Le souci de la vérité historique était déjà présent dans le travail des historiens antiques. Il passait par un réel souci documentaire, subordonné au témoignage oculaire personnel.
SUJET
Quelque chose de grand
L'historien antique, héritier de la tradition épique, n'entend pas faire la chronique des petits riens.
- → 1,1,1 entreprend la chronique d'une grande ( Hist.megan) guerre plus digne de consignation écrite (axiologôtaton) que rien d'arrivé auparavant.
- → 1,1,5 raconte un événement dont le passé n'offre aucun précédent ( Hist.ho proteron ouch heurisketai gegonos).
- → 3,2-4 « Le premier travail, et assurément le plus indispensable, pour un historien quelconque, c'est de choisir un beau sujet, susceptible de plaire aux lecteurs éventuels. Sur ce point, Hérodote me semble avoir mieux réussi que Thucydide. Il a en effet rédigé une histoire qui réunit les exploits des Grecs et des Barbares, afin que ni les événements ni les actions humaines <ne sombrent dans l'oubli>, comme il le déclare lui-même Pomp. ; ce préambule est à la fois le début et la fin de l'histoire. Thucydide, pour sa part, ne raconte qu'une seule guerre, et qui n'est ni belle ni heureuse, une guerre qui n'aurait jamais dû éclater, ou du moins qu'il fallait abandonner au silence ou à l'oubli, et laisser à jamais ignorée des générations à venir. »
MÉTHODE
Primauté du témoignage
Alors que le « père de l'histoire », Hérodote, en fait parfois un usage ornemental, les historiens plus tardifs, Thucydide, Polybe, Josèphe et Tacite, considèrent que seule l’histoire contemporaine, celle qui était à portée de mémoire vérifiable, peut faire l’objet d’une œuvre rigoureuse. La participation de l’historien aux événements qu’il rapportait (autopsie directe) était pour eux la meilleure garantie d’écrire de la bonne histoire : Textes anciens Lc 1,2.
À défaut d’être eux-mêmes témoins de ce qu’ils rapportaient, les historiens pouvaient encore se rabattre sur les souvenirs de témoins encore vivants qu’ils pouvaient interroger (autopsie indirecte) : Textes anciens Lc 1,1.
Constance de la rhétorique
- → 1,22,1 ne se prive pas d’arranger lui-même les discours des personnes dont il écrit l’histoire, qu’il a pu recueillir, directement ou non, avant, pendant ou après la guerre (cf. Hist.→Le témoignage comme instrument historiographique : 4).
L’histoire fut de plus en plus influencée par la rhétorique. Des rhéteurs célèbres du 1er s., tels Caecilius de Calé Acté et Théodore de Gadara, composèrent des manuels sur l’écriture de l’histoire.
- → 2,12-15 (cf. De or.→Leg. 1,2) insiste sur le double rapport entre l'histoire et la rhétorique : pour bien écrire l'histoire, il ne suffit pas de faire des annales rapportant jour après jour les faits tels qu'ils se sont produits, mais il est nécessaire de savoir bien composer son œuvre et posséder un style quelque peu éloquent (talents qui s'apprennent avec l'art rhétorique). L'orateur doit également faire preuve d'historien dans la mesure où il lui faut, autant que possible, chercher à dire le vrai.
- → 10,1,31 assure que l’histoire est une section de la rhétorique. En 10,1,101, il loue l’historien Tite-Live pour la qualité rhétorique de son œuvre. Inst.
La domination de l’histoire par la rhétorique peut avoir d’heureuses conséquences pour l’établissement des faits :
- → 5,7,9-32 donne au rhéteur des règles sur la manière d’interroger les témoins et évaluer leur témoignage selon leur personnalité, leurs motifs, leurs sources. Inst.
- Cependant, surtout dans son usage judiciaire, le rhéteur peut s’éloigner de la vérité historique pour les besoins de la cause à défendre (→ 11,42 Brut. ; cf. → 1,30), voire s’autoriser un mensonge ( Inv.→ 2,17,27). Inst.
- Aussi les historiens rigoureux dénoncent-ils la tentation de transformer l’histoire en un art du divertissement (→ 7,16,1-2), et d’en profiter pour inventer des faits. Nat.
- → 12,25a,2 assure que la présence d’un ou deux mensonges dans une œuvre historique suffit à la discréditer tout entière. Hist.
Bref, dans l’Antiquité, la persuasion et la crédibilité factuelle étaient deux vertus rhétoriques complémentaires, et non pas deux objectifs contradictoires, comme on le pense parfois depuis la critique rationaliste.
Histoire et biographie antiques
Les évangiles relèvent du genre de la biographie antique (bios, vita ; cf. →Le bios ou la vita, genre historiographique antique ; →Le genre littéraire « évangile »), encore plus encomiastique que le genre historique. Ils sont aussi bien marqués par un idéal rhétorique de persuasion que par un idéal historien d’exactitude factuelle.
Histoire et théologie
La pratique du témoignage fait le lien entre l'événement historique (toujours-déjà interprété) et la conviction théologique, comme l'a établi → :
- Le témoin se réfère à l’histoire dans la mesure où il rappelle le passé et l’intègre dans son présent comme significatif.
- Il fait aussi œuvre de rhéteur, car son témoignage cherche à relier le présent de l’acte de compréhension de son interlocuteur avec le passé historique qu’il relate en lui donnant une forme et un sens.
On comprend pourquoi philosophes et herméneutes ont approfondi les →dialectiques du témoignage.