Un projet du Programme de Recherches La Bible en ses traditions AISBL
Dirigé par l’École Biblique et Archéologique Française de Jérusalem
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1a La seconde année du règne d’Assuérus, le grand roi, le premier jour du mois de Nisan, Mardochée, fils de Jaïr, fils de Séméi, fils de Cis, de la tribu de Benjamin, eut un songe.
1b C’était un juif qui demeurait dans la ville de Suse, homme illustre et attaché à la cour du roi.
1c Il était du nombre des captifs que Nabuchodonosor, roi de Babylone, avait transportés de Jérusalem avec Jéchonias roi de Juda.
1d Voici quel fut son songe : Soudain on entendit des voix, un grand bruit et des tonnerres ; la terre trembla et fut bouleversée.
1e Puis soudain, deux grands dragons s’avancèrent, tous deux prêts à combattre.
1g Puis soudain ce fut un jour de ténèbres et d’obscurité ; il y eut angoisse, détresse, tribulation et grande épouvante sur la terre.
1l S’étant levé après avoir vu ce songe et ce que Dieu avait résolu de faire, Mardochée le retint gravé dans son esprit et, jusqu’à la nuit, il fit tous ses efforts pour le comprendre.
1m Puis Mardochée demeura à la cour avec Bagathan et Tharès, les deux eunuques du roi gardiens de la porte du palais.
1n Ayant connu leurs pensées et pénétré leurs desseins, il découvrit qu’ils s’étaient proposés de porter la main sur le roi Assuérus, et il en donna avis au roi.
1o Celui-ci fit mettre à la question les deux eunuques et, sur leur aveu, les envoya au supplice.
1p Le roi fit écrire dans les Chroniques ce qui s’était passé, et Mardochée en consigna aussi par écrit le souvenir.
1q Et le roi ordonna qu’il exercerait un office dans le palais, et il lui donna des présents pour sa dénonciation.
1r Mais Aman, fils d’Amadatha, l’Agagite, était en grand honneur auprès du roi, et il voulut perdre Mardochée et son peuple, à cause des deux eunuques du roi qui avaient été mis à mort.
1 VICI COMMENCE LE LIVRE D'ESTHER
C'était au temps
VAux jours d’’Aḥšwérôš
VAssuérus, Mde cet Assuérus qui régnait depuis l’Inde et jusqu’à Kush
Vl’Éthiopie, sur cent vingt-sept provinces,
1 Et il arriva après ces événements, dans les jours d’Artaxerxès (cet Artaxerxès domina sur cent vingt-sept provinces depuis l’Inde),
1 Le livre d'Esther.
Et il arriva, aux jours d' ’Aḥšireš (cet Assuérus qui régnait depuis l'Inde et jusqu'à Kush sur cent vingt provinces),
2 En ces jours-là, le roi Assuérus était assis sur le trône de son royaume,
qui est à Suse, la capitale,
2 En ces jours-là, quand le roi Artaxerxès fut placé sur le trône dans Suse la ville,
2 comme il siégeait sur son trône royal,
Suse était la capitale de son royaume,
1 Commence le livre (V) Les titres de la bible latine Un des grands intérêts de traduire la version latine produite par saint Jérôme, est d’entrer avec lui dans l'atelier des passeurs de l'Écriture de l'Antiquité. En effet, Jérôme continue l’usage de ceux qui transmettaient les écritures : il y laisse des traces de ses interventions.
Dans la tradition hébraïque, les transmetteurs de l'Écriture sont appelés « massorètes » et c'est à eux qu'est dû le texte hébraïque le plus fiable, dit →« texte massorétique » (cf. Tradition juive Dt 31,24). Leurs interventions descriptives et prescriptives sont codifiées dans des notes marginales, infra ou suprapaginales, ou de fin de livre, qu'on appelle respectivement la « petite massore », la « grande massore » et la « massore finale ».
Dans la tradition latine, c'est d’abord en indiquant le début et la fin de chaque livre que le traducteur intervient, mais pas seulement comme on va le voir.
Voici par exemple les titres des premiers livres dans la Bible selon Théodulfe. Ce proche de Charlemagne devenu évêque d’Orléans puis abbé de quelques abbayes travailla à l'édition des Écritures latines et l'on conserve au moins six bibles composées sous sa direction. Ces titres apparaissent dans un manuscrit de la Bibliothèque nationale de France (Mss BnF lat. 9380 et 11937) :
Comme on le voit, ce ne sont pas de simples titres mais de véritables phrases, commençant par des verbes : incipit (du verbe latin incipere : « commencer ») et explicit (du verbe latin explico : « déployer, dérouler », d'où « développer, expliquer »).
Aux lecteurs sensibles, ces indications disent bien plus de choses que le simple nom donné au livre. Ponctuant la bible latine livre après livre, elles y conservent le double souvenir de son origine linguistique et des modes de transmission des traces écrites de la révélation.
À l'imitation de saint Jérôme, Théodulfe a travaillé avec un juif (peut-être devenu chrétien, et qui pourrait être l’auteur anonyme des Quaestiones in libros Regum et Paralipomenon, recueil sur les livres des Rois et des Chroniques attribuée ... à saint Jérôme !). Suivant l’usage juif, Théodulfe translittère comme titres le ou les premiers mots de chacun des livres de la Torah en hébreu. Il se permet cependant des variations :
Au-delà du Pentateuque, on peut remarquer que chez Théodulfe les deux livres des Rois n’ont qu’un titre en hébreu, Malachim. Dans les bibles latines, les livres de Samuel et des Rois sont souvent appelés Regum primus, secundus, tertius, quartus : il y a pour elles 4 livres des Rois). 1S 1,1 (cf. 2S 1,1) ; 1R 1,1 (cf. 2R 1,1).
, lui, semble avoir été plus pédagogue sur ce point : voyez par ex. ses titres enExplicit (de explicare) garde peut-être dans son étymologie la mémoire de l'utilisation des livres antiques qui avaient la forme du rouleau (volumen), avant de se couler dans la forme moderne du codex.
De g. à dr. : calame sur son pot à encre, volumen (rouleau) de papyrus, codex (livre) sous forme de tablette de cire, et tablette en bois.
Incipit et explicit ne sont pas seulement de vieux termes de paléographie. Ils sont couramment utilisés en théorie littéraire contemporaine, en particulier dans la science de l’analyse des récits (la « narratologie ») :
L'incipit et l'explicit d’une œuvre sont cruciaux pour qui cherche à la comprendre, car en début et en fin de livre leurs auteurs donnent souvent des clés d’interprétation et laissent paraître plus ou moins clairement quelles étaient leurs intentions en le composant.
Les incipits des livres bibliques devinrent des lieux privilégiés où les enlumineurs déployèrent leur art, non seulement pour marquer visuellement la séparation entre les livres par un élément surtout décoratif (comme c'est le cas ici), mais aussi, parfois, pour introduire des personnages, des thèmes ou des scènes caractéristiques du livre qui commence, l'image devenant déjà une exégèse, comme dans ... l'incipit d'un roman moderne.
Le traducteur antique ne se contente pas d'indiquer ainsi le début et la fin de chaque livre. Il intervient parfois au milieu, pour donner son avis sur les textes qu'il transmet. Ainsi Jérôme prend-t-il soin d'indiquer qu'il n'a pas trouvé tel ou tel passage dans les manuscrits hébreux qu'il a pu consulter, dans les milieux juif de la Palestine du 4e siècle, et de dire à partir de quelles sources il a travaillé. C'est le cas dans deux livres, Esther et Daniel :
(nota bene : Parce que notre édition numérique est fondée sur la versification massorétique, les chapitres 11 à 16 du livre d'Esther apparaissent comme des ajouts même sur le plan technologique, les numéros de chapitre et de versets étant comme ajoutés « à la main »).
Les interventions des transmetteurs latins des Écritures ne se sont pas limitées aux titres et aux didascalies sur le texte lui-même. On devra y ajouter des considérations sur les prologues, les sommaires, les « canons » et les listes d'interpretationes, qui finirent par être parfois intégrés au texte même de l'Écriture, au fil de leurs éditions manuscrites...
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N. M.
, notice « Bible », Encyclopaedia Judaica, t. IV, Jérusalem, 1971, col. 820-821—— Chr. , « Théodulfe d’Orléans », dans Histoire littéraire de la France, t. XLII, Paris, 2002, 237-267 —— Gilbert , La Bible latine du XIIIe siècle, à par. coll. « Patrimoines thomistes», Paris : Cerf, 2025.