La figure de la Madeleine progressivement mise en place par la dévotion ou fantasmée par les clercs (→Histoire de la dévotion à Marie de Magdala) a connu plusieurs avatars au fil des siècles, qui renseignent souvent plus sur les milieux qui les élaborèrent que sur le personnage historique de la sainte femme membre de l'entourage de Jésus.
Antiquité
Amante initiée
Selon les gnostiques, elle est disciple par excellence.
- →Pist. Soph. : Sur 115 questions posées par les disciples, 67 le sont par elle. Jésus lui adresse d’étranges félicitations : elle deviendra un « plérôme » (perfection divine). Elle a été initiée et révèle les mystères célestes. Elle est la préférée du Christ, ce qui s’exprime en termes érotiques.
- →Év. Phil. 55 : Jésus l’aimait comme sa compagne « plus que [tous] les disciples » et « l’embrassait sur la [bouche sou]vent. »
C’est peut-être une christianisation du couple primordial divin, actualisé aussi par leurs adeptes dans le couple de Simon le magicien (Ac 8,9-24) et de sa femme Hélène, ancienne prostituée. Selon un rite gnostique valentinien, la Sagesse est stérile sans l’union avec le Sauveur qui se fait par le baiser-échange des souffles.
Pécheresse parfaitement convertie
Depuis Grégoire le Grand (Tradition chrétienne Mt 26,7a une femme), Marie-Madeleine est la parfaite illustration de l’appel à la conversion et du consentement réussi au pardon de Dieu.
9e siècle
- Vita eremitica beatae Mariae Magdalenae (→BHL 5453-5458), œuvre de moines d’Italie méridionale, suit le modèle de la grande héroïne des ascètes, Marie l’Égyptienne, qui passa d’une vie de péchés à une repentance extrême révélant un amour mystique extrême : après une vie dissolue à Alexandrie, elle se convertit radicalement, donne ses biens aux pauvres, ne conserve qu’une étoffe qui s’effiloche avec les années et ne lui laisse plus que sa chevelure pour se couvrir ; elle se nourrit au désert de trois pains pendant 17 ans, puis jeûne pendant 30 ans.
- Vita apostolica (→BHL 5443-5451) situe l’œuvre apostolique de prédication et l’expérience érémitique de Marie-Madeleine dans la fameuse grotte de la Sainte-Baume, aux environs de Marseille, où se développe la légende de ses miracles locaux.
13e siècle : une biographie complète
→ donne les différents éléments de la vie de Marie-Madeleine : son arrivée en Provence renforce son image de sainte prédicante (évangélisatrice des apôtres eux-mêmes, LégendeTradition chrétienne Mt 28,1b Marie la Magdeleine) et un modèle de vie apostolique ; ses années à la Sainte-Baume en font une sainte repentante ; ses enlèvements au ciel pour entendre l’office divin, une sainte mystique modèle de vie contemplative ; ses miracles, une sainte qui intercède pour ceux qui l’invoquent.
Premières années après la mort de Jésus
Inquiétée à Jérusalem, elle s’embarque sans voile, rames, gouvernail ni pilote, avec Lazare, Marthe, Maximin (l’un des disciples de Jésus) et Sidoine (l’aveugle-né guéri par Jésus en Jn 9). L’embarcation échoue à Marseille où tous prêchent l’Évangile. Le roitelet local promet de devenir chrétien si Dieu lui donne un fils, ce que Marie-Madeleine obtient par ses prières. Il décide de se rendre à Jérusalem pour vérifier les dires de la femme de Magdala auprès de Pierre. Au cours du voyage, sa femme meurt en couches, privant le nouveau-né du sein maternel. Il abandonne sa femme et son enfant sur une île en implorant l’aide de Marie-Madeleine. Rentrant de Jérusalem où il a été convaincu par Pierre, il retrouve sur l’île son enfant vivant : il s’est nourri au sein de sa mère morte ! Encouragé, le roi prie à Marie-Madeleine de ressusciter sa femme. Celle-ci se réveille en disant :
- → « Votre mérite est grand, bienheureuse Marie-Madeleine, vous êtes glorieuse, vous qui, dans les douleurs de l’enfantement, avez rempli pour moi l’office de sage-femme, et qui en toute circonstance m’avez rendu les bons soins d’une servante » (2,251-252). Légende
Elle devint ainsi patronne des femmes enceintes, régulièrement invoquée dans les accouchements.
La Sainte-Baume
Les compagnons se dispersent : Maximin devint évêque d’Aix, Lazare de Marseille ; Marthe établit une communauté de vierges à Tarascon. Marie-Madeleine se retire à la grotte de la Sainte-Baume pour mener une vie anachorétique : elle est nourrie directement par les anges. Maximin est alors prêtre. C’est lui qui communie Marie-Madeleine une dernière fois et lui donne sa sépulture. Liturgie Mt 27,55a
Renaissance : l’ère du soupçon
Le mouvement humaniste ne manque pas de s’interroger sur ce qu’il est convenu d’appeler — avec
De Maria Magdalena, triduo Christi et ex tribus una Maria disceptatio (1517) — « les trois Marie ». Dès 1519, De unica Magdalena: libri tres et Scholastica declaratio sententiae et ritus Ecclesiae de unica Magdalena le réfutent. En 1521, Lefèvre est condamné par la Sorbonne, qui prescrit d’enseigner la thèse contraire à la sienne.Époque baroque et classique : la préférée des poètes
Le prestige de la Madeleine abonde en « scènes à faire », qui ne peut que tenter l’ingéniosité des poètes. Ils sont plutôt mal à l’aise pour évoquer le silence de Marie-Madeleine prosternée aux pieds du Christ, mais les deux récits de l’onction de Béthanie et de la découverte du tombeau vide leur permettent de donner libre cours à leur goût pour la paraphrase et l’amplification. La pécheresse repentie est la sainte préférée du 17e s. et de ses poètes. En se concentrant sur la seule France, on peut former une belle bibliothèque de livres français et latins consacrés tout ou partie à Marie-Madeleine :
- ; , La Sainte Madeleine repentie (1597)
- , Divae Magdalenae vita heroico carmine (1601) ;
- ; , Les perles, ou Les larmes de la saincte Magdeleine (1606)
- ; , La Magdaliade, ou Esguillon spirituel pour exciter les âmes pécheresses à quitter leurs vanités et faire pénitence (1608)
- ; , La Magdeleine (1617)
- ; , La Magdeleine pénitente (1627)
- ; , Uranie pénitente (1628)
- ; , La Magdeleine au Sepulchre de Jesus-Christ (1635)
- ; , La Magdeleine pénitente (1643)
- ; , Divae Magdalenae ignes sacri et piae lacrymae (1656)
- ; , La Magdeleine au désert de la Sainte-Baume en Provence (1668)
- ; , Marie-Madeleine, ou Le triomphe de la grâce (1669)
- , Les réflexions de la Magdelaine dans le temps de sa pénitence (1674).
Ces poètes appartenaient à tous les ordres religieux et à tous les milieux : Durant est chartreux, de Beauvais capucin, Le Clerc curé, Sautel jésuite, de Saint-Louis carme ; Balin, Le Laboureur et Desmarets sont laïcs (le premier fut professeur, le deuxième magistrat, le troisième poète sur gages). Pour des exemples de leur poésie : Littérature Mt 26,7 ; Littérature Mt 26,7a ; Littérature Mt 27,55 ; Littérature Mt 28,1b Marie la Magdeleine.
18e et 19e siècles
Réprouvée du moralisme bourgeois
- La maison des Filles de la Madeleine, dites Madelonnettes, fut au départ, en 1618, une charité de Robert de Montry (→Histoire de la dévotion à Marie de Magdala : 14e-16e s.). Rejointe par Marguerite de Gondi, dévote de Monsieur Vincent, reconnue par le pape en 1631, elle se développa en un système d’enfermement plus ou moins forcé des prostituées plus ou moins repenties, ou de filles de bonnes familles jugées trop légères : Ninon de Lenclos (1620-1705) et Marie-Madeleine Chavigny (modèle pour la Manon Lescaut de l’abbé ) connurent cette détention.
- Dans l’Angleterre victorienne, magdalen devint un euphémisme désignant une prostituée. En Irlande, on appelait aussi « madeleines » les femmes qui perturbaient l’ordre social, qu’on enfermait sans autre forme de procès dans des couvents (Cinéma Mt 27,56a : Mullan).
Initiée de l’occultisme fin de siècle
Marie-Madeleine est aussi une grande figure dans le cadre de l’occultisme :
- → « C’est dans la ferme de Béthanie, entre Marthe-Marie et Magdeleine, que Jésus aimait à se reposer des labeurs de sa mission, à se préparer aux suprêmes épreuves. C’est là qu’il prodiguait ses plus douces consolations, et qu’en de suaves entretiens, il parlait des divins mystères qu’il n’osait pas encore confier à ses disciples » (499). Initiés
20e et 21e siècles
Piété
Les écrivains croyants (p. ex. Claudel, Schmitt) continuent les pieuses méditations du passé.
Amalgames
Lisant les textes gnostiques, parfois à contresens, les enrichissant de kitsch orientaliste, de préjugés anti-institutionnels, de spiritualisme ou d’occultisme, et de théorie du complot appliquée aux origines chrétiennes, la littérature a souvent travaillé sur les équivalences hâtives : féminité donc lutte contre l’oppression (patriarcaliste) ; fidélité donc initiation (gnostique) ; proximité donc sexualité (libératrice). Plusieurs sectes s’en inspirent pour promouvoir une nouvelle gnose centrée sur la révélation du divin féminin par Marie-Madeleine.
Fantasmes
Marie-Madeleine se retrouve :
Elle est relatée au saint Graal (Littérature Mt 26,27a) chez :
- Cinéma Mt 26,27a : Howard) ; Da Vinci Code, inspiré de , The Woman with the Alabaster Jar et repris au cinéma (
- ; , et , The Holy Blood and the Holy Grail
- l’escroc français , inventeur du mythe du « Prieuré de Sion », chargé de défendre les descendants de Jésus et Marie-Madeleine.
Il est vain de chercher à réfuter ou à étayer « scientifiquement » ces œuvres d’imagination comme l’ont fait certains exégètes contextuels (allant jusqu’à faire de Marie-Madeleine le véritable « disciple bien-aimé » — auteur de Jn — comme Esther de Boer et Ramon Jusino) ou certains archéologues inventifs (Simcha Jacobovici). On trouvera d'autres exemples littéraires en Littérature Mt 26,7 ; Littérature Mt 26,7a ; Littérature Mt 26,10b ; Littérature Mt 26,11b ; Littérature Mt 26,13c.