lors de leur conquête, mais pas le Saint-Sépulcre.) En 629, une réparation a lieu sous Modeste.

À leur conquête de Jérusalem en 638, les musulmans laissent les églises intactes, mais en 1009, el-Hakim (996-1021) — le calife fatimide du Caire — ordonne leur destruction. Ainsi, au Saint-Sépulcre, basilique, atrium et crypte de Sainte-Hélène (apparue entre le 4e et le 11e s., probablement au 7e s.) sont totalement détruits ; le toit et l’intérieur de la rotonde sont démolis (le mur extérieur de la rotonde est préservé jusqu’aux corniches, presque tout autour de la rotonde) ; le tombeau même est attaqué à la masse, mais les destructeurs s’arrêtent lorsque les débris couvrent ce qui reste. En comparant les descriptions d’avant et d’après 1009, il est clair que le toit et les murs de l’ouest et de l’est sont enlevés, mais que le mur du sud, la couche du tombeau, et peut-être une partie du mur du nord sont préservés.

L’église du 11e siècle

L’empereur byzantin Michel IV Paphlagon (1034-1041) ordonne une reconstruction de l’église, poursuivie entre 1042 et 1048 par son successeur Constantin IX Monomaque (1042-1055). La rotonde est restaurée, augmentée d’une grande abside et flanquée de quatre chapelles, trois au sud et une au nord, pour former une église. On reconstruit un édicule comme écrin aux restes de la tombe du Christ. On garde la cour découverte, et on y ajoute trois chapelles à l’est. C’est à cette époque que l’on fixe l’entrée de l’église au sud, où elle est restée jusqu’à aujourd’hui.

L’église des croisés (1099-1187)

Au Saint-Sépulcre, le premier soin des croisés est de bâtir un monastère pour des chanoines (1114). Ensuite, ils restaurent la crypte de Sainte-Hélène. Ils remplacent l’édicule du tombeau du Christ (1119). Ils gardent la rotonde mais la flanquent d’une église romane, à la place de la cour découverte contenant le Golgotha. Cette église est orientée vers l’est et contient une nef, un transept et un autel levé. Le Golgotha est équarri, dallé de marbre, couronné d’une chapelle. On bâtit la chapelle d’Adam au pied du rocher, qui devient la nécropole des rois croisés de Jérusalem. On érige la chapelle des Francs comme entrée au Calvaire. La pierre de l’onction (Jn 19,38-40) apparaît pour la première fois. En 1170, on bâtit un clocher. La façade romane date aussi de cette époque. C’est cet ensemble qui existe toujours.

Famille Bonfils (Beyrouth), Bonfils. 246. Façade du Saint-Sépulcre. Jérusalem (= légende au bas du cliché), (papier photographique albuminé, couleur sépia), Jérusalem, façade du Saint-Sépulcre, vue prise de haut, depuis la terrasse des Grecs, 21,8 x 28 cm

 Domaine public © numérisation : Couvent St-Étienne de Jérusalem / École biblique.

Jérusalem, façade du Saint-Sépulcre prise de loin en hauteur, depuis la terrasse du couvent grec orthodoxe qui lui fait face. Vue classique, mais l’exemplaire aux contrastes bien conservés permet de noter les détails architecturaux. La perspective fuyante a été rectifiée par la bascule de la chambre photographique. La porte de la basilique de la Résurrection – son nom parmi les Orientaux – est fermée, comme c'était souvent le cas autrefois ; son ouverture contrôlée permettait aux autorités ottomanes de percevoir un droit d’entrée, dont se plaint notamment Chateaubriand en 1806… Au centre du cliché, les deux grandes fenêtres du narthex, sous les moulures romanes. La fenêtre de droite montre la petite échelle en bois, toujours présente, qui permettait au moine sacristain arménien de descendre depuis la fenêtre sur la corniche qui lui servait de petit balcon, avec rambarde en bois. De là, il faisait descendre au bout d’une corde un panier où il recevait de la générosité des fidèles arméniens la nourriture pour les moines arméniens enfermés par les Ottomans de longues heures dans la basilique. Les autres communautés étaient soumises au même rude régime d’enfermement. La principale différence esthétique par rapport à aujourd’hui est la disparition des deux magnifiques linteaux romans sculptés qui sont au-dessus des portes, et qui ont été déposés par les Britanniques au musée Rockefeller, pour être protégés des intempéries. Tous rêvent d’un jour où l’on y mettrait une réplique exacte. Au dos de la page d’album, un autre cliché vertical, le n° 15033-Bonfils 0268.

Modifications de l’église après les croisés

L’édicule est reconstruit par Boniface de Ragusa en 1555. Le marbre rouge autour de la couche du tombeau et les panneaux au-dessus datent peut-être de cette même année, à l’exception du côté droit du banc, qui est un remplacement récent. Le banc même est couvert d’une palette de marbre — avec une brèche fausse de la résurrection au milieu — datant de l’an 1345. En 1808, l’église subit un grand incendie. En 1809-1810, l’architecte grec Komnenos en dirige la restauration. L’édicule, l’icône de la résurrection et les décorations à l’intérieur du tombeau, et la pierre de l’onction actuels datent de cette époque. En 1927, un tremblement de terre endommage l’église. Depuis 1959, l’église est en rénovation. Le périmètre extérieur de la rotonde est aujourd’hui invisible : l’ancien déambulatoire est encombré de dépôts attribués aux diverses confessions chrétiennes.

Famille Bonfils (Beyrouth), Bonfils. 271 bis. Intérieur du St Sépulcre, le tombeau (= légende au bas du cliché), (papier photographique albuminé, couleur sépia), Jérusalem, au Saint-Sépulcre, l'intérieur du Tombeau du Christ, la dalle mortuaire où le corps reposait avant la résurrection., 22 x 28,1 cm

Domaine public © numérisation : Couvent St-Étienne de Jérusalem / École biblique.

Jérusalem, au cœur de la rotonde du Saint-Sépulcre, la chambre sépulcrale tout à l’intérieur de l’édicule qui imite le tombeau du Christ, en grande partie détruit sous Haqîm en 1009. Le cliché Bonfils prend en enfilade la minuscule pièce où le corps du Christ reposait, à partir de l’antichambre, dite Chapelle de l’Ange. En effet, le photographe n’avait aucun recul pour prendre la banquette du lit mortuaire de face, il ne peut que la prendre de biais. D’où un certain flou, la mise au point étant faite dans les premiers plans, et pas à l’arrière-plan. Il aurait fallu un objectif, ou lentille, photographique très grand angulaire, ce qui n’existait pas à l’époque pour le format des chambres 24 x 30 cm utilisées par les Bonfils. Le cliché montre le marbre qui enchâsse l’emplacement du lit mortuaire : le grand panneau vertical et un peu de la dalle mortuaire, vue partiellement, avec un bougeoir à son extrémité. La corniche décorative qui fait le tour de la dalle mortuaire se voit aussi en partie. Photographie collée sur une page d’ancien album de Terre sainte, avec au dos la photographie n° 15112-Bonfils 853.

Évaluation du site du Saint-Sépulcre

Plusieurs autres lieux rivalisent avec le Saint-Sépulcre.

La Garden Tomb

(« tombe du jardin ») est l’autre localisation la plus célèbre, repérée par le général Gordon depuis 1883, au nord de la porte de Damas, hors de la vieille ville. Le tombeau est découvert en 1867 et fouillé en 1891. C’est la portion méridionale d’une nécropole plus vaste, répartie aujourd’hui sur plusieurs propriétés. Le nom Golgotha s’expliquerait par la forme des escarpements rocheux, qui ressemble à celle d’un crâne avec ses cavités oculaires. Cependant, l’architecture du tombeau est certainement antérieure au 1er s. Le tombeau ne peut donc être neuf au temps de Jésus (Mt 27,60 ; Lc 23,53 ; Jn 19,41). La colline a reçu sa forme de crâne quand elle est exploitée comme carrière entre le 18e et le 20e s. Bien que proche des murs ottomans, le terrain se trouve trop loin des murs de Jérusalem au temps de Jésus, tandis que le lieu de la crucifixion se trouve proche de la ville (Jn 19,20).

La « tombe de la famille de Jésus » de Talpiot

En 1980, au cours de travaux de construction à Talpiot, quartier de la banlieue est de Jérusalem, on découvre une tombe et l’on y fait une fouille de sauvetage. 

La façade de la tombe est décorée d’un pignon gravé sur un cercle et d’une rosette incomplète au-dessus de l’ouverture carrée de la tombe. L’ensemble est formé d’une cour extérieure, d’une sorte d’antichambre, et d'une chambre funéraire avec six kokhim distribués par paire sur les trois murs ainsi que deux arcosolia taillés dans le rocher. Dans les kokhim se trouvaient dix ossuaires contenant des os en état de désintégration avancée. Certains ossuaires sont cassés. Six portent des inscriptions, cinq en hébreu et une en grec. Selon Rahmani (1994, 222-224 [nos. 701-706]) et Kloner (1996), elles se lisent ainsi :

Le fouilleur établit la durée d’utilisation de la tombe à trois ou quatre générations, s’étendant de la fin du 1er s av. J.-C. (ou du début du 1er s. ap. J.-C.) à environ l’an 70. Il estime le nombre de sépultures à 35 : 17 en ossuaires, 18 en dehors.

En 2007, Jacobovici et Pellegrino identifient cette tombe avec celle de Jésus lors d’une conférence très médiatique, lançant un livre et un film documentaire. Selon eux, les noms de la tombe correspondent à ceux de la famille de Jésus : « Yeshua fils de Yehosef », précédé d’un « x » qui symboliserait la croix ; l’inscription grecque se réfèrerait à Marie-Madeleine ; l’ADN mitochondrial des échantillons des ossuaires de Jésus et de Mariamne serait celui de deux personnes de familles différentes, et donc mariées ; les statistiques à 600 contre 1 iraient dans le sens de l’identification ; l’analyse de la patine des ossuaires correspondrait à celle de l’« ossuaire de Jacques, frère de Jésus », présenté au public en 2002, lequel serait le dixième ossuaire de la tombe de Talpiot.

Les savants ont montré que de telles identifications étaient abusives, fondées sur plusieurs présupposés gratuits :

Sans parler des témoignages sur la résurrection, il faut noter encore :

Autre objet lié : l’ossuaire de « Jacques, frère de Jésus »

En 2002, Lemaire publia une étude sur un ossuaire portant l’inscription « Jacques fils de Yoseph frère de Yeshua ». Il la datait de la dernière décennie avant 70. L’objet appartenait à Oded Golan, ingénieur à Tel Aviv, qui assurait l’avoir acquis d’un antiquaire dans les années 1970. Lemaire suggérait qu’il s’agissait de l’ossuaire de Jacques le parent de Jésus qui fut le premier évêque de Jérusalem, lapidé en 62. Cependant la provenance réelle demeure inconnue, ce qui rend l’objet difficilement interprétable du point de vue archéologique (si l’on peut montrer qu’il provient des ruines au pied de l’esplanade du Temple, proches du lieu d’exécution de Jacques, ce serait un indice intéressant : Puech 2003, 49). À supposer que l’inscription ait été authentique, comment peut-on identifier ce Jacques et ce Jésus comme ceux du NT ? Certes la mention de « frère de Jésus » est exceptionnelle, comme si Jésus était plus connu que son frère (une seule entrée dans le catalogue Rahmani des ossuaires juifs), mais s’il s’agissait du premier évêque de Jérusalem, on attendrait une inscription telle que « Jacques le Juste » ou « le frère du Seigneur/Messie » (Puech 2003, 50). Enfin, une expertise commandée par l’Israel Antiquities Authority établit (1) que l’ossuaire est authentique mais (2) que l’inscription est un faux (son antiquité ne résiste pas à l’analyse des patines). Oded Golan est poursuivi comme faussaire.

Vraisemblance du Saint-Sépulcre

Le site du Saint-Sépulcre a plusieurs arguments en sa faveur : Jésus est crucifié et enterré hors de la ville (Jn 19,20 ; He 13,12). Au moment de la crucifixion, le terrain se trouve probablement à l’extérieur des murs. On ne connaît pas le tracé exact du « second mur » mentionné par Josèphe, quelque part entre la porte de Gennath et la forteresse Antonia. La plupart des savants le placent grosso modo le long du souk actuel. C’est seulement sous Agrippa I (41-44 ap. J.-C.) que le site du Saint-Sépulcre aurait été intégré à la ville, au cours de travaux d’agrandissement des murailles. Toutes les tombes sur ce site datent nécessairement d’avant 44 (puisqu'aucune sépulture n’est permise à l’intérieur d’une ville juive : 4 Bar. 7,13).

La topographie du lieu au moment de la passion en fait un lieu idéal pour les exécutions telles que les Romains les pratiquaient, à la fois hors de la ville, tout proche et passant. On ne connaît pas de lieu d’exécution fixe à Jérusalem au 1er s. : m. Sanh. 7,1-4 décrit quatre formes d’exécution approuvées, mais sans dire où elles avaient lieu. Le lieu officiel de condamnation et d’exécution romaines était plutôt Césarée maritime. Peut-être l’exécution de Jésus fut-elle laissée à la discrétion du centurion en charge : il trouve avec le Golgotha un lieu fréquenté, correspondant à la fonction d’intimidation recherchée par Rome dans le supplice (Pseudo-Quintilien Decl. 274), en même temps qu’extérieur à la ville, pour ne pas scandaliser les Judéens (Lv 24,14 ; 1R 21,13 ; Ac 7,58).

Outre des raisons urbanistiques, Hadrien a peut-être eu des motifs politico-religieux pour y bâtir son temple. On sait qu’il a profané d’autres lieux saints des Juifs de manière semblable. La grotte fouillée par Díez avec ses traces de culte très ancien plaide aussi en faveur de l’authenticité du Saint-Sépulcre.

Le site a dû sembler très improbable à Constantin et Hélène (en 325/326) : il se trouve en pleine ville, contrairement au Golgotha des évangiles, et le cimetière a disparu depuis deux siècles sous les structures d’Hadrien. D’ailleurs, il y avait encore un grand espace libre sur le forum d’Hadrien, où il aurait été plus facile de construire, s’il s’était agi seulement de construire une basilique impériale de plus. Pourquoi avoir pris la peine de démolir temple et plateforme ? Pourquoi faire des recherches en ce lieu précis sinon en s’appuyant sur une tradition fermement installée ?

Plusieurs faits rendent cette tradition possible : au temps de Jésus, il existe une vénération des tombeaux de martyrs et de prophètes chez les Juifs (p. ex. ceux des Maccabées, considérés comme martyrs ; les Vies pro. notent avec soin l’endroit où leurs héros sont ensevelis). Il est donc improbable que les disciples de Jésus aient oublié le site du tombeau. Les premiers récits évangéliques relient étroitement tombeau vide et proclamation de la résurrection (cf. m. Ber. 9,1 « Quand un endroit est montré où des miracles sont arrivés en Israël, dit, "Béni soit Celui qui a fait des merveilles pour nos ancêtres sur ce lieu" »). Jusqu’au 2e s., la parenté de Jésus exerce une grande autorité dans le christianisme palestinien (Eusèbe de Césarée Hist. eccl. 3,19-20). En tant que famille, elle a un intérêt particulier pour le tombeau. En 135, Hadrien n’expulse de Jérusalem que les Juifs (et les Judéo-chrétiens), les pagano-chrétiens peuvent rester, de sorte que la succession des évêques n’y a pas été interrompue (4,6,3-4).