La Bible en ses Traditions

Guématrie

→Lettres, mystique et tradition juives

Petite histoire de la guématrie

Origine et définition

Le mot guématrie vient de l'hébreu : gematriyya signifiant ''numérologie''. Ce même terme vient du grec geometria. Dans certaines langues (sémitiques et grecque), les chiffres sont exprimés et écrits par des lettres. Chaque chiffre est donc lié à une lettre et chaque lettre a un correspondant numérique. La guématrie est un système numérologique qui permet de calculer la valeur des mots et des phrases selon la valeur de chacune des lettres qui les compose. Elle permet ainsi de faire des liens entre les mots, les idées et les différents concepts. Elle consiste à révéler la signification cachée, originelle et véritable de mots et de phrases selon leur valeur numérique. Elle ouvre ainsi de nouveaux horizons dans la compréhension du texte.

Du roi de Khorsabad ...

L'origine du terme lui-même indique que cette technique ne vient pas du judaïsme. On la retrouve chez les Grecs mais aussi chez les Assyriens et les Babyloniens. L'exemple le plus ancien de guématrie vient du roi Sargon II (722-705 av. J-C) qui a fait construire le mur de Khorsabad d'une longueur total de 16 283 coudées. 16 283 est également l'équivalence numérique de son nom.

... aux philosophes d'Athènes ...

Cette équivalence lettre-chiffre existe également chez les Grecs qui jouaient avec la valeur des lettres qui forment des mots : l'isopsephie. Pythagore pensait que la réalité du monde consistait en un ensemble de relations harmonieuses qui se traduisent dans les mathématiques, la musique et la géométrie. Pour lui, le nombre est l'élément premier du monde physique et immatériel. C'est pour les pythagoriciens grâce au nombre que l'on accède à l'essence des choses. La même idée se trouve chez Platon. C'est de cette manière que les néopythagoriciens comme Numénius et les néoplatoniciens additionnaient les valeurs numériques des lettres pour accéder à la valeur du mot qu'elles formaient et donc à son sens. Le néopythagoricien Numénius comprend la création de l'âme du monde à partir des lettres, de leur forme et de leur valeur numérique.

... jusqu'aux savants juifs.

La guématrie aurait été introduite dans la culture hébraïque comme un développement de l'isopsephie grecque. Dans la littérature rabbinique, il apparaît pour la première fois dans laBaraita des Trente-Deux Règlesde Rabbi Eliezer. Ce texte n'existe plus aujourd'hui en tant que tel, mais il est transmis par d'autres textes qui lui font référence. Rabbi Eliezer établit trente-deux règles pour interpréter la Bible. La vingt-neuvième est précisément celle de la guématrie et consiste à établir des connexions entre les mots, et les passages bibliques qui ont la même valeur numérique afin de les interpréter l'un par l'autre. La guématrie est souvent énoncée dans la littérature midrashique et dans le Talmud de Babylone (b. Sabb. 149b ; b. Sanh. 22a. ; b. Mak. 23b-24a.) L'équivalence numérique n'est pas considérée comme une simple coïncidence. En effet, à partir du moment où le monde a été créé par les mots prononcés par le Créateur, chaque lettre contient en elle-même un pouvoir spirituel édifiant et créateur.

Un outil pour l'herméneutique juive

Certains chercheurs identifient deux forment de guématrie : la forme « révélée », rencontrée dans la littérature rabbinique, et la forme mystique, rencontrée dans la littérature kabbalistique.

Talmud, midrash, littérature rabbinique

Si la guématrie est appliquée à la littérature rabbinique en tant que procédé exégétique, ce n'est qu'à un très faible degré. On trouve un exemple de guématrie dans le talmud babylonien b. Yoma 20a, où il est écrit que Satan n'a aucun pouvoir sur les humains le Jour des Expiations. La valeur numérique de « le Satan » (ainsi mentionné dans le Talmud : Ha-Satan) est de 364. Les rabbins ont alors conclu que Satan a une emprise sur les hommes pendant 364 jours mais que le dernier jour, le 365e, celui de l'Expiation, son pouvoir et lui-même sont détruits.

Cette équivalence numérique entre le nombre de jours dans une année et la valeur de Satan n'est que symbolique, et vise à édifier et soutenir l'argument théologique selon lequel une fois par an le Mauvais est vaincu.

Dans la mystique et la kabbale
La guématrie mystique et kabbalistique

C'est au début du 13e s. avec les Hasidim ashkénazes (courant mystique et ascétique) que la guématrie devient l'outil exégétique mystique qui permet d'accéder aux secrets, à l'essence même du texte biblique. Ils découvrent ainsi d'innombrables niveaux de lecture de la Bible, du midrash et du Talmud ainsi que des significations toujours plus réservées aux initiés.

Cette guématrie mystique apparaît dans la péninsule ibérique au cours du 13e s. et devient à ce moment une des plus importantes techniques de la kabbale, la loi orale et secrète transmise à Moïse en même temps que la Tora. Elle influence principalement l'école kabbalistique castillane, représentée par Abraham Aboulafia et Moïse de Burgos. Moïse Cordovero (1522-1570) est l'un des plus grands kabbalistes du judaïsme. Il écrit le Pardes Rimmonim, le « Jardin des Grenades », où il systématise et synthétise la pensée de la kabbale. Plusieurs chapitres sont consacrés aux liens entre les lettres, les chiffres et le langage ainsi qu'aux différentes techniques de guématrie.

Les principaux procédés
Autres techniques

La liste des différents procédés est infinie tant les permutations, les additions, les soustractions, les multiplications et les imbrications des différents procédés les uns dans les autres offrent des possibilités inépuisables. Cela signifie également que chaque mot n'a pas en vérité qu'une seule valeur, mais une valeur relative au procédé employé. Pour les guémâtres les plus zélés, il est alors facile de pouvoir trouver telle ou telle correspondance numérique. D'autres techniques sont liées à la guématrie comme l'atbash et le notariqon.

La guématrie : outil pour l'herméneutique chrétienne

La kabbale chrétienne

Au 15e s. en Europe, en pleine Renaissance humaniste, naît un mouvement appelé kabbale chrétienne. Ce mouvement philosophico-religieux reprend la tradition kabbalistique juive avec toutes ses méthodes, ses techniques d'interprétation et même ses concepts comme l'arbre de vie, les dix sephirot, les sentiers de sagesse, ... au service du christianisme et du Nouveau Testament. Pic de la Mirandole est à l'initiative de ce mouvement. Il entreprend une christianisation de la kabbale juive car il est persuadé que la kabbale et l'Ancien Testament sont les voies d'accès au christianisme. La kabbale permettrait de lire dans l'Ancien Testament la vie entière du Christ. De la Renaissance jusqu'au 19e s., la kabbale chrétienne est représentée par des personnages comme Jean Reuchlin, Guillaume Postel, Jacques Gaffarel, jusqu'à David-Paul Drach, dit Chevalier Drach, ancien rabbin converti au christianisme qui a défendu à Rome l'importance de la kabbale juive pour l'annonce du christianisme.

Un autre mystère de la « Cabale Divine »
Les profonds mystères de la Cabale Divine

Jacques Gaffarel est un kabbaliste chrétien du 17e s. Il rédige en 1625 Les profonds mystères de la Cabale divine pour ceux qui ne sont pas initiés à la kabbale ainsi que pour ses détracteurs, afin de prouver et de justifier l'existence et la valeur de la guématrie. Le plan de son ouvrage consiste d'abord à exposer les bases sur lesquelles s'appuient la guématrie, ce qui la fonde, puis réfute ses détracteurs. Il évoque ainsi les différentes techniques kabbalistiques des Juifs qu'il reprend, comme ses confrères, au service du christianisme, afin de le justifier et prouver la valeur divine de la Bible.

Relation de guématrie entre Bereschit et les mystères du Christ
Relation de guématrie entre Melchisédech et Jésus